Originally: Troublant, navrant, ahurissant

English translation


«Nous courons sans souci vers le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir.» (Pascal)


 Par Éditorial LE MATIN 16 Novembre  2004


Le Premier ministre a informé vendredi dernier 12 novembre qu’un mandat d’arrêt international sera bientôt lancé contre l’ex-président Aristide soupçonné de détournement de fonds publics et d’implication dans des crimes politiques. Il a souligné avec force que des instructions ont été passées au ministre de la Justice pour procéder le plus rapidement possible. Si tel est le cas, on est en droit de penser que le gouvernement possède un dossier bien ficelé.  Ce qui est troublant dans cette annonce apparemment musclée, c’est qu’elle soit venue après des déclarations de représentants de puissance étrangère qui laisseraient entendre qu’Haïti aurait intérêt à clarifier la situation d’Aristide et que celui-ci «devait rendre des comptes». Doit-on en inférer que le gouvernement est à ce point dépourvu d’autonomie qu’il devrait attendre le feu vert de l’extérieur avant de procéder dans un dossier pour lequel il aurait amplement le temps de se documenter depuis les huit derniers mois?


 


Plus troublant encore est le fait que le Premier ministre Latortue a fait son intervention à la cérémonie d’installation d’une «commission d’enquête administrative sur d’éventuels détournements de fonds du régime déchu de 2001 à 2004». Quelle serait alors l’utilité de cette commission si l’affaire est à ce point entendue qu’on puisse émettre un mandat d’arrêt international? Que voilà une nouvelle création dont il serait intéressant de savoir comment il oeuvrerait sans chevaucher certaines attributions de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif et celles du comité récemment formé pour lutter contre la corruption!  Attendons voir.


 


Il est navrant de rappeler que le Premier ministre nous a déjà habitués à des annonces de cette nature sans aucune suite. La dernière en date concerne les carrières de sable de Laboule. L’interdiction d’exploitation péremptoirement émise a fini en reculade (lire l’éditorial de Sabine Manigat, Le Matin du 5 novembre). Plusieurs organismes de défense des droits humains ont exprimé leur scepticisme vis-à-vis de ces pratiques du gouvernement de transition. Je n’ose croire que le chef du gouvernement ne s’avise guère des dommages causés à sa crédibilité dans de telles circonstances.


 


Enfin, il est pour le moins ahurissant que l’on ait confié la présidence de cette commission d’enquête à un adversaire résolu et pourfendeur tonitruant du régime déchu. M. Paul Denis, porte-parole de la Convergence (existe-t-elle encore) ou en tout cas de l’OPL ne semble pas soupçonner qu’un minimum de rigueur morale et un souci de justice élémentaire devraient lui interdire d’accepter ce mandat. Les juristes diraient qu’il ne suffit pas que justice soit rendue, mais qu’il y ait aussi apparence de justice. 


 


Il existe une éthique de la responsabilité politique. Elle est très exigeante. Son exercice tient parfois à des détails. Elle en impose à tous les dirigeants politiques, au pouvoir ou ailleurs, surtout lorsque ces derniers prétendent sortir de l’anarchie par la démocratie.