Originally: Thèmes de l’Emission de la Semaine

Fixés prioritairement et intensément sur la compétition électorale, la ligne de démarcation entre tactique et stratégie, tend à disparaître progressivement. Tant que le processus électoral déjà engagé avance et les anxiétés augmentent, la fixation sur la compétition électorale supplante tout. Bien que ce soit ce qu?il faut, la convergence vers la formation d?un bloc supportant la rupture. Elle devient de plus en plus difficile à accomplir, lorsque les réflexes compétitifs deviennent ceux qui sous-tendent prioritairement la motivation. Le problème est dans le timing. En se fixant sur les exigences de la compétition électorale, on entre d?amblé dans la sphère de la myopie des besoins immédiats de la campagne et on perd de vue l?impératif primordial et fondamental, la rupture. Certes, la victoire électorale, voilà la cible. Mais quelle victoire ? La victoire pour aboutir à quoi ? N?est-on pas en train de courir le risque dans ces élections, tel qu?elles sont organisées et qu?elles fonctionnent, de pérenniser dans la continuité ?
 
Il est évident et indiscutable, que dans cette conjoncture de partis politiques affaiblis, fragmentés et laminés par le récent cataclysme, qu?aucun parti politique ne peut prétendre accéder au pouvoir, seul. Il est aussi évident que la politique étant compétitive, la viabilité des alliances entre les partis, exige une certaine affinité doctrinale et idéologique, et au moins une même vision collective des choses. Dans un pays à 60% d?illettrés, où pendant plus d?un demi-siècle, on n?a pratiqué que le clientélisme populiste, la notion d?affinité idéologique et doctrinale, échappe à la base très certainement. Mais a-t-elle l?importance qu?il faut pour les cadres ? La longévité du populisme au pouvoir, fait que la quasi-totalité de la population n?a connu que le clientélisme populiste de droite et de gauche comme tendance et pratique politique. Le peuple haïtien n?a-t-il pas vécu et n?a-t-il pas fait l?expérience d?une possibilité de rupture, il y a 24 ans, le 7 février 1986 ? Or le 16 décembre 1990, n?a-t il pas intentionnellement raté cette opportunité. La gauche bénéficiant de l?effet pendulaire a choisi d?intégrer les rangs du mouvement populiste lavalassien. Certes, on a opéré un changement de tendance, mais pas un changement de régime ! On est passé du populisme de droite fascistoïde duvaliérien, à l?anarcho-populisme de gauge lavalassien !
 
La notion de rupture avec le seul et unique régime politique vécu pendant 53 ans, est difficilement concevable au niveau des masses à travers le processus électoral. Les compétitions électorales auxquelles ces masses ont participé, n?ont été que des luttes intestines de Chapel pendant 53 ans, au sein des mêmes régimes populistes. Ce à quoi nous assistons aujourd?hui, et qui est important de comprendre, à l?instar de l?amibe unicellulaire qui se fragmente pour se reproduire, la caste multi-classiste pour sa survie et pour son maintien du pouvoir, est en train de se fragmenter pour faire d?une pierre deux coups. D?une part, offrir à ses membres la chance de poursuive leurs ambitions présidentielles. Et d?autre part, faire des alliances politiques opportunes. 
 
Les deux chances et opportunités de rupture que les masses ont vécu, mais peut être pas tout à fait compris. Le 7 février 1986, elles ont vécu un changement de tendance au sein d?un même régime, allant de populisme de droite au populisme de gauche, mais pas un vrai changement de régime. La gestion de la cohésion sociale par la force et par l?internalisation de la peur, est demeurée la même, après le changement de tendance. Et le 29 février 2004, où intentionnellement le gouvernement intérimaire, n?a pas voulu faire la chasse aux sorcières, il n?y a pas eu de rupture. Pire, elles ont été forcées paradoxalement de retourner au statu quo ante, après une longue lutte insurrectionnelle qui a duré 3 ans, de 2001 à 2004. Avoir des élections à faible participation sous Préval, contrôlées par lui, son CEP et ses autorités locales comme force de coercition, ne sera que la répétition des élections antérieures. 
 
La séquence des faits peut expliquer, la logique, le pourquoi et le comment on est arrivé à la date du 28 novembre 2010. Pour mettre fin aux inquiétudes et à la tension politique causées par la série de résolutions adoptée d?affilée par un parlement caduc, l?état d?urgence, les pleins pouvoirs et la prolongation du mandat de Préval, le chef civil de la Minustah, Edmond Mulet, a jugé bon d?annoncer immédiatement la date des élections selon le calendrier constitutionnel, le 28 novembre 2010. Si d?une part cette décision a mis fin aux man?uvres autoritaires de Préval pour maintenir le pouvoir. D?autre part, elle lui sert sur un plateau d?argent, l?opportunité dont il rêve depuis longtemps, gérer des élections à faible participation avec son CEP et ses autorités locales.
 
