Originally: Réflexion du CLED sur la transition
AVANT-PROPOS
Depuis sa création en 1993, le Centre pour la Libre Entreprise et la Démocratie (CLED) s?est résolument engagé, comme l?indique son acronyme, dans deux domaines essentiels de la vie nationale : l?économie et les politiques publiques. D?une manière globale, les actions entreprises par cette institution tendent vers la réalisation de deux objectifs principaux : le développement harmonieux d?une économie de marché et l?instauration d?un état de droit en Haïti, ces deux objectifs étant intimement liés selon la vision de l?institution, étant donné que le progrès économique et la création licite de richesses sont beaucoup plus réalisables dans des sociétés qui évoluent dans un cadre légal et normatif dans lequel les règles du jeu sont clairement définies et sont les mêmes pour tous.
La stratégie mise en ?uvre pour atteindre ces objectifs à moyen et long termes s?appuie sur des interventions visant à renforcer les institutions existantes tant privées que publiques et à sensibiliser les décideurs politiques et économiques sur la nécessité d?en mettre d?autres en place dans la mesure où celles-ci sont destinées à faciliter le bon fonctionnement et le développement du pays, certaines d?entre elles étant d?ailleurs prévues dans notre Constitution.
Suite aux difficultés qu?a connues – et que connaît encore – le pays à effectuer sa transition vers la démocratie ? laquelle transition s?avère plus longue et pénible que prévue ? des fenêtres d?opportunités sur le plan économique se sont fermées pour Haïti, accélérant ainsi la dégradation de la situation socio-économique déjà peu reluisante du pays et augmentant les risques d?isolement sur le plan diplomatique. Cette situation caractérisée par l?effritement des institutions de l?état, l?affaiblissement progressif des institutions privées, l?exacerbation des tensions sociales, a conduit le CLED ainsi que d?autres organisations du secteur des affaires et de la société civile à s?impliquer davantage sur le plan politique de manière à contrer les effets des actions néfastes du politique sur la société en général et sur le milieu des affaires en particulier.
Huit mois environ après son installation, le gouvernement Alexandre-Latortue a du mal à convaincre, à restaurer l?autorité de l?Etat et à renforcer les institutions:
1. L?insécurité est à son point culminant ; la Police Nationale d?Haïti (PNH) assistée de la MINUSTAH n?arrive pas à contrôler la situation.
2. Les déclarations récentes du Chef Militaire de la MINUSTAH suscitent la perplexité et des inquiétudes objectives.
3. L?action gouvernementale manque de cohésion et de cohérence.
4. La faiblesse de l?Etat est plus que jamais évidente.
Le CLED, fidèle à sa culture du dialogue et de la concertation, ? tout en exprimant sa vive inquiétude concernant la tournure des évènements en Haïti depuis l?arrivée de ce gouvernement au pouvoir ? souhaite faire une critique constructive et formuler des recommandations aux principaux responsables des institutions chargées de la conduite des affaires de l?État. Le CLED tient ainsi à assumer ses responsabilités citoyennes en soulignant aux autorités du moment l?importance de la mission et du mandat qui leur ont été confiés par le peuple haïtien et la lourde obligation qui leur échet de ne pas rater un des tournants les plus importants sans doute de notre histoire.
Réflexion du CLED sur la transition
Du mandat du gouvernement de transition Alexandre-Latortue
Le CLED recommande au gouvernement de Transition de se concentrer sur sa mission première qui est essentiellement de mettre en place les conditions nécessaires à la réalisation d?élections libres, honnêtes et démocratiques qui doivent se dérouler entre septembre et novembre 2005. Compte tenu des circonstances dans lesquelles ce gouvernement est arrivé au pouvoir et des attentes de la population, le danger pour le gouvernement Alexandre-Latortue est d?avoir en mains un cahier de charges qui dépasse largement le cadre de son mandat. Le désir de bien faire et de tout faire conduit ce gouvernement à disperser ses efforts sur des dossiers certes parfois importants mais non prioritaires dans le cadre de son mandat et à perdre en efficacité.
