Originally: Destitution controversée de Mme Michèle D. Pierre-Louis



Le Devoir


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le 31 octobre 2009


Montréal


 


La chute du gouvernement de Mme Michèle Duvivier Pierre-Louis annonce des jours sombres pour Haïti et pourrait anéantir les efforts de la communauté internationale pour reconstruire le pays.


Un an après son accession au pouvoir, la première ministre haïtienne, Madame Michèle Duvivier Pierre-Louis a été destituée dans la nuit du 29 au 30 octobre. Malgré le soutien ferme de la communauté internationale -les États-Unis et l?Union européenne en tête- à la cheffe du gouvernement, les sénateurs de la plateforme présidentielle Lespwa (Espoir) et leurs alliés n?ont pas hésité à renvoyer Madame Duvivier Pierre-Louis ainsi que les membres de son gouvernement. La raison évoquée : un faible bilan et, principalement, le manque de transparence du gouvernement quant à la mauvaise gestion des 197 millions de dollars de fonds d?urgence débloqués suite au passage dévastateur de quatre ouragans sur le pays en 2008. Pour Daniel Holly, professeur titulaire au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, « selon les prévisions constitutionnelles, le parlement a le droit d?interpeller la première ministre », a-t-il déclaré lors d?un entretien téléphonique jeudi. Toutefois, il note l?incompréhension totale des parlementaires quant à la réalité haïtienne. « On ne saurait s?attendre à des résultats satisfaisants en un temps si court. Dans une situation aussi complexe, ils ne peuvent s?inscrire que dans le long terme. Pour moi, c?est donc une raison bidon », souligne-t-il.


Dans une adresse à la nation le 27 octobre, soit deux jours avant son interpellation par le Sénat, la première ministre haïtienne, Michèle Duvivier Pierre-Louis, a affirmé sa volonté de « sortir la tête haute ». Concernant la gestion des fonds d?urgence, elle a annoncé qu?elle allait réclamer trois audits croisés. « Trop tard », déclare le professeur Holly. « Connaissant la politique haïtienne, elle aurait dû prendre ses précautions et s?assurer de ces audits avant son interpellation ». Mme Duvivier Pierre-Louis aurait-elle fait preuve de naïveté ? « Elle a sans doute trop compté sur l?appui apparemment indéfectible de la communauté internationale en oubliant de se prémunir contre les coups bas de ses adversaires », avance Daniel Holly. « Elle a été prise en défaut mais je doute qu?elle ait été malhonnête dans sa façon de gérer ces fonds ». Pour lui, la chute du gouvernement « va permettre la montée d?un premier ministre proche du président. Haïti peut basculer vers une instabilité politique par la mainmise du Palais national sur le prochain gouvernement, et la communauté internationale craint que ce dernier puisse contrôler tous les rouages du pouvoir. Cela pourrait avoir un effet néfaste sur les futurs investissements en Haïti. Toutes ces man?uvres politiques vont contre l?intérêt profond du pays et ne font que convaincre la communauté internationale de l?inanité de ses interventions en Haïti », conclut-il.


 


Un vote inconstitutionnel ?


Dans la capitale haïtienne, à Port-au-Prince, les émissions de lignes ouvertes dans les radios démontraient qu?une grande partie de la population jugeait inopportune une destitution de Michèle Pierre-Louis. L?interpellation du 29 octobre paraît donc clairement comme une initiative isolée du groupe des sénateurs proches du président.


La veille, dans une déclaration jugée excessive, le sénateur du Sud-Est Joseph Lambert a comparé le sort de Mme Pierre-Louis à celui d?une « bête se rendant à l’abattoir », en ajoutant qu’il démissionnerait si elle bénéficiait d?un vote de confiance. Parallèlement, des sénateurs de l?opposition sont montés au créneau pour s’opposer au renvoi du gouvernement, arguant que cela conduirait à une situation d?instabilité politique.


