Originally: BILAN DE L?ANNEE 2004
INTRODUCTION
Le bilan de l?année 2004 est spécial. Il retrace les événements survenus sous deux gouvernements successifs. Mais quelque soit le gouvernement considéré, le bilan de l?année 2004 est négatif politiquement, économiquement et socialement.
Nous vous le présentons à la lumière d?une analyse aussi bien du comportement des acteurs sur le terrain que du fonctionnement des pouvoirs et des institutions publics nationaux.
Sur le Plan Politique
L?année 2004 s?est terminée comme elle a commencé dans la violence. Pire, malgré le changement de pouvoir, le pays bascule dans le chaos. La violence, l?insécurité et les désastres naturels sont le lot régulier de la population au cours de cette année.
Le Pouvoir Lavalas et l?opposition politique
L?année 2004 a démontré que Jean-Bertrand Aristide savait conquérir le pouvoir, mais ne savait pas le conserver. Il lui a fallu prendre le pouvoir à trois reprises (7 février 1991, 15 octobre 1994, 7 février 2001) pour accumuler un mandat de 5 années. Autant dire qu?il n?a rien retenu des mises en gardes à peine voilées de son ami et disciple René Preval qui, lui, a accompli un mandat régulier de 5 ans au Pouvoir: <Naje Pou Soti>. (nager pour ne pas se noyer).
L?année 2004 a démontré que l?opposition politique savait renverser les gouvernements, mais ne savait pas conquérir le pouvoir. Le courage et la détermination dont ont fait montre les femmes et les hommes qui ont marché sans arrêt dans les rues pour réclamer le départ de Jean-Bertrand Aristide ne se sont pas traduits dans un projet politique qui incorpore les enjeux et les défis d?une transition politique vieille de près de vingt ans.
L?année 2004 a démontré que la force de contestation politique en Haïti est inversement proportionnelle à la force de proposition. Si ce n?était le cas, la crise politique haïtienne serait aujourd?hui un souvenir. C?est le cas, par exemple, de pays comme le Nicaragua et les Philippines qui ont amorcé leur transition démocratique en même temps que Haïti en 1986.
Jean-Bertrand Aristide n?avait qu?un projet, celui de garder le pouvoir. Pour ce faire, il n?a pas lésiné sur les moyens. Il a visiblement conclu un pacte avec le diable dont le nom est la drogue ainsi qu?avec son corollaire la violence.
La drogue et les deniers publics lui ont fourni les moyens nécessaires pour entretenir une sécurité personnelle américaine, un puissant lobby à Washington et les membres d?organisations populaires (OP) dans les 10 départements géographiques du pays. Il s?en est servi également pour soudoyer les agents et les cadres des forces spécialisées (CIMO, SWAT) de la Police Nationale. Aussi pensait-il que les membres d?OP et la PNH pouvaient servir de rempart contre les manifestations de l?opposition.
Cette manoeuvre de dissuasion a relativement bien marché. Souvenez-vous des événements du 17 décembre 2001 dans les locaux des partis politiques, du 3 décembre 2002 à la place d?Italie et du 12 juillet 2003 à Cité Soleil. Cependant, la manoeuvre a montré ses limites face aux manifestations d?étudiants et de la Plate Forme Démocratique consécutives aux événements du 5 décembre 2003.
Le 1er Janvier 2004, alors qu?il s?apprêtait à célébrer le bicentenaire de l?indépendance, la marée humaine déferlait sur la route de Delmas. Aristide a du recourir à un stratagème pour empêcher que la manifestation atteigne le Palais National, comme prévu. Il simule une mutinerie ainsi qu?une fuite organisée de détenus du Pénitencier National, au son de la musique de Gros Lobo qui passait par coïncidence dans les parages du Pénitencier. La Police en prenait prétexte pour bloquer la manifestation à la ruelle Nazon, bastion de nombreuses OP Lavalas.
