Retour à la terreur. La tension monte. La panique gagne la population. Me revient à la mémoire ce mois de juillet 2005 de toutes les horreurs où l?on vit s?amorcer un mouvement d?exode dans plusieurs milieux sociaux. Les forces de sécurité, impuissantes, ne parvinrent pas à contenir l?action criminelle des kidnappeurs et des assassins. Il y a un an, le dimanche 10 juillet, nous apprenions, accablés, que notre camarade Jacques Roche venait d?être enlevé. Et nous avions vécu les affres de l?attente jusqu?au cruel dénouement du 14 juillet. Aujourd?hui, nouvel épisode. Des policiers sont assassinés gratuitement. Des gangs s?affrontent avec une rare violence au sud de la capitale. Résultat : des dizaines de victimes et la fuite des habitants des quartiers populaires infestés. Parallèlement, l?industrie du kidnapping recommence à tourner à plein régime. Nouvelle période de pointe de l?insécurité donc après celles de septembre 2004, juillet et décembre 2005. Ajouter à la terreur le bruit de fond des revendications pro-aristidiennes assorties des menaces habituelles d?une petite minorité agissante et intimidante à laquelle on tend aisément le micro au nom de la liberté de l?information et nous nous retrouvons dans un scénario archi connu depuis que le pays s?essouffle à la recherche d?un climat favorable à la relance de son développement.
Pourtant, la normalisation politique et institutionnelle avait pris son élan avec les élections et l?installation des organes du pouvoir central. Mieux : un début de concertation semblait prendre forme et force avec la formation d?un gouvernement où sont représentées les principales formations sur l?échiquier politique national. La communauté internationale, satisfaite, confirme ses promesses d?aide. Partout où il passe ? et il est passé presque partout ? le président Préval est accueilli avec un concert de louanges. Haïti reprend sa place dans la communauté des États de la Caraïbe, la Caricom. La diaspora bouge et se tourne à nouveau vers la mère-patrie. On en attend cette semaine de la grande visite et des remous du séminaire qui réunira à Port-au-Prince des personnalités et des délégués de plusieurs associations ?uvrant dans les communautés haïtiennes de l?extérieur. Sans doute, il reste à compléter la normalisation institutionnelle par la mise en place des pouvoirs locaux. Mais, à tout prendre, tout le cheminement, de février à aujourd?hui, augurait d?un bon départ. Et on croisait les doigts pour que la trêve sécuritaire de la période électorale se prolonge encore et encore, le temps de permettre à la nouvelle équipe gouvernementale de se retourner et de mettre en ?uvre les diverses facettes de sa politique. C?était sans compter avec des acteurs obscurs, bien imbus de la faiblesse de notre État et de la fragilité du nouveau pouvoir.
Au fait, que signifiait la trêve électorale ? A-t-elle été négociée ? Par qui ? A-t-elle été octroyée ? Pourquoi ? À défaut d?information, on a pris l?habitude de parler de trêve unilatérale. Comme quoi, les malfaiteurs auraient pris leur distance, certains faisant connaître leurs préférences électorales sous réserve de dividendes futures. Les autorités politiques et la Minustah pouvaient se frotter les mains d?aise et revendiquer d?avoir assuré la sécurité électorale. Mais pour l?opinion, c?était quand même bon à prendre même si elle n?était pas convaincue de l?efficacité des forces de sécurité en la circonstance. Et alors ? Aujourd?hui, il s?avère que l?agenda des chefs de gang n?était pas celui des responsables nationaux et internationaux. Pas plus que le temps de la criminalité est celui de la politique. La balle revient dans le camp des dirigeants, ceux qui sont chargés d?assurer la sécurité publique. Peu importe qu?ils ne soient pas les mêmes, les problèmes ne changent pas et les fonctions sont les mêmes.
À une différence près. Le gouvernement en place, légitimé par les scrutins de février et d?avril, mise sur le dialogue et le consensus pour créer les conditions de la stabilisation du pays et enclencher des politiques porteuses de développement durable. Or la sécurité en est la condition première. Son rétablissement constitue le principal test de la capacité du nouveau gouvernement à restaurer l?autorité de l?État. Il s?agit ici d?une sécurité durable ? aspiration profonde de la population – qui ne devrait souffrir d?aucune ambiguïté. Sans résultats tangibles, les appels répétés à l?inclusion et à la réconciliation peuvent être interprétés comme la justification de la perpétuation de l?impunité. Il en est de même de certaines décisions ? le retrait des plaintes contre Aristide par exemple ? qui jettent le trouble dans les esprits. Il se trouve que ce discours n?est pas explicité et les partisans de la restauration ont beau jeu de se rappeler au bon souvenir des nouveaux élus. Les pressions de la rue, les violences verbales constituent une menace directe à la cohésion recherchée par le gouvernement. Elles sont susceptibles d?empoisonner le climat politique et social que l?on cherche à assainir. Le nouveau pouvoir est mis au pied du mur. Il lui faut s?expliquer, expliquer et prendre des mesures énergiques pour sauvegarder sa crédibilité, faire renaître la confiance dans les dirigeants et dégager l?horizon. Il ne peut plus tergiverser. Le jeu force à couper.
par Claude Moïse