Originally: Août 2007 : Haïti frise une grave crise institutionnelle

Éditorial de l?émission Metropolis de Nancy Roc sur Radio Métropole le samedi  25 août 2007. Invité : Edmond Mulet, en fin de mission et nouveau Sous-secrétaire Général de l?ONU.


Août 2007 se révèle être une véritable période cyclonique pour Haïti. Si le pays se préparait, comme il pouvait, au passage de Dean, il ne s?attendait certainement pas aux possibles ravages du conflit Gassant/Parlement. En effet, l?absence de comparution du Commissaire de Gouvernement mercredi dernier devant la Commission Justice et Sécurité qui l?avait convoqué, est en passe d?instaurer une crise institutionnelle entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dont le pays n?a vraiment pas besoin, en ces temps fragiles de reconstruction démocratique. Mais, tout compte fait, ce bras de fer entre le Commissaire et les parlementaires n?est pas réellement étonnant dans un pays où la chefferie est de mise.


La version « officielle » fait état d?une séance, où le Ministre de la Justice et le Commissaire du Gouvernement ont été convoqués pour répondre à des questions concernant l?augmentation inquiétante du nombre des personnes en détention préventive prolongée dans les prisons et l?intromission inopportune du parquet dans l?instruction d?une série d?affaires contrairement à la mission de poursuite qui lui est strictement assignée dans la chaîne pénale.


Il est clair que le pied de nez donné par Maître Claudy Gassant aux parlementaires pourrait paraître inadmissible. Il prouve, si cela est encore nécessaire, la forte personnalité- qui frise parfois l?arrogance- d?un Commissaire de Gouvernement qui se conduit comme un chef tout puissant avec l?appui total du Président Préval. Si le Parlement n?a pas le pouvoir d?interpeller le magistrat, le Ministre de la Justice payera sans doute les pots cassés de la nuit rocambolesque de mercredi dernier.


D?autre part, en tant qu?agent de l?Exécutif, il est aussi connu que Maître Gassant- et il l?a dit en public- n?obéit qu?au président de la République. Malgré des fautes de parcours au début de son second mandat, M. Préval conduit le pays, comme il le peut, sur la bonne route, même s?il est confronté à des situations très difficiles voire délicates. Toutefois, aujourd?hui, il est impératif qu?il puisse se montrer garant des institutions de la République et s?engager à fond dans une réforme de la Justice. Or l?attitude conflictuelle du Commissaire Gassant peut devenir une entrave  à l?Exécutif. Si ce dernier permet à Maître Gassant d?être tout puissant, nous assisterons peut-être à une nouvelle crise institutionnelle. L?intransigeance du Commissaire de gouvernement aurait pu paraître honorable mais sa personnalité conflictuelle inquiète et pourrait éventuellement entraîner la consécration d?un autre « monstre » au sein de l?État. En effet, ce n?est pas la première fois que Claudy Gassant défie son ministre de tutelle. D?autre part, il a eu des conflits ouverts avec le Chef de la Police, le Secrétaire d?État à la sécurité publique, des officiers de police et des Députés. Aujourd?hui, il a suscité le courroux  du Parlement.


D?un autre côté, on ne peut s?empêcher de se questionner sur les vraies raisons de la convocation du Ministre de la Justice et de Claudy Gassant par devant le Parlement. En effet, dans le cadre de la campagne de lutte contre la contrebande et la corruption, on s?attendait à tout et même à une campagne de déstabilisation du gouvernement. De nombreuses informations confirment que certains parlementaires ont reçu des pots de vin pour faire front au gouvernement dans cette campagne anti-corruption. Aujourd?hui, et en particulier après le scandale de la SOCABANK, le public n?est pas dupe : certains parlementaires des plus volubiles ont été achetés et utilisent le pouvoir législatif à leurs propres fins ou pour celles de leurs corrupteurs. Quelques uns de ces derniers émanent aussi d?une partie du secteur privé corrompu qui panique devant la multiplication des convocations du Commissaire de gouvernement à laquelle on a assisté dernièrement. Sans son attitude provoquante, Claudy Gassant aurait certainement reçu l?appui et l?encouragement du public pour le travail qu’il effectue dans le cadre de la lutte contre les corrupteurs et les corrompus, les contrebandiers et les trafiquants de drogue de tous acabits. 