Le même jour, il tentait de se rendre aux Gonaives en hélicoptère. Il n?a pu terminer son discours sur la place d?armes des Gonaives, tant des coups d?armes retentissaient aux alentours. Dans le même temps, les autorités locales et gouvernementales perdaient le contrôle de la ville de Gros-Morne.
C?était le prélude à l?occupation de nombreuses villes de province par des insurgés en armes.
L?occupation la plus spectaculaire est celle de la ville des Gonaives. Les membres de l?ancienne «armée cannibale», proche de Jean-Bertrand Aristide, constituaient le Front de Résistance armée. Cette résistance s?est renforcée avec des apports venus probablement de la République voisine, avec à leur tête l?ancien Commissaire de la PNH Guy Philippe.
Cette occupation soustrayait quatre départements géographiques du contrôle du gouvernement Lavalas: le Nord, le Nord-ouest, le Nord-est et le Centre. Des tentatives d?occupation d?autres villes, comme Saint-Marc et Petit-Goave, étaient éphémères.
Au début du mois de février 2004, le Premier Ministre Yvon Neptune se rendait en personne à Saint-Marc à bord d?un hélicoptère. Il entendait par sa présence appuyer la reprise de la ville par les membres de l?organisation populaire « Balé Rouzé », dirigée par le député Amaus Mayette et Biron Odigé.
Il en est résulté le massacre des partisans de RAMICOSM, une organisation populaire anti-lavalas, basé dans le quartier de la Scierie. D?autres personnalités de la ville, comme les parents de l?ingénieur Franck Paultre, voyaient leurs maisons s?envoler dans les flammes.
La chute de Jean-Bertrand Aristide était imminente. L?opposition politique, regroupée au sein de la Plate Forme Démocratique, la pressentait. Elle avait, un mois auparavant, formulé une proposition de sortie de crise.
Mais c?était sans compter avec la communauté internationale qui multipliait à la fois initiatives et déclarations les unes plus contradictoires que les autres. En somme, la communauté internationale voulait se donner assez de temps pour trouver une alternative crédible et viable à lavalas.
La malice populaire rapporte que Aristide a choisi lui même sa destination. Il demandait en Créole la tête de Guy Philippe et répétait constamment « Ban-m Guy » (donnez-moi Guy). Les marines qui devaient le conduire à l?aéroport ont compris qu?il voulait se rendre en exil à Bangui. Voila comment Aristide s?est retrouvé en République Centre Africaine. Les plus cyniques disent qu?il voulait se rendre au pays de son ancêtre, le sanguinaire et cleptomane Bokassa.
La Communauté Internationale
En somme, la communauté internationale se donnait du temps pour organiser une alternative crédible et viable a lavalas. Elle voulait à tout prix sauver la face et les meubles dans une cause qu?elle estimait perdue pour lavalas. La Mission Spéciale de l?OEA passait le maillet au Caricom qui commanditait une proposition de sortie de crise avec le maintien d?Aristide à la Présidence jusqu?à la fin de son mandat.
Les Etats-Unis et le Canada semblaient marcher dans cette logique. Cependant, la France avait une lecture différente de la situation. C?est d?ailleurs son Ministre des Affaires Etrangères Dominique De Villepin qui donnait le coup de grâce au gouvernement d?Aristide, au cours d?une rencontre au Quai d?Orsay avec son homologue haïtien Joseph Philippe Antonio le Vendredi 27 février 2004.
Les formalités de recherche d?une terre d?asile pour Aristide étaient en cours. Aristide lâchait ses chimères dans les rues pour terroriser la population. Il sollicitait également l?envoi de forces étrangères pour sauver son pouvoir de la débâcle. Alors qu?un avion non identifié laissait un aéroport inconnu en direction d?Haïti, les Etats-Unis, la France et le Canada convoquaient en urgence une réunion du Conseil de Sécurité de Nation Unies dans la nuit du dimanche 29 février 2004, en vue de l?adoption d?une Résolution autorisant le déploiement d?une Force Multinationale Intérimaire. Cette Résolution du Conseil de Sécurité était adoptée à l?unanimité. Il fallait à tout prix contenir l?avance des rebelles armés.
