Originally: Crise De L?état et Intervention Internationale En Haïti


Le 29 février 2004, le Conseil de Sécurité de l?ONU, répondant à une sollici-tude formulée par le président Boniface Alexandre récemment installé en lieu et place de M. Aristide, démissionnaire, autorisait, par la Résolution 1559, l?envoi en Haïti d?une force intérimaire multinationale.


Par cette même Résolution, le Conseil disposait du remplacement en date du 1er juin, de cette force par une « Mission Internationale de Stabilisation » dont le mandat et la durée devraient être définis postérieurement dans un délai de 60 jours.


Cette Résolution recevait l?accord unanime des membres du Conseil réunis sous la présidence de la République Populaire de Chine qui, de façon inusi-tée, donnait son appui au sein du Conseil de Sécurité à une intervention directe de troupes étrangères dans un État membre.


Cette Résolution prenait ainsi un caractère spécial, puisqu?elle ne correspon-dait pas à une situation classique susceptible de provoquer une telle action. Cependant, elle avait été précédée par un battage publicitaire sans précédent où la TV du monde entier, montrant des images peu usuelles de violence répressive et d?actions armées particulièrement aux Gonaïves, qui faisaient craindre la guerre civile ou un véritable génocide en Haïti.


Elle se réalisait aussi dans un cadre de crise politique de longue durée et d?une situation où pour la deuxième fois en dix ans, les Nations Unies devaient intervenir non pour ramener la paix ? puisqu?il ne s?agit pas de situation de guerre ? mais pour assurer la sécurité et les conditions du fonctionnement démocratique dans un État membre.


S?agissant d?un pays de l?Amérique Latine et de surcroît, une vieille Républi-que indépendante, cette intervention ne pouvait manquer d?attirer l?attention des analystes et observateurs sur ses causes profondes. Surtout quand ce dossier relevait de l?OEA qui avait reçu mandat, depuis le Sommet des Amé-riques au Québec en 2001, de prendre en charge le contentieux entre l?oppo-sition politique et le gouvernement d?Haïti. Surtout quand Haïti, durant cette année tragique, célébrait ses 200 ans comme nation indépendante.
1.- La crise de l?État
 
La décision adoptée par l?organisme international semblait correspondre à la reconnaissance du « droit d?ingérence » prôné, depuis quelques années par certains États comme de nature à faire face à des situations exceptionnelles de crise et de non-capacité de la part de l?État à assumer le pouvoir ou à faire face à un conflit aigu. Elle correspondait à ce qui paraissait être, une situation susceptible de déboucher sur le chaos ou une virtuelle guerre civile. Les ima-ges de plusieurs groupes armés, largement diffusées à échelle internationale portaient les reporters à se précipiter sur Haïti pour « contempler » les scéna-rios de « l?armée cannibale » et autres spectacles de sang.


Au plan diplomatique, l?Organisation des Nations Unies avait été suffisam-ment touchée par les antécédents de ce véritable collapsus pour ne pas se sentir concernée. En effet, en 1994, elle avait intervenu en Haïti pour sup-pléer les forces des États-Unis d?environ 20 mille hommes qui avaient débar-qué dans le cadre de la mission de « restauration de la démocratie » patron-née directement par le Président William Jefferson Clinton. Les troupes y étaient restées environ 2 ans. Et depuis la crise électorale de l?an 2000, con-sécutive aux élections frauduleuses qui installèrent une Législature et Aristide lui-même au pouvoir, l?OEA et plus récemment, la CARICOM, ont été partie prenante des négociations et autres tractations visant à normaliser le panora-ma politique. Ces institutions et d?autres maintenaient le Secrétariat général largement informé des violations des droits humains par le régime de Port-au-Prince, des difficultés dans la recherche d?un compromis entre le pouvoir et l?opposition et de la détérioration de la situation en termes de gouvernance, du respect des règles de l?État de droit et d?aggravation des conditions de vie économique et sociale de la population.


