Originally: La Conférence de Montréal sur Haïti
Depuis un an et demi, c?est la troisième conférence internationale sur Haïti (16-17 juin) après celle de Washington en juillet 2004 et la rencontre de Cayenne le 18 mars 2005. Il y a donc seulement trois mois que les principaux gouvernements, bailleurs de fond et intervenants directs, se sont réunis pour renouveler l’engagement de la communauté internationale en faveur d’Haïti et l?aider à réussir la transition en cours de manière pacifique et démocratique. Dans la capitale américaine, l?an dernier, le programme élaboré et présenté sous la dénomination de Cadre de Coopération intérimaire (le CCI) avait reçu leur appui spectaculaire. À l?initiative de la France, les mêmes se sont retrouvés à Cayenne quelques mois plus tard en vue «d’aboutir à la mise en oeuvre concrète et rapide, d’un ‘ agenda pour Haïti ‘, comportant des engagements financiers clairs et un calendrier d’exécution précis. Au terme de cette réunion, quelque 300 projets, nationaux ou en partenariat, devraient être examinés.»
Rappelons que les décaissements sur le milliard de dollars prévus à Washington tardent à venir ou n?arrivent qu?au compte-gouttes et qu?entre-temps la situation économique, sociale et sécuritaire s?est gravement détériorée suite aux catastrophes naturelles et au déclenchement de la guérilla aristidienne à Port-au-Prince en septembre 2004. Que l?on éprouve le besoin d?organiser à Montréal une nouvelle concertation sur et pour Haïti en dit long sur les difficultés éprouvées par la communauté internationale sinon son embarras devant ce cas d?espèce. Au Parlement canadien le 14 juin dernier, le ministre des Affaires étrangères, M. Pierre Pettigrew, a dénoncé «la lenteur de la communauté internationale à honorer les engagements pris à Washington ? Les lourdeurs administratives sont injustifiées, ces gens (les Haïtiens) ne peuvent attendre » s?est-il exclamé. Il s?est engagé à profiter de la conférence de Montréal pour rappeler à cette communauté internationale son obligation de mettre un terme au cycle de crises qui secoue Haïti périodiquement.
On ne saurait douter de la détermination des «pays amis» et des organisations internationales engagés dans «l’aide à la stabilisation et à la reconstruction d’Haïti.» Seulement, ils font face, à côté des Haïtiens, à deux ordres de problèmes (la sécurité et les élections) dont la maîtrise conditionne la stabilisation et la reconstruction. En premier lieu, tout le monde le reconnaît, vient l?insécurité. On admet également que dans les circonstances actuelles, il est difficile d?en venir à bout tout de suite et spectaculairement. Des mesures de renforcement sont annoncées. On croit comprendre que la démission du ministre haïtien de la Justice (nonobstant l?incongruité des parlementaires américains du lobby aristidien) et le départ annoncé du commandant militaire de la Minustah y sont liés. On espère tout de même qu?une augmentation de l?aide internationale et le renforcement de la capacité d?action de la police haïtienne contribueront à contenir la violence. La lutte se révèle rude dès lors qu?on prend la mesure du niveau d?organisation des groupes armés et de l?ampleur des moyens à leur disposition. Ce n?est certainement pas au niveau d?une conférence publique que cette question, prioritaire entre toutes, va être débattue. Il n?en reste pas moins que la nécessité de mener un combat efficace contre l?insécurité devra stimuler la réflexion des bailleurs de fonds.
Quant aux élections, on continue de croire dans ces milieux qu?elles constituent une étape décisive à la normalisation. Les messages se suivent et se font plus insistants : les élections doivent avoir lieu selon le calendrier établi. Il va de soi qu?au-delà de cette insistance, c?est à une solution durable que l?on pense en scrutant les forces et en travaillant la classe politique de manière à garantir la stabilité post électorale. D?où les appels répétés à des regroupements pour réduire l?émiettement politique. D?où les démarches multipliées pour un dialogue national et, à la limite, un pacte de gouvernabilité dont on espère qu?il pourrait amener à une sorte de prise de conscience ou en tout cas à un éclair de bon sens. Bien entendu, la Conférence de Montréal ne porte pas là-dessus. Mais on entendra rappeler ces questions et appeler les Haïtiens à des comportements raisonnables.
En conclusion d?une analyse de la question haïtienne[1], le professeur Jocelyn Coulon[2], anticipe que le ministre canadien des Affaires étrangères ouvrira la Conférence avec un double message : confirmation de la solidarité internationale avec Haïti et invitation au «gouvernement de transition à plus de cohésion et d?ouverture.» Cohésion, je veux bien. Mais Ouverture ? Ce point semble revenir souvent dans les discours des représentants des «pays amis» d?Haïti. J?avoue encore une fois ne pas bien comprendre ce que cela signifie. Ouverture sur quoi ? Sur qui ? Référence à Lavalas ? J?ai l?impression que l?on ne fait que cela. Les lavalassiens cooptés sont partout présents, d?Oslo à Moulin-sur-Mer, du palais aux locaux des ambassades. Même sur les photos de famille (de la classe politique). Ils font risette ici et là. Ils signent des déclarations d?intention, des codes d?éthique. Ils sont représentés à la commission préparatoire au dialogue national. Il n?y a qu?une chose qu?ils ne font pas : condamner la violence politique revendiquée par les aristidiens comme moyen de lutte. Alors, où veut-on en venir ? Le gouvernement canadien dont la solidarité avec Haïti ne s?est jamais démentie au cours de ces dernières années ne devra point s?illusionner sur les réalités haïtiennes. Souhaitons que la Conférence internationale qu?elle organise à Montréal soit aussi fructueuse que l?aide qu?elle apporte à Haïti et qu?elle soit la conclusion heureuse de celle de Washington et de Cayenne.
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[1] La Presse, Montréal, mercredi 15 juin
[2] Groupe d?étude et de recherche sur la sécurité internationale (Université de Montréal)