Originally: 2005 : l?année de tous les dangers

 


A harsh, sobering piece from the prizewinning journalist Nancy Roc


2005 s?achève sur fond d?insécurité, d?insalubrité dans les rues de Port-au-Prince et de division au sein du CEP et de la classe politique. En matière d?insécurité, la vitesse des kidnappings ces deux derniers mois a dépassé celle, effrayante, de l?été dernier qui a conduit à un exode de plusieurs centaines de familles vers l?étranger notamment vers les USA et le Canada. Une insécurité que ni la PNH et encore moins la MINUSTAH n?arrivent à enrayer. L?assassinat crapuleux de la présentatrice de Télémax, Ginoue Mondésir est venu démontrer que cette insécurité engendre également une violence encore plus meurtrière au sein des foyers haïtiens où les femmes sont doublement victimes de cette dernière- comme dans les kidnappings d?ailleurs- encouragée par une impunité inqualifiable qui a été entretenue par le gouvernement de transition tout au long de ces deux dernières années. « La justice haïtienne est peut-être en deuil, mais que dire d?un pays en deuil de sa justice ? » a questionné à juste titre l?écrivain Lionel Trouillot dans l?édition du journal Le Matin du 20 décembre?
 
L?insalubrité étale son visage hideux à travers la capitale où les dirigeants n?ont rien fait pour nettoyer la ville pour la période des ??fêtes???un mot difficile à prononcer dans l?ambiance morose et le désastre économique qui pointe à l?horizon.  Pétion Ville n?a pas été épargnée par cette insalubrité et nous avons été atterrée de voir des photos récentes de cette commune autrefois appelée ??La Coquette?? qui aujourd?hui est totalement envahie non seulement par les ordures mais surtout par les marchandes omniprésentes dans les rues qui rendent la circulation quasi impossible. Une situation que connaît désormais l?ensemble de la capitale qui sera extrêmement difficile à gérer pour le prochain gouvernement qui, s?il veut se montrer responsable et mettre de l?ordre, s?attirera certainement les foudres de cette population de démunis et, s?il est populiste, ne fera absolument rien pour régler ce problème épineux et pratiquera certainement la politique du ??laissé grinin?? qui transformera cet abcès en gangrène.


Quant à la question des élections, on s?attend à un changement officiel imminent de la date du premier tour pour la quatrième fois. En cette fin d?année, le CEP aura concrétisé son incapacité d?organiser des élections. De plus, il est navrant de constater que, désormais, les principaux acteurs du scrutin s?accusent mutuellement de cet échec lamentable : le CEP accuse la communauté internationale, le Gouvernement et le Directeur Général du CEP M. Jacques Bernard. De son côté, l?OEA a rejeté la responsabilité sur le CEP . La porte parole et le directeur des opérations techniques de l’Organisation des Etats Américains, Louise Brunet et Felix Ortéga, ont affirmé cette semaine sur les ondes de Radio Métropole que l’organisation hémisphérique “n’a joué aucun rôle et n’a aucune responsabilité dans la localisation des centres de vote”.Ils ont précisé que les 809 centres de vote ont été identifiés par le Conseil Electoral conformément aux prescrits du décret électoral. En ce qui concerne le retard dans la distribution des cartes la porte parole de l’OEA, Louise Brunet, a  expliqué qu’un retard d’un mois est imputable au CEP qui n’avait pas identifié à temps les centres de votes. Ce tohu bohu électoral a sans doute poussé Roger Noriega, ancien sous secrétaire d?Etat américain, à déclarer le 29 décembre, qu?il est à présent favorable à un report des élections.  Dans un article publié par le journal Miami Hérald Roger Noriéga affirme qu?il faut à tout prix éviter que les prochaines élections soient contestées par la population.”Un report des élections de 3 ou 4 semaines offrira une meilleure opportunité d?une part aux démocrates haïtiens de mener campagne et d?autre part aux organisateurs de mettre en place un processus ordonné afin que les haïtiens puissent retirer leur cartes d?identification nationale” a-t-il précisé. “Franchement nous devrions considérer la calamité que pourrait connaître le pays en cas de contestation de ces élections par la majorité du peuple haïtien qui entend choisir un gouvernement démocratique, pas un gouvernement qui va les opprimer” a-t-il poursuivi. Dans cet article, M. Noriega indique aussi que les potentiels électeurs haïtiens « ont à leur disposition une bonne brochette de candidats démocrates qui ont combattu les régimes de Duvalier et d?Aristide. Roger Noriega cite les noms de l?ancien président Leslie Manigat, Serge Gilles,Evans Paul et Charles Henry Baker ainsi que d?autres candidats qui unissent leurs forces pour faire face au candidat favori d?Aristide, René Préval. »


Toutefois, on est en lieu de se questionner sur la fiabilité de l?union réelle de ces forces et surtout sur leur efficacité. La menace du retour au pouvoir de Lavalas à travers René Préval est non seulement tangible mais elle est se précise davantage chaque jour. Le gouvernement de transition de Gérard Latortue avait depuis longtemps prouvé qu?il était néo lavalassien : aujourd?hui, le piège ne se referme-t-il pas sur nous ? La question reste en suspens mais une réponse réaliste à cette dernière inquiète de plus en plus les secteurs qui ont lutté contre le dictateur. En effet, mis à part les partis dits de l?Entente, la classe politique s?est montrée une fois de plus incapable de faire front commun contre le retour du Lévathian. Le reste appartiendra à ceux qui auront assez d?argent pour corrompre des hordes d?affamés et aux autres qui, officiellement ou officieusement, ont toujours man?uvré pour la récupération du mouvement lavalas sans Aristide. Mais une chose est certaine : ce pays n?appartient plus aux gens honnêtes mais aux mafieux de tous acabits. 2005 constitue donc l?année de tous les dangers. Contrairement à d?autres analystes politiques, nous ne pensons pas que l?échec du scrutin nous conduirait à une mise sous tutelle mais plutôt vers une crise encore plus profonde qui verra Haïti se transformer en rocher déboisé habité par des millions d?affamés, d?analphabètes et des milliers de  gangsters- certains chaussés de ??sapates?? et armés d?armes automatiques, d?autres cravatés et circulant dans des 4X4-  qui consacreront une fois de plus, mais une fois de trop, notre échec bicentenaire, de Cité Soleil au Palais National?le tout, avec l?approbation des Nations Unies qui se seront cassé la gueule en Haïti connu pour être un ??pays de tè glissé??. La différence est que les fonctionnaires onusiens continueront à être grassement payés pour leur inefficacité alors que les Haïtiens n?auront d?autre choix que de quitter le pays ou de se laisser emporter par la vague lavalassienne qui risque de réduire à néant le reste d?honnêteté et de résistance à l?arbitraire qui nous restait sur son passage?


Nancy Roc, Montréal le 30 décembre 2005