Les Rebelles Armés
Une main invisible avait favorisé la présence sur le territoire haïtien de groupes d?anciens soldats des Forces Armées d?Haïti, munis d?armes, de munitions et de moyens de transports. Ce qui leur permettait d?occuper la moitié nord du pays en un clin d?oeil.
Les forces rebelles s?apprêtaient à rentrer à Port-au-Prince pour chasser Aristide du Palais National. Mais cela ne semblait pas faire partie du plan. A la dernière minute, elles ont décidé de différer la date de leur entrée à Port-au-Prince.
La transition Politique
La Constitution de 1987 donnait une nouvelle preuve de sa résilience. Après les coups d?état de 1988, 1989, 1991 et le retour à l?ordre constitutionnel de 1994, cette Constitution servait encore de référence. Le 1er Mars 2004, les puissances tutrices d?Haïti procédaient à l?installation de Me Boniface Alexandre, Président de la Cour de Cassation, comme Président de la République, en remplacement du Président Jean-Bertrand Aristide démissionnaire.
Le juriste, le magistrat acceptait de prêter serment au Bureau du Premier Ministre Yvon Neptune au siège de la Primature, contrairement à la Constitution. La présence de Yvon Neptune renforçait la thèse de la démission.
De plus, il fallait donner l?impression que l?opposition et la société civile, réunies au sein de la Plate Forme Démocratique, participaient à la transition. Un comité de trois membres, compose de Messieurs Adama Guindo, Représentant Résident du PNUD, Lesly Voltaire, Représentant du Parti Fanmi Lavalas et Paul Denis, Représentant de la Plate Forme Démocratique, devait procéder au choix des sept membres du Conseil des Sages. Ce Conseil procédait au choix du Premier Ministre sur une liste de quatre personnalités:
· Axan Abellard, Homme d?Affaires et Ancien Président de la chambre de commerce franco-haïtienne;
· Gérard Latortue, Ancien Ministre des Affaires Etrangères sous le gouvernement de Leslie F. Manigat et ancien fonctionnaire de l?onudi;
· Hérard Abraham, Ancien commandant en chef des Forces Armées d?Haïti;
· Smark Michel, ancien ministre et ancien Premier Ministre sous les gouvernements de Jean-Bertrand Aristide.
Gérard Latortue était choisi en lieu et place de Abraham et de Michel. Peut-être celui-ci paraissait-il trop proche de lavalas et trop éloigné des anciens militaires, celui-là trop pro-retour de l?Armée. Ce qui a peut-être donné l?avantage à M. Latortue est sa connaissance du milieu international. Les membres de l?équipe gourvernementale furent désignés celui des critères établis par le Conseil des Sages en collaboration avec le premier choisi et le Président provisoire de la République.
Le gouvernement, dirigé par M. Latortue, est installé le 17 mars 2004. Il est composé d?hommes et de femmes réputés pour leur compétence et leur intégrité. Mais il lui manque une vision d?ensemble et un programme commun pour constituer une équipe cohérente qui se démarqueraient des pratiques clientélistes courantes dans la politique haïtienne.
Cependant, la dose d?improvisation et d?hésitation qui caractérise ce gouvernement est trop forte. Elles sont la conséquence directe d?une évaluation trop superficielle des enjeux et défis de cette transition. Il fallait sans perte de temps convaincre, rassurer, reformer et donner des résultats concrets.
Convaincre les lavalassiens que le changement pouvait leur être favorable; rassurer les partenaires aussi bien nationaux qu?internationaux; reformer l?administration publique, les entreprises publiques et l?administration de la justice; donner des résultats concrets par rapport à sa volonté d?organiser des élections libres, honnêtes, démocratiques et surtout sans contestation. Pour cela, il fallait disposer de moyens adéquats et communiquer efficacement.
