L’ancien président haïtien Jean Bertrand Aristide va quitter la Jamaïque dimanche matin pour se rendre en Afrique du Sud, a annoncé à l’AFP vendredi depuis Kingston son porte-parole, Huntley Medley.



“Son départ est maintenant confirmé pour dimanche”, a précisé M. Medley depuis la Jamaïque, où Aristide s’est réfugié depuis le 15 mars.


Le 13 mai, l’Afrique du Sud a accepté de recevoir provisoirement l’ancien président jusqu’à ce que la situation dans son pays “se stabilise pour qu’il puisse y retourner avec sa famille”.


L’ancien président haïtien a été contraint de quitter son pays le 29 février, confronté à une insurrection armée et des pressions internationales, notamment américaines et françaises.

Après un séjour de deux semaines en République Centrafricaine, d’où il a multiplié les déclarations pour se dire victime d’un “coup d’Etat” et d’un “enlèvement moderne” organisé par Washington et Paris, il s’est rendu avec sa famille en Jamaïque, île voisine de Haïti, où il s’est fait extrêmement discret.

Ce séjour dans une île toute proche d’Haïti, s’il avait rempli d’espoir ses partisans, avait provoqué un “gel” des relations diplomatiques entre Port-au-Prince et Kingston, et était considéré d’un mauvais oeil par Washington et Paris.

Une conférence de presse prévue dimanche avant son départ, selon M. Huntley, doit être la première prise de parole publique de M. Aristide dans l’île.

Lundi dernier, le ministre sud-africain de la Défense Mosiuoa Lekota avait indiqué que tout était prêt pour recevoir M. Aristide et sa famille, aux frais de l’Etat sud-africain.

Il pourra rester “aussi longtemps qu’il le voudra”, avait dit pour sa part le ministre adjoint des Affaires étrangères Aziz Pahad.

Les autorités sud-africaines avaient précisé à la mi-mai que la décision d’accueillir M. Aristide avait été prise à la suite de discussions avec “les dirigeants des Etats-Unis et de la France”, deux pays accusés par l’ex-président d’être à l’origine de son départ d’Haïti en début d’année.

“Tout le monde était d’accord pour que nous accueillions temporairement le président Aristide”, a ajouté M. Pahad.

Le président sud-africain Thabo Mbeki avait été le seul chef d’Etat étranger à assister en janvier aux cérémonies du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, alors que les critiques se multipliaient dans la communauté internationale sur le régime de M. Aristide.

Le principal parti sud-africain d’opposition, l’Alliance démocratique (DA, droite libérale) a condamné la venue du président déchu, qu’elle considère “responsable de beaucoup de souffrances humaines”, selon son porte-parole Douglas Gibson.

En revanche les partisans de son accueil estiment que l’Afrique a un devoir envers l’ancienne colonie française de Haïti. “Ce fut la première révolte réussie d’esclaves”, a ainsi souligné Kader Asmal, président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale sud-africaine. “Deuxièmement, ce fut la révolte de Noirs contre le colonialisme: on ne peut pas oublier cela”, a-t-il ajouté.

L’Afrique du Sud a demandé début mars une “enquête” sous les auspices de l’Onu pour “clarifier les circonstances ayant conduit au départ” de Haïti de M. Aristide.

Depuis le départ de M. Aristide, une force multinationale autorisée par l’Onu, composée de troupes américaines, françaises, canadiennes et chiliennes, a permis de stabiliser l’île.

Haïti s’est en outre doté d’un président provisoire, Boniface Alexandre, et d’un nouveau Premier ministre, Gérard Latortue. Des élections générales (législatives, locales, présidentielle) sont prévues en 2005 en vue de l’entrée en fonctions d’un nouveau président le 7 février 2006.


 



Saint-Domingue de notre correspondant


L’aide internationale commence à arriver sur l’île d’Hispaniola, où le bilan des pluies diluviennes ne cesse de s’alourdir. Selon les sauveteurs, le nombre des victimes ne sera sans doute jamais connu avec précision. Cinq jours après la catastrophe, les Nations unies ont évalué à au moins 1 500 le nombre de morts et de disparus en Haïti. “Ce bilan risque d’augmenter”, a averti la porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), Elisabeth Byrs.


Nombre de villages sont toujours isolés dans ce pays où les communications terrestres, déjà difficiles avant le déluge, sont devenues impossibles dans plusieurs régions. En République dominicaine, 372 cadavres, dont de nombreux enfants, ont été retrouvés à Jimani, la ville frontalière la plus durement touchée. Les autorités font état de 352 disparus, une estimation que nombre d’habitants de la ville estiment inférieure à la réalité.


En Haïti, les militaires américains, français, canadiens et chiliens de la force internationale participent activement aux secours. Ils ont acheminé par hélicoptère de l’eau potable, des rations alimentaires et des couvertures à Fonds Vérettes, au nord-est de Port-au-Prince, et à Mapou, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de la capitale, où les victimes se comptent par centaines. Selon le porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), Inigo Alvarez, 40 tonnes d’aliments ont déjà été distribuées à Fonds Vérettes et 20 tonnes à Mapou.


La région de Mapou est encore inondée, ce qui rend l’atterrissage des hélicoptères difficile. Les maisons, le cheptel et les récoltes ont été dévastés. Beaucoup de cadavres n’ont pu être enterrés et sont en état de décomposition, ce qui multiplie les risques d’épidémies. “Les survivants, éparpillés dans vingt-six endroits et une école, sont dans un état de choc considérable. Les routes d’accès ont été endommagées au point qu’il ne sera pas possible de les réparer à court terme”, indique un premier rapport d’évaluation de l’Ocha.


Fonds Vérettes, qui comptait environ 45 000 habitants avant le drame, a été rayée de la carte. En partie construite dans le lit d’une rivière asséchée, la ville a été balayée par un déluge de boue, de roches et de débris végétaux. Le premier ministre haïtien, Gérard Latortue, qui s’est rendu à Fonds Vérettes avant de s’envoler pour le sommet Union européenne-Amérique latine de Guadalajara (Mexique), a annoncé que la ville, qui avait déjà été dévastée par deux cyclones, en 1994, puis en 1998, serait reconstruite dans un autre endroit “pour éviter de nouvelles tragédies”.


“La déforestation est l’une des principales causes de la catastrophe”, a souligné M. Latortue. “L’utilisation du charbon de bois pour la cuisson des aliments a provoqué la perte de plus de 80 % de la couverture forestière du pays”, a-t-il expliqué. Il a annoncé la création d’une police forestière, formée d’anciens militaires démobilisés lors de la dissolution de l’armée haïtienne.


Pour manifester la solidarité de la France avec les victimes, le ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, s’est absenté durant quelques heures du sommet de Guadalajara pour survoler les zones les plus touchées de l’île d’Hispaniola. Son hélicoptère s’est posé à Jimani, où une trentaine de militaires français, venus d’Haïti, ont installé des tentes pour héberger les sans-abri. Critiqué pour la lenteur des secours officiels, le président dominicain Hipolito Mejia s’est rendu, jeudi, à Jimani, où il a promis la construction de logements pour les sinistrés.


Jean-Michel Caroit



L’ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide devait quitter la Jamaïque, dimanche matin 30 mai, pour se rendre en Afrique du Sud, a annoncé, vendredi, depuis Kingston, son porte-parole, Huntley Medley. M. Aristide s’est réfugié depuis le 15 mars en Jamaïque. Le 13 mai, l’Afrique du Sud a accepté de recevoir en exil le président déchu, contraint de quitter Haïti le 29 février, confronté à une insurrection armée ainsi que des pressions américaines et françaises. – (AFP.)


