Ce n?est pas de bilan qu?il s?agit, mais plutôt de rappel, de clarification et de sens au moment du renouvellement du mandat de la Minustah, ce mardi 15 août. Rappel de la mission du principal instrument de l?intervention de l?Onu en Haïti depuis deux ans. C?est donc le moment d?y revenir alors que l?on ne peut pas parler de stabilisation politique selon les objectifs fixés par l?organisation internationale. Certes, ses dirigeants ne ratent pas une occasion de se féliciter de leur contribution au succès des élections récentes. Le président de la République est investi de ses pouvoirs depuis le 14 mai 2006, le Parlement, même privé d?importantes représentations régionales et locales, travaille, le gouvernement est en place. Mais, au plan institutionnel, les organes de l?État ne sont pas encore tout à fait fonctionnels. Les pouvoirs locaux ne sont pas constitués et, conséquemment, certaines institutions majeures ne peuvent être formées. Ce qui a des répercussions sur l?appareil judiciaire dont on fait de la réforme, avec celle de la Police nationale et de l?Administration pénitentiaire, un élément clé de l?instauration de l?État de droit et de la fin de l?impunité. Surtout il n?échappe à personne que bien des obstacles se dressent au rétablissement de l?autorité de l?État et que Port-au-Prince est loin d?être pacifiée.
Il faut rappeler que cette force onusienne a été constituée le 30 avril 2004 (résolution 1542), au titre du chapitre VII, la plus contraignante des modalités que peut invoquer le Conseil de sécurité, en vue de remplacer la force multinationale dépêchée d?urgence en Haïti pour endiguer la violence qui a accompagné et suivi la chute d?Aristide le 29 février 2004. Son mandat a consisté et consiste encore à assurer un « climat sûr et stable » au rétablissement de la normalité constitutionnelle, à aider à la réforme de la Police nationale en y jouant un rôle prépondérant, à « mettre en oeuvre des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion complets et durables à l?intention de tous les groupes armés » (DDR). En outre, elle devra « protéger les civils contre toute menace imminente de violence physique, dans les limites de ses capacités et dans les zones où elle est déployée? »
De résolution en résolution, le mandat n?a pas varié et pour cause. Les objectifs n?ont pas été atteints. On observe un décalage entre le mandat et l?action. Il y a même aggravation de la situation sécuritaire. Sur le terrain, la Minustah a fait face à des difficultés inattendues. Sa composition « babélique », sa stratégie incertaine marquée sans doute par la tradition d?inefficacité des forces de l?Onu dans les conflits où elles sont engagées à travers le monde, la complexité de la crise haïtienne expliquent en partie qu?elle ne parvient pas à s?acquitter de la tâche confiée par le Conseil de sécurité. Le déclenchement de l?Opération Bagdad à partir du 29 septembre 2004, l?extension des activités criminelles ont marqué l?histoire de cette deuxième intervention militaire de l?Onu en Haïti. Aujourd?hui, comme hier, l?ampleur des critiques adressées à la Minustah est proportionnelle à l?angoisse intense que la violence des bandes de criminels non encore neutralisées fait éprouver à la population de la capitale. Au moment où j?écris, je ne sais pas si, à l?aide d?instructions plus strictes, le Conseil de sécurité renforcera le mandat de la Minustah. Mais sa responsabilité demeure entière pour avoir promis au pays un climat sûr et stable.
De tout ce que l?on sait et répète de la situation, on peut dire qu?en tout état de cause Haïti a encore besoin de coopération multilatérale. Celle-ci s?opère à travers un instrument comme la Minustah qui, du fait de l?importance du rôle des puissances moyennes en son sein, contre- balance l?influence dominante des grandes puissances et ouvre des perspectives nouvelles pour la coopération sud-sud. Même si elle paraît peu efficace en regard des graves difficultés que pose actuellement la lutte contre les organisations criminelles, elle demeure encore nécessaire, utile au développement et au renforcement des forces de sécurité nationale. Non seulement elle peut les former, encadrer et aider à leur professionnalisation, elle peut continuer à être une force de dissuasion et d?intervention au besoin. Ce n?est certes pas du jour au lendemain qu?après des décennies de déstructuration et de perversion des forces de sécurité de l?État que l?on parviendra à les réorganiser, à les former aux nouvelles méthodes de lutte contre la violence organisée parallèlement aux exigences du respect des droits fondamentaux.
Haïti aura encore besoin de cette forme de coopération multilatérale au nouveau visage comme un instrument privilégié de l?Onu en articulation avec des agences opérationnelles telles le Pnud, l?Onusida, le Pam et autres, dans la lutte contre les inégalités sociales et régionales, les pandémies et dans l?activation de certaines réalisations des Objectifs du millénaire pour le développement. Plus particulièrement, le Conseil de sécurité souligne dans sa résolution du 22 juin 2005 (1605) que « la pauvreté généralisée est une cause profonde majeure des troubles en Haïti et que le pays ne connaîtra pas véritablement la stabilité tant qu?il n?aura pas consolidé son économie, notamment à la faveur d?une stratégie à long terme de développement durable et de renforcement des institutions. » De cette considération on doit déduire que la politique onusienne vis-à-vis d?Haïti a encore de larges perspectives de développement en termes de moyens et de temps. Peu importe le nom des instruments d?intervention, on peut présumer que la communauté internationale agira longtemps encore comme acteur majeur du destin d?Haïti. Au peuple haïtien de jouer sa partition en tant qu?acteur principal. En toute lucidité, avec courage et détermination.