L?opposition et la Société civile
Pour ne pas donner l?air de renverser Aristide juste pour le remplacer, il était convenu que les membres de ce gouvernement ne pouvaient ni se porter candidat aux prochaines élections ni occuper des postes dans le prochain gouvernement. La majorité des membres de l?équipe de transition proviennent de la société civile, selon des critères établis par le Conseil des Sages.
Cependant, l?opposition et la société civile ont du rattraper le train en marche. Le 4 avril 2004, ils signaient un accord avec le gouvernement. L?histoire récente révèle que des accords similaires sont parfois difficiles à gérer voire respecter par toutes les parties.
On se souvient de l?accord du 4 avril 1990 conclu entre le gouvernement de Mme Trouillot et le Conseil d?Etat; de celui du 4 mars 1999 conclu entre le gouvernement Préval et l?Espace de concertation. Les acteurs sont à peu près les mêmes. Seul le temps a changé.
La communauté internationale
Le 22 mars 2004, les bailleurs de fonds internationaux se réunissaient à Washington pour adopter une stratégie commune à l?égard d?Haïti. Ils semblaient tirer leçons des expériences passées. Un mois plus tard, le 22 avril 2004, ils se réunissaient à Port-au-Prince avec les membres du pouvoir de transition, les représentants de l?opposition et de la société civile.
Les professions de foi étaient légions. Ils recommandaient au gouvernement d?élaborer un Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). Plus de 400 experts nationaux et internationaux se mettaient au travail pour préparer un document qui serait soumis à l?appréciation des bailleurs de fonds, au cours d?une conférence spéciale sur Haïti à Bruxelles, à Ottawa ou à Washington.
Le CCI tient lieu de programme de gouvernement. C?est à Washington que la conférence eut lieu finalement. Elle est retransmise en directe en Haïti par la télévision nationale. Les engagements ont dépassé les espérances. Ils ont atteint le niveau de plus d?un milliard de dollars américains sur deux ans. L?enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. 5 mois après la conférence de Washington, la montagne du CCI accouchait d?une souris, au grand désespoir du Premier Ministre.
Entre temps, des élections approchaient aux Etats-Unis et au Canada. Il fallait se désengager de la Force Multinationale. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptait la Résolution 1542, autorisant la constitution et le déploiement d?une Mission de Stabilisation en Haïti (MINUSTHA).
La MINUSTHA comporte une composante civile, une composante militaire et de police civile. Elle est dirigée par le diplomate chilien Juan Gabriel Valdes. La composante militaire est sous le commandement du général brésilien Augusto Heleno Ribeiro et la composante police est sous le commandement du canadien David Beer.
La MINUSTHA a pris officiellement fonction le 1er juin 2004. Cette prise de fonction était plutôt théorique. Puisque l?effectif n?était pas complet, 6 mois après son déploiement. La population n?affiche aucune sympathie pour les forces de la MINUSTHA qui se pavanent dans les rues, alors que la violence et l?insécurité continuent de ravager le centre commercial et certains quartiers populaires de Port-au-Prince. Jusqu?à date, peu d?actions de la Minustha: une seule opération coup de poing a été réalisée à Cité Soleil contre les « chimères lavalas » et la reddition négociée des militaires démobilisés à Tabarre. Toujours pas de désarmement. Toujours pas de paix. Juan Gabriel Valdes avoue que si un climat de pareille violence continue jusqu?à fin 2005, les élections générales prévues pour cette période ne pourraient se tenir. L?Ambassadeur de France, M. Thierry Bruckard confie à radio Vision 2000 : « Les Soldats de la Minustha ne sont pas venus pour mourir.» On ne peut être plus explicite.
Les désastres naturels, la violence et l?insécurité
La transition politique semblait compromise, tant les désastres naturels, l?insécurité et la violence faisaient rage en 2004.
La communauté haïtienne ne semble pas accorder une grande importance à l?environnement. Elle ne comprend pas que la nature réagit toujours quand elle est agressée. Alors, elle s?adonne à la coupe anarchique d?arbres, à l?exploitation sauvage des carrières de sable, voire à la construction de maisons d?habitation dans le lit des rivières.
