Originally: Délicate transition en Haïti

Martine Jacot – Port-au-Prince, de notre envoyée spéciale


Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le chef du gouvernement de transition en Haïti, Gérard Latortue, envisage avec “un certain optimisme” une sortie progressive de la situation d’anarchie et de quasi guerre civile prévalant dans son pays, parmi les plus pauvres du monde et frappé de surcroît par deux cyclones, en mai et en septembre 2004. Il compte sur une meilleure collaboration avec la force internationale sur place et sur les fonds promis par les institutions multilatérales, en partie débloqués ces derniers jours.


Quelques lueurs d’espoir sont permises en Haïti, en ces premiers jours de 2005, dix mois après le départ en exil du président Jean-Bertrand Aristide, sous la pression conjuguée d’une insurrection armée, de la société civile organisée autour du “mouvement des 184” et de la communauté internationale, Etats-Unis, France et Canada en tête.


“Le pire est derrière nous”, assure le premier ministre, Gérard Latortue, dans l’entretien qu’il nous accordé, jeudi 5 janvier, dans sa “primature” de Pétion-Ville, sur les hauteurs de la baie de Port-au-Prince. Sa résidence et les bureaux du gouvernement dominent une capitale toujours en proie à la violence parfois sauvage (décapitations, corps et têtes brûlés sur les tas d’ordures trop rarement ramassés dans les rues) des “chimères”, successeurs des Tontons macoutes d’aussi triste mémoire. Jean-Bertrand Aristide a lourdement armé cette milice en 2003 et début 2004, quand le soutien du peuple a sérieusement vacillé devant sa propre impéritie et la corruption généralisée.


On le soupçonne de continuer à appuyer ces chimères de son exil sud-africain par divers truchements, quand ces miliciens ne se financent pas par tous les trafics, drogues comprises, ou par des kidnappings en recrudescence. Ceux-ci visaient début 2004 les membres des classes aisées de la société. Ils affectent depuis quelques mois le tout venant, des marchandes des rues aux tenanciers de “borlette” (le loto du peuple) jusqu’au simple passant. Les rançons exigées sont alors de l’ordre de 20 000 à 30 000 dollars, dans un pays où un fonctionnaire gagne 200 dollars par mois.


AUX SOURCES “CHIMÈRES”


Devenus “gangs mafieux”, ces chimères, dont les rangs ont été renforcés par les repris de justice d’origine haïtienne extradés par les Etats-Unis, s’entretuent pour le contrôle des bidonvilles, de certains de leurs secteurs, ou encore des marchés. A celui de La Saline, non loin du bord de mer, leurs affrontements, destinés à déterminer qui aura le “droit” de rançonner les marchands sans étal, ont fait 18 morts et des centaines de blessés en décembre, selon les organisations des droits de l’homme. Pour l’année 2004, le nombre d’assassinats qui leur sont imputables dépasse le millier, estime Jean-Claude Bajeux, du Centre œcuménique des droits de l’homme.


Le premier ministre, lui, pense entrevoir le bout du tunnel. “Nous pénétrons de plus en plus dans les sources chimères”, affirme M. Latortue. Il met en avant 80 arrestations, la veille, dans le bidonville de Cité-L’Eternel et la réinstallation, en décembre, du commissariat dans l’immense bidonville de Cité-Soleil (500 000 personnes, autant que la population de la Guadeloupe), qui commence à cesser d’être une zone de non droit au bas de la capitale.


Ancien fonctionnaire international, ex-professeur de sciences politiques, M. Latortue, qui fut brièvement ministre des affaires étrangères haïtien en 1988, avoue qu’il ne s’attendait pas à un tel désastre lorsque son gouvernement, volontairement composé de personnalités “neutres”, auxquelles les fonctions politiques et ministérielles étaient en général inconnues, a été installé, le 19 mars 2004. Ministères saccagés, matériel volé, archives disparues, fonction publique à la dérive. Même chose dans les mairies et tribunaux. Durant les cinq jours qui ont suivi le départ de Jean-Bertrand Aristide, le 29 février 2004, les chimères ont pillé et dévasté magasins, entreprises, banques et bureaux publics, à Port-au-Prince surtout. Tous les prisonniers ont pris le large. Certains, dont les assassins du journaliste Jean Dominique, ont été réincarcérés depuis.