Il est désolant de constater qu?en 2007, la presse ne puisse toujours pas citer les noms de certains parlementaires qui hier encore collaboraient avec des gangs, des trafiquants de drogue et qui, aujourd?hui, sous le couvert de l?immunité parlementaire, prétendent défendre les valeurs de la Nation! Graham Green avait bien raison de dépeindre les Haïtiens comme des comédiens ?à part que le pays est toujours le théâtre de tragédies et le public ne rit plus du tout. Pour Jean-Claude Bajeux, Directeur Exécutif du Centre ?cuménique et figure emblématique des droits humains en Haïti, « tant qu?on n?aura pas reconnu l?énormité du mal  fait aux gens et que les autorités en sont  responsables, on restera dans l?indifférence morale et un brouillage éthique, ce qui est catastrophique. C?est la clef de notre malheur», nous a-t-il confié hier au téléphone. Il aussi sagement recommandé au Chef de l?État sur les ondes de Radio Kiskeya, que relancer les poursuites judiciaires contre Jean-Bertrand Aristide serait pour le président la meilleure preuve de son engagement contre la corruption. Rappelons que dès les premiers jours de son second mandat, Préval avait ordonné le retrait d?une plainte déposée par le gouvernement de transition (2004-2006) devant un tribunal fédéral américain contre l?ex-Président Lavalas, accusé d?avoir pillé le trésor public.


Malgré son raffinement et sa discrétion diplomatiques, Edmond Mulet, contrairement à son prédécesseur M. Gabriel Valdès, est connu comme homme de terrain et d?action. Aussi, si M. Mulet a sévèrement critiqué l?attitude du Parlement, ce n?est certainement pas pour rien. Il s?est opposé publiquement à la menace d?interpellation du gouvernement par le Sénat et doit certainement avoir des informations pertinentes quant à l?attitude des certains élus et de ce qui se trame au Parlement. Il a toujours prôné le processus de stabilisation dans le pays et pas seulement en mots mais par l?action sur le terrain en neutralisant notamment la plupart des chefs de gangs. « Il faut que certains parlementaires fassent très attention de ne pas être vus ou perçus comme des alliés des corrompus et des trafiquants de drogue », a-t-il déclaré. Il parle en connaissance de cause puisque, lors de son discours d?adieu, il avait bien souligné qu?il «faut s?attendre à ce que ces efforts pour normaliser la situation, pour amorcer un changement (?) attendu et nécessaire, rencontrent des résistances de la part des groupes et individus qui, jusqu?à présent, ont profité de l?impunité », avait-il prévenu. Suite à ces déclarations, Youri Latortue est monté au créneau et a osé inviter le prochain Sous-secrétaire Général des Nations-Unies à rectifier le tir, en faisant preuve de retenue. Il a qualifié les dires du diplomate « d?envolées inacceptables» : (?.) « Nous connaissons les faiblesses de la mission des Nations-Unies et il faut donc travailler rapidement pour restaurer notre souveraineté nationale (?) car, parfois on se demande si ces messieurs (des Nations-unies) ne travaillent pas pour revenir et jouir d?avantages personnels. À ce moment là, cela fait du tort au pays et tous les autres en profitent.»  Décidément, on aura tout vu et tout entendu dans ce singulier petit pays et M. Latortue a raté une nouvelle occasion de se taire et ne pas faire honte à la Nation !


« Le Sénat a perdu la face » a déclaré Maître Gérard Gourgues ce vendredi 24 août sur les ondes de Métropole. Le vin est donc tiré pour certains de nos fameux parlementaires et l?avenir se chargera certainement de les faire sortir par la petite porte de l?Histoire et d?autres, par la grande, du moins nous l?espérons. En attendant, le peuple haïtien, soutenu par des journalistes éclairés et courageux, ne doit pas tomber dans le piège de la déstabilisation pour consacrer une fois de plus- et une fois de trop !- la corruption. Il est grand temps que la Justice soit la même pour tous. Pour cela, que les responsables, de part et d?autre, gardent la tête froide et ne se comportent pas en grands chefs mais hommes droits et de droit. Que le Chef de l?État tranche là où il faut trancher et donne l?exemple au plus haut niveau de l?État.