Originally: QUE FAIT – ELLE ? Premiers 100 jours de la nouvelle administration Préval-Alexis (9 juin ? 16 septembre 2006)
Vainqueur des élections du 7 février, investi le 14 mai : soit trois mois et une semaine plus tard, il a fallu 21 jours de plus à René Préval pour choisir un premier ministre en la personne de Jacques Edouard Alexis et s?encadrer d?un gouvernement finalement installé le 9 juin 2006. Le 16 septembre, l?administration Préval-Alexis boucle effectivement ses 100 premiers jours de prise en charge.
Parce qu?ils ont occupé leurs fonctions respectives de Chef d?Etat et de Chef de gouvernement pendant plus de temps que quiconque depuis 1986, René Garcia Préval et Jacques Edouard Alexis ont moins besoin que personne d?un apprentissage du pouvoir, même dans un pays aussi compliqué. D?ailleurs, le premier a fait campagne sur ses réalisations, sur son « record », comme diraient les Américains, promettant implicitement une continuation de la politique des « Service Plus » des « Dignité » et des « CNE » et d?autres « Scolarisation Universelle » de constructions de lycées et de «Fabrication de matériels scolaires» avec, peut-être, une sourdine sur la réforme agraire mais un accent renforcé sur les programmes destinés à la jeunesse.
En fait, on a l?impression que, étant donné la gravité de la misère matérielle, les électeurs étaient prêts à troquer la politique d?austérité fiscale de l?administration intérimaire Alexandre-Latortue pour un peu plus de déficit budgétaire et d?inflation, pourvu qu?il y ait un soupçon de croissance, d?emplois et? d?espoir. Préval et son équipe ont eu largement le temps de réfléchir entre 2001 et 2006 sur certaines erreurs de gouvernement entre 1996 et 2001 au point d?oser solliciter (avec succès) les suffrages. Sans doute, il n?a pas eu à avouer ses problèmes mais, pendant la campagne, il a déclaré qu?il n?était le marassa de personne et qu?il n?a jamais été membre du parti Fanmi Lavalas. Si le marassa a été éloigné de 10 à 10 000 kilomètres du Palais National d?où vient que le Président de la République se comporte sans leadership, sans inspiration, comme si son jumeau (ou son fantôme) vivait en fait, plus menaçant que jamais, aux Casernes Dessalines ou mieux au QG de la garde présidentielle?
Personne ne s?attendait à ce que la nouvelle équipe réalise grand-chose en 100 jours même si Préval sait comment mobiliser les ressources financières internes pour des dépenses dites de développement. Le problème est que tout le programme du gouvernement, essentiellement le PAS ou Programme d?Apaisement Social, est perçu comme basé exclusivement sur des ressources externes et en faveur des seuls membres les plus extrémistes (et les plus vocaux) de Fanmi Lavalas. Préval voudrait financer les bases de Cité Soleil, Martissant, Bel Air, Saint Martin, Raboteau, Sainte Hélène, La Fossette, etc., avec l?argent de Washington et de Bruxelles (prime à la violence, dette politique ?). Entre ces deux extrêmes, le gouvernement ne fait pas grand cas, semble-t-il, de la majorité silencieuse qui va d?une part importante du lumpen prolétariat (du secteur informel, notamment) à la bourgeoisie socialement consciente en passant par la classe moyenne non corrompue.
Comme les bailleurs de fonds ne sont pas pressés (en partie parce qu?ils ne voient pas clair malgré l?avènement de l?homme providentiel, selon l?évangile de Gabriel Valdés), le gouvernement bat de l?aile pensant à tort qu?il peut prendre son temps lui aussi pour combattre l?insécurité et pour affronter un défi direct et on ne peut plus ouvert à sa capacité de gouverner (à travers l?administration fiscale) à Malpasse. Le nouveau gouvernement n?était pourtant pas malchanceux, ayant hérité de l?administration intérimaire une tirelire relativement bien pourvue en juin (ce qui est relativement rare en Haïti): des recettes fiscales totalisant G 14.4 milliards pour l?exercice en cours et des réserves de change (nettes) dépassant 120 millions de dollars américains.
En outre, l?inflation continuait à baisser et le prix du dollar américain demeurait stable, autorisant des perspectives raisonnables de croissance pour l?exercice, si l?insécurité ne paralysait les activités privées. Le pactole fiscal mensuel n?a pas baissé avec la nouvelle équipe avec G 1.9 milliard par mois en mai et juin et atteignant G 2.2 milliards pour le seul mois de juillet. Le mois d?août ne s?annonçait pas moins juteux pour l?Etat, (malgré l?impasse de Malpasse), avec G 918 millions pour les quinze premiers jours.
Pour des raisons encore obscures, le gouvernement, dirigé par des individus aussi expérimentés que Préval et Alexis, ne sait pas encore comment dépenser ses ressources propres. Les dépenses de l?Etat représentaient 82% des recettes fiscales en mai, 70.5% en juin et juste deux tiers en juillet. Au moment de la conférence internationale des bailleurs de fonds à Pétion Ville, fin juillet, le nouveau gouvernement avait dans ses coffres plus de G 1.3 milliard (l?équivalent de 32.5 millions de dollars américains) comme surplus accumulé en juin et juillet. Cette politique fiscale restrictive non seulement prive les contribuables nécessiteux d?une multitude de biens et services (un paradoxe cruel pour un gouvernement à base populaire dans un pays pauvre) mais encore ralentit l?économie sans nécessité. Un tel surplus pourrait, par exemple, aisément amortir les fluctuations excessives des prix de l?essence à la pompe, si, bien entendu, le gouvernement n?en trouve pas un usage plus productif.
Après ses 100 premiers jours, comment le gouvernement explique-t-il son comportement?
Les uns pensent qu?il sortira de son mutisme par la publication du budget. Cependant, d?autres objecteront qu?un budget reste une loi et qu?en Haïti, les meilleures lois pourrissent dans les tiroirs et que la réalité est tout autre. Toute notre histoire leur donne raison.
Il faut rappeler à cette administration que ses six premiers mois prennent fin en décembre et cette époque correspondra aussi à la fin de l?état de grâce. D?ici décembre, on saura si René Préval a choisi d?être Préval II ou d?être Préval bis.