“Les causes de nos malheurs, l’effort dans le mal”
Le Nouvelliste
La Constitution ne saurait prévoir un article élastique pour étirer ou réduire le quorum dans chaque Chambre au gré des circonstances. Les textes constitutionnels sont d’application stricte. Les contraintes imposées par la Constitution ne sauraient être ramollies, parce que ceux qui ont la charge de préserver le cours normal des institutions en les renouvelant à temps n’ont pas bien accompli leurs devoirs.
Au regard de la réalité actuelle on peut bien être tenté de dire comme plus d’un que le quorum devrait être réduit en fonction de cette anomalie. Cependant, nous sortirons totalement de la Constitution si, à chaque fois, pour accommoder les irresponsabilités des uns et des autres, nous nous arrogions le droit de passer outre les balises posées pour valider les actes du Corps législatif.
Aujourd’hui, nous voulons bien rappeler à tous, qu’ils agissent en toute bonne foi ou qu’ils soient de la plus parfaite mauvaise foi, que le respect des principes, s’il n’est pas intempor
el, affectera leur autorité morale. Au moment opportun, ils n’auront plus aucun crédit pour mener aucune bataille sur le respect des principes. Dans ce domaine, quoi qu’il en coûte, c’est la rigidité qui doit prévaloir.
Il ne s’agit pas d’avoir dénoncé hier les tentatives d’un régime inique pour réduire inconstitutionnellement le quorum à des fins partisanes et aujourd’hui de l’accepter ou même de le suggérer, toujours à des fins qui paraissent tout aussi partisanes.
ÉGALITÉ DANS LE MAL
A l’exception du vote du 13 juin 1992 au Sénat de la République, lors de la ratification de la déclaration politique générale de monsieur Marc L. Bazin, jusqu’à date, le vote de la Déclaration de Politique générale du Premier Ministre s’est fait, quand les Premiers ministres se sont prêtés à cet exercice, selon les prévisions de l’article 158 de la Constitution. A ce titre, nous voulons rappeler la réserve formulée à l’époque par le Sénateur Wesner Emmanuel du FNCD. Après qu’on eut ratifié monsieur Bazin par 13 voix pour, 1 voix contre et 1 abstention, le Professeur Wesner Emmanuel a considéré le vote comme nul, parce que selon la Constitution, le Sénat est un corps formé de trois sénateurs par Département. A l’époque il y avait vingt-sept Sénateurs et neuf Départements. Le S
énateur Emmanuel a, par ailleurs, référé à l’article 158 de la Constitution prévoyant que la Déclaration de politique générale fait l’objet d’un vote ”au scrutin public et à la majorité de chacune des deux Chambres”.
Malheureusement, les lavalassiens ont oublié la lutte menée pour le respect et la défense de ces principes et en octobre 2003, dans leur boulimie de pouvoir, ils ont évoqué la jurisprudence inconstitutionnelle des putschistes pour prétendre réduire le quorum à leur tour. En octobre 2003, le Parlement contesté voulait travailler sur l’amendement de la Constitution suite à un projet déposé par le pouvoir du Président Jean-Bertrand Aristide, en chute libre. Et ayant la mémoire courte, n’ayant aucun respect pour les principes et les anciennes batailles du peuple haïtien pour faire respecter la Constitution, aujourd’hui encore, c’est avec tristesse que nous observons qu’un Sénateur incohérent et inconsistant veuille embarquer le Grand Corps dans un processus de réduction de quorum pour faire basculer le pays dans l’inconstitutionnalité et piéger tout nouveau pouvoir né dans ces conditions.
La résolution du Sénateur Jean Hector Anacacis est un tissu de contradictions quand elle réfère aux prévisions de la Constitution pour suggérer une violation de la même Constitution. D’ailleu
rs, où le Sénat peut-il tirer les provisions légales pour annuler le vote octroyé à dix Sénateurs par le souverain dans les mêmes élections qui ont donné Anacacis ? Michèle Duvivier Pierre-Louis peut-elle accepter que l’on torde les bras à la Constitution pour accéder à la Primature ?
LES SEMEURS DE CHAOS
Par ailleurs, des semeurs de chaos menacent de démissionner pour rendre le Sénat caduc. Qui les empêche de passer de la parole aux actes ? Aucun chantage, aucune menace, aucune proposition inconstitutionnelle n’ébranlera la nation qui est là, regarde, observe, prend note ! Le chaos est un boomerang qui ne manque jamais de rattraper ses lanceurs ! Et quand par la suite, ces semeurs récolteront une abondante moisson de tempêtes, qu’ils ne viennent pas se plaindre !
”Les causes de nos malheurs” résident dans notre choix délibéré à maintenir constamment ”l’effort dans le mal”. En matière politique, les Haïtiens sont égaux dans les pratiques du pouvoir. De Edmond Paul à Anténor Firmin, de Démesvar Delorme à Louis Joseph Janvier et de ce dernier aux théoriciens contemporains, c’est le même constat. Les pratiques du pouvoir ont la vie dure, nous nous accrochons fermement à la tradition de mal faire. De Dessalines à Préval, de Duvalier à Aristide, des militaires aux civils, nous repro
duisons les mêmes schémas qui n’ont pas manqué de nous entraîner dans les mêmes crises. C’est comme si nous n’avons pas l’intelligence nécessaire pour rompre le moule, le casser et inventer du nouveau !
Les mêmes politiciens suivent le même vieux modèle de toujours, s’inspirent des mêmes bêtises qui ont provoqué les chutes de pouvoirs dans les mêmes décors. Nous paraissons incapables de ne pas être tentés de violer la Constitution, violation à la base, entre autres éléments, de tous les soulèvements étiquetés ”Révolution” dans notre jargon politique !
LES LEÇONS DE L’HISTOIRE
Du XIXe siècle haïtien au début du XXIe, il y a une façon classique de perdre le pouvoir dans notre pays. Des partisans ou supporters mal inspirés, du Palais ou des Chambres législatives, embarquent le Chef de l’État dans l’avenue de l’inconstitutionnalité. Le pays se rebiffe et pif, le Président tombe et c’est l’inévitable KOURI.
Mais ce ne sont pas toutes les fois que les pieds ont répondu. Quand le malheur arrive, c’est connu, les jambes savent être en coton. Alors, l’histoire nous renseigne que l’aventure certaines fois s’est terminée pour bien de nos dirigeants à l’embarcadère, avant même d’avoir pu sauter à bord du bateau à destination, à l’époque, de l’inévitable Kins
tong, Jamaïque, le chemin de l’exil…D’autres faits rapportent que d’autres se sont fait happer à la porte ou même à l’intérieur d’une légation étrangère, à l’instar d’un Septimus Rameau ou d’un Vilbrun Guillaume Sam, n’échappant pas à la furie de la foule…
Haïti n’a malheureusement pas renoncé, à date, à ses moeurs politiques. Nous en sommes encore, dommage, au slogan de la Révolution haïtienne pré-indépendance, ”koupe tèt boule kay”. Nous ne sommes pas bien différents, aujourd’hui encore. Alors, comme il nous a été démontré tout au cours de cette dernière décennie et hier encore, le pays n’est pas à l’abri de la reproduction de telles scènes. De façon impardonnable, en politique comme en science, ”dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets”…
Que ceux qui, aujourd’hui, de part et d’autres, dans toute leur superbe, font de multiples chantages à la République, aient à l’esprit ces faits dont notre histoire est immensément riche ! Le pouvoir donne des ailes, entre deux ”quant à moi”, deux aveuglements, on se retrouve pris au piège du néant, quand dans la rue, le peuple souverain reprend ses droits…
14-08-08