Originally: Haïti prépare des élections cruciales sous tutelle internationale
Installé à Port-Au-Prince dans un ancien local des redoutés “tontons macoutes”, les milices de la dictature des Duvalier, le bureau d’enregistrement électoral de Thomassin ne fait pas recette. “Nous avons fermé avec une heure d’avance, car il n’y avait plus personne” , dit Guerrier Maximé, un étudiant qui a la garde des deux ordinateurs utilisés pour inscrire les électeurs, en vue de l’élection présidentielle et des législatives, prévues le même jour, le 20 novembre.
A deux mois d’une élection considérée comme cruciale pour la réussite de la transition démocratique en Haïti, les doutes et la morosité dominent.
“Comme en Irak, les élections auront lieu parce que la communauté internationale l’a décidé, mais elles ne résoudront rien”, lâche Guy-Serge Pompilus, un directeur d’école. Dans ce pays déchiré où la violence et la misère n’ont pas reculé malgré l’arrivée des casques bleus et le retour des coopérants, le pessimisme apparaît comme l’unique consensus dans les quartiers populaires et sur les hauteurs bourgeoises de Pétionville.
“La principale menace qui pèse sur les élections n’est pas l’insécurité mais la désorganisation” , craint Juan Gabriel Valdés, le diplomate chilien qui dirige la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah). “Si je pouvais affecter 5 000 soldats à l’organisation de la consultation, il n’y aurait pas de problèmes mais nous ne sommes pas au Timor et le Conseil de sécurité a clairement établi que les Nations unies n’organiseraient pas les élections” , ajoute-t-il.
Haïti n’est pas un protectorat, répètent les responsables onusiens. Mais l’ambiguïté, sur le terrain, de la répartition des tâches entre les autorités provisoires et les “tuteurs” internationaux pèse lourd. A la fois dans le domaine électoral et dans tout ce qui concerne la justice et la sécurité.
PRÉSIDENTIELLE ET LÉGISLATIVES
“Le conseil électoral provisoire (CEP) et la communauté internationale se renvoient la balle. Le CEP est accusé à juste titre d’inefficacité, de clientélisme et de manque de rigueur dans la gestion des fonds. Mais la communauté internationale a imposé un choix technologique trop sophistiqué par rapport aux conditions du pays et aux délais” , explique un cadre haïtien travaillant pour une organisation internationale. Le coût des élections est élevé, 61 millions de dollars (près de 50 millions d’euros), et il manque encore 4 millions de dollars que l’Union européenne tarde à débourser.
“Le CEP n’a toujours pas identifié les bureaux de vote et la plupart des Haïtiens n’ont pas d’adresse précise”, se lamente Gérard Le Chevallier, le responsable des opérations électorales à la Minustah.
Il confie que les élections locales qui avaient été annoncées pour le 11 décembre, devront être reportées, mais continue d’espérer que tout sera prêt le 20 novembre pour le premier tour de la présidentielle et des législatives.
“Le manque d’électricité nous a tués”, ajoute-t-il, admettant que beaucoup d’électeurs ne recevront pas à temps leur carte sécurisée. “Ils pourront voter avec leur récépissé d’inscription”, annonce-t-il.
Malgré plusieurs reports de la date limite d’enregistrement, seuls 2,3 millions d’électeurs, sur un univers potentiel de plus de 4 millions, se sont inscrits à deux mois du scrutin. Comme la plupart des responsables politiques, M. Valdés estime qu’il en faudrait au moins 3 millions pour assurer la crédibilité du processus électoral.
“Je ne m’attends pas à une participation élevée. Ce pays a été trop durement frappé, l’échec de la démocratie a été tel durant la période président Aristide que la population n’a plus d’enthousiasme pour se rendre aux urnes”, constate le chef de la Minustah.
“J’ai fait la carte parce qu’on dit qu’elle sera nécessaire pour les démarches administratives, mais je n’ai pas l’intention de voter. Je ne vois aucun leader capable de résoudre la situation du pays” , dit Julie Martin, une jeune secrétaire, à la sortie du bureau d’enregistrement de Thomassin.
Il y a pourtant pléthore de candidats à la présidence de la République. Au 15 septembre, date limite du dépôt des dossiers, le CEP a reçu 54 candidatures. L’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, chassé du pouvoir en 1986, a finalement renoncé à se présenter, contredisant en cela la rumeur propagée la semaine dernière par deux anciens députés duvaliéristes, qui avaient annoncé que “Bébé Doc” allait rentrer en Haïti et tenter de reconquérir le pouvoir.
Malgré des tractations de dernière minute, les barons de la Famille Lavalas, le parti populiste de l’ex-président Aristide, qui avait mis fin à son dernier mandat, en démissionnant le 29 février 2004, cédant à une rébellion militaire, n’ont pu se mettre d’accord sur un candidat unique. Le CEP a refusé le dossier de Gérard Jean Juste, un prêtre qui est en prison, accusé d’être impliqué dans la campagne de violences menée par les partisans de M. Aristide, à partir d’octobre 2004 et qui a déjà fait 700 morts dans le pays.
L’ancien premier ministre Marc Bazin, rival malheureux de Jean-Bertrand Aristide en 1990, a cette fois conclu une alliance avec une faction du clan Lavalas pour se lancer dans la bataille présidentielle. Espérant lui aussi puiser dans l’électorat “Lavalas”, l’ex-président René Préval s’est porté candidat. Il fut longtemps l’un des plus proches collaborateurs du président Aristide, auquel il succéda à la présidence en 1996, avant de prendre ses distances. Depuis son exil sud-africain, M. Aristide n’a donné son aval à aucun candidat. “Il jouera la confusion jusqu’au dernier moment” , dit l’un de ses anciens ministres.