En résumé, conformément aux accords du 4 avril 2004, la mission de ce gouvernement pendant les 22 mois de son mandat devrait se consacrer en priorité à quatre (4) grands axes d?action :
E. La tenue des Elections ;
F. Le Rétablissement de la Sécurité ;
G. La Relance de l?Economie notamment en accélérant la préparation et la mise en ?uvre des projets du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) ;
H. L?amélioration de la Gouvernance, l?assainissement et le renforcement de l?Administration Publique.
A. LA TENUE DES ELECTIONS
L?organisation prochaine des élections locales, municipales, législatives et présidentielles en 2005 est une étape vitale pour l?instauration durable et ? souhaitons-le – définitive de la démocratie en Haïti.
Il est donc primordial que ces élections se déroulent bien, en conférant une légitimité incontestable aux élus. La normalisation de la vie politique haïtienne et une relance conséquente de l?économie passent donc nécessairement par l?organisation d?élections démocratiques, libres et honnêtes en 2005.
Compte tenu de l?importance des élections à venir et de la nécessité de leur bon déroulement, le CLED recommande :
A1. au gouvernement :
De fournir au Conseil Electoral Provisoire (CEP), dans les délais, tous les moyens nécessaires à l?organisation d?élections démocratiques, libres, honnêtes et crédibles.
Les enjeux des prochaines élections sont cruciaux pour l?avenir de la démocratie en Haïti et il incombe au gouvernement de transition de contribuer à leur pleine et entière réussite en mettant à la disposition du CEP les moyens dont cette institution a besoin pour mener à bien sa mission qui est d?organiser des élections démocratiques et crédibles en 2005. Ces moyens principalement d?ordre financier devront être fournis sur la base d?un budget préalablement présenté par le CEP au gouvernement.
La légitimité incontestée des élus issus des prochaines élections permettra de mettre en place les institutions prévues dans l?esprit et surtout dans la lettre de la Constitution de 1987, notamment le Conseil Electoral Permanent. L?actuel CEP devra être le dernier Conseil Electoral Provisoire.
A2. Au CEP :
L?institution électorale a une obligation de résultats qui passe par une meilleure structuration, une bonne planification et une représentativité plus équitable des élus.
A2.1 Structuration :
Les Conseillers désignés au CEP doivent remplir efficacement leur tâche de supervision, de contrôle et de juge, en cas de conflit lors des élections. Pour ce faire, il est important qu?ils prennent de la distance par rapport à la gestion au quotidien de l?institution. Ce rôle doit être rempli par des gestionnaires, des cadres supérieurs dont la mission sera de mettre en place une structure permettant d?assurer le bon fonctionnement du CEP et d?administrer dans la transparence les dizaines de millions de dollars qui seront alloués à l?organisation des élections. Ces cadres qui fonctionneront sous l?autorité d?un Conseil d?Administration composé des Conseillers du CEP doivent être recrutés par voie de concours suivant un processus transparent privilégiant la probité et la compétence.
Aucun des membres du CEP n?est expert en questions électorales, notamment en ce qui a trait à la mise en opération des différentes étapes du processus électoral. Cette expertise, le CEP doit la chercher et l?obtenir à travers une assistance technique qu?il sollicitera par l?entremise de l?Exécutif des organisations internationales (OEA, ONU) ou, le cas échéant des firmes privées internationales spécialisées dans le domaine. Cette assistance technique basée sur une expertise avérée est essentielle pour garantir le bon déroulement de tout le processus électoral.
A2.2 Planification :
Alors que nous sommes à moins d?un an des élections, nous ne voyons aucun geste significatif indiquant que des élections auront lieu prochainement. Cependant, le seul fait par le CEP d?exister ne suffit évidemment pas à convaincre la population haïtienne déjà désabusée par son expérience des élections passées, que ces élections se tiendront réellement d?une part, et que celles-ci se dérouleront bien, d?autre part. Il faut impérativement que le CEP rassure l?opinion publique quant à sa détermination et à sa capacité d?organiser de bonnes élections en 2005 en posant dans les prochains jours des actes forts qui seront autant de garanties de sa fiabilité et de sa crédibilité.
