Durant son mandat, la France est devenue chantre du multilatéralisme, d’une gestion concertée des crises et des menaces qui affectent la planète.


Au quai d’orsay, il a suscité des engouements et des dépits comme peu d’autres avant lui. Le siège de la diplomatie française n’avait plus éprouvé, depuis longtemps, autant de motifs consensuels de fierté. La “maison”, pourtant, n’a jamais eu non plus autant de raisons de désespérer. OAS_AD(‘Middle’); Ses moyens ont été réduits comme peau de chagrin, au point d’anéantir une partie du travail mené sur le terrain, notamment dans des pays en voie de développement.


M. de Villepin s’en est préoccupé trop tard pour pouvoir stopper les restrictions budgétaires imposées par Bercy. Il restera le ministre sous lequel le Quai d’Orsay, pour la première fois de son histoire, se mit en grève. Son départ est, sur ce plan, un motif redoublé d’inquiétude : quoi qu’on en eût, on comptait sur lui, sur un ministre fort, pour redresser enfin la barre.


Pour ce qui est de la conduite de la politique étrangère de la France, ce départ est vécu comme un “séisme” par plus d’un et laisse le ministère orphelin.


Dominique de Villepin aura été un de ces hommes politiques français que les affaires étrangères libèrent de l’étroit terrain des jeux politiciens, et auxquels elles confèrent une autre stature. Lui, que rattrape aujourd’hui la politique politicienne, est arrivé à ce ministère sans préjugé de cette nature : il s’est entouré d’une équipe de haut vol, dont certains éléments avaient servi sous d’autres couleurs ; dans la distribution des belles ambassades, la gauche n’eut pas à se plaindre de revanchisme. Son seul sectarisme avéré aura été ensuite celui qui exclut l’inertie. On rapporte certaines de ses remarques mortifiantes dans les réunions, du genre : “Vous ne pourriez pas élever un peu le débat ?”.



POMPIERS


Dans une maison rompue aux dissertations en trois parties sur la fatale insolvabilité des conflits, son activisme a puissamment secoué le cocotier, terrifié les uns mais enthousiasmé beaucoup d’autres.


Un conflit, en substance, c’est fait pour être résolu ; M. de Villepin estimait en tout cas que la diplomatie française est là pour ça. Cela suppose d’avoir des idées claires, une stratégie et de la détermination ; puis de “mouiller sa chemise”, oserait-on dire, si l’image ne semblait un peu déplacée dans son cas. La France avec lui a joué les pompiers bien des fois, notamment en Côte d’Ivoire pour éviter à ce pays de plonger dans le gouffre, ou bien, plus récemment, à propos d’Haïti, en poussant véritablement le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, dans le dos pour qu’il se décide à agir.


Quel que soit le sujet de conversation avec Dominique de Villepin, cela commence et cela finit toujours de la même manière : action ! il n’y a pas de temps à perdre. Les circonstances ont fait que cette philosophie de l’action dut en premier lieu se concentrer à lutter contre la vision trop idéologique du monde en cours à Washington. Il est arrivé au Quai d’Orsay sans l’ombre d’un a priori antiaméricain, mais au moment où la pensée néoconservatrice prenait d’assaut la Maison Blanche. Comment le leadership américain pouvait-il se fourvoyer à ce point ?


Aux yeux du monde, M. de Villepin fait sa véritable apparition en février 2003 en exposant, lors d’une séance publique mémorable du Conseil de sécurité de l’ONU, pourquoi la France récuse la légitimité d’une intervention armée en Irak. Il fait savoir à un Colin Powell verdissant sous l’outrage que ses “preuves” ne valent pas un kopeck et que la France, d’autre part, n’a aucune leçon de morale à recevoir de Washington. Une certaine exaltation saisit l’assemblée suspendue aux paroles du Français. La France retrouve ce jour-là un rôle qu’elle ne faisait plus que mimer tristement depuis des années.


MILLLIERS DE KILOMÈTRES


Paris ne récusait pas seulement la légitimité d’une guerre en Irak, mais sa pertinence. Il y aurait fallu, disait M. de Villepin quelques mois plus tôt, une très longue “pédagogie”, qui n’aurait de chance de rallier l’ensemble de la communauté internationale que si l’on s’attaquait d’abord au conflit israélo-palestinien. Sinon, on ouvrait une boîte de Pandore aux conséquences incalculables. La suite ne lui a pas jusqu’ici donné tort.


Forts de cette analyse, de la large adhésion qu’elle recueille dans le monde, et de la proximité qui les lie, Jacques Chirac et Dominique de Villepin vont se faire les chantres du multilatéralisme, d’une gestion concertée des crises, des menaces et des injustices qui affectent la planète.


A cette politique, M. de Villepin a ajouté une diplomatie du contact qui ne se mesure pas seulement en milliers de kilomètres parcourus. “Il a noué beaucoup de liens personnels ; de partout on l’appelle pour lui demander son avis, disait récemment un de ses proches ; on sent que de vrais partenariats s’installent alors que tout s’effilochait.” L’Europe n’a pas été pour lui le terrain le plus urgent et certains en ont déduit trop vite qu’elle ne l’intéressait pas. “Mais l’Europe est pour lui une évidence !, rétorque-t-on ; il sait bien qu’on ne peut pas influencer les Etats-Unis dans un dialogue bilatéral.”


Peut-être l’après-Villepin se traduira-t-il par un certain recentrage sur les questions européennes. Mais c’est le monde qui est en chantier, “il n’y a pas de temps à perdre”.


Claire Tréan