L’Editorial. Avec la crise haïtienne resurgit l’éternel cas de conscience posé à la communauté internationale : peut-elle ou doit-elle intervenir dans un pays pour chasser un dictateur élu par son peuple ? Question subsidiaire : pourquoi les Etats-Unis, qui n’ont demandé l’autorisation de personne pour renverser Saddam Hussein, ne frappent-ils pas du poing sur la table ? En 1994, ils avaient largement contribué au retour de Jean-Bertrand Aristide sur son île.
A la première interrogation, un début de réponse a été apporté. Comme souvent, une tentative de médiation est privilégiée sur l’intervention. Menée notamment par des observateurs américains, canadiens et français, elle tente de ménager les susceptibilités. Un plan en cinq points prévoit un partage du pouvoir entre le président et un nouveau gouvernement issu des rangs de l’opposition. Il rappelle le compromis recherché par la France en Côte d’Ivoire. Mais la comparaison s’arrête là.
D’abord parce que Haïti va de Charybde en Scylla depuis plus de quarante ans. Le pays est à la dérive, à la «drive» comme on dit en créole. La dictature des Duvalier, père et fils, puis le régime dévoyé d’Aristide, prêtre des bidonvilles devenu autocrate illuminé, n’ont produit qu’illettrisme, chômage, sida, violence et corruption. La perle des Caraïbes n’est qu’un caillou qui ne vaut pas un sou. D’où peut-être le désintérêt des Etats-Unis. L’île n’a plus l’importance stratégique qu’elle avait pendant la guerre froide.
Ensuite parce que Haïti n’inspire pas d’espoir. Aucun compromis ne paraît viable. La tragédie met en scène trois acteurs dont la cohabitation réserverait un destin au succès fort improbable.
D’un côté, Jean-Bertrand Aristide, homme sans parole dont toute la carrière fut bâtie sur la trahison. Il est de plus en plus isolé. De l’autre, une opposition déterminée à se débarrasser une fois pour toutes des bonimenteurs de la politique. Elle est divisée et il lui manque un chef de file charismatique. Enfin, une rébellion armée, qui tient aujourd’hui la moitié du pays, constituée de malfrats et d’anciens sicaires du dictateur en place. Elle est prête à tout si Aristide n’abandonne pas le pouvoir. Mais on voit mal comment l’opposition pourrait composer avec elle.
Sans une plus grande fermeté de la communauté internationale, le chaos est donc certain. «Nous sommes devant un massacre», affirmait, hier, Dominique de Villepin. Déjà, l’équipe de médiateurs semble avoir révisé son plan. Le départ d’Aristide est envisagé. Peut-être cette solution ménagerait-elle une sortie politique de la crise. Ou l’Occident installe l’opposition au pouvoir, avec l’aide et la vigilance que cela suppose ; ou, en tergiversant, il offre le pays aux insurgés sans foi ni loi. L’opposition ou le désastre.
En Haïti, aujourd’hui, l’ingérence n’est pas un droit mais un devoir. Cette évidence doit avoir raison de l’éternel cas de conscience.