Originally: Penser l’Haïti de l’après 12 janvier 2010
Penser l’Haïti de l’après 12 janvier 2010
Etat moderne, sphère commune de citoyenneté, nation et développement socioéconomique
Haïti: Par-delà les souffrances atroces qu’il a infligées au peuple haïtien et la grande manifestation de générosité et de solidarité des peuples et des gouvernements du monde entier qu’il a suscitée à l’endroit d’Haïti, le séisme du 12 janvier 2010 met à nu l’irresponsabilité des élites du pays. Comment ce peuple qui a pu émerger de l’abjection, s’émanciper, en est-il arrivé là après plus de 200 ans d’indépendance ? Cette catastrophe naturelle met en relief la non-émergence de l’État moderne en Haïti, l’absence d’une sphère commune de citoyenneté mais aussi, et surtout, l’effondrement de l’État. Penser l’Haïti de l’après 12 janvier 2010, c’est penser l’État, penser la citoyenneté, penser la Nation et le développement socioéconomique. En d’autre termes, c’est poser le problème de la refondation d’Haïti, qui passe nécessairement par la mise en oeuvre d’un plan stratégique de sauvetage national. Mais comment concevoir l’Haïti de l’après 12 janvier 2010 sans parler de l’Haïti d’avant 12 janvier 2010 ?
La démarche guidant notre intervention est à la fois politique et, par déformation professionnelle, politologique. Elle est également interdisciplinaire, en ce sens qu’elle oriente la vision de l’Haïti de l’après 12 janvier 2010 en fonction des rapports d’interdépendances complexes et dynamiques entre les sphères politique, économique et sociale, sur les plans interne et externe.
Le concept de citoyenneté, comme celui de bourgeoisie d’ailleurs, s’écrit toujours en français dans les oeuvres des auteurs anglo-saxons. Ceci s’explique par le fait qu’il est un produit des idéaux de la Révolution française de 1789 et de l’émergence de l’État moderne. Ainsi, la notion de sphère commune de citoyenneté n’est concevable que dans un cadre étatique. Car seul l’État moderne offre les conditions de possibilité de création d’une société inclusive, permettant la transformation des individus en citoyens à part entière, jouissant des mêmes droits et sujets aux mêmes devoirs envers l’État de droit démocratique. Dans cette optique, l’obstacle au développement de cette sphère commune de citoyenneté doit être recherché et trouvé dans la crise de l’État post-occupation, la nature de l’État duvaliérien, la crise de l’État postduvaliérien et la crise sociétale affectant Haïti depuis des décennies.
Même si l’occupation américaine de 1915-1934 représente la période de la plus grande tentative de construction d’un État d’apparence moderne, de développement du capitalisme, de mise en place des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, ainsi qu’un système sanitaire et éducatif en Haïti, elle n’est pas parvenue à résoudre la crise structurelle affectant le pays depuis 1804. En effet, la tentative de modernisation capitaliste de l’économie haïtienne et de création d’une classe moyenne comme facteurs appelés à garantir la stabilité politique, le fonctionnement de la démocratie représentative -dans le cadre du pluralisme politique et de l’alternance pacifique au pouvoir, au moyen de mécanismes institutionnels- échoua piteusement. Ainsi, la période post-occupation, débutée en 1934, permet d’observer la fragilité des structures de l’État construit par les Américains. L’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale, la crise de 1946, le coup d’État militaire qui s’ensuivit et, par la suite, le coup d’État militaire de 1950 et la crise de 1956-1957 mettent en relief le dysfonctionnement total des institutions de l’État post-occupation, de même que la résurgence de la crise structurelle. Le pays en subira les conséquences désastreuses tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle et dès le début du XXIe siècle.
En faisant de la répression systématique, du vaudou et de la corruption les trois piliers de son pouvoir, François Duvalier parvenait à anéantir les élites politiques, à éliminer tous ses opposants et à construire un État néosultaniste où aucune distinction n’était possible entre la personne du chef, le régime et l’État proprement dit. En s’octroyant ce pouvoir sans bornes, Papa Doc pouvait à son gré se débarrasser des institutions qui ne lui convenaient pas, domestiquer et instrumentaliser celles lui permettant de jeter les bases de sa dictature dynastique. Cette fusion existant entre le président, le régime et l’État disparue, le départ du dictateur signifiait partant la transformation de l’État néosultaniste duvaliérien en État néopatrimonial, puis en État fragile ou défaillant . Ce processus de désintégration des appareils répressifs et administratifs de l’État devait conduire à son double effondrement en 1994 et en 2004.
