Originally: Quelques leçons et conclusions du deuxième tour des élections sénatoriales
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Note de presse
Quelques leçons et conclusions
du deuxième tour des élections sénatoriales
La Commission a répondu présent pour l?observation du deuxième tour pour renouveler un tiers du sénat de la République, avec près de 600 observateurs à travers le pays. Voici quelques constats et leçons que nous croyons pouvoir tirer de l?événement.
Quelques observations générales
1. D?abord nous avons constaté une amélioration timide dans l?organisation du jour du scrutin. Les BV [bureaux de vote] ont pu ouvrir les portes à l?heure. Le matériel de vote était sur place. La sécurité était mieux organisée.
2. Mais la population n?est pas sortie vraiment pour voter. En certains endroits on mentionne une plus grande participation (comme dans l?Artibonite) ; ailleurs, par contre, c?était la même image du 19 avril, si la participation n?avait pas diminué (comme dans la capitale et le Nord Ouest).
3. La même observation faite pour les listes électorales partielles vaut toujours. Plusieurs personnes désireuses d?exprimer leur vote ont dû rebrousser chemin parce qu?elles ne trouvaient pas leurs noms inscrits sur une liste électorale. Cela signifie qu?entre les deux tours électoraux très peu d?efforts ont été déployés pour corriger cette anomalie. Cela signifie qu?en cas d?une affluence massive, on pourrait s?attendre à de grandes frustrations et expressions de mécontentement dans les centres de vote.
4. Généralement la journée a passé sans graves incidents, sauf dans certaines zones comme dans le Nord Ouest, le Sud Est et la Grande Anse. Dans le Sud Est on avait déjà enregistré des affrontements entre Lespwa et OPL depuis avant le 21 juin. Les tensions étaient perceptibles le jour du scrutin, et nos observateurs ont signalé des actes de violence dans au moins 4 communes, des personnes ont été blessées (comme à Belle Anse et à Cayes Jacmel). « Où l?OPL prend le devant, Lespwa crée des problèmes pour faire annuler le scrutin ». Il y avait des violences dans le Nord Ouest (comme à Chansolmes, centre Mainviel) et dans le Nord (comme Au Cap dans le centre Jean 23 et à Sainte Philomène ; oui encore dans la commune de l?Acul du Nord, centre de Labrière). Nos observateurs ont constaté que la violence venait généralement de groupes affiliés avec Lespwa. Dans la Grand? Anse, un mandataire de Fusion a trouvé la mort.
5. En plusieurs endroits on a signalé du trafic de votes, pour de l?argent ; on offrait de l?argent pour voter tel ou tel candidat (Nord, Grand? Anse, Artibonite, Nord Ouest, Nord Est et Sud Est).
Réflexions et Recommandations
1. Le plus grand constat concerne l?absence même des électeurs. Ceci demande une bonne analyse.
a. La campagne électorale était réduite à un minimum. Même les partis politiques ne se manifestaient pas et ne soutenaient pas leurs candidats. Est-ce que un mandat politique résultat d?une élection est une affaire personnelle ? Ou bien y-a-t-il un parti politique avec un programme qui soutient le candidat et qui sert de garanti pour sa compétence ?
b. Il n?y a pas eu de débat public ou des face à face ou les candidats se prononçaient sur les grandes questions de l?actualité. Une remarque enregistrée : « Peut-on voter honnêtement pour quelqu?un qui ne s?exprime pas et dont on ne connait pas ses convictions ? »
La population n?est donc pas arrivée à cerner le lien entre les élections et les problèmes qu?elle affronte quotidiennement. Les institutions de l?Etat ne semblent pas préoccupées par la vie des gens. La crise de crédibilité ne touche donc pas seulement aux candidats. S?il y a une question de crédibilité engagée dans les élections, elle touche à toute la classe politique et aux différentes institutions de l?Etat (comme au Pouvoir Législatif), et aux partis politiques. Tous sont concernés ; aucune institution n?est perçue comme préoccupée par les problèmes des gens.
La Commission recommande à tous ceux et celles qui détiennent un mandat qui leur a été conféré par des élections, de bien saisir le sens de ce mandat et sursoir à décevoir la population ; qu?ils donnent la preuve d?une volonté politique réelle pour servir le pays.
2. L?absence totale d?éducation civique. Cette éducation est capitale ; elle doit éclairer le rôle de la politique dans la vie sociale ; le rôle du mandat politique ; la responsabilité spécifique de l?Exécutif et du Législatif pour améliorer la condition de vie des gens. Elle doit aider à comprendre comment les élections peuvent influencer la vie de la population de façon directe.
