2 décembre


Colin Powell en Haïti ce mercredi 1er décembre. Serait-ce sa dernière mission avant de quitter son poste de secrétaire d’État ? La crise haïtienne, il la connaît. En mission de médiation avant le débarquement américain de 1994 sous mandat de l’ONU, il avait déjà une certaine idée de la complexité de la situation haïtienne. C’est sa deuxième visite à Port-au-Prince depuis le 29 février. Secrétaire d’État, il a eu l’occasion de se familiariser avec les problèmes de ce pays. Il n’a peut-être pas fini de s’y colleter si tant est qu’on aurait besoin de recourir à ses bons offices pour démêler les fils des complexités futures.


En attendant, les hommes de « l’opération Bagdad » ont tenu à lui faire l’honneur de leurs salutations pétaradantes. Des interventions éclair, des coups de feu nourris, rapporte-t-on,  autour du Palais national; la panique générale dans la zone et le message est passé. Au cas où il n’aurait pas été bien compris lors du passage du secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, accueilli par une intense fusillade à Cité Soleil l’automne dernier. Les coups d’éclat et  les interventions provocatrices, en plus des actes de terreur, constituent des éléments caractéristiques de la méthode de cette guérilla. Et le coup d’audace d’aujourd’hui, dans ce périmètre protégé du siège de la Présidence, devrait accréditer l’idée d’invincibilité de cette organisation. Je persiste à penser que ce sont des coups pour rien, c’est-à-dire qui ne mèneront pas leurs auteurs au but politique recherché.


Toutefois, ils savent faire monter la pression et affoler les décideurs. Les observateurs notent l’exaspération grandissante au sein de la population. Qu’on se rappelle que le quotidien de plus d’un demi-million de  personnes vouées au grappillage est totalement  perturbé par l’insécurité. En fait, les habitants de plusieurs quartiers populaires du bas de la ville sont littéralement pris en otages par des gangs armés. Ils ne comprennent pas que les forces de la MINUSTAH, même sans la police non encore opérationnelle, ne viennent pas à bout des chimè. De là à souhaiter des opérations coups-de-poing dévastatrices, à réclamer l’intervention des militaires démobilisés…


Les Etats-Unis, étrangement silencieux depuis quelque temps, ne se priveront pas de méditer l’événement (le coup d’éclat présumé des chimè), son importance relative, son caractère symbolique, sa signification réelle. Ils seront peut-être tentés de réévaluer la capacité des forces onusiennes à assurer la stabilisation de la situation haïtienne – quoi que dise M. Powell – et invités à penser leur propre mode d’intervention dans la période de transition. Ils laissent l’impression de laisser toute la place à l’ONU dans ce nouveau Bagdad, mais on ne doit pas se leurrer sur leur apparente prise de distance. L’hégémonie américaine n’est pas menacée par la nouvelle dynamique latino-américaine et le leadership que tente de construire le trio Brésil, Chili, Argentine.  


M. Powell est venu dire publiquement ce que tout le monde savait et qui fait consensus pudiquement au sein de la communauté internationale : appui au processus de transition démocratique et au dialogue national, renforcement des forces de sécurité, nécessité du désarmement, consolidation du dispositif électoral, rappel de leurs obligations aux bailleurs de fonds, etc. En privé, il doit tenir aux plus hautes autorités de l’État un langage autrement moins général. Il ne manquera probablement pas d’appeler les uns et les autres à plus de vigueur et de détermination dans les méandres de la gestion de la transition. Entre ménager les adversaires, et même les irréductibles, au bénéfice du dialogue national, et faire montre en même temps de fermeté vis-à-vis de ceux qui recourent aux armes au nom du régime déchu et que les anciens dirigeants ne parviennent pas à condamner sans détour, saura-t-il faire comprendre lequel de ces deux messages est déterminant ?