Originally: Amnesty International rejoint-il le club des accusateurs ?
« Protégez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis », dit l’adage. C’est bien le cas de le dire à la lecture du dernier rapport produit par l’organisation Amnesty International sur la situation des Droits de l’Homme en Haïti. On pouvait laisser passer, comme on est bien obligé de le faire souvent, faute de temps, devant l’avalanche de publicité catastrophique que l’on fait à ce pays ; ou bien prendre le temps de réagir à l’énormité des allégations et accusations contenues dans ce document qui émane, de plus, d’une organisation aussi prestigieuse que Amnesty International. Tout compte fait, l’exercice en vaut la peine car le ras-le-bol vis-à-vis de cette littérature de dénigrement n’est pas loin….
Disons-le carrément, le rapport est scandaleux, et ceci pour au moins trois raisons: Premièrement, le rapport n’est pas professionnel ; il fourmille d’allégations, de contrevérités et d’amalgames. Deuxièmement, il est tendancieux, il biaise les informations et utilise des méthodes de propagande; Troisièmement, le texte affiche des parti-pris péremptoires de type politique sans rapport avec la défense des Droits de l’Homme. Ces trois aspects sont d’ailleurs étroitement reliés.
Le manque de professionnalisme saute aux yeux. Les rédacteurs du rapport font une lecture globale et sans nuance selon laquelle « les graves violences, l’impunité flagrante et le non-respect de la légalité restent généralisés en Haïti ». En donneur de leçons qui ne prend pas la peine de s’informer, Amnesty peut affirmer par exemple que « le gouvernement de transition doit prendre des mesures spécifiques pour appliquer la Déclaration des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Il doit notamment interdire clairement la violence liée au genre, qu’elle soit publique ou privée. », en ignorant tous les efforts réalisés dans ce domaine comme par exemple l’existence depuis plus d’un an d’une table nationale tripartite, de concertation contre la violence, coordonnée par le gouvernement. Mais parmi les exemples flagrants, le traitement du problème des anciens militaires est particulièrement éloquent. Les manquements et l’absence de volonté politique dont le gouvernement de transition est accusé sont d’abord liés à ce groupe. Ainsi on lit : «Depuis que le gouvernement de transition a pris ses fonctions début mars 2004, aucun effort sérieux n’a été fait pour s’attaquer au problème du désarmement, (…) Le gouvernement de transition semble de plus en plus clément à l’égard des anciens militaires et des autres groupes illégaux liés à l’ancienne opposition, tandis qu’il poursuit avec acharnement les factions soupçonnées de soutenir l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.» On fait fi de la chronologie, on joue sur le flottement qui a effectivement présidé un temps l’attitude du gouvernement vis-à-vis des anciens militaires pour prêter une ligne d’action constante aux autorités. Pire, rien ne distingue dans le texte la première partie de l’année 2004 de la mi-2005 : « Les anciens rebelles et militaires ont occupé le vide laissé par l’État et pris le contrôle de la plus grande partie du pays, les armes à la main. Toutefois, à la fin du premier semestre 2005, il est aussi apparu que le gouvernement de transition n’avait pas la volonté politique de s’attaquer de manière exhaustive et systématique au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion.» Le bouquet, c’est cette lecture de l’épisode suivant de la lutte contre les gangs : « La mort, le 8 avril 2005, de deux dirigeants de l’ancienne armée, Ramisinthe Ravix et René Jean Anthony (alias « Grenn Sonnen »), lors d’affrontements avec la Minustah et la PNH, pourrait avoir des répercussions sur l’avenir du programme de DDR visant les anciens militaires ; ces derniers pourraient éventuellement s’opposer au désarmement.» Sic ! Les perles de ce type sont trop nombreuses pour être toutes relevées ici. J’en mentionnerai une dernière parce qu’elle nous conduit tout droit vers le second gros travers de ce rapport : « Le gouvernement de transition et la Minustah semblent faire de plus en plus preuve de clémence à l’égard des anciens militaires et des autres groupes illégaux. En particulier, ils ne les ont pas empêchés de s’engager dans des activités illégales ni de commettre des atteintes aux droits humains (homicides arbitraires, arrestations et mises en détention de prisonniers en dehors de tout cadre légal, actes d’intimidation contre la population et menaces de renversement du gouvernement de transition). » L’association Remissainthe et Jean Anthony pouvait passer pour de l’ignorance ; mais la mention « anciens militaires et autres groupes illégaux » relève de tout autre chose. Il s‘agit clairement de mauvaise foi.