Ainsi la dégradation accélérée du climat politique, à la fin de l?an 2003, avec des manifestations populaires massives et l?irruption sur la scène de certains groupes armés, avait rendu recevable, la quête de certains États membres, en particulier de la France, concernant l?éventuelle participation de l?ONU à une mission humanitaire ou de maintien de la paix en Haïti. En effet, le défer-lement des hommes de main, des mafieux, des « chimères » mettait-il à l?or-dre du jour la question du « droit d?ingérence.» Les assassinats et les exac-tions de toutes sortes, dans un environnement alarmant d?augmentation de la misère, en remettaient au concept de « population en danger » pour inciter à l?action internationale. Une telle décision découlait de la systématique des-truction des institutions qui atteignit son expression la plus significative avec l?effondrement de la Police nationale totalement vassalisée ou démoralisée. L?État parut totalement incapable d?assumer les responsabilités et exigences de l?ordre démocratique.


Le Conseil de Sécurité de l?ONU pouvait se référer aux menaces qu?impli-quait une telle situation pour les vies et les biens et les dangers que repré-sentait Haïti pour la « sécurité de la région. » Surtout qu?un climat de fin de règne naissait de la combinaison d?évènements importants : la croissante mobilisation de la population (partis politiques, société civile, étudiants, etc.) réclamant le départ d?Aristide, la présence inopinée de groupes armés, les critiques acerbes de la presse, la remise en question de la légitimité même du gouvernement par certaines instances internationales. La population, dans un climat exceptionnellement surchauffé et face aux menaces et dangers créés par les conditions même de la chute de ce régime barbare (dont on annonçait un plan de représailles) dut assister, entre soulagement, humilia-tions et indignations, à l?arrivée des troupes étrangères venues rétablir l?or-dre.


Un tel scénario n?était nullement nouveau. En effet, en 1915, dans un contex-te local de violence et de chaos, l?infanterie de Marines des États-Unis d?Amérique avait débarqué à Port-au-Prince, et cette intervention se solda par 19 ans d?occupation. Il s?agissait de « rétablir l?ordre démocratique» en Haïti. Ceci, dans un contexte régional d?expansionnisme et d?ingérence. En 1915, dans un contexte régional de démocratisation et dans un cadre local marqué par un régime de force instauré par les militaires, des troupes des États-Unis d?Amérique, sous le patronage des Nations Unies, étaient interve-nu avec l?objectif de « restaurer la démocratie.»


Dix ans plus tard, l?interventionnisme prend la forme d?une action internatio-nale contre l?État mafieux, porteur de terrorisme et d?anarchie, qui menaçait de réaliser un bain de sang sur une population pacifique.


Dans cette continuité, se projette comme facteur permanent, la vigilance de la grande puissance, toujours attentive et prompte à corriger tout désordre dans son voisinage. Cette fois, cependant, une telle préoccupation était par-tagée par la France, qui au-delà de toute attitude compétitive, manifestait une nette coïncidence d?intérêts. Au fond, dans la perspective globale, une telle coïncidence paraissait correspondre à un impératif de la mondialisation. Vu qu?Haïti, de par son retard économique et social ainsi que l?archaïsme de son système politique, constituait une sorte de « dissidence historique et géogra-phique » insupportable dans la logique de cette mondialisation, des moyens adéquats devraient être mis en ?uvre pour la faire rentrer dans la normalisa-tion des marchés, de la force de travail, des modes de vies et des valeurs contemporaines.


Une telle continuité se referait en définitive à la crise de l?État haïtien qui, durant ce dernier siècle, n?a pas pu parvenir à l?adéquation de sa structure, son fonctionnement, ses méthodes et ses résultats, aux exigences du monde moderne. Sur le terrain politique, économique, social et culturel, l?État haïtien semble prolongé le 19e siècle latino-américain marqué par l?autocratie outran-cière qui ferme les yeux sur les exigences des majorités, en termes de démo-cratie, de justice, de progrès et de développement. Cet État, expression d?une oligarchie précaire (de militaires, d?hommes d?affaires ou de politiciens), ne parvient pas, malgré les influences de modernisme venant de l?étranger sous forme de capital ou de modèle, à gérer la société, ni à stimuler des for-ces motrices susceptibles d?assurer son avancement. Sans légitimité, sans représentation réelle des producteurs ou des travailleurs, sans crédibilité auprès des citoyens, l?État demeure faible dans sa fonction d?organisation de la société et fort en tant que profiteur, fonctionnant sur une base d?extorsions et de violence.


