Originally: Thèmes de l’Emission de la Semaine
October 22, 2012
Plus préoccupé par l?effet événementiel de l?acte, que par les conditions requises pour sa création, Martelly a bêtement provoqué cette tension politique au seuil des élections sénatoriales partielles, en créant prématurément un CEP permanent. On n?a pas l?impression qu?il soit conscient que ce soit précisément cette décision qui sous-tend l?atmosphère de tension et ce blocage qui domine l?avant-scène politique. Comprend-il l?importance de la décision qu?il est en train d?imposer, le caractère permanent de l?établissement de l?institution qui désormais, avec des conseillers inamovibles, aura à gérer l?accès et l?octroie du pouvoir politique ? Le retard que cette tension est en train de causer dans cette période pré-électorale, sert-il les intérêts politiques de Martelly, ou plutôt ceux d?Aristide ? Alors que Martelly veut faire croire que sa décision de créer ce CEP permanent, soit plutôt pour mettre fin à la tradition de la fraude électorale. Il n?est même pas conscient que l?effet et l?interprétation de cet acte, soient exactement à l?antipode de ce qu?il veut faire croire. Après le scandale du CSPJ qui n?est pas encore résolu d?ailleurs. Il devient encore plus difficile de convaincre quiconque du contraire. On croit plutôt, que ce soit pour domestiquer le CEP permanent à l?instar de la domestication par ses prédécesseurs lavalassiens sur les CEP provisoires. La création d?un CEP permanent de six membres et la pression que Martelly est en train d?exercer sur les parlementaires pour les forcer à désigner leurs trois délégués, bien que les conditions ne soient pas réunies, ne fait qu?augmenter cet aura de suspicion. Est-il en train de commettre inconsciemment l?hara-kiri, ne voulant pas perdre la face, en admettant qu?il ait fait fausse-route ? Est-il conscient qu?en prenant prématurément cette décision, il s?est piéger lui-même ? Ou que ceux qui l?ont encouragé à la prendre, l?ont intentionnellement piégé ? Voilà l?impasse où Martelly a foncé tête baissée et persiste à y demeurer !
Au cours des vingt dernières années, les deux chefs d?état lavalassiens, Aristide et Préval, ont été les seuls à présider quatre gouvernements sous l?égide de la constitution de 1987. Ils ont pu sans coup férir domestiquer simultanément le processus d?accès et d?octroi du pouvoir politique, en contrôlant tous les CEP provisoires et toutes les machines électorales sans exception. Ce n?est un secret pour personne que ce soit grâce à l?internalisation de la peur introduite et imposée par le régime des Duvalier pendant trois décennies pour garantir la présidence à vie. Qui a été reprise par le régime lavalas pour garantir, pendant deux décades, le pouvoir à vie avec l?alternance présidentielle. C?est dans ce cadre de répression, créant à la fois l?internalisation de la peur, combiné à l?opacité des ténèbres de l?analphabétisme, que le seuil de tolérance du peuple haïtien ait atteint son paroxysme voisinant presque l?état de léthargie. C?est grâce à cet état de fait qu?ils ont pu confisquer, sans résistance substantielle, le pouvoir de manière permanente pendant 20 ans par la fraude électorale. Pas une contestation électorale n?a pu aboutir sous le régime lavalas !
Le fait que par le biais de l?alternance présidentielle, les deux chefs d?état lavalassiens Aristide et Préval, aient pu atteindre la limite de la restriction constitutionnelle des deux mandats non-consécutifs. Le fait qu?ils n?aient pas pu aller au-delà, gérant la continuité à l?infinie du cercle vicieux de l?alternance présidentielle, est dû spécifiquement à l?intervention directe des Etats-Unis au premier tour des dernières élections présidentielles. Un fait est irréfutable que José Miguel Insulza le secrétaire général de l?OEA, avait déjà, avant ces élections, entériné la logique de la politique de la continuité de Préval. Il nous faut admettre que le peuple haïtien en état de léthargie et toute la cohorte des leaders des instruments politiques et de la société civile, n?ont rien pu faire par eux-mêmes pour mettre fin à ce cercle vicieux, même quand les restrictions constitutionnelles avaient déjà ostensiblement mis fin au premier cycle des alternances lavalassiennes.