Mais la crise de l’État se déroulait aussi sur fond de crise socioéconomique aigüe affectant Haïti depuis plusieurs décennies. Elle s’est tout simplement accentuée à la chute de la dictature des Duvalier. La récession économique mondiale résultant des chocs pétroliers de 1973 et 1979 et les mesures de restructuration adoptées par les grands pays du Nord, dont la vague de libéralisation et la réorientation de l’aide publique au développement, heurtèrent de plein fouet l’économie rachitique haïtienne. Les effets dévastateurs de l’embargo imposé à Haïti par la communauté internationale en 1991-1994 finirent par détruire complètement ce qui restait encore du secteur de la production agricole ainsi que les maigres emplois du secteur de sous-traitance déjà gravement affecté par une transition politique chaotique. Pour comprendre l’ampleur de la crise socioéconomique haïtienne, on doit se rappeler que de 1950 à 1988, la production céréalière (riz, mais, sorgho) n’a augmenté que de 8% pendant que la population doublait, atteignant environ 7 millions d’habitants. En 1986, la production alimentaire par tête d’habitant a décru de 13% par rapport à 1979. La part de l’agriculture dans le produit intérieur brut passera de 44% en 1950, à 28% en 1988 . Et de 1980 à 2004, le PIB per capita a été réduit de moitié, tandis que la dégradation de l’environnement s’accélérait, créant à l’infini la multiplication des poches de pauvreté dans le pays .
Les laissés-pour-compte des villes et surtout ceux des quartiers pauvres de Port-au-Prince pesèrent lourdement dans la fragilisation des structures de l’État et dans son effondrement en 1994 et en 2004, les difficultés auxquelles ils font face étant énormes. C’est qu’ils ont historiquement évolué en marge de la société. Aussi le désarmement général des paysans sous l’occupation , l’expropriation des petits cultivateurs et l’exode rural qui en résulta contribuèrent-ils à faire des métropoles, et notamment de la capitale, le lieu idéal où s’exprimeront avec hardiesse les revendications sociales, politiques et économiques.
Le processus de dislocation de la société haïtienne s’accentue dans le cadre de la contribution d’Haïti à l’effort de guerre des États-Unis, qui a conduit à la création, en 1941, de la Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole (SHADA). L’acquisition d’immenses étendues de terre par cette firme entraînait l’expropriation de dizaines de milliers de petits cultivateurs. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les quelque 100.000 ouvriers agricoles qui travaillaient dans les plantations de la SHADA se retrouvaient sans emploi . Ces paysans expropriés et ces ouvriers congédiés allaient alimenter l’autre grande vague d’exode rural que connaîtra le pays : phénomène à l’ origine de l’accélération du processus de bidonvilisation et de « ruralisation » de certaines villes du pays et surtout de Port-au-Prince.
Au début des années 1960, la misère et la répression macoutique provoquèrent une nouvelle poussée massive de l’exode rural, intensifiée par la détérioration des conditions d’existence des paysans et la brutalité excessive des membres de la milice de François Duvalier exercée sur d’innocentes victimes. Sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, les paysans, attirés aussi par la propagande trompeuse du régime, envahirent la capitale pour les mêmes raisons. Et on assista également à l’accentuation de l’émigration vers la République dominicaine et à l’amplification du phénomène des « boat people ».
À la chute de la dictature des Duvalier, la pauvreté insoutenable des masses, le banditisme politique croissant, le triomphe de l’économie criminelle et la désintégration accélérée du lien social façonnent l’image d’Haïti, devenue un pays sous perfusion, vivant de la mendicité internationale et dont la survie des habitants dépend des transferts d’argent de la diaspora, des activités des ONG et du trafic de la drogue. C’est ce pays naufragé, gangrené par l’impunité, le népotisme, le copinage et la corruption généralisée ; c’est ce pays, incapable d’offrir les services sociaux de base à ses habitants et se circonscrivant dans l’espace port-au-princien, qui est dévasté par l’apocalyptique séisme du 12 janvier 2010. Au lieu de le reconstituer, c’est-à-dire de le reproduire à son image et à sa ressemblance récentes, construisons ensemble de préférence sur de nouvelles bases : l’Haïti de l’après séisme du 12 janvier 2010.