Face à la réticence manifeste du secteur financier de l?internationale qui refuse catégoriquement d?investir un centime dans les projets de reconstruction et de relance de l?économie, tant que le gouvernement Préval/Bellerive reste au pouvoir. Le secteur politique de l?Internationale après avoir déclaré lui-même la date des élections, n?a qu?un exutoire, une participation substantielle aux élections garantissant à la fois la légitimité politique des élus, en réduisant l?avantage de la faible participation au profit du pouvoir en place. Ce procédé expéditif du secteur politique l?Internationale, face à la nécessité de la refondation de l?Etat, parviendra-il à opérer le changement de régime qui est une des conditions sine qua non pour la réorientation du pays ?  Ce procédé expéditif ne court-il pas le risque de favoriser la continuité ?
 
Si Préval leader d?un régime populiste a personnellement un problème de légitimité politique ; Attention, tous ceux qui peuvent obtenir une légitimité politique ne sont pas forcément antipopuliste. Les régimes populistes qui ont maintenu le pays pendant 53 ans dans la misère, la pauvreté et la corruption, n?ont-ils pas développé une certaine clientèle ? N?ont-ils pas joui à travers le temps d?une certaine popularité ? L?impératif de la conjoncture n?est-il pas de s?émanciper de 53 ans de populisme désuet, obsolète et corrompu ! 
 
Maintenant considérons de plus prés cette question de participation substantielle d?où émanera la légitimité politique des élus. Le patrimoine électoral légué par Préval, est d?entrée de jeu des plus exécrables. Il n?y a pas une élection gérée, soit par Préval/Smarth, par Préval/Alexis, par Préval/Pierre-Louis et par Préval/Bellerive, qui n?a pas été, soit contestée ou annulée. Pire l?actuel CEP est parmi les plus décriés. Le délégué de l?église Catholique accusé de malversation n?ayant pas pu être disculpé par une enquête, siège jusqu?à présent comme conseiller électoral avec tous ses droits et prérogatives. Vous conviendrez que cet état de fait puisse difficilement inciter à la participation. L?effet psychologique du cataclysme, sur des gens qui vivent jusqu?à présent sur des décombres, sous des tentes, sans abri, sans emploi, sont-ils plus intéressés à la participation aux élections, qu?à la poursuite de la survie ? Une autre situation post-séisme alarmante conditionnée par l?état de pauvreté absolue, s?est développée. Il y a des tas de gens nécessiteux qui sont venus des 9 autres Départements s?abriter dans les camps de réfugiés de l?Ouest pour obtenir de la nourriture et des soins de santé gratuits. Ces gens, s?ils sont inscrits comme électeurs, le sont-ils dans leur Département, ou dans l?Ouest ?
 
La participation substantielle que veut obtenir le secteur politique de l?Internationale, compte sur la popularité de nouvelles figures, de nouveaux candidats d?une nouvelle génération qui jouissent d?une certaine influence sur la jeunesse et les masses, mais pas sur leur expérience politique. Il est évident qu?il y a un effort du secteur politique de l?Internationale qui a commencé depuis 2001 avec Luigi E. Einaudi assistant du secrétaire général de l?OEA, pour laminer le leadership politique traditionnel des partis. Après que cette longue lutte insurrectionnelle de 3 ans, ait abouti. Qu?Aristide ait laissé le pouvoir. Comment se fait-il, que ce ne soit pas une coalition de partis politiques qui ont participé à cette lutte, qui a assumé le pouvoir intérimaire après le 29 février 2004 ? On a préféré parachuter Gérard Latoutue ! Ceci a constitué irréfutablement une castration et un affaiblissement radical des partis politiques. La question est de savoir si aujourd?hui, se trouvant dans une impasse face à la gestion du maintien du pouvoir par Préval et sa caste multi-classiste, qui ont de grandes chances de réussir en exploitant une faible participation, le secteur politique de l?Internationale n?a-t-il pas l?intention d?introduire une nouvelle génération de leaders qui jouissent d?une grande popularité, mais qui n?ont ni l?expérience politique, ni les tares qui l?accompagnent ? Pourquoi, pour la première fois les média des 5 continents s?intéressent-ils tant à une candidature haïtienne à la présidence, avant même qu?elle se soit déclarée ? Parviendra-t-elle au plus haut sommet de l?Etat, par ces voies étroites ?      Ad augusta, per angusta.