Dès le mois de mai, la nature décidait d?émettre des bordereaux. Trois jours de pluie suffisaient pour engloutir les villes de Fonds-Verettes et de Mapou. Les pertes en vies humaines et le nombre de personnes sinistrées sont importants.
Les gestes de bonne volonté et l?assistance humanitaire affluaient de partout. Le gouvernement promettait de relocaliser et de reconstruire la ville Fonds-Verettes. Huit mois après, la ville est dans le même état. Ces promesses tardaient encore à se matérialiser.
La nature voulait envoyer un autre signal à la communauté. Contrairement à d?autres îles de la région des Caraïbes, les cyclones avaient épargné Haïti. Les prévisions météorologiques avaient annoncé que le passage du cyclone Jeanne près des côtes septentrionales de l?île d?Haïti pourrait mettre les rivières en crue.
Le 23 septembre, la ville des Gonaives se réveillait sous les eaux. D?autres communes des départements de l?Artibonite et du Nord-ouest étaient également affectées. Les dégâts sont considérables. Selon les statistiques officielles, 4 mille personnes avaient perdu la vie. De nombreuses maisons d?habitation étaient détruites. Tous les services publics étaient affectés. Il n?y avait pas d?eau potable, pas d?électricité, pas d?écoles.
La communauté nationale et internationale n?avait pas ménagé leur contribution. Comme d?habitude, le gouvernement promettait de reconstruire la ville. Mais un autre phénomène compliquait la tache des organisations d?aide humanitaire: l?insécurité.
Elle prenait de nouvelles dimensions. Ses manifestations les plus courantes étaient les enlèvements (kidnappings), les vols de véhicules et les attaques à main armée. Les convois d?aide humanitaires n?étaient pas épargnés. Il étaient souvent la cible de civils armés dissimulés à l?entrée de la ville des Gonaives.
Depuis le 30 septembre 2004, l?insécurité et la violence nouaient une nouvelle alliance. Des partisans de Jean-Bertrand Aristide prennaient la paternité du mouvement. Mais le phénomène est plus complexe. Il faut en rechercher les causes aussi bien dans le narco trafic que dans la frustration créée par les révocations au sein de la police nationale, de la Téléco et de l?Administration Portuaire Nationale.
Le narco trafic fleurit dans l?instabilité. Il entretien cette instabilité. Certains des Pontifs de la drogue sont enfermés dans les prisons fédérales en Amérique du nord. Mais les cardinaux, archevêques et évêques sont encore actifs sur le terrain. Leur présence est manifeste dans l?entourage du Premier Ministre, de Ministres et des partis politiques. Si le ménage n?est pas fait à temps, Haïti ne connaîtra jamais la stabilité, la paix indispensable à son développement.
Le narco trafic profite de la corruption endémique dans la société haïtienne pour prendre tout le pays en otage. Aujourd?hui, ils manipulent aussi bien les anciens policiers de l?USGPN, du CIMO, les chimères que les militaires démobilisés. Son objectif est d?occuper l?espace politique. Il finance également nombre de marchands d?illusions qui essaient de conquérir une portion de la jeunesse universitaire haïtienne.
Quelle économie peut se développer dans un environnement aussi volatile?
Sur le Plan Economique
L?instabilité politique et sociale qui sévit n?encourage pas l?investissement. De plus, elle empêche le pays de profiter des avantages de l?intégration économique régionale et du commerce international. En témoignent, les turbulences qui ont secoué la zone franche de Maribaroux, près de Ouanaminthe. A celles-la s?ajoutent les nombreux incendies qui ont frappé le centre commercial de Port-au-Prince. Le secteur informel a pris un rude coup.
