Originally: En attendant la secousse politique


 

6 fevrier 2010

(Port-au-Prince) Reconstruction… Depuis une semaine, ce mot est devenu dans mon esprit aussi lourd que les tonnes de gravats qui jonchent presque toutes les rues du centre et des surréalistes quartiers populaires de Port-au-Prince.

Reconstruire. Dans les grandes capitales du monde, on en parle comme s’il s’agissait de lancer un nouveau programme d’infrastructures nationales pour stimuler une économie en récession.
Sur le terrain, on comprend tout de suite qu’il s’agit d’une tâche incommensurable. Une tâche à accomplir avec une population sonnée, traumatisée même, ultra-pauvre, sous-instruite et sans chef de file.
Reconstruire. Tu parles. S’il ne s’agissait que des édifices, des routes et des infrastructures, peut-être. Mais comment reconstruit-on un pays qui était déjà démoli avant le tremblement de terre?

Il y a quelques semaines, de Montréal, je posais la question: par où recommencer? Cette question me suit partout, ici, dans tous mes déplacements, dans toutes mes entrevues, dans tous les camps de sinistrés depuis une semaine, dans les yeux de chaque enfant, avec toujours le même abominable sentiment d’impuissance et de découragement. Et un gros noeud indélogeable dans la gorge.
J’ai réentendu dans ma tête, comme un enregistrement qui tourne en boucle, les promesses de reconstruction faites lors de la rencontre des amis d’Haïti à Montréal, juste avant mon départ pour Port-au-Prince. Je suis retourné cette semaine devant les ruines du Palais national et je n’ai pu m’empêcher de sourire (de dépit) en pensant aux grands discours de cette rencontre et aux promesses de reconstruire Haïti avec le gouvernement haïtien.
La première chose que la communauté internationale devrait faire si elle veut vraiment aider ce pays, c’est, au contraire, de prendre officiellement (et non pas par derrière comme en ce moment) le contrôle, ce qui redonnerait un début d’espoir à la population.
En envoyant Bill Clinton se faire photographier ou Sarko, qui arrivera en grande pompe le 17 février, en répétant que toutes les décisions sont prises par le gouvernement haïtien, en se pavanant avec le président René Préval, la communauté internationale est en train de lui donner une légitimité qu’il a perdue depuis longtemps auprès de son propre peuple.
Le Palais national écrasé ne témoigne pas que de la force du tremblement de terre; c’est aussi une funeste illustration de l’état du régime, aussi pourri que l’était le béton qui s’est désagrégé sous les secousses du 12 janvier.
La plus grande des injustices, ici, c’est que ce président incapable de soutenir son peuple dans l’épreuve sera vraisemblablement le plus grand bénéficiaire politique de cette catastrophe.
Non seulement parce que la communauté internationale s’est rangée derrière lui, mais aussi parce qu’il pourra presque assurément étirer son règne à la présidence. La dernière rumeur qui secoue le monde politique à Port-au-Prince, c’est que le président pourrait être tenté de profiter des événements pour amender la Constitution et briguer un troisième mandat, ce qui est actuellement interdit. (En Haïti, un président peut obtenir un maximum de deux mandats, mais pas consécutifs).
Cette idée, évoquée par le président René Préval, mobilise déjà une forte résistance. Ses opposants préféreraient que l’élection présidentielle ait bel et bien lieu en novembre prochain, ce qui reste le plus sûr moyen de se débarrasser du président actuel.
Si le chemin constitutionnel est impraticable, ce que croit l’ancienne sénatrice et candidate à la prochaine présidentielle Mirlande Manigat (constitutionnaliste respectée en Haïti), René Préval pourrait fort bien être tenté d’invoquer la catastrophe pour s’accrocher quelques mois, voire quelques années.
Il faut dire que l’opposition, éclatée en une kyrielle de petits partis politiques et sans chef de file commun, rend la partie facile au régime en place.
Il y a eu quelques regroupements ces dernières années, mais l’opposition reste fortement divisée. Ce qui est paradoxal, c’est que tous les leaders que j’ai rencontrés ici depuis une semaine reprochent au président de ne pas faire appel aux forces vives de la politique haïtienne sans esprit partisan… Mais ils en sont incapables entre eux.
Ce n’est pas qu’il manque de personnalités fortes, c’est que tout le monde tire la couverture vers soi. J’en ai rencontré plusieurs ces derniers jours.
Il y a Mme Manigat, une femme brillante et posée, qui a déjà annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Il y a aussi Charles Baker, industriel respecté qui avait organisé, avec d’autres, les marches de protestation dans les années 90, ce qui lui a valu la prison et quelques tentatives d’assassinat. Il sera aussi sur les rangs, m’a-t-il confirmé.
Il y en aura d’autres. Plusieurs autres. Trop, en fait.
Évidemment, plusieurs leaders sont parfaitement incompatibles en raison de leurs positions respectives, mais tant que l’opposition ne trouvera pas un personnage rassembleur capable de créer un consensus, elle dispersera ses forces. Ce n’est pas pour rien que l’on voit des banderoles et des graffitis réclamant le retour d’Aristide. Le peuple cherche une lueur d’espoir. Quitte à retourner dans les coins les plus sombres de son histoire récente.
On reproche beaucoup, avec raison, au gouvernement Préval d’échouer lamentablement à rassembler un pays en rade depuis le tremblement de terre.
Il semble que les terribles secousses n’aient pas encore réussi non plus à ébranler les vieilles habitudes contre-productives de l’opposition.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca

Originally: Thèmes de l’Emission de la Semaine

Le cataclysme a traumatisé la nation et choqué le monde. L?exode tout azimut vers les provinces où des gens pour fuir la capitale, ont pris au hasard le transport vers des villes sans savoir où ils allaient, témoigne de la profondeur de l?anxiété, de l?intensité de la panique et de l?effet psychologique exacerbé par les répliques. Préval, ainsi que ses ministres n?ont pas jugé bon, qu?il était nécessaire de faire une adresse à la nation pour la rassurer et assumer le leadership de la nation. On a eu littéralement pendant des jours, un silence de mort.


 


Le peuple s?est senti abandonné. L?aide étrangère a été sa première lueur d?espoir. Le dévouement des secouristes et du personnel médical étrangers a été le premier geste, la première expression réelle de solidarité humaine envers lui. Avec une perte de 250.000 morts et plus de la moitié de leur habitat détruit, ce peuple meurtri, assoiffé et affamé, attend en vain jusqu’à présent un geste concret de son gouvernement. Préval, en guise d?expression de sympathie et de rassurance, a fait savoir aux masses qu?elles ne sont pas les seules à avoir été victimes. Ce n?est que samedi dernier, après qu?une émission de radio « Ramassé » ait dénoncé son indifférence total envers les masses, que Préval s?est senti acculé à faire une adresse à la nation sur les ruines du palais national. Trop tard dans un monde trop vieux, il a été, de fait, chahuté et pourchassé par la foule, qui depuis la catastrophe a pris logement au Champ de Mars. On a refusé de l?entendre. Avec la nuance que ce ne soit pas le message qui a été chahuté, mais l?homme personnellement. Ceci est symptomatique d?un rejet total, sans appel de Préval et de son gouvernement. C?est l?expression du le ras-le-bol !


 


On entend ça et là, pas seulement à Port-au-Prince, mais aussi dans les villes de province, l?expression réelle, spontanée, ostensible et sans équivoque du ras-le-bol « Abas Préval ! » Ceci témoigne du fait que finalement le peuple a dépassé son seuil de tolérance. Il en veut à Préval ! Va-t-il se mobiliser ? Ou attend-il la capillarité d?un leadership quelconque, pour articuler ses revendications et ventiler ses frustrations ? Mettez-vous bien ça en tête que, la violence de cette ventilation sera inversement-proportionnelle au niveau du leadership qui lui offrira cette capillarité ! Force est de comprendre et crucial d?en être conscient, qu?au niveau des chefs de quartier et des têtes de pont, c?est la capacité de violence et non de l?intelligence, qui donne accès au leadership et conditionne son maintient.


