Originally: Thèmes de l’Emission de la Semaine
Thèmes de l?Emission de la semaine
Orlando le 21 septembre, 2012
Actualités Politiques : Grandes Lignes
Peut-on croire que les deux régimes populistes qui ont confisqué le pouvoir pendant 54 ans en Haïti, l?ont fait, escomptant sciemment l?échec ? Absolument pas ! La divergence de perception de ce qu?est un échec, vient spécifiquement des différents critères d?appréciation du succès. En effet, pour le populisme des deux extrêmes, le succès réside principalement et uniquement que dans : la possession et l?exercice du pouvoir absolu et sa pérennisation. Pour les Duvalier c?était la présidence à vie. Pour Aristide et Préval c?était le pouvoir à vie, avec alternance présidentielle.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la reconfiguration bipolaire du monde avait provoqué une prolifération de ces types de gouvernements despotiques à travers le tiers monde, pour défendre les intérêts des blocs de l?Est et de l?Ouest, la guerre froide. Le régime populiste fascistoïde des Duvalier qui a maintenu Haïti pendant presque 30 ans dans ses serres, en est un parfait exemple.
Attelés au service du bloc qui les avait placés et maintenus artificiellement au pouvoir. Plus intéressés à exercer le pouvoir et à défendre leurs intérêts personnels. Ne pouvant pas atteindre la légitimité spécifique, faute de compétence. Devant gérer le maintien du pouvoir, ils ont tous eu recours instinctivement au pouvoir absolu et à sa pérennisation. Il faut le reconnaître, que le pouvoir absolu soit aussi la feuille de vigne préférentielle de tous les gouvernants incompétents à travers le monde, peu importe leurs tendances, leurs pays, leurs races, leurs nationalités ou leurs cultures !
Catapulté au pouvoir au lendemain de l?effondrement du mur de Berlin, symbole de la fin de la guerre froide, de l?implosion de la Russie soviétique et de l?effondrement des régimes communistes à travers le monde. Témoin de la férocité de la répression contre le peuple haïtien. Témoin de ses gémissements, de ses revendications et de ses aspirations. Témoin aussi de la façon dont les pays du bloc de l?Ouest avaient cyniquement lâché et contribué au renversement des gouvernements des 3 fameux « sons of a bitches » de l?ambassadrice Jane Kirkpatrick, Somoza, Duvalier et Marcos. Aristide conscient de ces faits convergents, aurait dû faire une lecture plus rationnelle, plus intelligente et plus éclairée non-seulement de l?importance et de la signification du moment historique, mais pour faire un choix plus judicieux, autre que la pérennisation du pouvoir despotique. Malheureusement, Aristide a opté pour le prolongement du despotisme, l?anarcho-populisme.
Renversé après 7 mois et retourné au pouvoir dans les fourgons de l?armée américaine 3 ans plus tard. Motivé comme Duvalier que par l?esprit de vengeance, il a, dès son retour, réitéré son choix pour l?anarcho-populisme, prétextant la poursuite de la justice. Alors qu?il ne s?agissait que de la revanche. Aristide et Préval par le biais de l?alternance présidentielle, ont maintenu la pérennisation de l?autoritarisme effrénée pendant 20 ans, de 1991 à 2011. Comme pour tous les régimes de ce type qui ont proliféré le tiers monde durant la guerre froide, le pouvoir absolu a été indubitablement leur feuille de vigne.
Peut être, l?inexpérience joint à l?incompétence, ont porté Aristide à faire ce choix. Mais on ne peut pas ignorer non plus le fait qu?Aristide avait cru littéralement à la notion prônée par la Théologie de libération : « Que le programme politique soit une position élitiste par rapport au masse. Qu?il fallait littéralement rester constamment à l?écoute des masses. » Aristide et Préval n?ont pas cessé de réitéré : « cé pa devant masse la pou maché, cé dèyè masse la pou maché ! » Alors que les fondateurs de la Théologie de libération, Bosch et Gutierrez, avaient déjà admis et déclaré, depuis 1984, que la Théologie de libération n?était qu?une utopie, d?une part. Mais d?autre part, que la Théologie de libération ne se lancerait plus à la conquête du pouvoir. Mais continuerait dans sa mission d?organisation politique de pression.