II- La construction de l’Haïti de l’après 12 janvier 2010 : orientations globales et politiques à mener
Les mesures d’urgence pour solutionner les problèmes provoqués par le tremblement de terre du 12 janvier 2010 s’imposent d’elles-mêmes : les sans-abri à reloger ; des actions concrètes à poser afin de résoudre durablement les dégâts causés par la catastrophe du 12 janvier. Si l’immédiateté et le court terme sont certes incontournables, ils ne devraient pas néanmoins faire oublier que la construction d’Haïti relève du moyen et du long terme. La définition d’une vision claire de la nouvelle Haïti et l’élaboration d’un plan stratégique constituent donc des étapes indispensables à l’actualisation de politiques multisectorielles capables de hisser au moins notre pays au diapason des Nations-soeurs de la Caraïbe. Les actions ou politiques à mener pour atteindre un tel objectif devraient être orientées vers la refondation de l’État axée sur un processus de modernisation économique de type capitaliste et la création d’une société inclusive.
1- La refondation de l’État passe par une politique de désarmement général et la mise en place réfléchie d’appareils répressifs et administratifs répondant aux normes régissant le fonctionnement régulier d’un État de droit démocratique. Ce qui implique la constitution de véritables forces républicaines de sécurité publique, d’un système judiciaire efficace et non corrompu et d’un système carcéral respectant la dignité et les droits de l’homme. L’établissement d’une administration publique moderne, dont les fonctionnaires sont recrutés sur concours, l’élaboration et la mise en oeuvre d’une politique fiscale adéquate permettront à l’État de se procurer les moyens indispensables à son fonctionnement normal. L’État répondrait ainsi de manière appropriée à la nécessité de fournir les services sociaux de base aux citoyens auxquels il est redevable de sa légitimité. Car « tout État extrait d’abord et fondamentalement des ressources de la société et les affecte à la création et à l’entretien d’appareils coercitifs et administratifs ». Ces objectifs assureront à l’État le double monopole de la contrainte physique légitime et de la fiscalité devant conduire au recouvrement progressif de notre souveraineté.
Dans cette optique, le nouvel État cesserait de vivre de la mendicité internationale, garantirait la protection des vies et des biens et créerait le cadre légal et l’environnement global devant attirer les investissements directs étrangers (IDE). Il incomberait à la nouvelle équipe de femmes et d’hommes politiques au timon des affaires de l’État de lancer le processus de la décentralisation et de la déconcentration, en vue de faire de la section communale l’entité administrative de base du pays ; d’octroyer aux collectivités territoriales le rôle que leur confère la Constitution de 1987 ; de permettre aux citoyens d’avoir accès aux services publics sur n’importe quel point du territoire. Il conviendrait en outre de réaliser le maillage territorial de l’État à côté des institutions décentralisées et d’organiser l’aménagement du territoire, son découpage administratif en quatre grandes régions regroupant les dix départements en fonction de leur proximité géographique, leur potentiel de développement et leur complémentarité au niveau des ressources dont ils disposent :
1) la région septentrionale : le Nord-Ouest, le Nord et le Nord-Est ;
2) la région artibonitienne : les départements de l’Artibonite et du Centre ;
3) la région occidentale : le département de l’Ouest et du Sud-Est ;
4) la région méridionale : les départements des Nippes, du Sud et de la Grande-Anse.
Ce redécoupage administratif favorisera l’émergence de quatre grands pôles de développement nationaux. La création des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, de même que l’électrification du pays faciliteraient le redéploiement de la population et l’animation économique du territoire.