 


La communauté internationale qui tient à maintenir cet homme au pouvoir pour éviter un dérapage incontrôlable, peut éventuellement provoquer l?effet contraire. Ayant perdu la confiance des masses, sa présence au pouvoir exacerbe le mécontentement. Pensez-vous que dans l?état de choc, d?impatience, de désespoir, de délabrement physique et moral où se trouvent ces masses, sans abri, sans travail, affamées et aux abois qui ne savent à quel saint se vouer, elles vont suivre du talon Préval et son gouvernement ? Un gouvernement qui n?a pas assez de bon sens et d?intelligence pour se rendre compte qu?il aurait dû jouer la mouche du coche en participant à la distribution de l?aide étrangère, en indiquant simplement là où intervenir. Voulez-vous savoir pourquoi le gouvernement ne participe pas ? Ecoutez donc les micros-trottoirs et vous saurez ce que pensent les masses !


 


Ce gouvernement n?est pas devenu dysfonctionnel à cause du cataclysme. Ce n?est pas seulement ce gouvernement, mais les quatre gouvernements du régime lavalas qui ont fonctionné continuellement pendant 19 ans, dans cet état. A ce tournant où la renaissance d?Haïti dépend de l?efficacité et de la justesse des décisions de ceux qui vont planifier et matérialiser non-seulement la reconstruction des infrastructures, des édifices publics, mais de plus et surtout la refondation de l?Etat sur des bases nouvelles avec la participation de la société civile et l?aide de la communauté internationale. Ce gouvernement qui n?a jamais eu aucune légitimité diffuse ni spécifique dès le début. Ce gouvernement dont le chef d?état vient d?être chahuté et pourchassé par les masses au Champ de Mars. Un gouvernement dont le premier ministre, après avoir manifesté à Montréal le désir ambitieux de gérer l?aide internationale pour la reconstruction d?Haïti, a provoqué instantanément une désapprobation unanime. Un gouvernement dont le président avoue publiquement son incapacité et son désintéressement dans la coordination de la distribution de l?aide humanitaire à son peuple. Dans cette conjoncture où le temps devient de plus en plus un facteur crucial, énormément important pour le maintien de l?enthousiasme et de l?intérêt que manifestent les donneurs d?aides envers Haïti. Vu l?urgence du moment, est-il de l?intérêt de la nation haïtienne de vouloir garder pendant un an encore, un gouvernement qui est en train de battre de l?aile, à la fin de son mandat, en train de végéter et dont la présence au pouvoir risque très certainement de plonger le pays dans une spirale de violence incontrôlable. Il y a de fait une différence entre la stabilité militaire et la stabilité politique. Il sera extrêmement dangereux de vouloir imposer le premier sur le second, sans un massacre. Et qui pis est toute dégradation de la situation qui est inévitable, si ce gouvernement reste en place, risque indubitablement de d immédiatement après,courager l?enthousiasme de ceux qui veulent venir en aide au pays ? Le facteur de stabilité politique est crucial non-seulement pour la réception, mais aussi pour l?efficacité de l?aide. En d?autres termes, si gouverner c?est prévoir, ne faudrait-il pas anticiper sur l?évolution de la situation et les risques que la présence de ce gouvernement comporte.


 


Depuis deux décennies, Haïti ne joue-t-elle pas toujours perdant dans cette rivalité franco-américaine ? On vient d?entendre les accusations portées par le ministre des affaires étrangères français contre la présence des troupes américaines en Haïti. Ce ministre a même devancé Chavez dans ces déclarations. Qui a introduit les populistes de gauche au pouvoir en Haïti ? C?est l?ambassadeur français, Dufour qui a organisé le plébiscite qui a consacré la victoire de Jean Bertrand Aristide au lendemain des élections du 16 décembre 1990, avant le décompte du vote. La France sachant que les populistes de gauche (altermondialiste) sont catégoriquement européophiles. Peu importe la tendance au pouvoir en France c?est ce secteur qui est par défaut son partenaire en Haïti. N?a-t-on pas vu Jacques Chirac homme de droite, dépêcher en Haïti Régis Debray compagnon de lutte de Che Guevara, et René Depestre, pour une analyse de la situation haïtienne. Dominique de Villepin ex-ministre français des affaires étrangères, ayant négocié l?asile du populiste Aristide en Afrique Central, a, immédiatement après, incité le populiste Chavez, à venir s?impliquer directement sur la scène politique haïtienne. Alors qu?en France, pour obvier à toute velléité de prise de pouvoir au populiste Le Pin, n?a-t-on pas provoqué une levée de masse ? En d?autres termes, le populisme sied comme un gant à Haïti, mais pas à la France, pays sophistiqué, le flambeau de la Démocratie.