Il faut distinguer entre éducation civique et information électorale sur l?organisation du scrutin. Dans le Nord Est, on a fait savoir que les informations techniques du CEP n?ont que très peu à voir avec la réalité vécue des gens. Beaucoup de gens ne savent même pas lire et écrire ; comment alors se servir de l?internet pour chercher un BV.
L?éducation civique est une tâche permanente, lors de rencontres, dans les églises, les écoles, les rassemblements. Elle est du devoir de la Société civile en premier lieu. La tâche du CEP est d?organiser des élections correctes et de donner toutes les informations nécessaires à son bon déroulement. L?éducation civique comme travail d?éducation populaire et permanent est une autre responsabilité.
La Commission recommande que les organisations de la Société civile entrent dans un processus permanent d?éducation civique dans le pays, pour donner à la dimension politique de la vie sociale sa vraie place comme un lieu de service et de construction de la société et du pays.
3. Il convient de valoriser le rôle de la Société civile dans l?organisation des élections. Le CEP doit se choisir un autre partenaire au lieu des partis politiques pour organiser correctement les élections. Ce sont les citoyens et citoyennes eux-mêmes qui sont en premier lieu intéressés par des élections honnêtes et crédibles. Les élections ne doivent pas être une occasion pour s?approprier du pouvoir par la violence, mais elles sont une occasion pour que la population puisse faire son propre choix. Concrètement :
a. Les membres des BV devraient être des gens de la communauté ; ils ne devaient pas être des personnes proposées par les partis politiques, comme quoi ce sont eux qui vont garantir le bon déroulement des élections. Les membres de la communauté à travers les organisations de la Société civile doivent se porter garants de l?honnêteté. Le CEP doit mobiliser les organisations de jeunes, les écoles, les églises à cet effet. Il y a de l?espace pour valoriser le service civique.
b. Grace au concours des membres de la communauté on pourra réduire le coût des élections, sinon, on n?arrivera jamais à des élections sans trop de dépendance de l?extérieur ?
La Commission recommande qu?on révise l?article 140 de la loi électorale qui donne aux partis politiques la compétence de proposer les candidats pour siéger dans les BV, et pour faire appel aux associations et instances de la Société civile à cet effet.
La Commission recommande qu?on cherche sérieusement à réduire le coût des élections, et de travailler avec les ressources du pays, afin de garantir la souveraineté nationale en matière électorale.
4. Aucune élection, aucune activité civique ou politique ne pourra être organisée de manière satisfaisante si tous les citoyens et citoyennes ne sont pas enregistrés de façon correcte. Depuis les élections de l?année 2006, des électeurs ne se retrouvaient pas dans les registres électoraux et les listes électorales partielles. Les listes électorales sont pleines d?erreurs et de manquements jusqu?à nos jours. La question des registres et listes électoraux est le n?ud de bon déroulement du vote. On peut considérer une élection réussie quand les électeurs se déplacent, ils savent où se rendre, ils trouvent leurs noms enregistrés, et peuvent voter sans trop de difficulté. Ceci n?est pas le cas maintenant.
La Commission recommande au CEP [Conseil Electoral], d?étudier la question des registres et listes électoraux de concert avec l?ONI [Office nationale de l?Identification], afin d?arriver à des listes et des registres électoraux fiables, corrects, capables de garantir les droits politiques et civiles des citoyens et citoyennes.
5. Nous constatons que la violence continue à se manifester lors des élections ; des autorités à différents niveaux se trouvent parmi les auteurs ou instigateurs. La loi électorale prévoit des sanctions, mais elles ne sont pas appliquées. La violence est une atteinte directe aux droits de la communauté. Il n?est pas clair en ce moment qui doit dénoncer les actes perpétrés ou par quelle voie.
La Commission recommande :
? Que le CEP et les autorités responsables prennent des sanctions effectives contre tous les auteurs de la violence armée lors des élections ;
? Que le CEP et les autorités compétentes prennent des mesures contre toute autorité qui se sert de son pouvoir ou de ses attributions pour influencer le processus électoral, ou pour commettre de fraude.
Les élections sont un moment important dans la vie politique d?un pays, parce qu?il s?agit d?investir des citoyens et citoyennes de pouvoir politique pour agir au nom de cette communauté. Il est donc important de consentir des efforts et de lutter pour l?instauration d?une vraie culture électorale dans le pays.
Pour la Commission Nationale Justice et Paix,
P. Jean Hanssens,
Port-au-Prince, 30 juin 2009