Le CEP doit contribuer à crédibiliser le processus électoral en commençant par s?imposer des principes de gestion moderne, saine et transparente. Dans cet ordre d?idées, il est souhaitable:
a) que le budget du CEP soit publié le plutôt possible.
b) qu?il procède à la publication régulière des comptes-rendus de toutes les réunions auxquelles il participe.
c) qu?il publie tous les appels d?offres et contrats que l?institution lance et signe.
Par ailleurs, au cours des deux prochains mois, l?institution électorale devrait pouvoir procéder à des activités telles que l?annonce de dates pour les opérations de recrutement (de manière transparente) dans les BIVs, BECs, BEDs et d?inscription des électeurs, la publication du calendrier électoral, etc., afin de lancer résolument le processus électoral. Alors que les délais pour l?organisation des élections sont déjà très serrés et que le processus est lent à démarrer, le CLED rappelle au CEP que notre Constitution comporte des contraintes relatives au respect d?échéances et de dates bien déterminées. Le non-respect de ces échéances (2ème lundi du mois de janvier pour la rentrée parlementaire et le 7 février pour l?investiture du président de la République) aura des conséquences fâcheuses sur le fonctionnement de l?Etat, à moyen terme.
A2.3 Pour une représentativité plus équitable des élus
Compte tenu des changements qui se sont produits au niveau démographique au cours des dix dernières années (augmentation du pourcentage de la population dans les zones urbaines), et de la nécessité de renforcer la représentativité des élus, le CLED recommande un « re-découpage » géographico-électoral du territoire national en créant spécifiquement, en fonction de leur poids démographique:
a) deux départements électoraux additionnels dans le département de l?Ouest ;
b) un département électoral additionnel dans l?Artibonite.
Une telle mesure s?explique par le fait que certaines régions qui ont vu leur population augmenter rapidement et de manière considérable sont sous-représentées dans les institutions. Dans le département de l?Ouest, le « grand Port-au-Prince » compte à lui-seul environ le quart de la population du pays alors qu?il est prévu que 3 sénateurs représentent tout ce département. Ce problème se pose également au niveau de l?Artibonite avec notamment la ville des Gonaïves qui constitue le second pôle de peuplement urbain du pays. Il est donc nécessaire de remédier à cette situation en prenant des dispositions qui permettent d?établir un ratio nombre d?élus/population moins déséquilibrée, de favoriser la proximité entre les élus et leurs électeurs et de renforcer ainsi leur représentativité.
Dans le cadre de l?actuelle proposition, l?Ouest passerait de 3 à 9 sénateurs et l?Artibonite de 3 à 6 sénateurs. Cette même considération basée sur le poids démographique des régions doit s?appliquer également aux députés, dans les mêmes proportions. Evidemment, cette mesure aura des répercussions sur le budget du parlement en le faisant augmenter de façon significative, cependant les bénéfices en terme d?efficacité sont considérables, comme cela a été démontré dans certains pays d?Amérique latine qui en ont fait l?expérience.
B. LE RÉTABLISSEMENT DE LA SÉCURITÉ
Le climat d?insécurité qui prévaut en Haïti est définitivement une très mauvaise note pour le gouvernement Alexandre-Latortue et sur le plan local et au niveau international. Les citoyens ont perdu confiance et vivent sous l?emprise de la peur. La zone commerciale du bord de mer, la région de la Saline, l?avenue Bolosse, Bel Air, le bas de Delmas, la Rue Nazon pour citer certains quartiers de la capitale ainsi que certaines villes de province (Petit-Goâve) et les ports du Cap-Haïtien et de Gonaïves échappent totalement au contrôle du gouvernement. Il en résulte une situation chaotique qui fait fuir les investisseurs nationaux ou étrangers ainsi que les cadres du pays.
