Par Claude Moise
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Rien à faire, on ne sort pas de l?obsession sécuritaire. S?il en était besoin, on se rendrait compte à quel point la guerre imposée par les gangs armés depuis plus de deux ans paralyse la vie nationale. Sans doute, des projets sont annoncés, de grandes initiatives sont lancées, les perspectives de la continuation de la coopération internationale sont encourageantes. Sur le plan politique, la nouvelle équipe dirigeante sortie des dernières élections générales s?en tient à la concertation avec les principaux partis sur les grandes questions d?intérêt national. Pourtant, le sentiment est fort et persistant que rien n?avance, tant est fragile le lien social qui tient encore lieu d?appartenance au pays, tant est hasardeux pour le simple citoyen le fait de vaquer à ses occupations, tant est angoissante l?incertitude d?un avenir dont l?horizon se redessine au jour le jour. Tout le monde en parle, que dis-je ! l?opinion publique est de plus en plus exaspérée, angoissée face à l?audace criminelle des groupes armés dont on n?arrive pas à démêler le caractère mafieux de leurs actions des motivations proprement politiques.
C?est un sentiment d?urgence qui gagne tous les milieux. La presse est emplie des cris d?angoisse des victimes et de ceux de tous les citoyens qui se sentent menacés par la violence aveugle. À l?occasion des funérailles de l?entrepreneur Bernard Blanc et de son fils de deux ans, Giovani, assassinés le 3 août à Pétion-Ville (Place Boyer, là où se trouve en permanence une patrouille de la Minustah), l?Association nationale des médias haïtiens l?ANMH a tenu à marquer le coup en exprimant ses vives préoccupations et en saluant la mémoire de toutes les victimes, trop nombreuses de l?insécurité galopante. Elle appelle les autorités légitimes à adopter des dispositions spéciales et urgentes pour neutraliser les gangs armés dont on ne saurait plus douter des visées déstabilisatrices.
Les chambres législatives en sont elles- mêmes remuées qui veulent recourir aux instruments constitutionnels pour forcer l?Exécutif à des actions plus concrètes et plus convaincantes. Il est même question d?interpellation au cas où les démarches de membres de la Chambre basse n?aboutissent pas. Disons tout de suite qu?interpellation n?est pas synonyme de retrait de la confiance accordée au gouvernement. Elle évoque cependant le caractère dramatique que prend l?insécurité aux yeux des élus. La déclaration du président Préval de ce 9 août explicitant sa position quant à la conduite à tenir vis-à-vis des gangs armés, de ceux de Cité Soleil en particulier, semble aller dans la bonne direction. La population a besoin de sentir que la fermeté est aux commandes. Les précédents propos attribués au chef de l?État sur la recherche de solution négociée pour avoir la paix ne peuvent avoir qu?un effet démobilisateur s?ils ne sont pas accompagnés d?une condamnation ferme des crimes odieux et de mises en garde musclées. Les gens ne comprennent pas que l?on se soucie des dommages collatéraux lorsque les criminels opèrent avec cruauté et aveuglement, atteignant sans considération les petites gens.
On ne saurait prétendre refonder une nation ? l?objectif de tout le mouvement social des années quatre-vingt ? dans un tel contexte. Cependant il faut y aller. Les 8 millions d?habitants qui peuplent le territoire ne peuvent pas émigrer. Il faut qu?ils trouvent le moyen d?accommoder leur existence et leur survie, que l?État exerce ses fonctions essentielles, à commencer par la protection des vies et des biens. Ces 8 millions ne constituent pas une masse informe sur laquelle on applique des recettes. Ils sont géographiquement répartis, socialement organisés et culturellement situés. Selon que l?on vit dans une grande agglomération ou sur une habitation d?une section communale, que l?on soit paysan ou entrepreneur, ouvrier ou professionnel, l?organisation du quotidien et la projection sur l?avenir se posent différemment.
Si faible que soit l?État, il façonne la nation et il dispose de la légitimité. Celle que lui confère sa fonction, celle qu?il acquiert par l?accession de dirigeants élus, celle qu?il est destiné à renforcer dans l?exercice de sa fonction. Il ne suffit pas de constater que l?État est faible, de le clamer partout, comme ceux qui, en parlant d?Haïti, croient devoir toujours y accoler en apposition : le pays le plus pauvre de l?hémisphère. Il ne convient pas de le répéter comme pour stigmatiser ses dirigeants et d?en faire un argument politique d?opposition. Il n?est pas non plus question de s?en accommoder comme pour justifier l?inaction et la passivité. L?effondrement de l?autorité de l?État, son absence constituent un danger pour tous les citoyens. Son redressement, son renforcement démocratique appellent la contribution de tous ceux qui y ont intérêt. Il s?agit alors de rechercher et de trouver les meilleurs moyens de le normaliser, de le refonder même. Dans cette tâche, le gouvernement a la responsabilité première. Et les parlementaires font leur travail en l?interpellant, en le critiquant même sur les dispositions prises. En faisant des propositions. Il n?y a pas que les institutions étatiques.
À tous ceux qui, aujourd?hui et demain, comme hier, assument la tâche de diriger l?État, à toutes les organisations politiques et associatives comme à tous les citoyens, une même question est posée depuis des décennies, à laquelle il faut réfléchir et y répondre toutes affaires cessantes : Comment redresser l?État et refonder la nation ? Ce qui dans les circonstances nous ramène à la question de la sécurité pour tous, de la paix sociale, de l?harmonie citoyenne?