Catapulté soudainement chef d?état, sans expérience, sans un programme de gouvernement, sans vision, quelqu?un devient indubitablement conscient instantanément, surtout dans le pays le plus pauvre de l?hémisphère, que le roi est irrémédiablement nu. Que lui reste-t-il donc comme option, face au fait accompli d?être catapulter au pouvoir et d?être obligé de gérer sur le vif, la seconde phase de la vie politique, celle du maintien du pouvoir ? Sur quoi doit-il se replier pour s?affirmer ? Qu?est-ce qui lui est, pas disponible, mais actuellement accessible pour satisfaire cet impératif cuisant du maintien du pouvoir ?
Voilà les interrogations auxquelles Aristide a dû faire face à son accession au pouvoir. Voilà aussi celles à quoi Martelly croit être confronté aujourd?hui. L?accumulation des crises non-résolues que l?on charrie depuis des décennies en augmente l?urgence. A ce carrefour, les similarités entre Martelly et Aristide deviennent de plus en plus manifestes. Avec la nuance, que le cadre politique et l?équation politique, ont énormément changé. On est de fait sous tutelle onusienne, une garantie formelle du mandat présidentiel. N?ayant pas eu à la fois cette protection et ce carcan, Aristide prêtre au verbe charismatique, a bâti son contrôle du pouvoir sur la violence et l?intimidation. Il s?acharnait à inciter les masses à la violence par la propagation de la haine, la mobilisation constante, les protestations, les barricades enflammées, le lynchage, le meurtre, etc. L?efficacité de l?internalisation de la peur utilisée par les Duvalier pendant 30 ans, a été le guide préférentiel des deux présidents du régime lavalas. Martelly musicien populaire, s?intéresse plutôt au carnaval, aux bains de foule et à la jovialité. Aristide a ostensiblement et sans équivoque opté au départ, pour le pouvoir lavalas « total capital » l?anarcho-populisme. Cependant, l?équivalence de l?incompétence de lavalas et du nouveau pouvoir s?affirmant de plus en plus avec le temps, mais Martelly, sous tutelle, hésite jusqu’à présent à opter pour la feuille de vigne traditionnelle, qu?il croit devenir de plus en plus un impératif insatiable, pour dissimuler son incompétence.
Ça fait déjà 16 mois depuis que Martelly a été catapulté au pouvoir. Certes, il a été victime d?une campagne acharnée de déni de sa légitimité par le parlement pendant un an. Mais on remarque paradoxalement que ce sont ceux qui ont été les fers de lance de cette campagne qui aujourd?hui sont devenus ses conseillers. Pire, ces conseillers ont été de fait des acteurs importants des régimes précédents. Martelly a des élections sénatoriales partielles à organiser pour la fin d?année. On est maintenant en septembre. Et on est encore à se demander avec quel CEP ? Martelly a fait de son mieux pour cultiver et augmenter sa légitimité diffuse. Mais n?a rien accompli quant à sa légitimité spécifique. Soudainement, on a des manifestations simultanées antigouvernementales à travers le territoire.
La spontanéité des manifestations, particulièrement quand elles sont annoncées et qu?elles s?organisent simultanément dans plusieurs Départements, incite à se poser la question : Comment se fait-il, qu?un peuple appauvri à 60% d?illettrés, dont le seuil de tolérance, est proverbialement élevé, oppressé pendant 54 ans d?autoritarisme répressif et refouler par l?internalisation de la peur, ait pu spontanément dépasser son seuil de tolérance pour synchroniser simultanément à plusieurs endroits du territoire des manifestations, de sitôt ?