2- La mise en branle d’un processus de modernisation économique de type capitaliste est le pendant de l’entreprise de refondation de l’État. Le pays ne saurait continuer à survivre moyennant la générosité de la communauté internationale, la charité des ONG et la solidarité familiale des Haïtiens de la diaspora. L’économie criminelle n’est pas une option acceptable. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat stratégique avec le secteur privé des affaires et la communauté internationale, l’État identifierait les secteurs capables de doper l’économie, de libérer la croissance et de promouvoir le développement socioéconomique, tout en appliquant une politique tendant à faire baisser drastiquement le taux de natalité. Des investissement massifs de capitaux, impliquant des programmes de joint-ventures entre le secteur privé haïtien et des firmes transnationales, sont nécessaires au niveau des champs d’activités suivants : production agricole (agro-industrie) ; élevage et pêche ; industrie de la construction ; tourisme ; écotourisme (gestion de nos parcs nationaux, sur le modèle de la Province du Québec où le gouvernement confie la gestion et l’exploitation des parcs nationaux à un organisme public, le SEPAQ ) ; textile (usines d’assemblage) ; production d’électricité, de gaz propane ; reforestation et protection de l’environnement. Autant d’initiatives qui faciliteraient indéniablement la relance économique, de même que la création de centaines de milliers d’emplois durables dans les quatre grandes régions du pays.
À côté du « Big Business », le processus de modernisation économique, dans l’objectif de création massive d’emplois, reposerait sur les micros, petites et moyennes entreprises installées sur l’ensemble du territoire. À cet égard, le système de crédit haïtien cesserait d’être l’affaire de certaines familles de Port-au-Prince, pour s’ouvrir et s’étendre aux jeunes porteurs de projets innovants et aux nouveaux entrepreneurs talentueux capables de présenter des projets viables. La création d’une Banque internationale de développement et de crédit immobilier insufflerait la confiance nécessaire susceptible de porter les gens de la diaspora à investir leurs capitaux en Haïti et à faire de leur pays d’origine le lieu privilégié de leurs vacances et de leur retraite, tout en envisageant la construction de villages de retraite dans le but d’y attirer les retraités des pays du Nord.
Comme le développement socioéconomique relève du domaine des ressources humaines, la refondation de notre système éducatif constitue dès lors une priorité de l’heure. Dans cette optique, un partenariat stratégique entre l’État haïtien, de concert avec le secteur privé des affaires, et des pays telles la France, la Belgique, la Suisse et la Province du Québec permettrait aux jeunes Haïtiennes et Haïtiens de bénéficier d’une éducation de qualité tant au niveau primaire, secondaire qu’universitaire. Sans négliger, bien entendu, d’accorder une importance particulière à la formation professionnelle et technique : moyen incontournable pour produire des ouvriers qualifiés, des techniciens, des cadres et professionnels compétents dont les secteurs privé et public ont tant besoin. La refondation de l’État et la modernisation économique aboutiront dans la mesure où elles s’inscrivent dans la perspective de création d’une société inclusive.
3- Pour être véritablement nouvelle, l’Haïti de l’après 12 janvier 2010 ne doit plus être perçue comme la société la plus inégalitaire du sous-continent latino-américain et du bassin caribéen où moins de 10% de la population contrôle 90% du revenu national . Elle est appelée à se métamorphoser pour devenir une société inclusive. Peut-on parler de lien social, de volonté de vivre ensemble, de nation, dans une société reposant sur la domesticité, dans un pays où les élites affichent un mépris tel pour les masses rurales et urbaines qu’on est en droit de se demander si elles savent que ces gens sont aussi des êtres humains ? Ces élites savent-elles qu’en traitant ainsi les gens des milieux paysan et populaire elles portent atteinte à la dignité humaine et se rabaissent elles-mêmes ? Ignorent-elles que c’est cette attitude par rapport aux gens du peuple qui leur a valu le qualificatif de « Morally Repugnant Elite » (MRE) : c’est-à-dire « L’élite moralement répugnante ». Comment comprendre et expliquer à des étrangers que, dans l’Haïti d’avant le 12 janvier 2010, la majorité des habitants du pays naissaient, grandissaient et mouraient sans que l’ « État » ait su quoi que ce soit de leur existence ? On qualifie souvent la situation des travailleurs haïtiens en République dominicaine d’esclavage moderne. On dénonce constamment l’exploitation, les mauvais traitements et les violations de droits humains dont ils sont l’objet. Mais s’est-on jamais posé la question de savoir pourquoi ils continuent malgré tout à traverser la frontière et, généralement, pour ne plus revenir au pays?