Lamia Oualalou






Les héros de l’indépendance Simon Bolivar et Francisco de Miranda l’ont rêvé. Le Cubain Fidel Castro, le Vénézuélien Hugo Chavez et le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva en assurent l’avènement. L’intégration latino-américaine est pourtant une arlésienne. La rencontre, à Guadalajara, de 58 chefs d’Etat des deux rives de l’Atlantique souligne crûment la dissymétrie entre une Union européenne commercialement intégrée et un paysage latino-américain éclaté.

Pourtant, le sous-continent s’est piqué, dès les années 60, d’intégration régionale. L’Amérique centrale ouvre la marche, en 1961, avec la création du Marché commun centraméricain (MCCA : Guatemala, Salvador, Honduras et Nicaragua). En 1969, naît le Pacte andin, aujourd’hui Communauté andine des nations (CAN : Bolivie, Colombie, Pérou, Equateur et Venezuela), suivi, en 1973, par le Caricom, rassemblant l’ensemble des pays du bassin des Caraïbes. A ces projets marqués par une forte cohérence géographique succède une association au volontarisme politique prononcé : en 1991, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay créent le Mercosur.

Une succession de déceptions. Sur le Vieux Continent, l’union régionale a apporté la prospérité aux régions les plus pauvres. Il n’en est rien en Amérique latine, déjà estampillée région la plus inégalitaire au monde. Les plus anciens des accords d’association, la CAN et le MCCA, peinent à réduire les taxes douanières, ou les remplacent aussi vite par des barrières non tarifaires. Au sein du Mercosur, l’absence d’institutions et le décalage entre les politiques macroéconomiques freinent l’intégration : la dévaluation du real, au Brésil, en 1999, a aggravé la récession de son partenaire argentin.

Ces échecs poussent de nombreux pays à opter pour des stratégies individuelles. Le Chili refuse d’entrer dans le Mercosur, nouant des accords de libre-échange avec les Etats-Unis, l’Union européenne et les pays asiatiques. En 1994, le Mexique délaisse son flanc sud pour se tourner vers son puissant voisin. C’est la naissance de l’Alena, un bloc commercial de 420 millions de personnes formé par les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. Et l’Argentine de la seconde moitié des années 90 oublie un temps le Mercosur au profit de «relations charnelles» avec les Etats-Unis.

En l’absence de volonté politique pérenne, la signature de traités de libre-échange dépend des lobbies locaux. Les entrepreneurs de la région de Medellin ne sont pas étrangers au prosélytisme de la Colombie en faveur d’un accord avec les Etats-Unis. Inversement, fin 2003, le Costa Rica a refusé, à la surprise générale, de signer l’accord entre Washington et les pays d’Amérique centrale, alors même qu’il en avait été le principal négociateur. Il venait de prendre conscience des risques que ce traité faisait encourir à ses compagnies d’assurances.

C’est cette confusion que Washington veut mettre à profit en proposant l’installation d’une zone de libre-échange (ZLEA, Alca en espagnol) sur les 34 pays du continent. Seul Cuba serait exclu de ce nouveau traité, dont George Bush espère la naissance le 1er janvier 2005. Mais le bilan mitigé de l’Alena, qui a certes hissé le Mexique du quinzième au neuvième rang mondial en termes de richesse nationale, au prix d’une marginalisation de pans entiers de la société, laisse le continent songeur. L’échec des politiques néolibérales de la Bolivie à l’Argentine braque les populations contre l’ouverture des frontières, en particulier à l’égard des Etats-Unis. «L’Alca est un questionnement politique de fonds pour l’ensemble des pays du continent», estime Jean-Michel Blanquer, directeur de l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine dans une récente étude publiée par la Documentation française. «Ce projet oblige les autres systèmes d’intégration à affirmer leur identité ou à se fondre dans l’Alca», poursuit-il.

De fait, face à ce modèle d’intégration dicté par les Etats-Unis, le Mercosur apparaît comme la seule ambition alternative, avec le Brésil comme principal moteur. En témoigne la volonté affichée par Caracas et Mexico de rejoindre un bloc qui a retrouvé son dynamisme depuis l’accession au pouvoir de Lula au Brésil et de Nestor Kirchner en Argentine. Le Pérou vient ainsi de rallier le Chili et la Bolivie en tant que membre associé.

Brasilia est d’autant plus légitime à endosser le costume de contrepoids à Washington que, outre son importance économique, ses voisins lui reconnaissent un rôle de stabilisateur régional. Le Brésil est déjà à la tête du «groupe des amis du Venezuela», censé jouer les médiateurs entre Hugo Chavez et son opposition, et tente parallèlement d’aplanir les conflits de frontières entre une Bolivie en ébullition et un Chili qui lui refuse l’accès à la mer. L’année 2003 a démontré la capacité de Lula à tenir tête aux Etats-Unis et à l’Union européenne sur le terrain des négociations agricoles. La reprise de la croissance, sur l’ensemble du continent, tirée par les importations chinoises, pourrait se révéler propice à un rapprochement latino-américain. Lula et Kirchner ont d’ailleurs annoncé leur intention de doter le Mercosur d’un Parlement et d’un président.

L’intégration latino-américaine paraît aujourd’hui suspendue au renforcement des institutions du Mercosur. Alors que l’Union européenne compte 37 000 fonctionnaires, le Marché commun du cône sud n’en aligne que quatre! La résurgence périodique de réflexes protectionnistes entre l’Argentine et le Brésil laisse craindre qu’une dévaluation ou une élection perdue ne suffisent à briser l’édifice. D’autant qu’en Amérique latine, si les Etats-Unis incarnent aujourd’hui le diable, nombreuses sont les capitales à se méfier de la domination du Brésil. Les Colombiens, qui privilégient aujourd’hui l’axe Bogota-Washington, ne sont pas les seuls à rappeler l’appétit expansionniste continu du géant latino-américain au siècle dernier.


Le bilan des pluies torrentielles qui ont frappé ce week-end l’île d’Hispaniola, partagée entre Haïti et la République dominicaine, continue à s’alourdir, côté haïtien notamment, et atteindrait près de 2 000 morts. 1 000 victimes ont en effet été découvertes dans la ville reculée de Mapou, dans le sud d’Haïti. Située au milieu d’une vallée, «Mapou est pratiquement englouti par les eaux», a déclaré le lieutenant-colonel David Lapan, porte-parole de la force multinationale dépêchée à Haïti le 29 février pour y rétablir l’ordre à la suite du départ du président Jean-Bertrand Aristide.


Hélicoptères. La découverte de ces nouvelles victimes porterait à plus de 1 600 morts le bilan des inondations côté haïtien. La force multinationale, qui compte 3 500 hommes, a consacré tous ses moyens aux opérations de secours, acheminant par hélicoptères vivres, eau potable et médicaments dans les régions les plus affectées, notamment autour de Fonds-Vérettes. Mais toutes les rotations d’hélicoptères n’ont pu être menées à bien hier à cause des mauvaises conditions météorologiques.


Selon un photographe de l’AFP qui a pu accompagner une mission héliportée américaine, Fonds-Vérettes est une ville qui a cessé d’exister, transformée en immense terrain vague. La localité, de plus de 40 000 habitants, était bâtie sur le lit d’une rivière asséchée la majeure partie de l’année et qui ne se remplit brièvement d’eau qu’en cas d’intempéries majeures. La déforestation sauvage que subit Haïti depuis des années est en partie responsable de la catastrophe. Dans ce pays, le plus pauvre du continent américain et qui manque cruellement ­ entre autres choses ­ d’énergie, les habitants déboisent systématiquement les forêts pour en faire du charbon de bois de cuisine. L’ancienne «perle des Antilles» ne compte plus que 2 % de surfaces boisées.