3 000 POLICIERS POUR PLUS DE 8 MILLIONS D’HABITANTS.


“Comment faire, plaide M. Latortue, avec une police d’à peine 3 000 membres, en partie corrompue, dotée d’une cinquantaine de véhicules seulement, pour un pays de 8,5 millions d’habitants, à peine moins grand que la Belgique ? C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu d’explosion sociale”. Pour combattre l’insécurité, le premier ministre comptait sur les casques bleus de la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (Minustah), qui a pris fin mai le relais de la force multinationale composée de soldats américains, français et canadiens. Cette passation de pouvoir a eu lieu au moment où de terribles inondations dévastaient les localités de Fonds-Verettes et Mapou, près de la frontière dominicaine (580 morts, 20 000 personnes affectées). Mais la Minustah, dont les effectifs viennent tout juste d’atteindre les 6 000 hommes prévus, répugne à assurer d’indispensables tâches de sécurité quand son mandat n’est que de “former, réformer, restructurer et contrôler” la police locale. “Pour des questions d’assurance sur la vie de ses hommes, déplore M. Latortue, la Minustah refuse de mener des opérations conjointes avec la police haïtienne. Elle se contente d’encadrer les opérations avec ses chars”.


La “prise de contrôle” de Cité-Soleil, avec les moyens terrestres, aériens et maritimes de la Minustah à la mi-décembre, est cependant la preuve que cette collaboration est en cours d’amélioration, de même que l’encerclement par les seuls casques bleus, quelques jours plus tard, de l’ancienne résidence de Jean-Bertrand Aristide à Tabare, dans la banlieue de Port-au-Prince, investie par d’anciens militaires haïtiens. Ceux-ci réclamaient la reconstitution de l’armée (dissoute en 1995), revendication soutenue par une partie de la population, lasse de l’insécurité et oublieuse des exactions passées desdits militaires. Le 28 décembre 2004, le gouvernement leur a payé un tiers des indemnisations promises par Jean-Bertrand Aristide et a envisagé le paiement de leurs pensions, assorti d’un programme de formation. “Nous avons préféré négocier plutôt que de risquer une effusion de sang avec les anciens militaires et cette stratégie a été fructueuse”, commente M. Latortue.


A ses yeux, l’une des meilleures raisons d’espérer en début d’année est le déblocage, pour la première fois depuis 2001, de fonds par la Banque mondiale, Haïti ayant réussi à rembourser plus de 50 millions de dollars d’arriérés de dette auprès de cet organisme, en partie grâce à un don de 12,7 millions de dollars de la part du Canada. Un total de 73 millions de dollars sous forme de crédit et de dons est dorénavant disponible pour l’effort de reconstruction du pays. Il est grand temps : le réseau routier notamment (2 500 km de voies non revêtues, 600 km bitumés mais non entretenus) est dans un état lamentable ; le désastre provoqué par l’ouragan Jeanne, dans la ville des Gonaïves en particulier (plus de 3 000 morts et 200 000 sans abris) n’est en rien effacé ; l’électricité est très sporadique, sauf dans la région de Jacmel.


“BEAU DISEUR” ET “TECHNOCRABES”


En juillet 2004, les bailleurs de fonds, réunis à Washington, se sont engagés à débourser 1,4 milliard de dollars pour un programme prévoyant notamment plus de 30 000 emplois dans les travaux publics et le ramassage des ordures ménagères, ainsi que le doublement de la production d’électricité. Mais ces sommes ne sont pas décaissées ou si certaines d’entre elles l’ont été, la population n’a pas beaucoup vu de signes tangibles d’amélioration de son sort. La France ne brille pas, quant à elle, par son implication hors Union européenne, même si 2004 fut l’année du bicentenaire de l’indépendance de son ancienne colonie : sur les 25 recommandations du rapport de janvier 2004 du comité indépendant de réflexion sur les relations franco-haïtiennes, dirigé par Régis Debray, aucune n’a été suivie d’effet, à l’exception de la coopération décentralisée engagée par la ville de Nantes.