La construction de la nouvelle Haïti appelle à l’édification d’une société inclusive, débarrassée des inégalités criantes, une société où les citoyens sont égaux, quoique différents ; une société où les privilèges de la naissance et du parchemin, le statut social et la richesse matérielle ne pourront jamais enlever aux moins doués et aux moins fortunés l’humanité qu’ils portent en eux.
L’Haïti de l’après 12 janvier sera une Haïti inclusive ou ne sera pas. La lutte pour la construction de la nouvelle Haïti, celle de l’après 12 janvier 2010, doit être une lutte constante contre la reproduction de l’Haïti de l’avant 12 janvier 2010. Pour être véritablement une société inclusive, le droit aux services sociaux de base (santé, éducation, logement, travail) ne sera plus l’apanage du petit groupe détenant le pouvoir politique, le pouvoir économique et le prestige social.
Pour être véritablement nouvelle, l’Haïti de l’après 12 janvier doit se situer aux antipodes de l’Haïti d’avant le 12 janvier 2010, c’est-à-dire différente de cette République de contrebandiers et de brasseurs d’affaires où, grâce à la parfaite symbiose entre la mafia locale et une certaine mafia internationale, le narcotrafic est parvenu à parasiter aisément les rouages de l’État et des entreprises bancaires.
La nouvelle Haïti sera un État de droit démocratique, si les titulaires de la fonction publique et des postes électifs comprennent le sens de l’intérêt collectif, du bien public et de la notion de responsabilité.
La nouvelle Haïti sera une société inclusive, une société ouverte, une société d’opportunités si le talent et le mérite sont les seuls atouts de réussite. Mais cette Haïti ne pourra voir le jour sans l’émergence d’un leadership politique intègre et éclairé ainsi que d’un leadership économique moderne et progressiste.
La question de la construction de la nouvelle Haïti ou la refondation du pays ne saurait être considérée comme un simple exercice intellectuel. Il s’agit bien d’un projet politique devant être conçu et mis en oeuvre par une nouvelle équipe de femmes et d’hommes politiques conscients de la gravité de la situation et de la nécessité de rectifier le cours des événements. Ce projet politique, pour être viable, doit être une entreprise collective de sauvetage national. Il doit établir clairement les voies et moyens pour refonder l’État, réaliser la modernisation politique, économique et sociale, développer la sphère commune de citoyenneté, favoriser le vivre-ensemble, construire la Nation, restaurer le capital environnemental et équiper le pays des infrastructures matérielles et immatérielles dont toute Nation a besoin pour assurer son développement et s’épanouir.
Ce projet a l’obligation d’assurer à Haïti une place honorable dans la Caraïbe et de définir intelligemment le type de coopération avec les pays du Nord et ceux du Sud. Évidemment, la mise en oeuvre d’un projet politique suppose avant tout la conquête et l’exercice du pouvoir. Et la stratégie d’accès au pouvoir doit refléter nécessairement cet aspect qui constitue l’essence même du projet de construire le pays sur de nouvelles bases. À cet égard, les partis politiques et les organisations de la société civile partageant cette vision commune de la nouvelle Haïti sont appelés à se concerter en vue d’identifier les catégories sociopolitiques porteuses de ce projet. Ils doivent définir consciencieusement la place des masses rurales et urbaines, celle des classes moyennes, des femmes, des jeunes, du secteur privé des affaires, des intellectuels et de la diaspora dans ce projet de refondation du pays. Il incombe à tous les secteurs de l’intérieur et de la diaspora impliqués dans le projet de modernisation du pays de mobiliser la population à cette fin, en tirant profit également du support de la communauté internationale qui, comme nous, croient qu’Haïti doit cesser progressivement d’être un fardeau pour elle et que ses élites doivent assumer leurs responsabilités en prenant en charge le destin du pays. Ainsi, le rapport de forces pourra être modifié, le pouvoir changera de main, le projet modernisateur pourra être mis en oeuvre. L’Haïti de l’après 12 janvier 2010 naîtra alors à moyen et à long terme.
Sauveur Pierre Étienne
Politologue, Ph. D.
Professeur à l’Université d’État d’Haïti