Secours. En République dominicaine, le dernier bilan officiel est de plus de 300 morts, 375 disparus et 120 blessés, presque tous à Jimani, la ville la plus lourdement frappée, dans le sud-ouest, à la frontière avec Haïti.


Les Nations unies ont annoncé hier l’envoi de deux missions pour évaluer les besoins et coordonner les secours. Par ailleurs, le Programme alimentaire mondial (PAM) a pu faire parvenir mercredi par hélicoptère à Fonds-Vérettes trois tonnes d’aide alimentaire.


D’après AFP, Reuters


 


 


(AFP.)
 


Les agences humanitaires continuaient hier à évaluer les dégâts des intempéries catastrophiques en Haïti et en République dominicaine tandis que des vivres étaient livrés par hélicoptère aux zones les plus touchées.



Une mission combinant des agences de l’ONU, la Croix-Rouge et des ONG comme Oxfam s’est rendue dans la ville de Mapou-Belle-Anse (sud-est d’Haïti). Les neuf membres de cette mission vont «évaluer la situation et aider la population» en lui apportant 1,5 tonne d’eau et des comprimés pour purifier l’eau fournis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).



Une autre mission d’assistance de onze membres, appartenant au Programme alimentaire mondial et au ministère de la Santé haïtien, devait aussi se rendre en hélicoptère à Fonds-Verette, au nord-est de Port-au-Prince. Trois hélicoptères doivent livrer 12 tonnes de nourriture aux 45 000 habitants de Fonds-Verette.



Plus de 871 personnes ont trouvé la mort dans les intempéries qui ont frappé ces derniers jours l’île d’Hispaniola, partagée entre la République dominicaine et Haïti, selon les bilans officiels qui seront certainement encore revus à la hausse en raison du nombre élevé de disparus.



En République dominicaine, le dernier bilan officiel est de plus de 300 morts, 375 disparus et 120 blessés, presque tous à Jimani (sud-ouest), la ville la plus lourdement frappée. Dans le pays voisin, Haïti, les pluies torrentielles qui se sont abattues dimanche ont fait au moins 571 morts, selon un nouveau bilan provisoire. Jimani, ville frontière avec Haïti, qui comptait 11 400 habitants selon le dernier recensement de 2002, a été victime dans la nuit de dimanche à lundi du débordement d’un fleuve, qui prend sa source en Haïti. Après plusieurs jours de pluies diluviennes provoquées par la combinaison d’une dépression et d’une onde tropicale, les eaux du fleuve et les coulées de boue ont ravagé deux quartiers habités par des Dominicains et des Haïtiens.



Alors que les précipitations ont diminué, les équipes de secours cherchaient d’éventuels survivants, autorités et associations organisant les opérations d’aide aux sinistrés. Pour éviter les risques d’épidémie, les autorités enterrent les corps dans des fosses communes. Les dégâts sur l’agriculture et les infrastructures sont importants.



Première manifestation en France à être strictement consacrée aux musiques haïtiennes, le festival Ayiti Chéri, programmé au Cabaret sauvage, à Paris, du 1er au 3 juin, est organisé par Caraïbes aller-retour, une association parisienne regroupant des passionnés de culture caribéenne. Elle désire modifier l’image négative que donnent les médias d’Haïti, dont ne sont retenus que “la misère économique et les horreurs politiques”.


Si l’on met de côté le trio acoustique (chant, guitare, percussions) Ilan Ilan, installé en France, tous les musiciens invités résident en Haïti, alors que bien souvent la musique haïtienne n’émerge ici que par le biais de groupes de compas animant des bals-concerts fréquentés par la communauté antillaise de la métropole.


Pour le groupe Racine Mapou, du chanteur et tambourinaire Azor – six percussionnistes et quatre vocalistes, interprètes de musique traditionnelle dite “rasin” -, c’est une première venue en France. Comme pour Brothers Posse, un collectif mélangeant avec méthode les rythmes du carnaval, du rap, du reggae et du raggamuffin, groupe chéri de la jeunesse haïtienne. Grand fan d’après la rumeur, le chanteur français Sergent Garcia devrait les rejoindre sur la scène du Cabaret sauvage pour quelques chansons.


LE SILLAGE D’AIMÉ CÉSAIRE


Le projet du festival Ayiti Chéri repose “sur trois principes fondamentaux”. Présenter la diversité des musiques d’Haïti, traditionnelles, rurales ou urbaines, les diffuser au-delà du public communautaire haïtien et antillais et – c’est là la partie la plus ambitieuse du projet – réinvestir “en moyens humains, financiers et matériels” dans les domaines de la préservation du patrimoine musical, de la formation et de la promotion internationale. Les organisateurs rêvent d’un “développement durable de la culture en Haïti” envers et malgré les vicissitudes, les obstacles.


Autre manifestation liée au Bicentenaire de la révolution haïtienne, le Parloir haïtien, partenaire d’Ayiti Chéri, organisé par le Théâtre international de langue française de La Villette, s’est axé sur la littérature, la danse et le théâtre. “Le mouvement de négritude prôné par Césaire et couronné par son passage en Haïti en 1943 aura profondément marqué cette littérature, puis les événements politiques”, écrit le comédien et écrivain Giscard Bouchotte.


La répression des Duvalier a amené cette culture à son plus haut point de résistance. “Malgré toute cette création foisonnante, l’image d’une Haïti s’enfonçant dans un “spiralisme” suicidaire ne cesse de hanter aussi bien les Haïtiens que la diaspora éparpillée çà et là.” Les 4 et 5 juin, le romancier Frankétienne, l’un des rares écrivains à être resté en Haïti, y lira un monologue subversif, Foukifoura, accompagné par le tambourinaire Atissou Loko et le groupe Adjabel, autres témoins des turbulences haïtiennes.


Patrick Labesse


Festival de musiques Ayiti Chéri, Cabaret sauvage, parc de La Villette, Paris-19e, Métro Porte-de-La Villette. Tél. : 01-42-08-49-32. Du 1er au 3 juin, à 20 heures. Avec Ilan Ilan, Racine Mapou de Azor (le 1er), Brothers Posse, Boukman Eksperyans (le 2), Ti Coca, Wanga-Neges, l’Orchestre septentrional d’Haïti (le 3). De 16 ? à 20 ?.


Le Parloir haïtien, panorama de la création contemporaine en Haïti, Théâtre international de langue française, parc de La Villette, Paris-19e, Métro Porte-de-Pantin. Tél. : 01-40-03- 93-95. Du 25 mai au 20 juin.


 



Le festival Musiques métisses d’Angoulême, du 28 au 31 mai, inscrit trois groupes haïtiens à son programme, bicentenaire de l’indépendance de la première république noire oblige. Deux d’entre eux se retrouvent à Paris, du 1er au 3 juin, pour le programme “Ayiti chéri” du Cabaret sauvage.

Au moment où des pluies torrentielles s’abattent sur Haïti, un pays déjà victime de la misère, des dictatures et des crises politiques à répétition, deux festivals, l’un à Angoulême, l’autre à Paris, dévoilent un autre visage d’Haïti, où la musique est une force vitale et foisonnante. “Il faut montrer qu’Haïti, c’est aussi la vitalité d’un peuple extraordinaire qui a survécu à tout”, affirme Christian Mousset, directeur du festival Musiques métisses, qui a inscrit trois groupes haïtiens au programme de sa 29e édition, prévue à Angoulême du vendredi 28 au lundi 31 mai.