B.1. Rétablissement de l?autorité de l?Etat sur tout le territoire national
o Pour ce faire, le gouvernement doit prendre les mesures pour procéder au désarmement de tous les groupes armés non habilités à utiliser des armes, en s?appuyant sur les 2 institutions qui ont mission (PNH) et mandat (MINUSTAH) pour le faire.
o A propos de l?armée, le débat ne devrait pas porter sur l?existence ou la légitimité d?une institution déjà reconnue par la constitution mais sur la stratégie à adopter pour la réactivation de l?institution militaire d?une manière ordonnée qui puisse garantir à toutes les étapes du processus, la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire.
o Assurer la sécurité des citoyens haïtiens afin de garantir la réalisation de la campagne électorale et la tenue des élections.
La crédibilité des élections sera d?autant plus grande que le taux de participation des électeurs sera élevé. Cependant les conditions actuelles d?insécurité sont loin d?encourager les citoyens à aller voter. Pour remédier à cette situation, le gouvernement doit prendre les mesures suivantes :
B.2.1. Augmenter de manière conséquente l?effectif de la Police Nationale d?Haïti (PNH)
Bien que le gouvernement ait procédé au recrutement d?une nouvelle promotion de policiers qui suivront une formation de 4 à 5 mois et qu?il soit possible de répéter deux fois ce processus d?ici la tenue des élections, les 400 policiers que compte chaque promotion ne suffiront pas à constituer un effectif suffisant pour assurer la sécurité des BEDs, des BECs et des BIVs à travers la République. Parallèlement à la formation donnée en Haïti par le gouvernement, le CLED propose que des policiers haïtiens soient formés à l?extérieur sur la base du curriculum suivi pour ceux formés en Haïti. Cette expérience a déjà été faite et elle pourrait être reconduite si le gouvernement en fait la demande auprès des pays amis d?Haïti, particulièrement le Brésil, le Canada, le Chili et la France. Cette opération pourrait permettre d?augmenter considérablement l?effectif de la PNH en le faisant passer d?à peu près 4000 hommes à environ 6000 hommes.
Toutefois, si les élections constituent une étape incontournable pour la normalisation de la vie politique en Haïti, la préoccupation première des Haïtiens est aujourd?hui la question de l?insécurité. En marge des actes de violence d?origine politique ou présentés comme tels, on constate une recrudescence du banditisme : des citoyens (piétons et automobilistes) se font braquer n?importe où et à n?importe quel moment, des domiciles et entreprises sont attaqués ou pillés régulièrement, des commerçants sont rançonnés pour qu?ils soient «autorisés » à « fonctionner», des hommes, des femmes et des enfants de toutes catégories sociales et particulièrement ceux, issus du secteur des affaires, sont continuellement kidnappés, les chiffres relatifs aux cas d?assassinats sont alarmants alors que la police, faute de moyens, n?arrive pas à faire reculer la criminalité. Le gouvernement a pourtant le devoir et l?obligation de garantir la sécurité des citoyens afin qu?ils puissent librement vaquer à leurs occupations. En dehors de l?augmentation de l?effectif de la PNH, des mesures immédiates peuvent être prises en vue d?apporter une amélioration considérable de la sécurité dans notre pays, notamment :
1. Augmenter le budget de la sécurité nationale en vue de fournir à la police les moyens nécessaires à l?amélioration de sa capacité d?intervention. Cela permettra spécifiquement de:
a. Renforcer les services de renseignement et d?intelligence de la PNH
b. Equiper convenablement les policiers en armes, munitions et matériels de transport et de communication
2. Améliorer le système d?identification des policiers en :
b. munissant chacun d?eux d?une carte électronique et d?un badge numéroté et unique
c. fournissant un nouvel uniforme avec des signes distinctifs (insignes, écussons) difficiles à imiter et à reproduire.
Des informations doivent être publiées afin de renseigner la population sur la tenue officielle exacte des agents de la PNH.