 


Qu?est-ce que nous constatons ? Sarkozy président de l?Union européenne consacre Leonel Fernandez comme proxy et fait de Préval son satrape, en lui promettant de rembourser tous ce qu?il aura dépensé pour Haïti dans le cadre du récent désastre. Dans cette situation où Préval et son gouvernement sont pratiquement absents et dysfonctionnels, et Fernandez en mal d?un leadership régional, ne devient-il pas le président de l?île pour l?Union européenne ? Fernandez n?organise-t-il pas au nom d?Haïti toutes les réunions concernant le cataclysme ? Autorisé par Préval, n?est-il pas en train de représenter les intérêts d?Haïti auprès de Sarkozy ? Il n?y a rien de magnanime dans tout ça ! Le projet de Métro dominicain que Chavez, avait promis de financer et ne l?a pas fait, ne le sera-t-il pas par Sarkozy bientôt ?


 


Ce qui renforce la suspicion. C?est le fait que la compagnie vietnamienne de téléphone VIETTEL, une compagnie du gouvernement vietnamien, soit encore intéressée à acheter la Téléco malgré la catastrophe. Attention, le Vietnam n?a-t-il pas été une ancienne colonie française ? Cette décision semble être une décision plutôt politique qu?autre chose. La reconstruction de l?infrastructure en Haïti étant jusqu’à présent aléatoire. Aucune évaluation technique de l?envergure des dommages subits par ses circuits n?ayant pas eu lieu ; Ou bien le gouvernement vietnamien veut s?acheter la Téléco à un prix dérisoire qui lui permettra d?attendre patiemment l?inévitable. Ou il veut offrir des moyens à Préval pour la gestion de sa perte du pouvoir. Dans le dernier cas le Vietnam mise politiquement sur la tendance préférentielle de son ancien colon.


 


Mis à part l?aspect politique qui est nettement inquiétant, est-il vraiment de l?intérêt d?Haïti de vendre la Téléco tel quel, avant sa reconstruction ? Absolument pas ! La Téléco reconstruite vaudra au centuple sa valeur actuelle !


 


Dans le cadre de cette rivalité franco-américaine où la pertinence politique ne suffit pas à Sarkozy, il lui faut imposer par voie indirecte la prépondérance. Après plus d?un demi-siècle d?excès stériles du populisme, qui ont fait d?Haïti le pays le plus pauvre de l?hémisphère et classifié parmi les 4 pays les plus corrompus du monde. A ce moment crucial où la reconstruction de l?infrastructure et des édifices est incontournable. Mais de plus où l?impératif de la refondation de l?Etat haïtien et de ses institutions sur d?autres bases, constitue le défi de notre nouvelle lutte. La question est de savoir, est-il de l?intérêt de l?Haïtien réfléchi, progressiste et responsable de retomber dans le piège des excès stériles de la gauche populiste que Sarkozy, pas par affinité politique, mais par intérêt altermondialiste et par tradition, veut indubitablement supporter et favoriser ? C?est d?ailleurs le but de sa visite. Il vient pour forcer la note en faveur de cette tendance !


 


Entre-temps, la décision de l?Union-européenne de miser sur Leonel Fernandez comme proxy pour l?île, celle des Nations-Unis d?établir Bill Clinton gestionnaire des projets de reconstruction d?Haïti et de retourner la poigne d?Edmond Mulet comme représentant du secrétaire général des Nations-Unies, toutes ces décisions réduisent drastiquement le pouvoir de Préval. Refusant de jeter l?éponge, pour court-circuiter le projet de gouvernement intérimaire qui doit le succéder, envoie son vassal Jean Max Bellerive, proposer la formation d?un gouvernement de gestion de crise. Préval est en train de man?uvrer pour récupérer sa pertinence politique. A-t-on intérêt à le laisser réussir cette man?uvre ? Time is of the essence !