Originally: Évasions au pénitencier : pas de panique


C’est le choc évidemment. Non seulement l’attaque au pénitencier national a pris tout le monde par surprise – à commencer par le gouvernement – mais il semble avéré que des complicités à l’intérieur de l’institution ont facilité ces évasions au point que l’on a pu parler de «promenade» des assaillants. Dans le contexte actuel de précarité politique et d’insécurité des vies et des biens il ne saurait être question de minimiser ce qui s’est passé le samedi 19 février à Port-au-Prince. Les précisions nous arrivent progressivement et les réactions s’amplifient. Pour les précisions : Yvon Neptune et Jorcelerne Privert ont passé quelques heures fugitifs avant de se retrouver sous le contrôle de la PNH ; des révocations ont été opérées à la direction de l’administration pénitentiaire; environ 450 prisonniers sont encore en cavale ce mercredi.


 


Pour les réactions ce fut le tollé en plus de l’émoi ; les qualificatifs les plus indulgents lancés à l’endroit du gouvernement sont laxisme, négligence, incapacité. Des étudiants et des formations politiques ont pris la tête des réactions alarmistes qui se produisent toujours dans ces cas-là et désormais un groupe hétéroclite d’organisations politiques réclame carrément le départ du gouvernement de transition. On voudrait nous faire croire que certains ont la solution à tous nos problèmes et que la prochaine équipe «provisoire de consensus» (ou devrais-je dire à l’inverse ?) va régler les choses.


 


Il ne s’agit certes pas de minimiser ce qui s’est passé. Pour commencer il faut relever un déficit indéniable de fixation et de gestion des priorités de la part du gouvernement. Les urgences sont partout, c’est vrai ; mais il est tout aussi vrai que la sécurité a été en quelque sorte proclamée urgence numéro Un en Haïti surtout depuis 2004. Les citoyens sont donc en droit d’attendre qu’une diligence particulière soit exercée en matière de sécurité et la bonne garde de délinquants dangereux et autre détenus en fait partie. J’en profite pour glisser une de mes préoccupations obsessives pour ainsi dire, l’environnement aussi est numéro Un. Autrement dit certains dossiers devraient être délibérément priorisés et faire l’objet de mesure et d’action vigoureuses. Ceci faciliterait sans doute, tant pour le gouvernement que pour l’opinion, la mesure des performances et des problèmes, des succès et des échecs des autorités responsables. Ainsi avec un surcroît d’utilisation en particulier après le 29 février 2004, le système pénitentiaire méritait une attention spéciale qu’il n’a pas reçue. Il faut dire que des diagnostics tant nationaux que d’institutions de la coopération externe ont établi depuis les années 90 que la situation dans les prisons ne favorise ni la sécurité de la cité ni celle des détenus eux-mêmes. Notre système carcéral est délabré et obsolète : pour le personnel responsable, des conditions de travail indignes ; pour les détenus, des conditions de détention qui sont un déni de droits fondamentaux (avec plus de 75 pour cent de préventifs). Sans compter les bâtiments délabrés à capacité depuis longtemps dépassée.


 


Par ailleurs on ignore encore quels secteurs sont exactement impliqués derrière ces événements : les milieux de trafiquants de drogue ? Un secteur politique ? Des groupes de pression mafieux ? Il ne s’agit pas de détails de moindre importance et il est bien temps de savoir quels sont les groupes qui ont intérêt à affaiblir le gouvernement car, comme l’a dit Evens Paul, effectivement il s’agit d’une opération qui fragilise la transition.


 


Pour ma part je suis convaincue que la faiblesse de l’État est au cœur de ce débat. La conférence de presse de ce mardi à la primature met justement l’accent sur certains détails significatifs de cette faiblesse. Les lenteurs dues à la perte de la notion d’urgence et de service prioritaire (par exemple c’est le week-end pour tout le pays, pratiquement sans distinction) ou encore l’abandon de pratiques réglementaires (le port de l’uniforme de prisonnier n’a plus cours) ont été explicitement évoquées par le Premier ministre et doivent effectivement faire l’objet d’un ressaisissement collectif, de l’État mais aussi de la société dans son ensemble. Par ailleurs des mesures ont été prises par le gouvernement et d’autres sont annoncées. L’incident de samedi dernier est donc grave. Mais il n’y a pas là de quoi assassiner un gouvernement.


 


Enfin, ne portons pas aux extrêmes la singularisation de notre crise nationale.  Si de mutinerie de prisonniers il s’agit, on pourrait remplir des pages et des pages de récits d’exploits bien plus spectaculaires, au Chili en 1991, à El Salvador en 1994, au Mexique dans les années 1970, et j’en passe. Nous avons eu peur et nous avons des raisons fort légitimes de continuer à être inquiets. Mais prenons garde à ne pas nous mordre la queue, à ne pas nous saboter nous-mêmes pendant que, tapis dans l’ombre, des forces troubles entreprennent d’exacerber nos crises et d’entraver cette transition à laquelle, dans son aspect gouvernemental seulement, il reste encore dix mois à traverser. C’est peu ou beaucoup, selon les attentes et les ambitions de chacun, mais c’est la même aune pour tous car sinon nous perdons tous à vouloir recommencer à zéro. Ou moins.