Première manifestation en France à être strictement consacrée aux musiques haïtiennes, le festival Ayiti Chéri, programmé au Cabaret sauvage, à Paris, du 1er au 3 juin, est organisé par Caraïbes aller-retour, une association parisienne regroupant des passionnés de culture caribéenne. Elle désire modifier l’image négative que donnent les médias d’Haïti, dont ne sont retenus que “la misère économique et les horreurs politiques”.
Si l’on met de côté le trio acoustique (chant, guitare, percussions) Ilan Ilan, installé en France, tous les musiciens invités résident en Haïti, alors que bien souvent la musique haïtienne n’émerge ici que par le biais de groupes de compas animant des bals-concerts fréquentés par la communauté antillaise de la métropole.
Pour le groupe Racine Mapou, du chanteur et tambourinaire Azor – six percussionnistes et quatre vocalistes, interprètes de musique traditionnelle dite “rasin” -, c’est une première venue en France. Comme pour Brothers Posse, un collectif mélangeant avec méthode les rythmes du carnaval, du rap, du reggae et du raggamuffin, groupe chéri de la jeunesse haïtienne. Grand fan d’après la rumeur, le chanteur français Sergent Garcia devrait les rejoindre sur la scène du Cabaret sauvage pour quelques chansons.
Autre manifestation liée au Bicentenaire de la révolution haïtienne, le Parloir haïtien, partenaire d’Ayiti Chéri, organisé par le Théâtre international de langue française de La Villette, s’est axé sur la littérature, la danse et le théâtre. “Le mouvement de négritude prôné par Césaire et couronné par son passage en Haïti en 1943 aura profondément marqué cette littérature, puis les événements politiques”, écrit le comédien et écrivain Giscard Bouchotte.
La répression des Duvalier a amené cette culture à son plus haut point de résistance. “Malgré toute cette création foisonnante, l’image d’une Haïti s’enfonçant dans un “spiralisme” suicidaire ne cesse de hanter aussi bien les Haïtiens que la diaspora éparpillée çà et là.” Les 4 et 5 juin, le romancier Frankétienne, l’un des rares écrivains à être resté en Haïti, y lira un monologue subversif, Foukifoura, accompagné par le tambourinaire Atissou Loko et le groupe Adjabel, autres témoins des turbulences haïtiennes.
Le festival Musiques métisses d’Angoulême, du 28 au 31 mai, inscrit trois groupes haïtiens à son programme, bicentenaire de l’indépendance de la première république noire oblige. Deux d’entre eux se retrouvent à Paris, du 1er au 3 juin, pour le programme “Ayiti chéri” du Cabaret sauvage.
Au moment où des pluies torrentielles s’abattent sur Haïti, un pays déjà victime de la misère, des dictatures et des crises politiques à répétition, deux festivals, l’un à Angoulême, l’autre à Paris, dévoilent un autre visage d’Haïti, où la musique est une force vitale et foisonnante. “Il faut montrer qu’Haïti, c’est aussi la vitalité d’un peuple extraordinaire qui a survécu à tout”, affirme Christian Mousset, directeur du festival Musiques métisses, qui a inscrit trois groupes haïtiens au programme de sa 29e édition, prévue à Angoulême du vendredi 28 au lundi 31 mai.
Ces dernières années, d’autres artistes d’Haïti, comme Boukan Ginen, Zéklé, Tabou Combo, Toto Bissainthe ou Ti Coca, étaient passés par Angoulême, mais c’est la première fois que Musiques métisses a imaginé un programme haïtien. “Il fallait s’inscrire dans le cadre de la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 1804 ; car si la littérature a été maintes fois évoquée à cette occasion, la musique a été de côté, explique M. Mousset, qui promet un renfort haïtien pour la 30e édition du festival, en 2005. Je reconnais ne pas avoir été assez vigilant sur ce qui se passait musicalement en Haïti. On voit toujours les orchestres haïtiens basés aux Etats-Unis, mais rarement les artistes restés au pays.”
Cette année, Ti Coca ne se présentera pas dans la cité charentaise, mais à Paris, au festival Ayti Chéri, prévu du 1er au 3 juin, dont une partie de la programmation croise celle de Musiques métisses. Ti Coca et son groupe Wanga-Nègès font partie des rares professionnels haïtiens à vivre de leur musique. On les trouve dans les rues ou sur les plages, chantant des boléros et des compas, mais ce troubadour interprète également le mérengué, une musique lancinante inventée par les Haïtiens au XVIIIe siècle, à partir de la contredanse française.
