Johnny Bélizaire
Originally: Adieu Gérard Pierre Charles
Adieu Gérard Pierre Charles
LE MILITANT POLITIQUE
Un long itinéraire pour la paix et la démocratie
Frappé de tuberculose, Il fut interné durant plusieurs mois au Sanatorium à Port-au-Prince. Il sortit profondément renforcé de cette épreuve qui lui permettant de pénétrer dans ce monde de laissez pour compte, l’habilita au plan psychologique, à prendre en mains son destin en lui offrant l’occasion d’acquérir une base solide, par la lecture et la réflexion, à l’humanisme qui a inspiré sa vie.
Gérard Pierre-Charles né le 18 décembre 1935 à Jacmel, ville connue pour ses traditions libérales et sa fécondité culturelle, est issu d’une famille nombreuse de classe moyenne paupérisée. Il n’a pas connu son père Emmanuel, qui fut inspecteur des écoles et professeur de Lettres au Lycée Pinchinat de la ville. Il a connu très peu sa mère, Eva Bernier qui animait une association nommée Entraide Chrétienne Jacmélienne, décédée quand il avait 10 ans. Il dut donc, très tôt, faire face à la gêne et aux carences de toutes sortes.
Très tôt, il a participé au mouvement d’action culturelle dans sa ville natale. A Port-au-Prince, devenu ouvrier à l’Usine de Ciment, il fut le fondateur du Syndicat de cette entreprise et participa au lancement du mouvement syndical à la chute du président Paul Magloire en 1956. Il était alors militant de la Jeunesse Ouvrière Catholique. Il devint co-fondateur en 1957, de la Fédération Ouvrière qui, sous le nom d’Union Inter- Syndicale d’Haïti, s’efforça de défendre les intérêts des travailleurs dans les débuts du régime de François Duvalier.
Il fut co-fondateur, en 1959, avec Jacques Stephen Alexis le fameux écrivain assassiné par Duvalier, et Gérald Brisson, un brillant économiste, mort au combat, du Parti d’Entente Populaire, d’orientation marxiste, inspiratrice idéologique et politique de la jeunesse intellectuelle engagée contre la dictature, pour la démocratie et le socialisme.
Il n’a jamais cessé d’exalter les valeurs d’héroïsme de ces révolutionnaires des années 60, des femmes et des hommes souterrains de la lutte clandestine qui ont versé leur sang généreux contre le fascisme et pour la libération nationale.
Un exil de 26 ans pour un cri de liberté
En 1960, il dut, comme de nombreux autres Haïtiens, abandonner son pays, vue l ‘ambiance de persécution créée par le régime de François Duvalier. C’était le début de cette fuite éperdue de milliers d’Haïtiens, de toutes conditions, qui se réfugièrent à l’étranger pour des motifs politiques, exode qui s’amplifia les années suivantes par les effets combinés de la terreur et de la dureté des conditions d’existence.
Durant son long exil au Mexique, ses positions d’intellectuel progressiste et son labeur opiniâtre au service d’Haïti son pays l’ont fait connaître dans ce pays et en Amérique Latine. Figure publique, intervenant souvent dans la presse et par de fréquentes apparitions à la TV, son nom était mentionné durant des années 1980 par la publication « Quien es Quien » parmi les personnalités les plus connues au Mexique, dans les sciences, les arts, la politique et les affaires.
Etant à l’étranger, il exerça des responsabilités au sein du Parti d’Entente Populaire et du Parti Unifié des Communistes haïtiens. Il fut promoteur du Comité Démocratique Haïtien de Mexico, une organisation réunissant diverses tendances.
Défenseur des causes les plus nobles de l’humanité
Il se prononça contre l‘intervention militaire des USA en République Dominicaine en 1965. Dès cette époque, il commença, directement avec un groupe de militants clandestins basés en République Dominicaine et réunis au sein de l’Union Démocratique des Emigrants Haïtiens, à défendre la cause des travailleurs émigrés et à faire connaître les conditions d’exploitation de ces « braceros » dans les champs de canne, les fameux bateyes, avec la complicité des oligarchies locales.
Il a été aussi l’initiateur des études dominicano-haïtiennes, organisant à l Université de Mexico, en 1971, la première rencontre entre intellectuels et spécialistes des Sciences Sociales des deux pays. Il a toujours plaidé en faveur de l’harmonisation, la collaboration, l’amitié et la coopération la plus étroite possible entre les deux Etats…
Il a contribué, durant les années 70 et 80, par des conférences, des articles et tout un travail d’orientation, avec les mouvements contre la discrimination et pour la promotion des noirs à Panama, en Colombie et au Brésil; il a exprimé, par ses écrits et par des actes, sa solidarité en faveur de la Révolution Cubaine, dans sa signification caribéenne, latino américaine et a niveau du Tiers Monde. Il a aussi défendu le Vietnam héroïque, le peuple de l’Afrique du Sud en butte à l’Apartheid, les peuples d’Uruguay, l’Argentine du Chili, du Nicaragua, El Salvador, Guatemala, victimes de la violence et des dictatures militaires.