3. Multiplier le nombre des commissariats de manière à permettre une plus grande proximité et une meilleure collaboration entre la police et la population et ainsi dissuader les criminels à agir.
B.2.2 Insister auprès des Nations Unis afin que soit respectée la résolution de l?ONU créant la MINUSTAH et exiger que le mandat de celle-ci soit clarifié.
Dans la mesure où tout l?effectif de la MINUSTAH arrive à être opérationnel, il est souhaitable que cette institution travaille de façon plus rapprochée avec la PNH en étant présente dans tous les commissariats de Police où elle pourra fournir un encadrement technique et un appui logistique. Cette disposition permettrait de renforcer les commissariats, augmentant ainsi l?efficacité de la PNH. La situation de notre pays requiert beaucoup plus d?interventions policières que militaires, le gouvernement haïtien devrait demander à l?ONU que la composante policière de la mission soit plus importante que la composante militaire, afin de lutter plus efficacement contre la criminalité.
B.3. Augmenter la capacité des institutions judiciaires afin de faire reculer la criminalité
La lutte pour le rétablissement de la sécurité n?a aucun sens si parallèlement on laisse libre cours à l?impunité. Il convient de donner à la justice les moyens d?instruire les cas qui ont été répertoriés et de les juger qu?il s?agisse de dossiers liés à la violation des droits humains ou à des affaires de corruption et/ou de détournements de fonds. La pénalisation des actes délictueux ou criminels peut contribuer grandement au recul de l?insécurité en Haïti.
Dans un autre volet, une meilleure gestion des cas de déportation des criminels vers Haïti, spécifiquement au niveau du suivi de leurs dossiers en collaboration avec les autorités judiciaires de leur pays de provenance, permettra de lutter plus efficacement contre la criminalité dans notre pays.
Autre amélioration d?importance nécessaire dans ce domaine, la construction d?un nouveau centre pénitentiaire qui puisse offrir des conditions de détention conformes aux normes internationales.
C. LA RELANCE DE L?ÉCONOMIE
Cette conjoncture est peu propice au développement des affaires, il est donc nécessaire que le gouvernement prenne des mesures visant à relancer l?économie. Cette démarche doit être réalisée en s?appuyant sur une politique et une vision claire. Cependant, les opérateurs économiques ne sont jusqu?à présent pas rassurés par le gouvernement qui leur lance encore des signaux contradictoires. Il apparaît clairement que les autorités financières du pays sont aujourd?hui partagées entre l?idée d?appliquer une politique d?austérité avec pour souci de balancer le budget public et celle de relancer l?économie à partir du trésor public.
C1. Il est important de mettre en place de façon transparente et ouverte, les structures et commissions (y compris celles visant la participation et le contrôle de la société civile) devant permettre la mise en oeuvre des activités prévues dans le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). La lenteur du gouvernement à constituer certaines de ces commissions est un mauvais signal qui pourrait pousser les bailleurs à se désengager ou causer des retards considérables au niveau de la mobilisation et du décaissement des fonds promis à Haïti. Le gouvernement devra être attentif aux agendas et dates fixés par les organismes de financement sous peine d?enregistrer des retards dans les décaissements de fonds.
C2. En attendant la disponibilité des fonds du CCI, le gouvernement doit commencer à entreprendre des actions de relance économique à partir du Trésor Public, notamment la mise en oeuvre de travaux à hautes intensités de main d??uvre, travaux de curage des ravins, reprise et nettoyage des canaux de drainage avant la prochaine saison pluvieuse, adoquinage de certaines rues situées dans les zones défavorisées, ainsi que les travaux d?infrastructure tant nécessaires à la croissance de l?investissement privé et susceptibles de créer des emplois dans le très court terme. Les fonds sont disponibles et l?état ne gagne rien à adopter une attitude conservatrice qui peut considérablement porter préjudice à l?économie du pays.