Ces dernières années, d’autres artistes d’Haïti, comme Boukan Ginen, Zéklé, Tabou Combo, Toto Bissainthe ou Ti Coca, étaient passés par Angoulême, mais c’est la première fois que Musiques métisses a imaginé un programme haïtien. “Il fallait s’inscrire dans le cadre de la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 1804 ; car si la littérature a été maintes fois évoquée à cette occasion, la musique a été de côté, explique M. Mousset, qui promet un renfort haïtien pour la 30e édition du festival, en 2005. Je reconnais ne pas avoir été assez vigilant sur ce qui se passait musicalement en Haïti. On voit toujours les orchestres haïtiens basés aux Etats-Unis, mais rarement les artistes restés au pays.”


Cette année, Ti Coca ne se présentera pas dans la cité charentaise, mais à Paris, au festival Ayti Chéri, prévu du 1er au 3 juin, dont une partie de la programmation croise celle de Musiques métisses. Ti Coca et son groupe Wanga-Nègès font partie des rares professionnels haïtiens à vivre de leur musique. On les trouve dans les rues ou sur les plages, chantant des boléros et des compas, mais ce troubadour interprète également le mérengué, une musique lancinante inventée par les Haïtiens au XVIIIe siècle, à partir de la contredanse française.


Le compas (konpa en créole), le genre musical d’Haïti le plus connu, un cocktail éminemment dansant de saveurs musicales caribéennes, a été diffusé à travers le monde par des groupes imposants aux sonorités tapageuses comme Tabou Combo. Le compas était la musique dominante de la Caraïbe francophone avant d’être détrôné par le zouk, autre mélange stimulant caribéen, dans les années 1980.


MÉRENGUÉ, BOLÉRO, COMPAS


“Les Haïtiens nous ont inoculé le virus : pendant vingt ans on n’a entendu qu’eux”, raconte Jacob Desvarieux, le leader du groupe Kassav’. Une hégémonie qui a largement motivé la création de ce groupe star des Antilles en 1979, inventeur du zouk. “Le compas représentait 90 % des ventes quand on est arrivé, ajoute-t-il. Nous avons bousculé un peu le truc. Cela dit, il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux musiques.”


Le compas garde toujours une place de choix dans le c?ur des Antillais. A preuve, ce Zénith parisien qui, samedi 22 mai, était rempli d’Antillais venus danser avec les Haïtiens de Tabou Combo, Ti-Vice et Carimi – deux albums qui ont remporté un vif succès parmi la communauté antillaise.


Philomé Robert, journaliste, est réfugié politique en France depuis 2001 et président de la Ligue des exilés haïtiens. Pilier des débats sur l’avenir d’Haïti prévus à l’Ethik Café, sur le site du festival d’Angoulême, il est aussi chargé d’y accompagner l’Orchestre septentrional, “la plus ancienne formation de musique urbaine encore en exercice en Haïti” – cinquante-cinq ans de carrière ! Ce groupe historique est à Haïti ce qu’est l’Orquesta Aragon à Cuba. “Ils sont du Nord, comme moi, explique M. Robert, et même si je suis plutôt fan de Tropicana, leurs concurrents les plus acharnés, ils me sont très familiers : ils venaient chaque année animer la fête patronale dans ma ville. Et les voir ici est une occasion rêvée quand on vit loin de chez soi.” Un moyen d’“essayer de calmer” sa nostalgie.


Formé en 1948, avant le premier orchestre compas monté par le saxophoniste Nemours Jean-Baptiste dans les années 1950, l’Orchestre septentrional n’est pourtant pas un pur représentant du genre. Il inscrit à son répertoire d’autres styles, comme le mérengué ou le boléro. “Mais ils continuent de jouer aussi du compas, un peu vieux jeu pour certains, par rapport au compas dit “nouvelle génération” des groupes comme Zenglen, Carimi, Ti-Viceou, ou encore des géants du compas solide et sauvage tels que Tabou Combo”, précise M. Robert.


Représentant une autre facette de la créativité musicale haïtienne montrée à Angoulême, le groupe Racine Mapou, du chanteur et tambourinaire Lénord Fortuné “Azor”, est le plus populaire des groupes de musique traditionnelle, surtout pratiquée autrefois en milieu rural par des musiciens amateurs regroupés autour des temples vaudous. Il appartient au mouvement Racine (ou “rasin”), né au début des années 1980, qui met en avant et revendique les racines africaines de l’identité haïtienne. Ce courant musical et culturel s’est développé après la chute de Jean-Claude Duvalier (1986), avec des musiciens mélangeant les rythmes du vaudou et les instruments traditionnels avec le rock et le reggae.


Figure de proue de cette tendance moderne du mouvement racine, Boukman Eksperyans a été découvert en France au festival Transmusicales de Rennes en 1990, alors qu’il devenait, à Haïti, héros de la jeunesse. Le nom de ce groupe, qui a été le premier à avoir été signé par une major, Mango Island, fait référence au premier dirigeant de l’insurrection haïtienne contre les colons français en 1791, Boukman. La rébellion débouchera plus tard sur l’indépendance d’Haïti et la proclamation de la première république noire.


Mené par Théodore “Lolo” Beaubrun Jr., le chanteur charismatique et l’auteur des textes dénonçant les injustices sociales et politiques, Boukman Eksperyans dérange certains à Haïti. En janvier, quand Haïti a basculé dans le chaos, menacés, en danger, Théodore “Lolo” Beaubrun et sa compagne ont trouvé refuge aux Etats-Unis, mais ils sont rentrés dans leur pays il y a quelques semaines afin de reprendre leurs activités musicales et préparer leur venue en France. “La musique est l’un des secteurs qui a toujours réussi à survivre à travers les drames, affirme M. Robert. Même au plus fort de la tempête, il y avait encore des bals. La musique aujourd’hui en Haïti n’est pas sinistrée, bien au contraire, les gens continuent à créer.”


Patrick Labesse



La 29e édition de Musiques métisses



Vendredi 28 mai. René Lacaille (Réunion), Pat Jaune (Réunion), Boukman Eksperyans (Haïti), Marlin Augustin (Maurice/Rodrigues), Menwar (Maurice), Erik Aliana et Korongo Jam (Cameroun), Tambours de Brazza (République du Congo), Toots and The Maytals (Jamaïque). A partir de 18 heures.


Samedi 29. Menwar, Orchestre Toussaint (Réunion), Boukman Eksperyans, Marlin Augustin, Taarab de Zanzibar (Zanzibar), René Lacaille, Yat Kha (Tuva), Spaccanapoli (Italie), Ojos de Brujo (Espagne), Electric Gypsyland (Allemagne/Roumanie/Bulgarie). A partir de 15 heures.


Dimanche 30. Yat Kha, Orchestre Toussaint, Orchestre Septentrional (Haïti), Pat Jaune, Racine Mapou de Azor (Haïti), Marlin Augustin, Jaojoby (Madagascar), Malouma (Mauritanie), Rokia Traoré (Mali), Ba Cissoko (Guinée). A partir de 15 heures.


Lundi 31. Jaojoby, Orchestre Toussaint, Taarab de Zanzibar Marlin Augustin, Orchestre Septentrional, Tinariwen (Mali), Lo’Jo (France), Sergent Garcia (France). A partir de 15 heures.


Lieux. Le festival Musiques métisses est organisé sur l’île de Bourgines, à Angoulême, en bordure de la Charente. Les buvettes et les stands de restauration, le salon de thé oriental, le restaurant des cuisines du monde sont tenus par des associations. Le site du festival accueille aussi plusieurs espaces de débats et de rencontres (arts plastiques, littératures, associations humanitaires…). Les concerts sont organisés dans trois lieux conviviaux et décorés aux couleurs du monde, le Grand Chapiteau, le Mandingue et le cabaret Shebeen.


