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Chantre de la théologie de la Libération, le président Aristide a vite oublié les promesses de ses débuts.
Son règne est aussi critiqué que celui de Duvalier. Surnommé le «duc de Tabarre», il se cache derrière les portes du pouvoir.


PORTRAIT

Le «prêtre des bidonvilles» incarnait un espoir fou en Haïti après trente ans de dictature sous la coupe de la famille Duvalier, au pouvoir de 1957 à 1986. Depuis quelques mois, un mouvement civil sans précédent témoigne d’une réalité plus crue: Jean-Bertrand Aristide est tombé à son tour dans le piège du pouvoir en instaurant un régime n’ayant rien à envier à celui de ses prédécesseurs.


Tendances autocratiques
Elu une première fois à la présidence de la république le 16 décembre 1990, avec 67 pc des voix, celui que les Haïtiens surnomment «Titid» promet alors de sortir son pays de l’ornière et d’accorder une attention soutenue aux plus démunis. L’élan populaire est énorme. Il ne dure guère. Le 30 septembre 1991, un coup d’Etat militaire lui coupe les ailes. Pendant sa première année de règne, l’homme avait déjà manifesté des tendances autocratiques. Réinstallé au pouvoir par l’armée américaine à l’automne 1994, Jean-Bertrand Aristide dérape. Marié avec une jeune avocate, père de deux filles, il abandonne sa «mission» chrétienne et se calfeutre derrière les portes du pouvoir. Il supprime l’armée, crée une police et une milice fortement critiquées aujourd’hui pour leurs dérapages récurrents.


Au moment de fêter le bicentenaire de son indépendance, Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde avec un Produit intérieur brut (PIB) par habitant de 430 dollars à peine. Les libertés individuelles sont bafouées. Des pratiques mafieuses liées au trafic de drogues se sont développées. Un tableau bien sombre lorsqu’on se remémore les cris de joie survenus lors de l’élection d’Aristide. «Tout moun se moun», disait-il. Tout homme est un homme. Cette ode à la dignité humaine semble bien loin…


Né en 1953 dans une famille de paysans, le Président haïtien devient un «petit prince» en montant se scolariser à Port-au-Prince. Chez les Frères salésiens, il découvre les pratiques douteuses des Duvalier. Il devient prêtre à 29 ans. La «théologie de la Libération», dont l’objectif consiste à émanciper l’Amérique latine avec des thèses très progressistes, lui parle fort. En 1982, Jean-Bertrand Aristide prend la tête de la paroisse Saint-Joseph dans un des quartiers les plus misérables de la capitale. Avec ses prêches audacieux, «Titid» devient la voix des pauvres. Les Tontons macoutes des Duvalier tentent de l’éliminer. La hiérarchie de l’ordre des Salésiens l’exclut en 1988 pour «incitation à la haine, à la violence et exaltation de la lutte des classes». Très populaire, il accède néanmoins à la fonction suprême. Son parti, le Lafanmi Lavalas, entend être une «avalanche» emportant les cauchemars du «duvaliérisme».


Les méfaits des chimères
Ne pouvant briguer un nouveau mandat en 1996, Aristide cède la place à un proche, qui s’avère être un homme de paille, René Préval. En coulisses, un véritable système de pouvoir se met en place. Avec sa démagogie et ses contradictions: le mouvement Lavalas dit défendre les pauvres mais applique les recettes néolibérales du consensus de Washington à l’oeuvre dans tout le continent. Avec ses outils de répression, aussi: les «chimères», milices au service du pouvoir formées dans les bidonvilles, n’ont rien à envier aux sinistres «Tontons macoutes» des Duvalier.


Réélu en novembre 2000 à l’occasion d’un scrutin boycotté par l’opposition, réinstallé à la présidence en février 2001, Jean-Bertrand Aristide a perdu au fil du temps le sens des réalités qui l’ont amené au pouvoir. Normal, disent ses détracteurs, puisqu’il ne prend plus jamais la peine de descendre parmi les siens, se contentant de défiler dans des limousines de luxe. On le surnomme désormais le «duc de Tabarre», du nom du quartier où il réside, dans une villa bunker. Aussi, il a été progressivement lâché par ceux qui le soutenaient. L’espoir du petit peuple haïtien a été trahi. Et à la veille d’un bicentenaire symbolique, il s’est mis à crier pour dénoncer la gabegie de l’ex-prêtre des bidonvilles.