Au fil de son long itinéraire de combattant de la paix, il a maintenu des rapports étroits avec des associations internationales telles que Amnistie Internationale, l’Association des Juristes Démocrates, le Conseil Mondial de la Paix, la Fondation Lelio Basso, le Conseil Mondial des Eglises, Washington Office for Latin America, les sections de défense des Droits Humains et de promotion de la démocratie de l’Organisation des Etats Américains, de l’UNESCO et de l’Organisation des Nations Unies. Il a été membre du Conseil Mondial de la Paix. Il est membre titulaire de l’Académie Mexicaine des Droits Humains.
Dans ces instances internationales, il a fait entendre sa voix de défenseur des droits humains, en faveur de la solution pacifique et négociée des conflits politiques, la voix d’Haïti en pro de la solidarité.
Cela lui a valu de représenter, durant longtemps, un des principaux porte-parole de la cause de son pays. Haïtien, noir, handicapé, parcourant le monde sur ses béquilles de courage, en quête de solidarité à la lutte de son peuple, son personnage, sa silhouette et sa parole ne pouvaient manquer d’impressionner ceux qui l’écoutaient. Tous ces traits ont fait de lui une figure représentative des minorités exclues, de ces catégories d’hommes sans voix qui, au-delà de leurs particularités ethniques, physiques ou culturelle, portent au plus point et transmettent les valeurs universelles.
De retour en Haïti pour rassembler et reconstruire l’espoir
Gérard Pierre-Charles retourna dans sa patrie en 1986 quelques semaines après le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier. Ce retour était l’expression de sa détermination à continuer sa lutte pour Haïti et, aussi, un choix selon une vision de la militance adaptée à la réalité du pays et du monde.
Il estimait en effet qu’il fallait d’un cadre novateur pour rassembler toutes les forces de progrès oeuvrant pour la transformation du pays dans le sens de la démocratie, du développement et de la justice. Une telle plate-forme de rassemblement était inconcevable dans les moules propres du Parti. Cette conviction le porta à s’en éloigner pour continuer la bataille de sa vie orientée par l’humanisme, son sens de la justice et la volonté d’améliorer les conditions de vie de son peuple.
Ainsi, le professeur Pierre-Charles s’est évertué d‘éduquer les jeunes, de diffuser l’espoir, de signaler au peuple la voie du changement. Son horizon idéologique et politique s’était élargi à partir de ses réflexions sur l’expérience de l’Amérique Latine, théâtre de multiples courants révolutionnaires et de stratégies politiques qui furent remises en question par les faits. Tirant profit des apports critiques des milieux intellectuels à ces expériences pleines d’enseignement, synthétisées entre autres par son grand ami mexicain, le Dr Pablo Gonzalez Casanova, en contact avec le mouvement social revendicatif, il commença à redéfinir sa militance en fonction des nouvelles donnes de la situation nationale et internationale. Il se consacra à monter un réseau réunissant des jeunes, des militants venant des divers horizons de la pensée et de l’action, en particulier de la théologie de la libération, des groupements de base et des mouvements paysans, désireux de trouver des instruments efficaces contre la misère et l’exclusion.
Sa quête d’action sociale et de réforme politique efficace l’avait conduit à être un des animateurs de la “Convergence Démocratique et Nationale” en 1990. Il s’agissait d’une initiative d’inspiration non-partisane et patriotique de caractère civique qui convoqua divers secteurs politiques en vue d’un accord électoral pour la présentation d’un seul candidat aux élections présidentielles. Cette initiative conduisit de fait a un appui à la candidature de Jean Bertrand Aristide, prêtre issu de secteurs populaires qui allumait l’enthousiasme des masses et qui, avec son mouvement ‘’Lavalas ‘’, gagna les élections de 1991.
Appréciant le rôle que ce dirigeant pouvait jouer comme représentant des majorités en faveur de l’unité de la nation. Pierre-Charles s’évertua d’orienter ce mouvement et de structurer en son sein, une organisation politique, avec une vision moderne et démocratique. Cette tâche il la poursuivit après le coup d’Etat contre Aristide en 1991 et durant les trois ans du régime militaire subséquent.
Contribuant à organiser la résistance, dans des conditions de risques amplifiés du fait de son handicap physique, il entreprit une action organisée et systématique en vue d’encadrer et d’orienter de nombreux patriotes engagés dans le combat pour la restitution des droits constitutionnels dans le pays et le retour d’Aristide.