C3. Il est grand temps que le gouvernement entreprenne les réformes qu?il s?est engagé à [faire] dans le CCI au niveau de la gestion et du contrôle financier des entreprises publiques, notamment l?APN, l?AAN, la CAMEP, la TELECO et l?EDH. Ces mêmes engagements stipulent, dans le cas précis de la TELECO et de l?EDH, le lancement d?un processus visant la participation du secteur privé dans l?actionnariat et/ou la gestion de ces entreprises publiques. Evidemment, la mise en marche et l?accélération de ce processus peuvent être facilitées si le gouvernement a la volonté politique de réactiver ? toujours dans la transparence – et de donner les moyens au Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP) qui existe encore sur le papier et dans le budget de l?Etat.
Il est important de souligner que la relance de l?économie peut être à moyen terme l?atout le plus puissant dont dispose le gouvernement pour faire diminuer les tensions sociales et la violence armée et, pourquoi pas, juguler la criminalité. En créant des emplois de façon substantielle, nos dirigeants peuvent proposer une autre voie, une alternative valorisante et pacifique au choix des armes, à la délinquance et à la criminalité. Il se doit de commencer avec les fonds du trésor public mais le désenchantement, la frustration (et la violence qui pourrait en découler) referont rapidement surface si l?aide financière internationale ne vient pas de manière consistante et continue, appuyer et renforcer l?action entamée par le gouvernement.
D. L?AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE, L?ASSAINISSEMENT ET LE RENFORCEMENT DE L?ADMINISTRATION PUBLIQUE
D1. Force est de reconnaître que le gouvernement Alexandre-Latortue souffre d?un déficit énorme de communication et par conséquent de transparence. Compte tenu des expériences récentes au niveau de la gestion des affaires de l?état, ce gouvernement devrait travailler prioritairement à la moralisation de la fonction publique en améliorant sa capacité de communication et en mettant en place un système de gestion basé sur la délégation de tâches et de responsabilités. La tendance du Premier Ministre à vouloir tout contrôler, à centraliser les pouvoirs, crée des dysfonctionnements dans l?appareil d?état et contribue grandement à rendre lourde et inefficace l?action gouvernementale. Par ailleurs, il faudrait travailler à une meilleure articulation et collaboration entre le cabinet du Premier Ministre et certains ministères et directions générales qui se gênent parfois mutuellement.
L?application des principes de bonne gestion et de bonne gouvernance doit notamment être observée à travers les démarches du gouvernement visant à créer de trop nombreuses commissions (particulièrement en ce qui a trait au processus (transparent) de sélection des membres des dites commissions, à leur représentativité suivant des critères de compétence et d?honnêteté). Aussi, les appels d?offres et les attributions de contrats doivent se faire de façon objective, transparente, impartiale et loyale.
D2. Un autre fait caractéristique du gouvernement Alexandre-Latortue, est la quasi-inexistence de la diplomatie haïtienne. Huit mois après l?installation de l?exécutif, il est inconcevable que des ambassadeurs ne soient pas nommés dans des pays ayant une importance stratégique, commerciale, culturelle ou économique comme la République Dominicaine, les Etats-Unis, le Canada ou le Brésil, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs les relations de notre pays avec la CARICOM – unique groupe politico-économique régional auquel appartient Haïti ? sont encore floues. Compte tenu de la situation exceptionnellement difficile que connaît Haïti, il est plus que jamais indispensable d?avoir une diplomatie active et efficace afin d?assurer la permanence des appuis existants et le cas échéant, d?en trouver d?autres pour défendre au mieux les intérêts d?Haïti.
D3. Les raisons évoquées ci-dessus contribuent en partie au manque de résultats et à l?inefficacité du gouvernement mais elles n?en sont pas les seules responsables. Il faut que le Premier Ministre procède dans les prochains jours à un changement de sa politique et à un remaniement ministériel conséquent en confiant des porte-feuilles importants à des cadres qui seraient nettement plus efficients dans leur travail et contribueraient à faire sortir le gouvernement de son apathie et à changer l?image brouillonne de tâtonnements, d?approximations et d?improvisation qu?il projette actuellement dans la société haïtienne et sur la scène internationale.