Tarifs. Entrée gratuite aux concerts du Mandingue et du cabaret Shebeen. Concert au Grand Chapiteau, de 15 ? (pour les 10-15 ans) à 24 ?. Abonnement quatre soirées de 35 ? (10-15 ans) à 60 ?.


Renseignements. Organisation du festival, tél. : 05-45-95-43-42 ; Théâtre d’Angoulême, tél. : 05-45-38-61-62 ; Office du tourisme, tél. : 05-45-95-16-84. Sur Internet : www.musiques-metisses.com




Des artistes fidèles



Créé en 1976 sous le sceau du jazz, le festival Musiques métisses d’Angoulême donne l’exemple de la fidélité. Les artistes que défend Christian Mousset, son directeur, et dont il publie à l’occasion les enregistrements sous son label Marabi (le nom donné au jazz sud-africain, qui avait fourni les grandes heures du festival angoumoisin dans les années 1980 et 1990), se croisent forcément sur l’île de Bourgines.


Ce sera le cas pour la 29e édition, où seront accueillis de vieux complices du festival tels le Réunionnais René Lacaille, le Malgache Joajoby, la Malienne Rokia Traoré ou la Mauritanienne Malouma. René Lacaille, flanqué du groupe de maloya Pat Jaune, a auparavant sillonné la campagne charentaise, dans le cadre de résidences d’artistes financées par le conseil général de Charente et les communes. Les concerts, payants sous le Grand Chapiteau (4 500 places), sont gratuits au Mandingue (2 000 places) et au Shebeen (500 places). Le Village Quartiers Lumières accueille quelque 750 acteurs associatifs, débatteurs ou artistes.



Alors que la direction de la protection civile haïtienne annonce provisoirement 579 morts et 74 disparus, après les inondations des derniers jours, les Nations unies redoutent un bilan final d’au moins 1 500 morts et disparus dans la seule partie haïtienne de l’île d’Hispaniola.


Les inondations catastrophiques ont fait 1 000 disparus dans la seule ville de Mapou, dans le sud-est d’Haïti, a déclaré Elisabeth Byrs, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). “Etant donné que ce sont des inondations, il n’y a aucun moyen de retrouver des survivants”, a-t-elle déclaré, soulignant que la pluie continue à tomber sur place. Parallèlement, en République dominicaine, l’autre partie de l’île, le Centre des opérations d’urgence (COE) fait état d’au moins 350 morts et 374 disparus, principalement dans le Sud-Ouest.


Mme Byrs a souligné que les sauveteurs ont du mal à accéder aux régions les plus touchées par les inondations, qui ont coupé les routes. “Souvent les hélicoptères ne peuvent même pas se poser, on ne peut même pas arriver à pied dans certains villages tellement il y a de boue”, a-t-elle expliqué. Le plus urgent est pour les sauveteurs de ramasser et d’enterrer les cadavres afin d’empêcher les épidémies. “Il y a actuellement trois mètres d’eau en moyenne dans les villages les plus touchés. Les corps sont décomposés, les familles ne peuvent même pas les reconnaître”, a souligné la porte-parole.


350 MORTS ET 374 DISPARUS EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE


En République dominicaine, les autorités pulvérisent par avion des produits désinfectants sur les zones sinistrées pour lutter contre le risque d’épidémie, a-t-elle précisé. Les secours tentent d’acheminer de l’eau, des tentes et des vivres aux victimes mais les Nations unies ont besoin de fonds pour financer cet effort, a souligné Mme Byrs. Début mars, l’ONU a demandé 35 millions de dollars à la communauté internationale pour la crise humanitaire en Haïti après le changement de régime à Port-au-Prince. Mais les Nations unies n’ont reçu qu’un quart des fonds demandés. “Nous appelons les donateurs à contribuer d’urgence”, a lancé Mme Byrs, précisant que l’ONU avait reçu 100 000 euros de l’Irlande et autant du Japon.


L’Unicef a lancé de son côté un appel de 506 000 dollars pour porter secours aux victimes, notamment pour l’achat de récipients d’eau potable. La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a lancé pour sa part un appel de 592 000 euros pour venir en aide à 10 000 personnes affectées par les intempéries. La Croix-Rouge a déjà débloqué 66 000 euros de son fonds d’urgence afin de fournir de l’eau potable et de la nourriture aux survivants, a-t-elle indiqué dans un communiqué. Le Canada a annoncé jeudi une aide d’urgence de 100 000 dollars canadiens en faveur des populations touchées par les inondations.


Le ministre des affaires étrangères français, Michel Barnier, actuellement présent à Guadalajara, au Mexique, pour le sommet Union européenne-Amérique latine, doit effectuer une visite de quelques heures, vendredi 28 mai après-midi, en Haïti pour marquer la solidarité de la France. Il doit rencontrer par la suite au Palais national le président provisoire haïtien, Boniface Alexandre, à qui il présentera les condoléances de la France et du gouvernement français.


Le gouvernement haïtien a décrété vendredi une journée de deuil national en mémoire des victimes. Le drapeau national sera mis en berne.


Avec AFP


Quatre partis haïtiens de sensibilité sociale-démocrate vont fusionner entre juin à septembre, témoignant d?un début de modernisation de la vie politique en Haïti, s?est félicité mercredi l?ex-ministre socialiste français de la Coopération Charles Josselin.


«Cette restructuration du débat doit réconcilier les Haïtiens avec la vie politique et tourner définitivement le dos à l?aventure populiste», a ajouté M. Josselin, membre d?une délégation de l?Internationale Socialiste (IS) venue pour une mission de deux jours encourager la fusion des partis.


Il s?agit du Parti Nationaliste Progressiste Révolutionnaire Haïtien (PANPRA) de Serge Gilles, de l?Organisation du Peuple en Lutte (OPL) de Gérard Pierre-Charles, du Congrès National des Mouvements Démocratiques (KONAKOM) de Victor Benoit, tous trois membres de l?IS, et de « Haïti Capable » du docteur Robert Aguste.


« La modernisation de la vie politique est engagée avec (ce) projet bien avancé que l?IS est venue soutenir de fusion » entre plusieurs partis, a souligné M. Josselin.


Il a aussi relevé que, pour la préparation des élections de 2005, des « problèmes techniques et financiers considérables » restaient à résoudre, notamment l?état-civil. Il faudra la « solidarité internationale » et une aide de la France et l?Europe pour la « reconstruction démocratique d?Haïti », a-t-il dit.


La délégation de l?IS était conduite par son secrétaire général, le Chilien Luis Ayala, et comprenait également le président du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD), Atuey Decamps.

 



Il y a deux siècles, Haïti conquit son indépendance en s’affranchissant de l’esclavage, devenant ainsi la première république noire. Aujourd’hui exsangue, l’île, qui résonne encore des noms des Duvalier, Aristide et consorts, connaît pourtant un foisonnement littéraire et artistique. «Symbole de fierté, cette imagination créative représente aujourd’hui notre seule richesse nationale exportable», souligne Giscard Bouchotte, écrivain, critique d’art et comédien. Fidèle à leur mission exploratrice, Gabriel Garran et le Théâtre international de langue française en dressent les contours pendant près d’un mois à l’occasion d’un Parloir haïtien. Au programme, des soirées consacrées à la littérature haïtienne (2 juin), à l’univers de Lyonel Trouillot (11 et 12 juin), une évocation par Armand Gatti de l’écrivain et militant Jacques Stephen Alexis, assassiné en 1961 (16 juin), de la danse afro contemporaine (8 et 9 juin), la conteuse Mimi Barthélemy, des rencontres… La manifestation débute ce soir avec une pièce de Georges Bélek, Haïti, cri d’espoir, interprétée en franco-créole par la Comédie sans frontières d’Haïti (Cosafh), 22 jeunes comédiens issus d’un atelier interuniversitaire. La relève?