Dans cette optique, en même temps qu’il se livre à un patient travail d’éducation dans les milieux populaires et qu’il combat le coup d’Etat et le régime militaire installé, de façon persévérante il continue ses efforts en vue d’organiser et de rassembler les secteurs démocratiques et populaires.
Aux compétitions électorales de 1995, ce secteur organisé, représentant une tendance de plus en plus autonome, surgit comme la principale force électorale du pays. Sa majorité relative aux deux Chambres lui permit de consolider le parlement pour en faire, conformément aux prescrits de la Constitution, une institution indépendante par rapport à l’Exécutif, exerçant pleinement la prérogative de nommer comme Premier Ministre un citoyen issu de ses rangs.
Une telle avancée, en terme institutionnel, garantissait les principes du pluralisme démocratique. Elle heurta cependant les pratiques du présidentialisme qui entreprit de gagner à tout prix le contrôle du Parlement aux élections partielles d’avril 1997. L’OPL se désolidarisa alors du mouvement Lavalas, adoptant le nom d’Organisation du Peuple en Lutte.
En dénonçant les fraudes qui marquèrent les élections parlementaires, l’OPL alerta l’opinion nationale et l’OEA sur les dérives antidémocratiques du pouvoir, qui menaçaient les conquêtes civiques prétendant conduire le pays au règne de la violence et de l’arbitraire. Ainsi, l’opposition parlementaire ouvrit de plus en plus l’espace politique, favorisa l’émergence de la presse indépendante et la croissante participation des organisations de la société civile.
La coalition du millenium pour le respect des principes démocratiques.
Dépassant les mirages et faux espoirs du populisme, cette remontée de la résistance au pouvoir fut un fait historique. Freinant l’implantation d’un régime autoritaire, elle donna lieu à un mouvement de citoyens en faveur d’une participation combative aux élections législatives de l’an 2000. Le rejet par l’opposition et d’amples secteurs de la population, des fraudes réalisées durant ces comices suscita la remise en question de leur légitimité par l‘OEA et la communauté internationale.
L’accès à la présidence de Jean-Bertrand Aristide, bien que le peuple, par une abstention massive, eut dit non à cette imposture, plongea le pays dans une profonde controverse, provoquant une crise qui dure encore, rendant la population de plus en plus concernée. Au centre de la résistance à cette imposition, l’OPL poursuivit son œuvre de rassembler divers secteurs de la société civile dans un front de refus, la Convergence Démocratique. Cette coalition de centre gauche, des principaux Partis politiques, continua, dans la ligne initiée depuis 1997 par l’OPL, à sensibiliser les principaux pays d’Europe, de l’Amérique Latine et le gouvernement des USA contre ces élections cette entreprise antidémocratique.
Dans cette perspective, Gérard Pierre-Charles eut des rencontres avec Madeleine Albright, Strobe Talbott, respectivement Secrétaire d’Etat et sous-Secrétaire d’Etat des USA, avec Anthony Lake, ex-Conseiller à la Sécurité Nationale de l’administration démocrate. Les gouvernements de France et du Canada furent aussi sollicités Ces démarches et l’action politique d’autres secteurs de la Convergence et de la société civile, en particulier, auprès des actuelles autorités républicaines, amenèrent la Communauté internationale à réagir face au danger représenté par ce pouvoir pour le présent et l’avenir de la démocratie en Haïti.
De là une action soutenue de l’OEA, pour faciliter les négociations entre le Gouvernement et l’opposition et œuvrer à rétablir la normalité constitutionnelle. Ainsi, les campagnes de dénonciation et de mobilisation ainsi que les ardues négociations menées par la Convergence Démocratique renforcèrent, dans le pays et à l’étranger son image positive en tant qu’obstacle à l’absolutisme, porteuse d’une alternative. de progrès.
Face à une opposition acquérant une croissante crédibilité et présence politique, le pouvoir réagit avec violence, contre les Partis d’opposition. Ainsi le 17 décembre 2001 les locaux de ces Partis et les résidences de leurs principaux dirigeants furent pillés et incendiés ; Agression qui affecta le professeur Pierre-Charles, coordonnateur de l’OPL, dans son patrimoine familial et intellectuel, le siège de son Parti ainsi que le centre culturel fondé par lui-même et son épouse.
Réagissant avec sérénité à cette dure épreuve en réclamant justice et réparation pour les victimes de ces actes barbares, il en appela au dépassement. Il exhorta les Partis politiques et autres secteurs de l’opposition à continuer le combat démocratique devant avoir raison de la violence, paver la route à la réconciliation et à l’avènement de la paix et du renouveau en Haïti.
Nou pa p janm bliye ou Papi Charles
Johnny Bélizaire