En conséquence, la production nationale régresse. La balance commerciale du pays avec tous ses partenaires est déficitaire. Le pays importe davantage de riz, de citrons, d?oeufs et de morceaux de volailles congelés. L?augmentation du prix du pétrole sur le marché international et la dépréciation de la gourde affectent à la hausse les prix du transport. Sur tous les marchés (biens et services, travail, changes et financier), les prix sont à la hausse.
Il importe, cependant, de signaler les efforts deployés par le Ministre de l?économie et des finances pour assainir les finances publiques. Pour la première fois depuis plusieurs années, le budget national est adopté avant le début du nouvel exercice fiscal 2004-2005. Les salaires des fonctionnaires publics sont révisés à la hausse. Il est de même de la pension civile. Toutefois, les prévisions budgétaires sont fortement affectées par l?insécurité et la violence qui frappent la zone métropolitaine de Port-au-Prince au cours du premier trimestre de cette année fiscale.
La corruption est un phénomene de société qui affecte tous les secteurs de la vie nationale. Haïti bat un nouveau record de classement parmi les pays à indices de perception de la corruption élevée. Le gouvernement en fait son principal cheval de bataille. Mais le ménage devait débuter dans les couloirs du Palais National et de la Primature.
Dans la parabole de la femme adultère, le Christ demandait à celui qui était sans péché de jeter la première pierre. Aucun parmi les disciples présents ne se sentait en mesure de le faire. Comme pour l?adultère, il faut au moins deux pour pratiquer la corruption.
Les hommes et femmes d?affaires de ce pays semblent vouloir rejeter tout le tort sur le gouvernement et l?administration publique. Par exemple, un rapport commandité par une organisation internationale épingle le système judiciaire. Comme dit le proverbe haïtien, « Se Sou Chen Meg Yo We Pis » (seul le chien maigre est accusé d?avoir des puces).
Les milieux d?affaires haïtiens doivent également faire leur examen de conscience. Il faut dépasser le cadre des conférences-débats. L?honnêteté commande que l?on s?acquitte régulièrement de ses redevances fiscales. L?on s?étonnait de la réaction de certains hommes et femmes d?affaires face à la mesure gouvernementale de concentrer temporairement les importations de véhicules et de produits congelés à Port-au-Prince. Les importateurs sont conscients de l?état des infrastructures et de la contrebande qui sévit dans les ports de province.
Sur le Plan Social
Haïti est loin d?atteindre les objectifs du Millénaire, établis par les Nations Unies. Dans de nombreuses régions du pays, les catastrophes naturelles ont sérieusement endommagé les infrastructures sociales déjà défaillantes. C?est le cas, par exemple des soins de santé et des services éducatifs.
La paupérisation progresse. Tous les secteurs sont aux abois. La classe moyenne est laminée depuis la faillite des coopératives. Le chômage affecte une portion plus large de la population active du pays. Le secteur des industries d?assemblage qui employait jadis plus de 60.000 personnes n?emploie maintenant que 18.000.
Les villes croulent sous le poids de la croissance démographique et de la migration. Il en résulte des pressions énormes sur la terre et les services sociaux de base. La bidonvilisation des espaces est de plus en plus grave. Des villes comme Port-au-Prince, le Cap-Haïtien, Saint-Marc et Gonaïves n?ont plus les capacités de collecter les immondices. Leur capacité de réponse aux incendies est considérablement réduite.
Une catastrophe écologique est imminente. Toujours est-il qu?il n?existe aucune politique rationnelle pour la juguler. La prévention est de rigueur. Mais la volonté du gouvernement de transition est contrebalancée par l?absence de moyens coercitifs et surtout d?alternatives viables.
Prenons l?exemple des carrières de sable. Plusieurs secteurs en dépendent: la construction, le transport, les manoeuvres. Aujourd?hui, ils sont des milliers qui vivent de l?exploitation de ces carrières. Autant on est conscient de la menace que fait peser une exploitation anarchique sur la vie de millions d?haïtiens, autant il importe de proposer des alternatives viables aussi bien aux carrières qu?aux emplois créés.