TILF. Parc de la Villette, 75019. Jusqu’au 20 juin.
Rens. : 01 40 03 93 95.
Cabaret sauvage, parc de la Villette festival de musiques haïtiennes du
1er au 3 juin. Rens. : 01 42 08 49 32.



 


L?ex-responsable du Bureau de lutte contre le trafic des stupéfiants (BLTS) en Haïti sous le régime déchu de Jean Bertrand Aristide a été arrêté mardi à Port-au-Prince, a-t-on annoncé de source policière.


Evens Brillant a été interpellé par des éléments de la force multinationale intérimaire qui l?ont ensuite remis à la police nationale d?Haïti (PNH).


Une perquisition a par ailleurs été effectuée mardi matin à Port-au-Prince au domicile de l?ex-sénateur et président du Sénat haïtien, Jean-Marie Fourel Célestin, un proche de l?ex président Jean Bertrand Aristide. L?opération a été menée par les services anti-drogue haïtiens assistés de membres de l?antenne des services anti-drogue américains en Haïti (DEA, Drug Enforcement Administration).


Une valise dont le contenu n?a pas été révélé a été emportée par les enquêteurs, selon les radios haïtiennes.


L?Etat haïtien n?existe plus. Ce qui en restait, de plus en plus limité à sa force répressive, s?est effondré en quelques semaines. Dans la période d?incertitudes qui s?ouvre, quatre grandes forces haïtiennes tenteront de s?imposer :


 


? Lavalas, le parti du président déposé Jean Bertrand Aristide, est affaibli ; mais il n?est toutefois pas tout à fait hors-jeu, car il continue à être soutenu par des membres de la fonction publique et des cadres provinciaux ;


 


? l?opposition démocratique, formée contre M. Aristide, est constituée de plusieurs dizaines de partis politiques sans troupes et souvent sans programme. Elle est confrontée à un risque d?éclatement face à la perspective du pouvoir. Réunissant différents partis, certains de type social-démocrate, d?autres clientélistes voire macoutes, elle est dans l?impossibilité de s?unir durablement sur un programme commun, le seul élément ayant permis son rassemblement étant la volonté de chasser le despote Aristide ;


 


? une troisième force, beaucoup plus intéressante, a émergé depuis dix-huit mois, du côté de ce que l?on appelle la « société civile », qui exige pour fonctionner les cadres d?un Etat de droit – une première dans l?histoire d?Haïti, où la politique a toujours été monopolisée par des professionnels douteux.


 


Cette mouvance est elle-même très hétérogène, puisque s?y retrouvent aussi bien les Eglises et une nouvelle classe patronale acquise au néolibéralisme qu?un mouvement étudiant, des syndicats paysans, des associations communautaires et un mouvement féministe en plein développement. Ces derniers étaient par exemple présents aux forums sociaux mondiaux, aussi bien à Porto Alegre qu?à Bombay. Croissant ces derniers mois, leur rôle dans la « société civile » reste tout de même minoritaire ;


 


? enfin, les « barbares du nord ». L?« armée cannibale » au service des basses ?uvres de M. Aristide s?est retournée contre lui et a aggloméré toute la lie des régimes précédents, des « attachés » (paramilitaires) de la période de la dictature de M. Raoul Cedras (1991-1994) aux macoutes de la fin du duvaliérisme. L?ancien officier Guy Philippe, qui commande l?ensemble, est lui-même impliqué dans le trafic de drogue, et plusieurs de ses lieutenants ont été condamnés à la peine maximale pour des massacres commis dans les bidonvilles.


 


Le fer de lance de cette milice devenue « front de libération » est constitué des anciens du FRAPH (1), pour la plupart agents de la CIA, deux cents à trois cents hommes tranquillement réfugiés depuis 1994 en République dominicaine ou aux Etats-Unis… L?état de désespérance de la population haïtienne explique qu?ils aient malgré tout été accueillis comme des sauveurs.


 


Sur le plan diplomatique, deux surprises sont à noter : d?une part, les Etats-Unis ont peiné à définir leur politique haïtienne. Le puissant lobbying mené par M. Aristide à Washington – à travers le Black Caucus (2) mais aussi directement auprès de la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice – l?a longtemps préservé du pire. Par ailleurs, les Etats-Unis étaient reconnaissants au président haïtien d?avoir su les préserver d?un afflux de boat people.


 


L?arrivée massive d?Haïtiens sur les côtes américaines est en effet le motif habituel du réveil de Washington face à Port-au-Prince. Quoi qu?il en soit, les Etats-Unis se sont assuré des soutiens dans toutes les factions, aussi bien au sein de l?opposition démocratique que des « barbares du nord ». Toute évolution de la situation peut leur permettre d?agir très vite puisqu?ils peuvent solliciter leurs alliés dans tous les camps.


 


D?autre part, la seconde surprise, c?est le rôle exceptionnellement actif de la France, qui n?avait plus de politique haïtienne depuis 1994, et s?était alignée – tout comme l?Union européenne – sur les résolutions de l?Organisation des Etats américains (OEA). Au-delà de la solidarité francophone, et du plus grand intérêt manifesté par le Quai d?Orsay depuis 2002, le bicentenaire de la révolution haïtienne fut l?occasion, pour l?opinion publique, d?une révélation du rôle historique de la France (notamment à travers le rapport de la commission Régis Debray sur 200 ans de relations franco-haïtiennes). On peut à ce propos s?interroger sur la place exceptionnelle donnée à Haïti par les médias français – une place que ce pays n?avait jamais eue depuis 1991 lors de l?émergence d?Aristide, son élection à la présidence et le coup d?Etat.


 


Il faut ajouter à cela le fait que les forces armées américaines sont fortement impliquées sur d?autres terrains, et que la campagne présidentielle s?annonce plus difficile que prévu pour le président George W. Bush. Le problème haïtien pèse en effet sur le vote de cet Etat déterminant qu?est la Floride, où réside une forte minorité haïtienne et où la population (floridienne et cubaine) fait preuve d?une forte hostilité à la perspective d?un nouveau flux d?immigration.


 


Cependant, ce sont aujourd?hui les Etats-Unis qui vont former le nouveau pouvoir. M. Boniface Alexandre, le gouverneur par intérim, est un homme de paille. Les élections seront très difficiles à organiser dans un délai de moins de trois mois, et il ne serait pas étonnant que des « gouvernements provisoires » se prolongent. L?opposition démocratique, après avoir juré le contraire, semble prête à faire sa place, de manière officielle ou occulte, à M. Guy Philippe, l?homme fort du nord. Ce type d?alliance paraît contre-nature, et constituerait un nouveau et dramatique retour aux vieilles habitudes de la « gouvernance » haïtienne. Un gouvernement mariant les contraires ramènerait Haïti aux pires ornières de son histoire.


 


Mais certains secteurs de la société civile, et surtout les centaines de journalistes de radio, très mobilisés et très ouverts sur les pratiques démocratiques hors d?Haïti constituent l?un des meilleurs remparts contre les dérives envisageables. Dans un pays analphabète comme Haïti, un seul média pèse vraiment, les radios, accessibles partout. Elles étaient d?ailleurs la cible préférée d?Aristide au cours des deux dernières années.