Le compas (konpa en créole), le genre musical d’Haïti le plus connu, un cocktail éminemment dansant de saveurs musicales caribéennes, a été diffusé à travers le monde par des groupes imposants aux sonorités tapageuses comme Tabou Combo. Le compas était la musique dominante de la Caraïbe francophone avant d’être détrôné par le zouk, autre mélange stimulant caribéen, dans les années 1980.
MÉRENGUÉ, BOLÉRO, COMPAS
“Les Haïtiens nous ont inoculé le virus : pendant vingt ans on n’a entendu qu’eux”, raconte Jacob Desvarieux, le leader du groupe Kassav’. Une hégémonie qui a largement motivé la création de ce groupe star des Antilles en 1979, inventeur du zouk. “Le compas représentait 90 % des ventes quand on est arrivé, ajoute-t-il. Nous avons bousculé un peu le truc. Cela dit, il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux musiques.”
Le compas garde toujours une place de choix dans le c?ur des Antillais. A preuve, ce Zénith parisien qui, samedi 22 mai, était rempli d’Antillais venus danser avec les Haïtiens de Tabou Combo, Ti-Vice et Carimi – deux albums qui ont remporté un vif succès parmi la communauté antillaise.
Philomé Robert, journaliste, est réfugié politique en France depuis 2001 et président de la Ligue des exilés haïtiens. Pilier des débats sur l’avenir d’Haïti prévus à l’Ethik Café, sur le site du festival d’Angoulême, il est aussi chargé d’y accompagner l’Orchestre septentrional, “la plus ancienne formation de musique urbaine encore en exercice en Haïti” – cinquante-cinq ans de carrière ! Ce groupe historique est à Haïti ce qu’est l’Orquesta Aragon à Cuba. “Ils sont du Nord, comme moi, explique M. Robert, et même si je suis plutôt fan de Tropicana, leurs concurrents les plus acharnés, ils me sont très familiers : ils venaient chaque année animer la fête patronale dans ma ville. Et les voir ici est une occasion rêvée quand on vit loin de chez soi.” Un moyen d’“essayer de calmer” sa nostalgie.
Formé en 1948, avant le premier orchestre compas monté par le saxophoniste Nemours Jean-Baptiste dans les années 1950, l’Orchestre septentrional n’est pourtant pas un pur représentant du genre. Il inscrit à son répertoire d’autres styles, comme le mérengué ou le boléro. “Mais ils continuent de jouer aussi du compas, un peu vieux jeu pour certains, par rapport au compas dit “nouvelle génération” des groupes comme Zenglen, Carimi, Ti-Viceou, ou encore des géants du compas solide et sauvage tels que Tabou Combo”, précise M. Robert.
Représentant une autre facette de la créativité musicale haïtienne montrée à Angoulême, le groupe Racine Mapou, du chanteur et tambourinaire Lénord Fortuné “Azor”, est le plus populaire des groupes de musique traditionnelle, surtout pratiquée autrefois en milieu rural par des musiciens amateurs regroupés autour des temples vaudous. Il appartient au mouvement Racine (ou “rasin”), né au début des années 1980, qui met en avant et revendique les racines africaines de l’identité haïtienne. Ce courant musical et culturel s’est développé après la chute de Jean-Claude Duvalier (1986), avec des musiciens mélangeant les rythmes du vaudou et les instruments traditionnels avec le rock et le reggae.
Figure de proue de cette tendance moderne du mouvement racine, Boukman Eksperyans a été découvert en France au festival Transmusicales de Rennes en 1990, alors qu’il devenait, à Haïti, héros de la jeunesse. Le nom de ce groupe, qui a été le premier à avoir été signé par une major, Mango Island, fait référence au premier dirigeant de l’insurrection haïtienne contre les colons français en 1791, Boukman. La rébellion débouchera plus tard sur l’indépendance d’Haïti et la proclamation de la première république noire.
