Ray Killick

Je portais toujours des pantalons courts quand j?entendis parler pour la première fois de la Négritude. En ce temps-là, le leader Sénégalais Sédar Senghor, plus tard membre de l?Académie Française, était reconnu comme le père de la Négritude. En enfant curieux, je m?acharnais à en chercher la mère. J?ai cherché et n?ai rien trouvé. Toutefois, au hasard de mes recherches, je suis tombé sur cette perle de Senghor : ?La sensibilité est Nègre. L?art est Hélène?. Alors, confus et perplexe, je me suis arrêté de chercher d?autant plus que René Dépestre disait déjà ?Bonjour et Adieu à la Négritude?. ?Laissons Senghor avec sa pensée figée.? Pensais-je alors, car je n?avais pas encore développé ma plume, écoulant plutôt le plus clair de mon temps à mémoriser ces pages inutiles sous la lampe à kérosène, témoin fidèle et centenaire de l?échec de l?une des plus brillantes et prometteuses révolutions de l?humanité.
En Haïti, c?était toujours une question de peau. Dans sa honte, même l?homme démuni, déshumanisé par nos élites irresponsables, empruntait également cette échappatoire, oh combien facile ! Comme si leurs peaux pouvaient les unir et biffer les rengaines, les petiteries, les jalousies et les besoins primaires aux cahiers de leurs consciences.
Aujourd?hui, trente ans plus tard, j?entends parler de néo-Négritude dont Thabo M?Beki serait le champion et ?Aristide le pion ?? selon Claude Moïse du journal haïtien ?Le Matin?. Néo-Négritude ? C?est quoi exactement ? Ce n?est certainement pas de la mécanique céleste, encore moins de la recherche sur l?énergie solaire ou même un pont à jeter sur l?Artibonite ou des récoltes abondantes de café, de maïs et de mil. Non, ce n?est pas la scolarisation de millions d?enfants noirs de l?Afrique sub-saharienne et des Caraïbes. Ce n?est pas une durée de vie de 76 ans à la naissance ou un médecin pour 100 familles ou une politique de prévention du SIDA. Non ! Ce n?est pas la vision d?émancipation du nègre vers l?humain. Ce n?est pas le destin grandiose qu?on forge par la réflexion, la vision, le travail, la démocratie et le respect des droits humains.
Ce n?est qu?une nouvelle farce. Du superficiel. De la rhétorique de bonne conscience. Une question de peau, pas plus, pour sûr. Ce n?est pas la cure du mal d?Haïti ou de l?Afrique. Examinons de près les tenants de cette néo-Négritude et vous verrez, amis lecteurs, qu?il ne peut s?agir de quelque chose de très profond.
FAUSSETÉ de la NÉGRITUDE
Dites-moi ce que vous faites et je vous dirai si vous êtes faux ou pas. N?est-ce pas Thabo M?Beki, qui, il y a quelques années, déclarait à tue-tête sur une grande chaîne de télévision américaine que son pays n?avait pas un problème de SIDA et refusait par orgueil l?assistance nécessaire en l?occurrence ? N?est-ce pas ce champion d?un nouveau réveil africain qui pourvoyait la police lavalassienne en gaz lacrymogènes et armes meurtrières pour réprimer dans le sang la révolte des Gonaïves et les marches pacifiques à Port-au-Prince et à travers le pays ? N?est-ce pas le seul chef d?état du monde à avoir assisté aux cérémonies soi-disant commémoratives de la geste de 1804 ? On dirait un leader qui se cache les yeux pour défendre tout ce qui est noir même l?indéfendable. Est-ce ce qu?on entend par néo-Négritude dans la pratique quotidienne des choses ?
Même les supporteurs les plus acharnés de l?ex-tabarrois l?avaient fui en ce jour qui marquait deux cents ans de déclin brutal et vertigineux. Le Black Caucus à l?exception de Maxine Waters qui ne jouit d?ailleurs d?aucune crédibilité dans le débat politique américain s?était distancé de la bêtise humaine. Les chefs africains sont restés figés dans leur honte collective boudant la commémoration d?une geste épique unique dans les annales de l?histoire du monde.
Personne n?était dupe, même pas M?Beki qui choisissait de faire barrage à une alternative meilleure pour un peuple frère. Tout le monde savait que ces cérémonies du premier janvier 2004 n?étaient que la célébration de la réussite personnelle d?un homme et de sa femme ?aux mille doigts?, la Trouillot de nos misères, parvenue d?entre les parvenus. Oui, pas plus que cela, la réussite d?un homme qui peut désormais s?acheter bon nombre de chefs africains, noir-américains et antillais.
Qui est le pion de qui ?
ABSENCE TOTALE de VISION
L?argument à savoir que le Black Caucus cherchait à discréditer l?administration Bush en l?accusant d?avoir fomenté les troubles qui ont élégamment mis le tabar-rois en position d?échec et mat est beaucoup plus plausible. Ce, d?une part à des fins électoraux, et d?autre part pour avoir perdu avec leurs acolytes des privilèges et contrats alléchants du gouvernement déchu. Comme succursale de la honte du parti Démocrate américain, le Black Caucus demeure un pion de la stratégie de ce parti minoritaire pour regagner le pouvoir en novembre prochain. Il est tout aussi corrompu que la vieille machine libérale qui supporte les associations mafieuses telles que l?union des enseignants, galère par excellence de la médiocrité où la séniorité l?emporte toujours sur la compétence et la performance. D?où la qualité inférieure, en général, de l?enseignement public surtout dans les communautés minoritaires des Etats-Unis.