Ce déficit de l?État, de façon répétitive, provoque des pulsations au milieu des catégories sociales les plus éclairées, mais ceci sans parvenir à renverser la vapeur et à générer une direction politique de nature à impulser la démocra-tie, le développement et le progrès. Il en résulte un blocage continu, une sor-te de match nul interminable, une transition qui n?en finit pas. Une telle crise de direction, d?hégémonie, ne pouvant être résolue en terme de rapport de force ou de compromis conduit chez les uns et les autres à la tentation de rechercher l?appui de forces étrangères pour dépasser l?équilibre, et parvenir au retournement de la situation que la dynamique des forces locales ne peut pas résoudre


2. La graduelle mise en question du pouvoir personnel


Jean Bertrand Aristide avait surgi sur la scène politique en 1990 comme un leader de grande popularité surtout au milieu des pauvres. La revanche des secteurs conservateurs haïtiens prit la forme d?un coup d?État. Démocratique-ment élu, il fut éloigné du Palais durant 3 ans qu?il vécut à Washington, pré-parant son retour, lequel se réalisa sous l?égide des États-Unis et de l?ONU.


Dix ans après, en 2004, sa popularité et les changements qu?il annonçait se sont évaporés. Par contre, il avait su utiliser tous les attributs de la démocra-tie pour instaurer un pouvoir antidémocratique basé sur l?assassinat politique, la corruption, l?utilisation des vieilles méthodes de mensonge, de violence, de dissimulation et d?intimidation.


Une telle réalité s?est imposée de plus en plus au peuple surtout à partir des élections de l?an 2000. Montées de façon illégale, elles suscitèrent la crise post-électorale qui, aux termes de plus de 3 ans de remise en question de la résistance et du combat démocratique, amena en ultime instance, au renver-sement de M. Aristide.
 
En fait, retournant de l?exil avec un appui élargi de la population et le soutien illimité de la communauté internationale, l?ex-Curé de St-Jean Bosco avait mis en évidence son impuissance à gérer des ressources immenses dont il pouvait disposer. Une somme de 2 milliards de dollars environ, en termes de prêts et de donations, n?attendait que des projets appropriés pour être mis à la disposition du gouvernement et du peuple démuni de ce pays. La mauvai-se gestion compromit cette possibilité de relancer l?économie et d?assurer le succès d?un projet qui avait suscité tant d?espoir dans les milieux populaires. En même temps, au plan politique, le régime, au lieu de s?ouvrir et de s?attirer d?autres catégories sociales, reprit sa ligne de conduite démagogique et po-puliste.


La continuité de ce pouvoir avait été assumée par René Préval qui lui succé-da, jouant pleinement le rôle de marionnette. Accomplissant à la lettre les desseins de son tuteur, il continua la politique de celui-ci de violation des droits humains, de népotisme, et tout un jeu machiavélique destiné à lui garantir le retour.


Le refus de la citoyenneté vis-à-vis de ce règne anarco-populiste commença à se manifester au cours de cette période (1995-2000). Il provenait de l?Orga-nisation du Peuple en Lutte (OPL), représentant la branche la mieux organi-sée du mouvement qui avait appuyé Aristide. Sa représentation parlementai-re, avec une majorité relative à la Chambre des députés (35) et au sénat (9), imposa au duo présidentiel Aristide/Préval un Premier ministre de l?opposi-tion, Rosny Smarth. Celui-ci eut toutes les peines du monde à fonctionner dans le cadre prévu par la Constitution se voyant constamment en bute aux tracasseries de l?Exécutif présidentiel et des « organisations populaires » manipulées dans les coulisses du Palais.


Le Parlement entreprit de freiner les violations de l?ordre républicain et autres dérives propres du pouvoir absolu et populiste par lequel commençait à fonc-tionner le présidentialisme qui avalisait l?impunité et les exactions permanen-tes contre les citoyens.


A ce niveau déjà, les exigences de l?OPL en faveur de l?institutionnalité, la modernité, le respect de la loi et de la Constitution configuraient tout un pôle d?attraction pour l?ensemble de la population. La capacité de convocation, de mobilisation et la crédibilité même du pouvoir s?effritait. La propagande gou-vernementale entreprit alors d?attribuer les actions de l?opposition à des in-fluences venant de l?ancien régime duvaliériste ou de secteurs de l?étranger.


En avril 1997 échoua une tentative du président Préval d?imposer sa volonté au cours des compétitions partielles pour le sénat où l?opposition avait toutes les chances de renforcer sa majorité. Les dénonciations de l?OPL contre ce comportement antidémocratique, en exigeant le respect des règles du jeu, alimentèrent tout un mouvement revendicatif des secteurs populaires de plus en plus méfiants et critiques vis-à-vis des promesses non tenues par le pou-voir. Ces secteurs, cependant, freinés, intimidés, confondus par les méthodes du populisme, tardaient à s?exprimer en des actions autonomes ou propre-ment d?appui à une opposition déjà persécutée et calomniée.