 


L?intervention militaire des Etats-Unis, du Canada et de la France ne paraît pas avoir fixé clairement ses objectifs. Certes, il s?agit de « sécuriser » le pays livré à des bandes plus ou moins contrôlables. Il s?agit aussi d?éviter une catastrophe alimentaire – Haïti étant complètement dépendante de l?aide extérieure. Mais pour le moyen terme, quelles pressions communes faut-il exercer sur la constitution d?un nouveau pouvoir ? Les Etats-Unis d?une part, et les autres membres de la communauté internationale n?ont peut-être pas des pratiques démocratiques souhaitables la même conception.


 


Pour le secrétaire d?Etat Colin Powell, il s?agit de faire émerger « une nouvelle culture politique en Haïti ». Il s?agirait d?un changement de cap, quand les Etats-Unis n?ont cessé, depuis la chute de Duvalier, d?essayer de prolonger les vieilles pratiques. N?oublions pas qu?ils ont participé au coup d?Etat contre Aristide (1991), qu?ils l?ont ramené au pouvoir (1994), soutenu contre tous (2002-2003), et enfin enlevé et chassé manu militari (2004). Ce que les quinze pays membres de la Communauté économique de la Caraïbe (Caricom) dénonçaient, le 3 mars, en se déclarant « extrêmement déçus » de l?implication des « partenaires occidentaux » en lieu et place des soldats de l?Organisation des Nations unies (ONU).


 


Les grandes puissances devront rapidement décider si elles se contentent d?une opération de « police » et d?aide humanitaire, ou si elles entendent renouer avec le travail mené par l?ONU entre 1995 et 1997 pour créer les fondations d?un Etat de droit : police, justice et administration. Si elle veut alors pouvoir s?appuyer sur des forces locales, la communauté internationale devra soutenir les mouvements communautaires, seuls capables d?amorcer une démocratie participative – et surtout de contrôler les fonds qui pourraient être injectés dans le pays.


 


Dans ce cas, une intervention de longue haleine avec des forces nombreuses sera nécessaire. Sa composition – pour la rendre crédible – devra comporter le moins possible d?éléments américains. Ce qui sera toujours difficile à faire accepter dans une zone considérée à Washington comme son arrière-cour.


 


Christophe Wargny


 

Arrest of Annette Auguste (alias SòAnne)


Statement of Vilès Alizar, Program Director of NCHR


 


 


While saluting the legal arrest of Annette Auguste, NCHR criticizes and denounces the use of excessive force with which the arrest was carried out.  For sometime, a warrant has been issued against SòAnne for her implication in the violent attacks of 5 December 2003 on students and faculty at the Humanities Faculty and INAGHEI.


 


SòAnne has also been accused, by OP Lavalas leaders themselves, of having participated and organized numerous criminal acts, including the alleged 2001 human sacrifice of a baby taken from the General Hospital.  One Lavalas gang leader has gone so far as to implicate SòAnne in the murder of Jean Dominique.  Thus, it is clear that the Haitian judicial system, particularly the Investigating Magistrate in this case, has a difficult and task-laden road ahead.


 


An NCHR delegation visited SòAnne at the National Penitentiary on Mondy, 10 May 2004 and found her to be in good spirits, despite the situation.  She claims that her house was ransacked and possessions destroyed during the operation leading to her arrest ? claims that NCHR is currently investigating.


 


The manner in which SòAnne was arrested is clearly unacceptable, however, what is also unacceptable is to claim that SòAnne?s hands are clean.


 


SòAnne is scheduled to appear before the Investigating Magistrate tomorrow, 13 May 2004.   NCHR will continue to closely follow the developments in this case.



 
 
National Coalition for Haitian Rights  (NCHR)
Coalition National pour les Droits des Haïtiens
9, Rue Rivière
Port-au-Prince, Haiti
Tel:  509.245.3486 / 245.5821
Fax:  509.244.4146
Email:  nchr@nchrhaiti.org
           nchr@haiti.maf.net
www.nchrhaiti.org


Mon journal
Par Lyonel TROUILLOT


SAMEDI



Mais l’enfant, je l’aime


Je me rends tôt chez un ami qui travaille dans l’information. Il sait que les bailleurs de fonds qui travaillent avec Haïti ont des exigences très précises. Que l’Etat haïtien devra s’y faire. Ma première nouvelle du jour, c’est que mon pays n’a pas le capital pour penser son avenir. Mes premières émotions, la colère et la honte. Une voisine vient nous raconter que des ravisseurs d’enfants ont emmené son fils. Je ne sais pas ce qu’il faut penser de la mère : elle parle riche, transpire de vieux préjugés. Mais l’enfant, sans le connaître, je l’aime. Même quand la vie est ainsi faite, il pourrait mal grandir et parler comme sa mère. J’ai entendu annoncer la tenue d’une rencontre sur le travail des enfants. Ce n’est pas le cas du petit de la voisine qui parle trop. Il a de la chance. Les ravisseurs l’ont rendu à ses parents. La mère vit son retour comme une grâce de Dieu, mais elle a payé en dollars. On marchande les enfants, on les met au travail. Qu’est-ce donc que ce monde ? Ici ils crèvent de faim, là-bas ils font la guerre.


DIMANCHE


L’ici et l’ailleurs


Cette semaine ne me va pas. J’ai raté la veille un événement essentiel : Demele, un spectacle fait d’authentiques chants vaudou. Je me dis que les choses ont vraiment changé en Haïti. Il y a quelques années, on ne pouvait être que catholique dans sa vie publique, officielle. Un petit groupe parlait français, et les autres ne parlaient pas. La nouvelle qui me frappe le plus, c’est la visite de René Depestre en Haïti, qu’on annonce pour vendredi, dans la délégation qui accompagne le ministre français des Affaires étrangères. Le dimanche, jour de repos, je n’écoute jamais les nouvelles étrangères. Mais Depestre ­ c’est son style ­ c’est l’ici et l’ailleurs. Je regarde quand même le championnat espagnol sur ESPN Amérique latine. L’équipe de Valence est championne depuis la semaine précédente, et le match est sans importance. Je suis heureux que le Real n’ait rien gagné. Depuis trois ans qu’ils nous emmerdent avec des conneries du genre «l’équipe galactique», «le club des millionnaires». Malgré tous les clichés qui nous vendent de la mondialisation dans les rubriques économiques, la presse sportive emporte la palme. Après le match, je regarde mon manuscrit. C’est la première fois en trois jours qu’il me revient l’idée que j’ai un roman à finir.


LUNDI


Neuf Ave Maria


J’ai relu mon texte. Faut quand même parler de choses qui intéressent les gens. Mais qu’est-ce qui intéresse les gens ? En France, Sarkozy, l’UMP et les luttes internes ? En Russie, Poutine pleure la mort du président tchétchène, après tout il l’avait «élu». En Irak, on compte les morts : trente, c’est pas mal pour un seul jour. Et les Etats-Unis, leaders de toutes les productions mondiales, actualisent l’invention nazie de l’industrie porno-sado-photographico-militaire. Les Anglais, Tony Blair oblige, sont soupçonnés de les suivre de près. Mais la nouvelle la plus importante me semble être le doute émis par un général américain sur l’issue de la guerre. Celui-là a compris que les Etats-Unis n’ont pas le soutien de la population irakienne. Il réclame une stratégie de sortie. Une demande impossible, s’il faut en croire Rumsfeld. Cherchant désespérément d’autres choses sérieuses pour boucler mon lundi, je trouve par hasard, dans les petites annonces du quotidien le Nouvelliste, cette prière anonyme : «Je demande à sainte Claire de recouvrir ma tête de son manteau sacré, et conduis-moi, sainte Claire, pour que tu puisses résoudre mes problèmes. Récite cette prière et neuf Ave Maria pendant neuf jours avec un cierge en main, le dernier jour laisse le cierge se consumer.» Conseil aux généraux, peut-être.