Dans son édition de jeudi, le quotidien de la Floride, le Miami Herald, annonçait que le président Préval avait déjà choisi un nouveau premier ministre : Jean-Max Bellerive, ministre haïtien de la Planification et de la Coopération externe du gouvernement déchu. Quelques heures avant la tenue de l?interpellation, dans une lettre adressée au président du Sénat, Michelle Pierre-Louis avait indiqué qu’elle ne comptait pas se présenter au Parlement, en raison de la proclamation du verdict avant même la tenue de la séance d?interpellation.


Vendredi matin, après un huis clos et une séance de plus de dix heures, 18 sénateurs et alliés de la plateforme présidentielle Lespwa (L?espoir) ont infligé un vote de censure à la première ministre, renvoyant ainsi l?ensemble de son gouvernement. L?absence de ces derniers n’a pourtant pas facilité la tâche aux sénateurs-interpellateurs. En effet, ceux favorables à Mme Pierre-Louis, notamment Youri Latortue, Évallière Beauplan, Rudy Hérivaux et Riché Andris, ont évoqué l’article 107 de la Constitution pour asseoir la thèse de l?inconstitutionnalité de l?interpellation et du caractère illégal du vote. Or, lors des sessions extraordinaires -comme c?était le cas- le Corps législatif ne peut siéger sur des points autres que ceux figurant dans le menu soumis par l?Exécutif. Le camp adverse n?a pu démonter cet argument. Devant l?attitude jusqu?au-boutiste des sénateurs de Lespwa, Riché Andris, ancien vice-président du Sénat, a déclaré, courroucé, « vous allez renvoyer un gouvernement sans le moindre argument. C’est triste de voir à quel niveau vous rabaissez le Sénat de la République ». Après un huis clos, 18 sénateurs ont expédié, vers 1h30 du matin (heure de Montréal), la motion de censure. Selon celle-ci, « une situation d’insécurité grave et une réalité dramatique de la faim » frapperaient le pays et Mme Pierre-Louis est considérée comme démissionnaire.


En ce qui concerne la légalité du vote, « seul un conseil constitutionnel pourrait déclarer que la séance et le vote sont inconstitutionnels. Or cet organisme n?existe pas en Haïti », a constaté Myrlande Manigat, ancienne sénatrice et constitutionaliste, lors d?un entretien téléphonique au Devoir vendredi matin. « Nous sommes donc devant un fait accompli », conclut-elle.


 


Marche arrière pour Haïti


Haïti fait désormais face à un vide politique risqué, à quelques mois d?échéances constitutionnelles cruciales devant conduire, fin 2010, aux élections présidentielles. Au moment où s?amorçait une certaine relance de l?économie après des années d?agonie et d?interminables turbulences politiques, la chute du gouvernement de Mme Pierre-Louis inquiète tant au niveau économique que politique. Pour Réginald Boulos, président de la Chambre de Commerce et d?Industrie d?Haïti, « Ceci va remettre en question tous les efforts consentis depuis des années et, principalement cette année, avec le support de la communauté internationale. Cette interpellation arrive au pire moment pour le pays (car) nous sortions à peine de 20 ans d?instabilité ». M. Boulos questionne aussi le silence du président Préval tout au long du processus. Selon Micha Gaillard, porte-parole de La Fusion des sociaux-démocrates, « ce vote démontre qu?il y a une division au sein de la plateforme présidentielle et elle préfigure ce que beaucoup de gens craignent : l?apparition d?un parti hégémonique issu des prochaines élections. Au niveau économique, cela vient rompre nos efforts de reconstruction avec la communauté internationale au moment où l?image d?Haïti s?améliorait », a-t-il confié lors d?une entrevue téléphonique vendredi. Pour lui, cette situation est « une affaire tragique ».


Le gouvernement de Mme Pierre-Louis est le second qui s?est vu censuré depuis l?arrivée au pouvoir de René Préval en mai 2006 pour un deuxième mandat présidentiel. En 2008, le premier ministre Jacques Édouard Alexis a été destitué par un groupe de 16 sénateurs, suite à des émeutes de la faim enregistrées dans le pays.