Malgré tout, la ténacité de celle-ci, la démission du Premier Ministre et l?im-possibilité technique et politique de le remplacer, l?accueil fait dans tout le pays aux actions des élus et autres secteurs de la presse et d?institutions civiques en faveur du respect de l?État de droit, amenèrent le président Préval à dissoudre le Parlement en décembre 1998. Il démontrait ainsi l?incapacité de ce régime de pouvoir personne de coexister avec un parlement indépen-dant et d?appliquer en fait les prescrits de la Constitution, prévoyant le fonctionnement d?un Exécutif bicéphale reflétant la réalité du pluralisme.


3. La laborieuse émergence d?une alternative


En l?an 2000, apparut encore plus évidente l?impossibilité de l?État, secoué par tous les vices, d?assurer la gestion du pays et de coexister en même temps avec une opposition. Cette incompatibilité se fit notoire, à l?occasion de la convocation et la tenue des compétitions législatives et présidentielles. En effet, le conflit post-électoral qui s?en suivit, expression d?une crise politique et sociale bien plus profonde, traduisit l?archaïsme des structures et des institu-tions ainsi que la nature des difficultés inhérentes au non-développement. Il s?est approfondi au fur et à mesure que s?exprimait l?acharnement de l?Exé-cutif à vouloir imposer à la nation des mairies, un parlement, un président, à fin de monopoliser l?État au service d?un seul homme.


Les partis d?opposition qui avaient toutes les possibilités de gagner les élec-tions législatives se sont vus dépouillés de tous leurs élus, mainmise qui s?est étendue au pouvoir judiciaire et aux diverses institutions de l?État incluant la Police. Aussi., l?ambiance de répression accompagnant les actions de force contre toute opposition, a favorisé la détermination et l?action des partis politi-ques de diverses tendances (social-démocrate, démocratique-populaire, chrétien engagé, conservateur modéré) les portant à se réunir au sein de la Convergence Démocratique. Cette coalition patriotique, en mettant en ques-tion la légitimité du gouvernement et en dénonçant ses méfaits, mina sa crédibilité au milieu de la population, stimulant la résistance citoyenne.


La communauté internationale, de son côté, en particulier l?OEA, donnant suite aux contestations citoyennes, a dû entreprendre des négociations entre les deux parties. Négociations laborieuses au cours desquelles le Secrétaire général et le Secrétaire général-adjoint ont organisé plus d?une vingtaine de visites en Haïti. Au cours de cette Mission, le Conseil de l?OEA et l?Assem-blée Générale de l?Institution ont adopté d?importantes résolutions auxquelles ont souscrit le gouvernement haïtien, mais qui sont demeurées lettres mortes étant donné la volonté de celui-ci d?imposer ses vues et d?écarter tout com-promis.


La dynamique de contestation et de négociation impulsée par la Convergen-ce a conduit graduellement à la prise de conscience et à l?action militante des secteurs d?étudiants, de journalistes, d?organisations de droits de l?homme, des églises, d?associations de femmes et du secteur des affaires, réclamant le respect des droits humains et des engagements consentis par l?État haïtien. Ainsi l?opposition s?est consolidée malgré la volonté des autorités d?étouffer toutes critiques, de manipuler les masses et de bâillonner la près-se. La citoyenneté a commencé à se sentir concernée, de plus en plus cons-ciente de la nature de ce pouvoir et du fait qu?il utilisait en plus des mécanis-mes et ressources publics, les pires instruments de l?autocratie ainsi que de puissants réseaux internationaux liés à sa participation au trafic de la drogue.


L?État mafieux, se présentant au nom du peuple et de la cause populaire, s?était transformé, à partir du non droit, de l?impunité, de la dissimulation de ses objectifs sous un voile populiste et constitutionnaliste, en un instrument efficace de pillage et d?enrichissement illicite. Un État doté d?une puissance criminelle énorme, chaque jour plus distant de la société et opposé au pro-grès et à la liberté. De là, la dichotomie devenant de plus en plus dangereuse entre cet État et la nation. Ainsi, l?appareil étatique au service, de M. Aristide, des barrons de la drogue, des profiteurs du régime et de leurs alliés haïtiens et étrangers, démontrait qu?il n?avait pour seul objectif, s?assurer l?impunité, maintenir leur domination et se pérenniser au pouvoir. D?un autre côté, la nation, dans un processus difficile de prise de conscience, de refondation, de renforcement de l?organisation sociale, pouvait commencer à définir son pro-jet de construction des bases matérielles correspondant à son besoin de développement et de démocratie.