D4. A un autre niveau, le gouvernement doit travailler au renforcement des institutions de l?Etat et à l?amélioration de l?Administration publique. Le Conseil National de la Reforme Administrative (CNRA) a déjà fait un travail énorme dans ce sens, il serait souhaitable que ce gouvernement qui n?a pas d?agenda politique, commence à mettre en ?uvre les recommandations et réactive ce conseil.
D5. Aussi, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) devrait être doter (en quantité et en qualité) de ressources humaines qualifiées pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de contrôle des institutions et entreprises publiques. Cette démarche a toute son importance dans l?optique de la mise en ?uvre d?une politique de lutte contre la corruption et de moralisation de la fonction publique.
D6. Il faudrait également que le gouvernement procède à la restauration ou à la construction d?un nouveau palais législatif. L?actuel palais législatif ne permet pas de loger les deux branches du parlement, le Sénat fonctionnant dans un local annexe. Les conditions de fonctionnement du personnel attaché au parlement sont pénibles alors même que les bureaux assignés aux parlementaires sont exigus et mal équipés. Dans la mesure où il est proposé d?augmenter le nombre de sénateurs et de députés au parlement, il serait logique de penser à améliorer les conditions d?accueil et de travail du parlement qui, à l?instar de l?Exécutif, mérite un édifice digne d?une des institutions les plus importantes du pays.
D7. L?assainissement de l?administration publique, passe, en plus de la lutte contre la corruption et l?imposition de principes de bonne gestion, par la valorisation de la fonction publique et son renouvellement progressif à travers l?offre de conditions de travail et des propositions de salaires aussi compétitifs que dans le secteur privé, de manière à attirer des cadres qualifiés désireux de faire carrière dans un environnement stable et non dépendant des fluctuations politiques.
CONCLUSION
En développant les thèmes sur lesquels a porté notre réflexion nous n?avons nullement la prétention de bâtir ni un « programme de gouvernement » ni un programme pour le gouvernement qui en applique déjà forcément un et a ses propres priorités bien établies. Notre texte reflète et exprime plutôt dans son ensemble des préoccupations d?une grande partie de la communauté des affaires et probablement de plusieurs secteurs de la société haïtienne concernant le fonctionnement de l?appareil d?Etat et a surtout le mérite de présenter ce qui devrait constituer, de notre point de vue, en tout ou en (grande) partie, l?essentiel, le minimum à accomplir par l?Exécutif afin de réussir la transition. D?autres points également importants ont été l?objet de notre réflexion, mais nous avons souhaité nous en tenir à ce qui nous parait incontournable à savoir : les élections, la sécurité, la relance économique et la gouvernance. Nous n?avons pas insisté par exemple sur le rôle essentiel que doit jouer le président de la République, garant du bon fonctionnement des institutions, ni n?avons mentionné le travail non moins important du Conseil des Sages au niveau de l?observation de l?action gouvernementale.
En publiant ce texte, notre objectif est de contribuer à simplifier la tâche du gouvernement, de l?aider et dans la mesure du possible de le « forcer » à réussir cette transition tellement critique pour l?avenir de notre pays. Nous avons repéré un ensemble de problèmes et d?obstacles au bon fonctionnement de l?Etat et nous avons fait un ensemble de propositions visant à les atténuer sinon à les résoudre. Nous avons avancé des idées susceptibles de susciter des débats en espérant que d?autres nous emboîteront le pas et communiqueront le fruit de leurs réflexions tout en espérant que ces débats déboucheront résolument sur des actions et des réalisations politiques au profit de l?avancement de notre pays. En agissant de la sorte, nous avons assumé nos responsabilités et nous invitons les élites de tous les secteurs : intellectuels, politiques, religieux, secteur des affaires, à assumer pleinement leur rôle quant à la définition de la vision et de la gestion de ce que doit devenir notre pays dans le futur, sous peine de le voir à nouveau sombrer dans l?autoritarisme et l?obscurantisme.
Port-au-Prince, le 7 décembre 2004