L?éducation et la communication constituent, à notre avis, des moyens efficaces pour éveiller la conscience écologique de la population haïtienne. Une campagne d?information publique devait précéder la décision de fermeture envisagée par le gouvernement. Mais la communication n?est pas le point fort de ce gouvernement qui choisit, comme dans bien d?autres domaines, la voie de l?improvisation.
Fonctionnement des Pouvoirs et Institutions Publiques
Les gourvenements de transitions disent toujours qu?ils s?efforcent de respecter les prescrits de la constitution de 1987. Le Président veille à la bonne marche des institutions et laisse la gestion courante du gouvernement au Premier Ministre. Cette division du travail serait efficace si ce gouvernement était cohérent, avait une vision d?ensemble des enjeux et défis de la transition et se dotait d?un programme réaliste.
Le Gouvernement Alexandre/Latortue n?a rien de tout cela. Au contraire, le Premier Ministre doit prendre garde à certaines manifestations du syndrome du Monsieur-je sais-tout : verbomanie, susceptibilité?
Lors de la formation du gouvernement, il s?en était pris aux leaders politiques qui en réclamaient une participation. Récemment, il s?est pris au CLED qui lui suggérait de faire le ménage dans son gouvernement. Il fait la grise mine à ceux qui lui demandent de se débarrasser de familiers encombrants. Une autre faiblesse du Premier Ministre est le népotisme. Sur ce point, les deux branches de l?exécutif sont sur la même longueur d?onde. Ceci érode la confiance dans la volonté réelle du pouvoir de lutter efficacement contre la corruption.
Le pouvoir législatif était frappé de caducité. Ce pouvoir est, en principe, composé de deux chambres fonctionnelles: 27 Sénateurs et 103 Députés. Le mandat de ces derniers ainsi que celui de 2/3 du sénat avait expiré le deuxième lundi de janvier 2004. Du tiers restant, une bonne partie s?était mise à couvert. C?est le cas par exemple des femmes Sénateurs de l?Ouest, de la Grande Anse et du Sud-Est. Le quorum devenait difficile à réaliser.
Le Pouvoir judiciaire n?existe pas encore en tant que pouvoir indépendant. Il est encore sous le contrôle du Ministère de la justice. Le système judiciaire était très affecté par les évenemens politiques survenus le 29 février 2004. Nombreux sont les tribunaux, prisons et commissariats de police détruits. Les prisons étaient vidées de leur contenu. Des milliers de détenus sont encore en cavale.
Ce qui aggrave la situation d?insécurité ambiante. Les prisons se sont vite remplies. Les problèmes de la détention préventive et du respect des droits humains se posent dans toute leur acuité.
L?épuration de la police nationale est incomplète. Si la police parait moins politisée qu?avant, la corruption fait encore rage dans ses rangs. En témoignent, les présumptions d?implication de policiers dans le kidnapping et la séparation de $ 180.000 américains à Port de Paix entre un trafiquant de drogue, des agents et des cadres de la PNH.
Parmi les institutions indépendantes, le Conseil Electoral Provisoire et l?Université sont l?objet de grande préoccupation. Les conflits de personnalité et d?intérêt affectent le fonctionnement du CEP.
Quant à l?Université, elle devrait s?engager dans la révision des textes réglementaires proposés en 2002 à défaut d?élaborer de nouveaux. Alors, elle serait en mesure de lancer un débat d?idées au sein de la communauté universitaire qui fait montre d?un déficit flagrant.
Nous ne saurions terminer ce bilan sans projeter un éclairage différent sur une question qui defraye la chronique depuis le 1er mars 2004. Il s?agit de la question du retablissement ou non de l?armée d?Haïti. Nous commençons par énoncer deux principes. Premierement, dans tout pays démocratique, l?armée est subordonnée au pouvoir civil. Deuxièmement, l?existence des Forces Armées d?Haïti (FAd?H) est constitutionnelle. Mais l?institution prévue dans la Constitution de 1987 est dotée d?une direction hiérachisée, d?un commandement et d?un corps de normes. Alors, il ne faut pas confondre des hommes armés, residus des ex-FAd?H avec l?institution militaire.
