Originally: C?EST UNE MISSION, PAS UNE ARMEE
C?est le porte-parole lui-même qui nous l?a dit le 1er juin. Heureusement, car à écouter les informations concernant le transfert d?autorité entre les forces multinationales et la mission de stabilisation ? MINUSTAH – on serait en droit d?en douter. De fait on ne nous parle que contingents, effectifs, conditions d?usage de la force, et tutti quanti. Une mosaïque de nationalités composent ces effectifs de « casques bleus » : pas moins de 14 (à date), du Bénin à l?Uruguay et de la Croatie au Rwanda, pour les militaires. Pour les policiers, qui (rappelons-le) font partie de la composante civile nous aurons 23 pays et cela fera en tout 11 langues différentes (je ne comptabilise pas les langues particulières des Tchadiens, Maliens, Béninois?). Franchement cela vaudra la peine d?espionner les réactions de nos compatriotes de Boucan Carré ou de Leprêtre au contact de ces nouveaux? stabilisateurs.
Plaisanterie mise à part, la composition du contingent de casques bleus pose de nombreux problèmes. Communication linguistique, différences culturelles, pressions sur le coût de la vie et le logement, m?urs de la soldatesque (elles sont tristement universelles), impossible d?en faire le tour. Et puis : Que vient faire tout ce monde dans notre petit pays ? Dans une réflexion antérieure, je disais que la composition de la MINUSTAH est lourde et déséquilibrée, avec une composante militaire pléthorique et une composante civile superfétatoire par rapport aux nombreuses agences internationales et étrangères présentes en Haïti. Je rappelais aussi qu?ailleurs les missions de paix des Nations Unies ont été soit une mission de prise en charge d?un pays déstructuré comme au Timor ou au Kosovo, soit une opération de pacification d?un pays après une guerre civile, comme à El Salvador ou au Guatemala. On ne sait trop quel est le cas de figure pour Haïti. En effet le chapitre 7 de la charte de l?ONU est invoqué. On serait donc dans un cas de menace contre la paix et la sécurité régionale. Or depuis les incidents consécutifs au départ d?Aristide on ne sache pas que ce pays soit en guerre même si la nécessité d?accompagner un Etat défaillant dans une tâche aussi délicate que celle de désarmer des gangs est une mission d?envergure.
On doit aussi savoir que dans les missions définies dans un contexte de «post-conflit», comme à El Salvador de 1992 à 1996, le mandat, la chaîne d?autorité, les priorités, les interlocuteurs, la colonne vertébrale de la mission en somme, étaient civils et politiques, même dans les premiers moments de surveillance de cessez-le-feu et de désarmement des combattants.
Mais au fait, l?essentiel manque encore, et on ne nous en a rien dit, pas encore du moins. Il manque à cette mission sa tête civile. Je lis bien, au paragraphe 77 du rapport du Secrétaire général (SG) au Conseil de Sécurité du 16 avril, « La Mission fonctionnerait selon une chaîne de commandement clairement définie, sous la direction du Représentant spécial du Secrétaire général (?) dont relèveraient directement toutes les activités de l?opération ». Et on sait bien qu?il doit en être ainsi. La MINUSTAH sera dirigée par un représentant spécial du SG, traditionnellement un diplomate de carrière, civil, qui doit être nommé par M. Kofi Annan. Il est grand temps que l?on dise aux citoyens perplexes devant les déclarations successives et abondantes des militaires en charge, brésilien entrant ou Nord-américain sortant, que Haïti ne sera ni traitée ni gérée en caserne et que «l?opération multidimensionnelle de stabilisation en Haïti » (paragraphe 69 du rapport) sera bien d?abord d?appuyer «le processus constitutionnel et politique » en cours en Haïti.
Il faut relever dans toute cette affaire trois anomalies qui laissent l?impression que nous sommes en pleine improvisation. La première concerne l?installation presque à la cloche de bois, selon des modalités de relève de garde, de la MINUSTAH. Les Nations Unies se devaient d?avoir résolu au 1er juin la question de la direction politique et civile de la mission et d`en avoir communiqué les données au gouvernement. Deuxièmement, le mandat de la mission aurait dû être largement diffusé et expliqué pour l`édification d?une opinion publique qui peut difficilement admettre la version selon laquelle Haïti est un pays «post-conflit». Troisièmement et surtout, les citoyens auraient dû être tenus au courant des termes de l?arrangement qui préside à l?installation de la MINUSTAH, des engagements pris en leur nom, des perspectives exactes de la durée de cette mission, car dix à vingt ans c`est une grosse fourchette. Mais pour cela le gouvernement aurait dû demander et obtenir les consultations et les mises en place pertinentes de manière à informer l?opinion en bonne et due forme sur les modalités exactes du déploiement de la MINUSTAH, après le transfert des aspects militaires dont nous avons pris acte en ce premier juin 2004. Même sous tutelle il avait la possibilité et le devoir de le faire.