MARDI


«Yesterday»


Un nouveau directeur est installé dans le noir à l’hôpital de l’université d’Etat d’Haïti. Le générateur est en panne. J’ai envie de crier au monde dans quel état le pouvoir Aristide-Lavalas a laissé l’administration publique haïtienne. Ce qu’on découvre d’horreurs, de gaspillage, de mauvaise gestion. Un pays géré dans le banditisme, comme une affaire de famille qu’on décide de ruiner après en avoir tiré le maximum de profits personnels. J’ai envie que le monde entier ne parle que de ça. Et je rencontre des membres du Front de libération qui avait pris naissance dans la ville des Gonaïves. J’ai face à moi des hommes qui aiment leur ville avec passion, qui veulent pour elle une plage publique, des écoles qui fonctionnent. Je m’accroche, en les écoutant, au rêve de la reconstruction de mon pays cassé. Le mardi 11 mai 2004, Haïti suffit à ma déprime. A ma colère aussi. Je vais malgré tout consulter ma boîte. J’espère un message d’une jeune femme qui n’a aucune raison de m’écrire. Elle n’a pas écrit. J’hérite d’une dépêche sur un appel de l’OMS en faveur des malades du sida. Moins de 7 % des malades du sida ont accès à un traitement médical. Aristide qui a tout détruit. Le bonjour espéré qui n’arrive pas. Les richesses du monde toujours mal partagées. La nuit tombe sur ma voiture. Je ne veux pas de nouvelles, je cherche une chanson. J’écoute la voix d’un vieil ami qui travaille tard le soir sur une station de radio avec laquelle je collabore. Il m’a choisi de belles chansons : Yesterday, et puis, toujours, Hasta Siempre.


MERCREDI


Le blessé et le gestionnaire


Je vais assister à la projection d’une vidéo sur les manifestations des étudiants et de la société civile qui ont mis Aristide sur la piste du départ avant que les Américains ne le mettent dans l’avion. On a tous vu la mort de près. C’est du bien fait. Une bise pour Roxane Ledan, la réalisatrice. La mauvaise nouvelle du jour, le retour de Diego Maradona à l’hôpital. Il venait d’en sortir moins d’une semaine auparavant. L’hôpital, c’est pas une bonne fréquentation. Lorsque l’on y va trop souvent, on finit vite par mourir. Qu’est-ce qu’ils ont donc ces Argentins à donner dans la tragédie aussitôt qu’ils deviennent célèbres ! Je ne souhaite pas que Diego meure. Cet homme est un rebelle qui n’a pas les mots pour le dire. Surpuissant et fragile. Je préfère la fulgurance de son génie à la sagesse de Pelé. Il y a une sacrée différence entre le blessé et le gestionnaire. L’un a choisi l’excès et l’autre la durée. Le mercredi, sur fond de Barbancourt, je crains pour la santé d’un homme que je ne connais pas.


JEUDI


L’événement, c’est la pluie


Le Premier ministre haïtien rencontre Colin Powell. Sur une photo, Colin Powell regarde sa montre. Sur une autre, ils se serrent la main. Pour nous, sur notre bout d’île ­ mais chaque peuple n’a-t-il pas son centre du monde ? ­, ces photos sont très importantes. Elles concernent les mensonges et les vérités qui nous attendent. L’une d’entre elles, sans doute, a une fonction prémonitoire. Mais les photos américano-irakiennes nous volent la vedette et font la une du monde entier. Des images peuvent-elles vaincre la raison du plus fort ? Parlant du plus fort, le FMI s’est trouvé un nouveau directeur. Il était ministre d’Aznar. Des pays en voie de développement avaient souhaité une personnalité plus proche de leurs problèmes, plus attentive à leurs demandes. On parle de procédure secrète : l’argent doit être géré par un Européen ou un Américain. Le monde est certes un grand village, et le racisme n’existe plus. Ni la discrimination. Ni la domination d’une partie du monde sur le monde. Ce sont des idées vieilles sur lesquelles se masturbent des cadavres nostalgiques ! Admettons. J’aimerais cependant qu’on m’explique pourquoi un grand footballeur peut naître à Ouagadougou, mais jamais un grand financier. Heureusement les peuples veillent. Il y a quelques jours que l’Inde a donné une leçon aux technocrates de la croissance en faisant mentir les sondages. On ne pense pas partout pareil. On ne banalise pas les mêmes choses. Ici, à Port-au-Prince, on a très peu parlé du Festival de Cannes. Juste un article sur le court métrage d’un réalisateur d’origine haïtienne. J’ai rencontré le comédien Dominique Batraville, qui tient le rôle principal, frappant aux portes des institutions privées et publiques, pour ses billets, les frais de séjour. Déambulations de l’artiste demandeur. Tous les jours, à la secrétairerie d’Etat à la Culture, des associations de jeunes, des clubs de lecture, des volontés et des projets en mal d’amis et d’appuis. Ils pensent peu au Festival de Cannes. Pas même aux intermittents. Ici, ils n’ont pas de statut, quel qu’il soit. Le jeudi, le grand événement, c’est la pluie. Elle tombe, n’arrête pas de tomber. On sait ce qu’elle peut faire, emporter les routes, les mobiliers, les corps. Et c’est en pensant à la nuit que Port-au-Prince veille et glisse du jeudi au vendredi.


VENDREDI


Léo, toutes les nuits


Je n’ai rien à dire. Je regarde la télé. Rien à voir pour tuer le temps. Rien que le visage de Gainsbourg et un hommage à sa légende. On fume ensemble. Mais Gainsbourg, je ne l’aime pas vraiment. Rien que quelques chansons avec des phrases complètes. Je cherche un disque. Et Léo remplace Serge. Léo, toutes les nuits, toutes les heures. Celui-là avait sa façon bien à lui de donner les nouvelles du monde. Et de les rendre. Léo disait : «Quand j’emprunte des paradoxes, je les rends.» Au fond, cela ne veut rien dire. Jouer avec les mots. Avec les idées. Le vendredi, à l’aube, je sors. Y a ce sempiternel problème d’électricité. Première station, premier envoi. Panne d’électricité. Deuxième station, deuxième envoi. Deuxième panne et troisième envoi. Ce fragment, que je modifie. L’essentiel, au bout de la semaine, c’est de n’avoir pas changé. J’ai gardé les mêmes attentes : que cette fille qui n’a aucune raison de m’écrire m’écrive ; que l’hôpital de l’université d’Etat d’Haïti fonctionne comme un véritable hôpital, que les richesses du monde soient mieux partagées, que les photographes sado-porno rentrent chez eux… Des souhaits banals qui courent les rues du monde. Les journaux, les radios du monde. J’envoie mon texte et vais enfin pouvoir dormir, en me promettant de passer au moins une semaine sans RFI ni Radio Caraïbe.




Lyonel Trouillot est romancier et poète. Il est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince. Aujourd’hui, il vit et travaille toujours dans sa ville natale, où il enseigne la littérature à l’Institut français d’Haïti et à l’Université caraïbe. Membre actif du collectif «NON» créé à la fin de l’année 2003, au moment des événements tragiques d’Haïti qui ont donné lieu au départ d’Aristide, Lyonel Trouillot est de longue date engagé sur le front de la résistance à la dictature et de la reconstruction démocratique de son pays. Il a publié chez Actes Sud Rue des Pas-Perdus (1998), Thérèse en mille morceaux (2000), les Enfants des héros (2002). A paraître, chez le même éditeur, Bicentenaire (août 2004) et Journal d’une insurrection (novembre 2004).