Certes avec le catapultage de Martelly, on a rompu avec la continuité de l?alternance lavalassienne. Cependant, il vous faut admettre que ceci constitue une preuve irréfutable de l?incapacité du peuple haïtien et de ses leaders de faire valoir leur volonté politique pour s?émanciper de cette confiscation de pouvoir politique qui perdure depuis plus d?un demi-siècle, d?une part. Mais d?autre part, l?efficacité de cette méthode qui a valu aux lavalassiens, avec l?aide internationale bien sûr, 4 mandats présidentiels alternés de 5 ans, dont 20 ans de pouvoir. A la lumière de ces faits, on doit comprendre, qu?on ne peut plus continuer à se complaire dans la lamentation, d?une part. Mais d?autre part que les lavalassiens vont faire l?impossible pour ne pas être victime, comme vous l?avez été et que vous continuez à l?être, de cette même méthode qu?ils ont eux-mêmes inventé et parachevé !
Peu importe la tendance de droite ou de gauche du régime populiste, l?internalisation de la peur, est l?élément fondamental de la gestion de la cohésion sociale. Le 28 juillet 1958 en réaction à une tentative de coup d?état militaire, François Duvalier a fait d?une pierre deux coups. Domestiquer l?armée en la purgeant de tous les militaires suspects de ne pas être ses partisans. Puis créer une armée politique privée, la milice, les Volontaires de la Sécurité National (VSN). En un tour de main, il s?est accaparé du monopole des forces de coercition, l?armée, la police et le VSN. L?internalisation de la peur était devenue désormais possible, avec les moyens que lui offrait ce monopole.
Aristide, bien avant d?être catapulté à la présidence, avait déjà recruté à travers les bidons-villes de la capitale des gangs, sous le nom d?Organisations Populaires (OP). Elles pratiquaient la terreur par le lynchage avec le collier de feu. Elles dressaient des barricades enflammées sporadiquement pour perturber la paix publique. Organisaient des protestations violentes, etc.? Avec la nuance qu?au sein de ces OP, la compétition pour le leadership, est strictement basée sur la capacité de violence des compétiteurs. Arrivé au pouvoir, le jour de sa prestation de serment, par le biais de son discours d?investiture, Aristide fait sa première mutation créant ainsi au pouvoir un nouveau parti politique l?Organisation Politique Lavalas (OPL). Jetant du même coup au rancart la plateforme qui avait organisé et géré sa campagne électorale. Paradoxalement l?OPL à sa création est affublée d?éléments de base, les OP, qui ont été créées au moins cinq ans plus tôt ! L?OPL coiffe donc au départ des éléments de base fonctionnels qui ont assez de temps de rodage dans la pratique et le perfectionnement de la violence et de la répression, leur permettant de prendre immédiatement, avec une maîtrise certaine, la relève de l?internalisation de la peur léguée par le régime des Duvalier pour la pérenniser, d?une part. Mais d?autre part, pour faire face à la violence résiduelle léguée par ce régime violent qui vient de s?effondrer. Il s?est débarrassé de l?armée et des VSN. Aristide a donc établi ostensiblement et sans équivoque un régime anarchopopuliste.
La confiscation électorale par la fraude n?a été possible pour les lavalassiens que grâce à la continuité de la gestion de la cohésion sociale par l?internalisation de la peur, la paix des tombeaux et l?opacité des ténèbres de l?analphabétisme. Le peuple haïtien, après les 5 ans d?effort pour s?arracher à l?effet de l?ère de la répression duvaliérienne, du 7 février 1986 au 7 février 1991, est rentré à pieds joints dans le même état de léthargie, aussitôt qu?Aristide ait ostensiblement et sans équivoque manifesté sa volonté de s?imposer par la force, peu après son intronisation.
C?est un fait irréfutable que sous le régime lavalas tous les postes électifs des collectivités territoriales aient été occupés par des déchoukeurs. Maintenant, qui contrôlent la machine électorale et commettent de fait la fraude électorale ? Bien que selon l?organigramme, le CEP se trouve en amont coiffant tout le système électoral. Dans la réalité, le CEP provisoire n?a qu?un rôle secondaire. Il ne fait qu?entériner et consacrer, sous l?ordre de l?Exécutif ou de l?Internationale, la fraude électorale commise à travers la machine électorale, contrôlée par les autorités des collectivités territoriales.
Bien que Martelly soit catapulté au pouvoir comme Aristide l?a été, par le biais de la transposition en politique d?une popularité acquise dans un autre domaine. C?est un fait irréfutable qu?il n?a pas, comme Aristide l?a eu, en entrée de jeu, la capacité de violence et de répression pour forcer la pérennisation de l?état de léthargie, comme Aristide a eu à le faire en succédant au régime des Duvalier. Cependant, Martelly agit comme s?il a la volonté de re-confisquer le processus de l?accès et de l?octroi du pouvoir, par le contrôle du CEP permanent. Il veut faire croire que la création du CEP permanent soit la rupture avec la confiscation électorale traditionnelle. Personne n?y croit. La création prématurée d?un CEP permanent de 6 membres, le scandale du CSPJ quant à la désignation des délégués du pouvoir judiciaire, les pressions exercées pour forcer le parlement à désigner ses 3 délégués, sans que les conditions ne soient pas réunies. La coïncidence de tous ces faux-pas, contribue à augmenter l?aura de suspicion et la tension politique.