54 ans de déliquescence institutionnelle, l?exile de 85% des intellectuels, des professionnels, des technocrates et des administrateurs, pose instantanément, pour quiconque assume le pouvoir, un problème de dysfonctionnement institutionnel et d?incompétence administrative. Cela ne peut pas être un secret pour personne, que le gouvernement de Martelly, soit aussi incompétent que ce de ses prédécesseurs. Craint-on que les promesses de changement, sont plutôt démagogiques ? Et même quand ces promesses auraient été faites de bonne foi, leur réalisation devient de plus en plus précaire, incroyable et difficile à matérialiser, à cause de l?évidence patente de l?incompétence.
Comment s?y prendre pour sortir rapidement de ce gouffre ? Ce ne sera pas en embauchant çà et là individuellement quelques compétences éparses. Le poids politique et la xénophobie de l?entourage gouvernemental, seront des handicapes sèvres à la synergie, à la cohésion et à la productivité de ces compétences. Il faut au contraire le support d?une autorité institutionnelle internationale aux compétences pour qu?elles puisent devenir efficacement la locomotive de la gestion et de la matérialisation des projets de ce nouveau pouvoir.
Il faut exploiter ce qui est disponible. Il faut rechercher et prendre avantage de ce à quoi on a accès. Il ne faut plus continuer à s?apitoyer sur ces carences. Le pays étant sous tutelle. Si on veut agir intelligemment pour la matérialisation de ces promesses : Education gratuite pour tous, établissement de l?état de droit et la reconnaissance du pouvoir judiciaire. On doit s?adresser à l?ONU, où se trouve les ressources, pour franchir ces handicapes et se procurer des moyens techniques de matérialisation de ces projets. Ces compétences auront indubitablement besoin du poids de l?autorité de l?ONU, comme support, pour contrebalancer le poids politique et la xénophobie de cet entourage gouvernemental, pour se donner des chances de réussir ! On n?est pas en train de suggérer un parachutage du type Gary Conille à la primature. Ce dont on est en train de suggérer, se limiterait uniquement qu?au niveau de la technologie et de l?administration publique. « Where the rubber meets the road. » Pas au niveau politique ! C?est par cette porte étroite que la modernité pourra enfin pénétrer avec succès l?administration publique pour moderniser et consolider les institutions ! Il ne faut pas se tromper que quand la science dit pourquoi. C?est la technologie qui absolument dit comment ! Après 54 ans de déliquescence institutionnelle, les deux institutions à reconstruire et consolider dans l?immédiat, pour matérialiser ce qui a été proposé comme projets, sont le judiciaire et l?éducation.
Il faut se rendre à l?évidence que l?équation politique a radicalement changé, avec la présence de la Minustah garantissant les 5 ans du mandat présidentiel. La gestion du maintien du pouvoir ne présente plus les risques et les exigences manichéennes qui s?imposaient avant. Ce n?est plus « the do or die situation ». La gestion du maintien du pouvoir ne requiert plus les moyens traditionnels, la violence, le pouvoir absolu, la corruption, l?impunité, le bricolage politique, la magouille, etc. Le succès dès lors se mesure prioritairement qu?à l?aune de la performance et de la légitimité spécifique. Le discours en mars 2009 de Ban Ki-Moon secrétaire général de l?ONU, au sujet de la relance de l?économie, en réintroduisant l?ex-président des Etats-Unis, Bill Clinton en Haïti, est très significatif sur ce point.
C?est précisément ce que Préval avait refusé de comprendre. Et qui l?a fourvoyé. Il a continué à gérer le maintien du pouvoir et même sa continuité, selon la même optique traditionnelle rendue obsolète, avec la présence de la Minustah. C?est précisément l?erreur qu?il faudra surtout éviter, pour ne pas gérer le maintien du pouvoir en s?associant inutilement aux acteurs et spécialistes d?une réalité dont l?obsolescence est manifeste. La mise sous tutelle a éclaté toutes notions traditionnelles de gestion de maintien du pouvoir qui lui est antérieur.