L?année 2003 fut celle de l?élargissement et de l?essor soutenu des secteurs progressistes. La Convergence Démocratique, qui rassemblait les forces politiques de l?opposition, imprima une orientation unitaire à tous ceux qui oeuvraient en faveur du changement. Elle constituait, en même temps le partenaire du gouvernement dans des négociations avec la communauté internationale en vue d?arriver à un compromis pour une sortie de crise.


L?action de la Convergence fut renforcée et renouvelée par des citoyens issus de la société civile : les milliers de sociétaires des coopératives d?épar-gne, dépouillés de leur avoir par des extorqueurs officiels, les étudiants réclamant l?autonomie de l?Université et le droit de manifester, les églises s?associant aux revendications de la population, et de façon générale, récla-mant la bonne gouvernance et la fin de la corruption. La société civile organi-sée, sous le nom de « groupe des 184 », entreprit une campagne de partici-pation civique où se retrouvèrent les éléments les plus dynamiques des institutions privées, des groupements d?universitaires, des associations de femmes, des organisations de défense de droits humains, etc. La mobilisa-tion de ces secteurs entraîna l?ensemble de la population à manifester contre le régime, avec pour effet d?exaspérer la barbarie des organes répressifs contre ces activistes, et en particulier contre les étudiants de l?Université d?État.


Dès lors, le mouvement civique, regroupant société civile et groupes politi-ques, atteignit un plus grand essor, donnant lieu à des manifestations de rues réunissant plus de 100 mille personnes. Les bases de consensus social étaient trouvées pour combattre la dictature. Le schéma et le contenu de la transition à un régime démocratique et de garantie des droits humains s?af-firmait, et avec ce vaste mouvement de société apparaissaient les lignes d?un projet alternatif de caractère républicain pouvant aboutir à la réalisation des élections.


En ce début de 2004, année de célébration des 200 ans de notre indépen-dance, une telle mobilisation et l?état d?esprit combatif de la population appa-rurent clairement comme l?expression d?un changement en cours. Ils provo-quèrent l?effondrement du mythe de la popularité absolue de M. Aristide démontrant aussi la faible capacité de convocation du Parti officiel. Ces phé-nomènes politiques entraînèrent la rupture de toute la logique de fonctionne-ment du système basé sur la répression, l?intimidation, la manipulation et l?immobilisme des citoyens. Ceux-ci désormais défiaient la brutalité des poli-ciers et autres agents répressifs. Les institutions d?État ne pouvaient plus fonctionner, entraînant la paralysie de l?appareil d?oppression. Le peuple réclamait le départ d?Aristide, et cette revendication pacifique généralisée exaspérait la violence de la machine répressive. Toute cette lutte provoquait la désarticulation du système.


Ce scénario d?effritement et d?implosion d?un pouvoir qui paraissait total et tout-puissant, favorisa l?entrée en scène de certains secteurs armés prove-nant soit des groupes paramilitaires au service d?Aristide en dissidence surtout dans la ville des Gonaïves, soit d?éléments de l?ancienne armée d?Haïti réfugiée en République Dominicaine qui pénétrèrent par la Frontière nord.


Au plan international, la lutte unitaire de l?opposition pacifique et de la société civile, en particulier du « groupe des 184 » provoqua la rupture du système d?alliance subordonnée de M. Aristide avec la communauté internationale. Jusqu’à cette étape de la résistance du peuple et de la violence répressive, illimitée et criminelle, la plupart des États amis d?Haïti de même que l?OEA et la CARICOM continuaient à appuyer le gouvernement, à lui témoigner de la complaisance voire la complicité. Ils se référaient à sa « légitimité » tout en réclamant le redressement de certaines pratiques politiques illégales et la cessation des violations des droits humains.