Sur le plan national, mis à part les ambitions et intérêts des leaders des partis et d?instruments politiques. Est-il de l?intérêt de la nation haïtienne d?accepter à nouveau que l?expression de sa volonté politique soit foulée au pied par un nouveau régime en herbe, qui selon toutes apparences, semble avoir les mêmes ambitions que ses prédécesseurs ? Quand pourra-t-elle se débarrasser de ce carcan qu?elle traîne depuis plus d?un demi-siècle ? Quand est-ce qu?elle pourra choisir en vérité et en toute sérénité les gouvernants qu?elle mérite ? Quand est-ce qu?elle pourra s?émanciper de la fraude électorale, qui réduit au silence et jette au rancart l?expression de sa volonté politique ? C?est de fait une situation manichéenne. Va-ton accepter désormais des élections frauduleuses, oui ou non ?
Le fait que le catapultage en mai 2011, a amené au pouvoir un nouveau personnage comme chef d?état qui n?a pas un passé politique qui le situe obligatoirement au sein de cette caste qui a dominé totalement l?avant scène politique depuis 54ans, par l?internalisation de la peur et le maintien de l?opacité des ténèbres de l?ignorance. Ce changement brusque d?acteurs politiques, a de fait interrompu l?emprise qui avait garanti à cette caste d?une part la présidence à vie, et d?autre part, le pouvoir à vie avec l?alternance présidentielle. Ce catapultage a donc sans aucun doute perturbé simultanément les conditions, les voies et moyens qui ont permis au régime lavalas la confiscation du pouvoir par la fraude électorale.
Quelle a été dans les faits la réaction immédiate de lavalas, des plateformes et autres instruments politiques dérivés de lavalas, face à l?interruption brusque de cette emprise, dont ils ont eu le contrôle absolu pendant 20 ans ? L?effort de récupération par la soumission, utilisant l?attaque frontale pendant un an ; La campagne acharnée de déni de légitimité de l?Exécutif, menée par les parlementaires, particulièrement par les sénateurs devant entrer dans l?immédiat dans les compétitions électorales. Ce n?est pas par hasard qu?au moment où leurs mandats sont tombés en caducité, que cette campagne ait brusquement cessé dans sa forme originale, d?une part. Mais que d?autre part, on assiste à la continuité du même combat sous une autre forme, mais venant cependant du même secteur. Avec la nuance que ce changement de style et de champ d?action, met plus directement en exergue les intérêts politiques de Jean-Bertrand Aristide, gérés à l?avant scène politique par le biais de son proxy Moïse Jean-Charles. Cet aspect, pendant un an, au cours de la campagne de déni de légitimité de l?Exécutif par les parlementaires, n?était pas aussi évident, aussi clair qu?il ne l?est aujourd?hui.
Après 20 ans de fraude électorale c?est devenue une tradition lavalassienne. Ce n?est surtout pas une fatalité. S?il faut se mobiliser, pour prendre avantage de l?incapacité de violence et de répression de ce nouveau pouvoir, pour enfin avoir la voie au chapitre, participant directement aux choix de ceux qui vont assumer la responsabilité de représenter la pluralité des vrais intérêts collectifs de la nation haïtienne. On ne peut pas s?associer à ceux qui ont pratiqué la fraude électorale pendant 20 ans. Ils ne sont motivés que par la récupération de leur pertinence et de leurs privilèges abusifs d?antan ! Certes, ayant perdu le pouvoir Exécutif, ils ont intérêt à s?inscrire et à participer à cette lutte. Mais ce n?est certainement pas pour la défense de la pluralité de l?intérêt général haïtien. Ils ont sans aucun doute un autre avantage insoupçonné. Pour avoir géré les affaires de l?état pendant 20 ans et jusqu’à récemment. Ils ont encore dans tous les couloirs du pouvoir des gens qui sont prêts à assumer en un clin d??il le contrôle de l?appareille d?état, en leur nom et à leur profit. Soyez constamment conscients de ces faits. Et demeurez constamment vigilants ! Il faut parvenir à avoir confiance non-seulement dans les résultats des élections, mais plus important encore dans le processus de sa vérification.