Originally: La Crise au CEP: Au-delà du conjoncturel, le structurel
La Crise au CEP: Au-delà du conjoncturel, le structurel
La situation conflictuelle sévissant au Conseil Electoral Provisoire, au-delà d?un simple différend entre les conseillers, constitue un autre plaidoyer pour de meilleures institutions en Haïti. Malheureusement, nous sommes en train d?assister à ce drame, comme s?il s?agissait du dernier thriller hollywoodien : on en frémit, mais on ne se rend pas compte que c?est l?avenir de la nation qui se joue à travers les enfantillages de nos conseillers électoraux.
Ce qu?il convient d?appeler le drame du CEP, ne nous renvoie que notre propre image de peuple désinvolte, peu soucieux d?encadrer ses institutions, qui de ce fait, sont rarement à la hauteur de leurs missions. Il faut donc y voir :
1- La faiblesse de nos institutions (une fois de plus)
Dans le cas particulier du CEP, cette faiblesse se manifeste à deux niveaux :
a) Au niveau des institutions ayant désigné les membres conflictuels
En suivant dans la presse les épisodes funestes de la mésaventure du CEP, on se demande, perplexe, en vertu de quels critères certaines institutions – et pas des moindres- avaient fait choix de leurs représentants à l?organisme électoral. Dans certains cas, les critères ont dû être l?arrogance, l?intransigeance, l?absence du sens du ridicule et l?intolérance, donc, l?incapacité de travailler en groupe, ou de travailler tout court.
On est aussi frappé par l?absence totale de leadership des institutions sur les membres qu?elles ont désignés au Conseil. Ces représentants qui se comportent en « grenn senk » ne témoignent, dans leur comportement, d?aucun souci de protéger leurs institutions d?origine, parce que tout simplement, ils ne les prennent pas au sérieux. Et pour cause : nos institutions sont en faillite, et les valeurs qui auraient dû présider à leurs misions et justifier leur existence, se sont effritées.
a) Au niveau du CEP
Au regard de la constitution de 1987, le Conseil Electoral est un organisme plénipotentiaire, n?étant astreint au contrôle (le check and balance sans lequel les institutions dérivent forcément) d?aucune autre institution. Or, le CEP, en plus d?être l?organisme chargé de l?organisation des élections, est aussi un tribunal qui est appelé à se prononcer sur toute contestation électorale. En d?autres termes, nous demandons au CEP de juger sans appel, en cas de contestation d?élections qu?il aura lui-même organisées ! En d?autres termes, nous avons institué un pouvoir électoral à part entière, à côté des trois autres pouvoirs, mais ce pouvoir électoral, à la différence des autres, est au- dessus de tout contrôle, parce qu?au moment de la rédaction de la constitution, nous savions que tous les conseillers électoraux allaient être des anges. Permettez-moi de parodier Astérix : Ils sont fous ces haïtiens ! A la présidentielle américaine de 2000, face à la contestation du ticket Républicain Gore/Lieberman des résultats de la Floride, on n?avait pas demandé au Collège Electoral Floridien de se prononcer sur les griefs des démocrates. Il revenait à la Cour Suprême de trancher. En Haïti, quelle institution nous protège des récurrentes dérives du CEP ? Quel instrument institutionnel a la mission de protéger notre droit à de bonnes élections, par rapport au CEP ? En plus de détenir le pouvoir de nous foutre dans la merde, les Conseillers électoraux jouissent d?une impunité qui ne va pas tarder à passer en proverbe. Allez demander à ceux de 2000 s?ils ont jamais été inquiétés outre mesure !
2)- Lincapacité alarmante des conseillers actuels de travailler sous pression.
L?un des principaux critères qui aurait dû présider au choix des membres du CEP, c?est la capacité de travailler sous pression, donc la sérénité. Un conseiller électoral est constamment pris entre les feux croisés des candidats, des partis, de la société civile, du personnel des bureaux d?inscription et de vote ; les conflits qui ne cessent de ponctuer les rapports des conseillers électoraux attirent l?attention sur leur intransigeance, leur cohabitation rendue quasi-impossible par la présence au sein de l?institution d?individus trop caractériels, et font planer de sérieux doutes sur leur capacité de mener à terme le processus.
Face au caractère saugrenu des scandales, les conseillers électoraux ont dû convoquer une conférence de presse au cours de laquelle, ils ont vendu à la Nation une fausse image d?union ; mais à cette conférence, le président du conseil d?alors , Madame Rose-Laure Julien, a brillé par son absence. Une absence éloquente.
Conclusion
La démission de Madame Julien ne résout que partiellement le problème. La Nation attend que d?autres conseillers suivent l?ex-présidente. Il nous faudra réintroduire le mot démission dans le dictionnaire politique haïtien. Les prochaines élections constituent le point central de l?actuelle transition. Un éventuel échec de ces élections serait fatal au pays. La communauté nationale et internationale sont en train d?investir beaucoup d?espoir dans ce processus. Cependant, comme d?habitude, nous attendons qu?il soit trop tard avant d?accepter l?idée -douloureuse certes- que ce Conseil Electoral n?a pas la crédibilité nécessaire à la réussite des prochaines joutes électorales, vu qu?il n?inspire pas confiance à la population, pour n?avoir pas su s?élever à la hauteur de sa mission. Comment peut-on espérer que ce CEP traite avec attention le dossier de contestation des candidats alors qu?aujourd?hui, même le Conseil des Sages n?arrive pas à la questionner sans heurts ! A la dernière séance, cela a failli tourner au vinaigre. Mais que faire ?
Je pense que les secteurs ayant désigné des membres au Conseil Electoral représentent un bel échantillon de notre société. Ce serait trop facile que leur mission s?arrête à la désignation des conseillers. Aujourd?hui, les secteurs dont les représentants constituent une menace à l?aboutissement et à la crédibilité du processus, doivent obtenir leur démission et leur désigner des remplaçants. Cela me parait être la meilleure décision, à un moment où l?on parle d?intervention du Président de la République, sans que la provision légale ne soit clairement définie. Ensuite, il faudra enclencher le débat sur le CEP, afin de le redéfinir de telle manière que la nation soit à l?avenir, à l?abri de ses déviances. Il faudra que le CEP, en tant qu?institution, arrive à faire astreindre les individus à ses principes et à ses valeurs. Mais en attendant, c?est l?inverse qui se fait?à nos dépens.
Frandley Denis Julien
Directeur Exécutif
Mouvement Civique National
Cap-Haïtien, le 11 novembre 2004
antilleanculture@yahoo.fr