Originally: Élections : le fétichisme du 7 février

C?est la date butoir, personne ne veut y déroger. Elle est inscrite dans l?Accord du 4 avril 2004. Tout le monde y tient : la communauté internationale, le gouvernement, les partis apparemment les mieux placés. A chacun ses raisons, personnelles ou politiques. En réalité, il s?agit de mettre fin à la transition. Gérard Latortue aspire à se reposer. La lassitude qu?on lui prête ne veut pas dire qu?il lui faudra partir à tout prix, à n?importe quelle condition. Il aimerait léguer un héritage de valeur. C?est une ambition légitime. Mais, qu?à cette échéance on lui reconnaisse un certain mérite ou non, il veut s?en aller. Soit dit en passant, le départ du Premier ministre autour de cette date ne se produira pas automatiquement. Pas avant l?installation de son successeur selon le v?u de la Constitution en tout cas. Et, à cette fin, les procédures fixées par celle-ci ne sont pas simples, articles 137 et 158.


 


À force de le vouloir, on finit par faire du 7 février, une date fétiche : celle du départ de Duvalier en 1986, celle fixée par la Constitution pour l?entrée en fonction d?un nouveau président. Ce que l?on oublie dans ce dernier cas, c?est que cette date ne vaut que pour  la transmission de la présidence après un quinquennat régulièrement accompli au terme d?élections réalisées dans les délais constitutionnels (articles 134-1, 134-2). Que pour un nouveau départ on veuille faire coïncider le transitoire avec le régulier, c?est bien. À condition toutefois que les élections exceptionnelles, encore une fois fondatrices, soient organisées et réussies dans les meilleures conditions possibles, celles qui garantissent une normalisation pérenne. Tel est le véritable enjeu.


 


Aujourd?hui encore – comme pour les élections de 1987, 1990, 2000 – surgissent des difficultés dans l?organisation. Celles-ci ne sont pas nécessairement d?ordre politique. Par exemple, on a accumulé des retards dans la mise en place de l?organisme électoral.  Le CEP a surmonté des crises successives. Maintenant qu?il atteint sa vitesse de croisière, il lui faut se débattre avec les tracasseries et les multiples questions pratiques que pose l?organisation des élections en trois temps : les municipales le 9 octobre, le premier tour des législatives et des présidentielles le 13 novembre, le deuxième tour le 18 décembre. Or à deux mois du premier scrutin, le quart des électeurs potentiels ne sont pas encore inscrits. Il m?apparaît impensable que l?on puisse respecter les délais. Il faudra revoir le calendrier. Quels sont les scénarios possibles?


 


1)      On garde le plan originel des élections en deux temps : les locales d?abord, les législatives et présidentielles à deux tours ensuite. Les scrutins sont repoussés d?un mois, celui du 9 octobre au 6 ou 13 novembre; le premier tour des présidentielles et législatives du 13 novembre au 11 décembre, le deuxième tour au 8 janvier. Le temps de faire les décomptes, de mettre en place les assemblées territoriales (ce ne sera pas la chose la plus facile), de repousser l?inauguration de la 48e législature quelque part à la fin du mois de janvier et d?arriver enfin, essoufflé, au 7 février.


2)      Le deuxième scénario (le pire) consisterait à organiser en seul temps toutes les élections en novembre et en décembre. On arriverait (satisfait?) au 7 février.


3)      Le troisième scénario garderait le plan originel, mais permet de déborder le 7 février pour arriver (peut-être un peu plus reposé et serein?) quelque part au printemps avec un nouveau gouvernement. Les élections débuteraient en décembre et se termineraient en février. Le président élu prêterait serment en mars, mais son mandat serait censé commencer le 7 février 2006 pour rattraper le calendrier constitutionnel. Il y a des précédents dans notre histoire.


 


Chacun de ces scénarios, bien entendu, a des effets indésirables. Dans le premier cas, les démarches sont compressées et il n?est pas certain que l?on arrive à temps si l?on prend en considération la somme de travail que pose au CEP la mise en place des  assemblées territoriales. Le deuxième scénario brouille du coup les perspectives et compromet les résultats escomptés : créer de l?intérêt autour des élections locales, en les détachant des présidentielles, et leur accorder ainsi toute leur importance dans le processus d?instauration d?une démocratie de proximité. Il anéantit également les calculs des partis qui voudraient en faire des primaires en vue de compter leurs forces et de se positionner pour les présidentielles et les législatives. Le troisième pose un autre ordre de problème, difficile à résoudre, celui d?obtenir un accord national qui transcende le consensus de la transition. Alors que faire? Il faut réfléchir. Il y a peut-être d?autres scénarios possibles. Il faut consulter. Et décider. L?enjeu, au-delà du 7 février, est de garantir l?entrée dans une nouvelle transition légitimée vers l?institutionnalisation pérenne de l?État de droit.