Mené par Théodore “Lolo” Beaubrun Jr., le chanteur charismatique et l’auteur des textes dénonçant les injustices sociales et politiques, Boukman Eksperyans dérange certains à Haïti. En janvier, quand Haïti a basculé dans le chaos, menacés, en danger, Théodore “Lolo” Beaubrun et sa compagne ont trouvé refuge aux Etats-Unis, mais ils sont rentrés dans leur pays il y a quelques semaines afin de reprendre leurs activités musicales et préparer leur venue en France. “La musique est l’un des secteurs qui a toujours réussi à survivre à travers les drames, affirme M. Robert. Même au plus fort de la tempête, il y avait encore des bals. La musique aujourd’hui en Haïti n’est pas sinistrée, bien au contraire, les gens continuent à créer.”
Patrick Labesse
La 29e édition de Musiques métisses
Vendredi 28 mai. René Lacaille (Réunion), Pat Jaune (Réunion), Boukman Eksperyans (Haïti), Marlin Augustin (Maurice/Rodrigues), Menwar (Maurice), Erik Aliana et Korongo Jam (Cameroun), Tambours de Brazza (République du Congo), Toots and The Maytals (Jamaïque). A partir de 18 heures.
Samedi 29. Menwar, Orchestre Toussaint (Réunion), Boukman Eksperyans, Marlin Augustin, Taarab de Zanzibar (Zanzibar), René Lacaille, Yat Kha (Tuva), Spaccanapoli (Italie), Ojos de Brujo (Espagne), Electric Gypsyland (Allemagne/Roumanie/Bulgarie). A partir de 15 heures.
Dimanche 30. Yat Kha, Orchestre Toussaint, Orchestre Septentrional (Haïti), Pat Jaune, Racine Mapou de Azor (Haïti), Marlin Augustin, Jaojoby (Madagascar), Malouma (Mauritanie), Rokia Traoré (Mali), Ba Cissoko (Guinée). A partir de 15 heures.
Lundi 31. Jaojoby, Orchestre Toussaint, Taarab de Zanzibar Marlin Augustin, Orchestre Septentrional, Tinariwen (Mali), Lo’Jo (France), Sergent Garcia (France). A partir de 15 heures.
Lieux. Le festival Musiques métisses est organisé sur l’île de Bourgines, à Angoulême, en bordure de la Charente. Les buvettes et les stands de restauration, le salon de thé oriental, le restaurant des cuisines du monde sont tenus par des associations. Le site du festival accueille aussi plusieurs espaces de débats et de rencontres (arts plastiques, littératures, associations humanitaires…). Les concerts sont organisés dans trois lieux conviviaux et décorés aux couleurs du monde, le Grand Chapiteau, le Mandingue et le cabaret Shebeen.
Tarifs. Entrée gratuite aux concerts du Mandingue et du cabaret Shebeen. Concert au Grand Chapiteau, de 15 ? (pour les 10-15 ans) à 24 ?. Abonnement quatre soirées de 35 ? (10-15 ans) à 60 ?.
Renseignements. Organisation du festival, tél. : 05-45-95-43-42 ; Théâtre d’Angoulême, tél. : 05-45-38-61-62 ; Office du tourisme, tél. : 05-45-95-16-84. Sur Internet : www.musiques-metisses.com
Des artistes fidèles
Créé en 1976 sous le sceau du jazz, le festival Musiques métisses d’Angoulême donne l’exemple de la fidélité. Les artistes que défend Christian Mousset, son directeur, et dont il publie à l’occasion les enregistrements sous son label Marabi (le nom donné au jazz sud-africain, qui avait fourni les grandes heures du festival angoumoisin dans les années 1980 et 1990), se croisent forcément sur l’île de Bourgines.
Ce sera le cas pour la 29e édition, où seront accueillis de vieux complices du festival tels le Réunionnais René Lacaille, le Malgache Joajoby, la Malienne Rokia Traoré ou la Mauritanienne Malouma. René Lacaille, flanqué du groupe de maloya Pat Jaune, a auparavant sillonné la campagne charentaise, dans le cadre de résidences d’artistes financées par le conseil général de Charente et les communes. Les concerts, payants sous le Grand Chapiteau (4 500 places), sont gratuits au Mandingue (2 000 places) et au Shebeen (500 places). Le Village Quartiers Lumières accueille quelque 750 acteurs associatifs, débatteurs ou artistes.