Où est le Black Caucus dans tout ça, nom de Dieu ? C?est avec l?éducation qu?on fait un peuple, pas avec la peau. C?est avec le ?contenu du caractère? que Martin Luther King voulait faire des noirs des citoyens de premier plan. C?est avec un King qu?on fait les peuples, pas avec M?Beki ou Maxine Waters ou le ramassis d?esprits dénués de vision du Black Caucus.
D?ailleurs, leur support pour le boucher de Tabarre est un témoignage éloquent de la superficialité de la néo-Négritude. Au lieu de s?engager aux côtés de leurs peuples démunis, la majorité des dirigeants noirs du monde entier choisissent les chemins étriqués de la barbarie, de la gabegie administrative, de la répression, et de la désinformation, enfonçant inexorablement leurs pays dans le quart-monde et dans la honte. A les entendre, on dirait qu?Aristide fut un ?président démocratiquement élu? en 2000.
De plus, ils font semblant de défier la puissance des Etats-Unis pour affirmer l?identité et la souveraineté des noirs — attitude plus réactionnaire que créatrice. Qu?à cela ne tienne ! L?identité réelle s?acquiert par le travail et la connaissance, par les réalisations humaines qui forgent les nations. Le respect et l?honneur se gagnent à la sueur du front des peuples. Pas à travers des mouvements creux comme la néo-Négritude qui nous rappelle une initiative tout aussi superficielle, la Marche d?un Million d?hommes Noirs de Louis Farrakhan sur Washington, D.C le 16 Octobre 1995. Il est alors de bon ton de se poser la question : Et puis après ?
M?Beki et la néo-Négritude appartiennent au passé avec tous ceux qui s?acharnent à les suivre. Le Black Caucus n?a aucune vision d?émancipation pour la masse noir- américaine. On ne le voit articulant aucune stratégie ou campagne autour d?une vision déclarée et relayée sans relâche à travers les médias.
L?Amérique noire est malade. L?Afrique subsaharienne agonise. Où sont les Toussaint L?Ouverture, les Martin Luther King, et les Nelson Mandela de la race noire ?
L?ART S?APPREND
Contrairement à ce que nous dit Senghor, l?art n?est ni Nègre ni Hélène, il est humain. Il se développe à mesure que les techniques sociales s?enrichissent et s?approfondissent, que l?homme devient humain, qu?il sort du limon de la terre, qu?il se civilise. D?ailleurs, l?art dans sa plénitude accorde nos sens pour faire jaillir la sensibilité, l?émotion et la joie qu?il recherche. Que de fois n?a t?on vu des spectateurs pleurer perdus dans l?_expression de Pavarotti ou de Léontine Price ? Et la joie d?entendre Whitney Houston ? Ou la note de Beethoven qui fait pleurer un expert musicien ? Et j?en passe. L?art et la sensibilité se cotisent toujours pour accomplir une mutuelle plénitude.
Quand les leaders noirs s?arrêteront de faire des grimaces sur la scène internationale et s?engageront réellement à émanciper leurs peuples au lieu de les trahir à la manière d?Aristide qu?ils supportent, la race noire participera alors à l?universelle chanson de la globalisation comme la Chine et l?Inde. Et à l?instar de l?Europe, elle s?unira et créera un vrai marché commun pour traiter d?égal à égal avec tous les autres marchés du monde. La Négritude et la néo-Négritude ne représentent que des mouvements superficiels qui marginalisent et empêchent de soulever le grand débat pour l?émancipation continue et réelle de la race noire. (Où est l?Afrique après la Négritude ?)
HAITI et L?AFRIQUE
Cet article est une carte postale aux dirigeants politiques haïtiens pour leur dire qu?ils ont non seulement du pain sur la planche en Haïti mais qu?ils ont aussi un défi à relever au nom de tous les noirs du monde. Tout ce qu?ils feront de positif et de durable aura des répercussions sur l?Afrique noire.
Pour ce faire, il faudra mettre une sourdine aux ambitions présidentielles et consolider les partis politiques en deux ou trois grands partis et offrir des choix limités mais solides au peuple haïtien en 2005. Il y a va de la compassion et du respect pour un peuple majoritairement analphabète. C?est un manque de probité intellectuelle que d?entretenir tant de divisions au sein d?une société et de multiplicité astronomique de choix. Cette fragmentation de l?espace politique est symptomatique de méfiance, d?un déchirement profond du tissu social, et surtout d?une attitude de grangou qui vise à faire mainmise sur l?appareil d?état à des fins d?enrichissement personnel illicite. N?importe qui ayant une idée moribonde ou deux se croit en mesure de former un parti politique au lieu de s?associer à un groupement déjà établi et le renforcer. Ce sont ceux-là, qui, arrivés au pouvoir sans programme, sans capacité et conviction, se transforment en des Duvalier et Aristide et brandissent la couleur de la peau pour s?y maintenir avant qu?un jet de la U.S. Air Force ne vienne les extraire de leur pâturage.
Il faut forger une solution de continuité entre le futur de ce présent pénible et le passé de misères qui a abruti le peuple haïtien. Sans un peuple émancipé, il ne peut guère y avoir de miracle national. Sans un peuple uni, Il ne peut y avoir de nation.
Sans leadership éclairé et déterminé, il sera impossible à Haïti de démarrer pour de bon. La Négritude et la néo-Négritude n?ont jamais édifié de civilisations. Ce sont ?des mains qui pensent? qui font les peuples. Un jour, les peuples noirs se feront finalement entendre et à ce moment-là on n?aura plus besoin de discours sur le Noirisme ou la Négritude. L?identité noire, acquise au fer du laminoir et à travers des percées dans tous les domaines technologiques, se sera imposée de manière indélébile et positive dans la conscience universelle.