Avec l?explosion inattendue du mouvement populaire et la concertation de tant de secteurs sociaux réclamant le départ d?Aristide, la communauté inter-nationale dût changer son fusil d?épaule. Pour la première fois, durant la deu-xième quinzaine de février, des personnages importants de cette communau-té firent mention de l?incapacité du chef de l?État d?assurer la sécurité des vies et des biens en Haïti et aussi de garantir la sécurité dans la région des Caraï-bes. En fonction de cette ambiance , une compagnie privée de sécurité des États-Unis la Steele Foundation de Californie qui, assurait, depuis environ deux ans, la sécurité rapprochée de Jean Bertrand Aristide, décida de mettre fin à la délicate mission de ses agents placés au Palais national, ne recevant plus les garanties appropriées des autorités de Washington.


 


4.- L?intervention étrangère


Les 1er-2 janvier 2004 prirent toute une signification symbolique dans le pro-cessus de constitution du consensus historique de la nation à la recherche de la liberté et d?une auto définition conforme à ses aspirations, a la dignité hu-maine et au développement économique et social. En cette circonstance, le peuple haïtien, attaché comme on le sait et à quel point, aux valeurs de la nationalité et d?une indépendance conquise dans des conditions si héroïques, au lieu de célébrer cet anniversaire, gagna les rues de la capitale et de la province pour dire non à la dictature et réclamer le départ du dictateur dont la conduite déshonorait la nation. La Police et les groupes paramilitaires char-gèrent contre les manifestants avec une violence sans pareille faisant plu-sieurs morts et blessés.


En cette occasion, la Plate-forme Démocratique, coalition politique où se sont retrouvées les catégories sociales et politiques les plus diverses, depuis les étudiants, les associations patronales, les syndicats, les organisations pay-sannes, réunissant en un mot l?opposition politique et la société civile, remit un document réclamant le départ de M. Aristide, au seul invité officiel de haut rang présent dans les célébrations, le président de l?Afrique du Sud, Tabo Mbeki.


Le 19 février suivant, ce document servait de base à la position de la Plate-forme démocratique pour réitérer les positions de la Nation face aux proposi-tions qui lui étaient transmises par une délégation internationale de haut rang, composée entre autres du Sous-secrétaire d?État Américain Roger Noriega, du Ministre Canadien de la Francophonie, Denis Coder, du Ministre des Rela-tions Extérieures des Bahamas, de hauts fonctionnaires de l?OEA, de la CARICOM et de l?Union européenne. Par l?entremise de cette délégation, la Communauté Internationale renouvelait son appui à ce que M. Aristide, chef d?un État mafieux, reste au pouvoir pour terminer son « mandat » jusqu?au 7 février 2006, invitant l?opposition à souscrire un tel compromis qui incluait entre autres, le choix d?un Premier Ministre de consensus. Ce que l?opposi-tion refusa.


En fin de compte, confronté à la fermeté de l?opposition et à l?effondrement du système, les partenaires internationaux durent réagir dans le sens du mouve-ment général de la société. Aristide fut contraint par la force des choses de quitter le pouvoir.


Ainsi le document de la Plate-forme Démocratique, réapparut, dépouillé de certains éléments majeurs de son contenu. Il servit de référence à la nouvelle institutionnalité précaire et formelle sur laquelle l?OEA et l?Ambassade des USA se basaient après le départ d?Aristide, pour reconnaître comme prési-dent provisoire, selon le v?u de la Constitution, le président de la Cour de Cassation, Monsieur Boniface Alexandre et pour la mise en place d?un Conseil de Sages de 7 membres pouvant contribuer au choix d?un Premier Ministre de consensus et de son gouvernement.


 En fait, Haïti rentrait dans une autre étape de son histoire. Mais, l?élan de renouveau démocratique que voulait imprimer le consensus historique des 1er-2 janvier 2004 à la difficile lutte du peuple pour se libérer du despotisme, fut à nouveau dévié, sinon tronqué.


Entre-temps, avait débarqué dans le pays, une force militaire multinationale que M. Aristide, dans sa peur d?être balayé par la vague de fond de la contes-tation généralisé et son obsession de rester au Palais dans n?importe quelle circonstance, avait déjà sollicité auprès des Nations Unies et dans les décla-rations publiques, l requête que le Président fraîchement arrivé au poste réi-téra. Il s?agissait de cette façon, de court-circuiter le processus inusité vers le consensus et la détermination historique, par lequel la nation haïtienne, pour sortir de l?ignominie, avait entrepris de pousser l?unité des divers secteurs progressistes vers une libération véritable.



Port-au-Prince, le 10 mai 2004.