Car le rapport d’Amnesty est tendancieux. Les informations sont triées et présentées de façon à produire une certaine image dans laquelle on retrouve un acharnement particulier contre la PNH. À tous les niveaux la police est présentée comme le coupable des violations des droits. Pratiquement chaque paragraphe du rapport incrimine la PNH directement ou par allusion. On force la note à propos des enfants : « Une grande proportion des violations des droits humains commises contre des enfants, en particulier la torture et les homicides illégaux, sont perpétrées par des policiers dans le cadre d’opérations prétendues de lutte contre la criminalité (…) La police est aussi coupable d’autres formes de violences contre des enfants, telles que des arrestations arbitraires et des mauvais traitements en détention. » Le rapport en vient même à distiller du venin en campant dos à dos la police et la mission des Nations unies. Ici encore on fait fi de l’évolution des rapports entre la Minustah et la PNH, pour affirmer : « Étant donné la gravité de la situation des droits humains en Haïti, la Minustah a été critiquée pour n’avoir pas su prendre suffisamment de mesures énergiques pour empêcher les atteintes à ces droits, principalement celles commises par des policiers haïtiens ». Rien moins ! Mais ce n’est pas tout, la mission est gravement affectée par cette situation car « Le soutien dont la Minustah pouvait jouir au sein de la population haïtienne s’amenuise avec chaque violation commise en toute impunité par la police nationale.»
D’une façon générale les termes les plus vagues sont utilisés lorsqu’il est impossible de charger la seule police des exactions commises, comme « groupes illégaux », ou «bandes armées ». On relève de plus l’utilisation de la répétition à outrance des mêmes mots et expressions, sur le mode de la propagande-endoctrinement.
Rien de tout ceci n‘est gratuit. Cet acharnement contre la police, ces anachronismes, ces amalgames mal dosés… tout cela cache fort mal un parti pris persistant pro lavalas. Il y a les insinuations, comme celle qui suit : « La guerre entre bandes armées semble s’être calmée depuis le 31 mars 2005, date de l’homicide, par des membres d’une bande rivale, de Thomas Robinson, alias « Labanyè », qui contrôlait le quartier Boston de Cité Soleil, et qui entretenait, semble-t-il, des liens avec l’ancienne opposition au parti lavalas et le gouvernement actuel. » Donc « l’ancienne opposition » est responsable de la guerre de gangs… Mais les passages explicites qui attestent de ce parti pris sont nombreux. Je ne relève ici que deux perles, en quelque sorte. « (Le) soutien (de la population à la Minustah) a aussi diminué chez les habitants des quartiers défavorisés et chez les partisans du mouvement Lavalas – actuellement la principale force politique en Haïti – car la Minustah a pour mission d’aider la police nationale, qui continue de commettre des violations généralisées contre ces deux catégories de population.» Exit l’offre d’un local de police par des habitants de Cité de dieu… Ailleurs : « Des viols à caractère politique ont été signalés pendant et juste après la rébellion armée de février 2004. La fréquence de cette forme de violence contre les femmes reste extrêmement préoccupante. Les femmes sont prises pour cible parce que leur mari ou des membres de leur famille sont soupçonnés de soutenir le parti lavalas.». Les deux jeunes femmes qui se sont tuées après les viols multiples perpétrés par les gangs, vous connaissez ?
C’est sans grande surprise que l’on retrouve parmi les sources citées les tristement notoires rapports de : Haïti. Human Rights Investigation: November 11-21, 2004, Center for the Study of Human Rights, faculté de droit de l’université de Miami); et Keeping the Peace In Haiti ?, Harvard Law Student Advocates for Human Rights et Centro de Justiça Global. En tout cas ces contrevérités flagrantes classent le rapport d’Amnesty International parmi les écrits les moins subtils de propagande aristidienne, totalement étrangers à des préoccupations sincères de dénoncer les violations des droits perpétrés en Haïti depuis 18 mois environ. De grâce ! Nous sommes confrontés à trop d’atteintes réelles à nos droits de citoyens et n’avons que faire de ce genre de protection.