Il y a dix ans, Jean-Bertrand Aristide avait pris la decision de démobiliser le personnel des FAd?H sans pouvoir dissoudre l?institution. Cette décision était autionnée par une partie des cadres supérieurs des FAd?H, acquis à sa cause. Aussi, confiait-il à l?un d?entre eux la direction de la force de police intérimaire. Cette force de police intérimaire héritait de tous les biens meubles et immeubles de l?institution militaire, à l?exception des chars et des archives emportés par les Marines américains.
Jean-Bertrand Aristide a tenté, sans succès, d?introduire des amendements à la Constitution de 1987 visant la dissolution de l?institution.
Une Police Nationale (PNH) est crée en 1995 pour remplacer la force de police intérimaire. Elle représentait en principe la seule force armée destinée à assurer l?ordre et la sécurité sur toute l?étendue du territoire. Neuf ans après sa création, la PNH n?a pas fait oublier les Fad?H. Ses agents ont violé les droits humains. D?aucuns pensent que la Police est plus corrompue que l?armée ; peut-être à cause aussi bien de l?ampleur de la corruption au sein de l?institution que de la place prépondérante prise par le trafic de la drogue et du banditisme (enlèvements,vols,viols, crimes) sous le gouvernement d?Aristide.
C?est dans ce contexte qu?il convient d?apprécier la question du rétablissement ou non des Forces Armées d?Haïti. La position officielle du gouvernement de transition est connue. Le rétablissement des FAd?H n?est pas à l?ordre du jour. Elle releverait de la compétence du prochain pouvoir issu des élections prévues en 2005. Cette position n?est pas différente de celle exprimée par les Etats-Unis d?Amérique. La logique serait qu?un gouvernement issu d?elections aurait plus de légitimité pour aborder une telle question.
Toute autre est la réalité sur le terrain. Dans plusieurs régions du pays, la PNH est quasiment discréditée et absente. L?ordre et la sécurité sont assurés par des militaires démobilisés. Une situation de fait qui ne saurait être assimilée à un retour automatique de l?institution.
Le gouvernement de transition a choisi la voie des man?uvres dilatoires. Il a formé 3 commissions pour étudier la même question. L?essentiel est de fixer les responsabilités sur la nature, la mission et surtout sur qui va payer pour. Donc, toute la question est de savoir si nous sommes prêts à financer le fonctionnement d?une armée nationale. Dans ce cas, pourquoi demander la permission à une puissannce tutrice qui ne manquerait pas de la maneuvrer.
CONCLUSION ET RECOMMANDATION
Le Bilan de l?année 2004 est négatif. Le pays entier doit en tirer les leçons pour sortir du cycle infernal de la transition; une transition vers un Etat démocratique, basée sur la primauté du droit et l?égalité de tous et toutes devant la loi. Mais un état démocratique se construit avec des démocrates. Les élites haïtiennes doivent aujourd?hui se dépasser pour privilégier l?intérêt général du pays sur les intérêts personnels, égoïstes mesquins.
A l?aube de l?année 2005, nous formons le voeu de voir s?éveiller davantage la conscience civique et patriotique de la population haïtienne en général et celle de la jeunesse en particulier. Commençons par définir un agenda réaliste, avec des objectifs et des résultats réalistes, en vue d?un vrai dialogue national.
Un dialogue qui chercherait réponse aux questions prioritaires relatives é la sécurité, l?éducation et la création de richesses. Un dialogue qui réunirait les représentants de tous les secteurs de la vie nationale sans distinction. Un dialogue vraiment national qui réunirait, en outre, les représentant des 135 communes des 10 départements géographiques du pays. Un dialogue qui reconnaîtrait, enfin, le rôle effectif d?une diaspora haïtienne éparpillée aux quatre coins du monde dans le développement du pays.