A défaut d’avancées concrètes dans un pays où 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, les critiques fusent à l’encontre du gouvernement Latortue, accusé d’être “un cabotin”, “un beau diseur”, “un parleur de salon”, à la tête d’une équipe de “technocrabes”. “L’impression générale est que le pays n’est pas dirigé, que le gouvernement n’a pas de stratégie, ni contre l’insécurité, ni contre la corruption”, résume, parmi d’autres, le sociologue Laënnec Hurbon. “Nous ne communiquons pas assez, c’est vrai”, reconnaît M. Latortue, qui a voulu rompre avec les excès de son prédécesseur à cet égard et “les sommes folles dépensées par lui en lobbying” divers et variés. “Dans ce pays en détresse totale, le premier ministre n’est pas convaincu qu’il doit prioritairement faire du social avec le peu d’argent qu’on a, renchérit l’ancien président Leslie Manigat, chef d’un parti centriste, le RDNP. Une politique de grands travaux publics à la Napoléon III, lorsqu’elle sera effective, ne résout pas tout : quand les gens n’ont pas, ils prennent.”


Tout le monde s’accorde à penser qu’il faudrait aussi relancer le désarmement des milices, contre espèce sonnante et trébuchante, mais la Minustah n’a pas démontré, jusqu’à présent, qu’elle entendait s’engager à bras le corps dans cette opération.

Originally: Haiti : Aide canadienne de 13 millions de dollars pour les prochaines élections

Posté le lundi 10 janvier 2005



P-au-P., 10 janv. 04 [AlterPresse] — Le Canada a octroyé ce 10 janvier 13 millions de dollars à Haïti, en appui à l’organisation d’élections générales en Haiti à la fin de l’année et dans le cadre de l’assistance promise par Ottawa en appui au Cadre de Coopération Intérimaire (CCI).


En paraphant cet accord avec le Premier ministre Gérard Latortue à la Primature, l’ambassadeur du Canada en Haïti, Claude Boucher, a renouvelé l’engagement de son pays à soutenir le processus électoral en vue de l’installation d’un gouvernement définitif au cours de l’année 2005. Pour le diplomate canadien, « l’aboutissement du processus électoral est primordial pour la réussite de la transition ».


Le Premier ministre Gérard Latortue s’est pour sa part félicité de cette contribution financière du Canada. « C’est un appui important à la réalisation du mandat du gouvernement de transition », qui est d’organiser les élections pour la mise en place d’une administration définitive en Haiti, a dit Latortue. Il a étendu ses remerciements à des pays membres de l’Union européenne, au Programme des Nations unis pour le Développement (PNUD), à l’Organisation des Etats Américains (OEA) et aux Etats-Unis pour l’intérêt manifesté à l’égard de la stabilisation du processus démocratique.


Le coût global des prochaines élections est estimé à 44 millions 300 mille dollars américains. L’Etat haïtien y contribuera à hauteur de 3 millions de dollars, “à la mesure de ses moyens”, a indiqué le chef du gouvernement.


L’Union Européenne a fait des promesses 12 millions de dollars et des Etats-Unis de 15 millions de dollars, qui devraient être bientôt disponibles. L’année dernière, gouvernement américain avait octroyé 8.7 millions de $ à Haiti en appui au processus électoral.


La contribution canadienne est venue quelque peu atténuer les appréhensions des membres du Conseil électoral provisoire (CEP) quant au financement du processus électoral par la Communauté internationale, a reconnu le président par intérim de l’institution, Max Mathurin. Depuis son installation, il y a bientôt huit mois, le CEP n’avait de cesse de se plaindre d’être à cours de moyens pour démarrer effectivement les opérations électorales.


Pour sa part, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Haïti, Juan Gabriel Valdès, a promis que la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (MINUSTAH) s’acquittera valablement de la tâche de sécurisation du processus électoral. « La MINUSTAH apportera son appui en vue de la participation de tous les Haïtiens, qui ont une responsabilité historique dans l’aboutissement de ce processus », a indiqué l’ambassadeur Valdés


En ce qui concerne l’organisation des prochaines élections, le décret de référence pourrait être publié dans le journal officiel « Le Moniteur » la semaine prochaine, a laissé entendre le Premier ministre Latortue. En attendant, cette promulgation, l’Exécutif compte examiner avec soin au cours de cette semaine le document électoral qui devra lui être transmis incessamment par le CEP.


Gérard Latortue a par ailleurs souligné la disponibilité du gouvernement à étudier des formules collectives de financement des partis politiques pour éviter, a-t-il insisté, l’emprise des forces d’argent, allusion notamment au milieu de la drogue, sur les résultats du scrutin.