Originally: Amnistie pleine et entière pour des criminels de droit commun en attente de jugement.
Dans un arrêté en date du 31 décembre 2003, le Président Jean Bertrand ARISTIDE a décidé d’accorder grâce pleine et entière à quarante – deux (42) prisonniers de droit commun, de commuer les peines de soixante six (66) autres et d’accorder amnistie pleine et entière à quatre vingt dix (90) présumés criminels dont les dossiers se trouvent aux cabinets d’instruction ou au Parquet de Port-au-Prince ou au niveau de certains Juges de paix.
Si l’article 146 de la Constitution en vigueur confère au Président de la République le droit de grâce et de commutation de peine relativement à toute condamnation passée en force de chose jugée, l’article 147 précise noir sur blanc : « Il ne peut accorder amnistie qu’en matière politique et selon les prescriptions de la Loi ». Or, le seul considérant de l’arrêté du 31 décembre 2003 informe que le « Président de la République a décidé d’user de sa Haute mansuétude envers quelques accusés et condamnés de droit commun en prenant une mesure de clémence en leur faveur ».
Il est donc clair que cet arrêté est inconstitutionnel et confirme que les partisans du pouvoir continuent de bénéficier de l’impunité officielle. A titre d’exemple le policier Jean Robert LUBIN de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) dont le dossier se trouve au cabinet d’instruction, figure sur la liste des quatre vingt dix (90) présumés criminels à qui amnistie pleine et entière a été accordée. Ce dernier qui avait, de façon spectaculaire, dans la matinée du 24 février 2003, à l’occasion des festivités carnavalesques, volontairement donné la mort, à Jacmel, à Marc Jacky Obed Scotty. Des dealers de drogue, d’autres inculpés ou accusés dangereux figurent sur la liste. On peut citer, à titre d’exemple, les cas de:
– Mercilia PAUL, Jean Bernard EXCELLENT et Marcel EXCELLENT qui ont assassiné à Bongat, localité dépendant de la commune de Kenscoff, le 22 mars 2003, le sieur Arnoïs Excellent, leur concubin et père. Ce crime a été perpétré avec une violence à nulle autre pareille. La victime a eu la langue arrachée, le cou tranché, les doigts des mains et des pieds coupés.
Le mobile du crime est le refus de la victime de vendre au profit de sa concubine et de ses deux (2) enfants un hectare de terre évalué, aujourd’hui dans la zone, à cent mille dollars américains. Arrêtés sur intervention du père Excellus Jean Rilus, vicaire de la paroisse de Pont Sondé, neveu de la victime, les prévenus sont gardés en prison sur ordre du Substitut du Commissaire du Gouvernement Riquet BRUTUS et ne seront, en dépit de nombreuses démarches des parents de la victime, jamais transmis au Cabinet d’instruction jusqu’à leur libération par le Président de la République.
Selon les témoignages reçus par la NCHR, Jean Bernard et Marcel Excellent sont aujourd’hui armés et profèrent des menaces de mort contre leurs aïeuls paternel et maternel, les Sieur et Dame Télicier EXCELLENT âgés respectivement de 90 et 88 ans pour l’obtention des titres de propriété des terrains de leur victime. Le Vicaire de la paroisse de Pont Sondé est aussi dans l??il du cyclone.
– Michelet NEPTUNE qui a assassiné de manière tragique le citoyen canadien Jacques ARSENAUD en Juillet 2003, à Delmas 31, rue Hatt #5 et dont le dossier se trouve au cabinet du Juge d’instruction Eddy DARANG figure lui aussi sur la liste des prévenus et accusés à qui amnistie pleine et entière est accordée.
Il est aussi curieux de constater que des personnes arrêtées en décembre 2003 bénéficient de la clémence du Président de la République au cours du même mois, c’est-à-dire quelques jours seulement après leur arrestation. Ils n’ont même pas eu, pour certains, le temps de se présenter devant leurs juges naturels. C’est le cas de :
· Pierre BONHOMME, arrêté le 9 décembre 2003 pour détention illégale d’arme à feu ;
· Abner JOURNAL, arrêté le 18 décembre 2003.
Pourtant aucun prisonnier politique n’a bénéficié de la clémence du Président de la République.
Faut- il rappeler que d’autres policiers, proches du pouvoir, impliqués dans des actes de criminalité courent encore les rues. On peut citer les cas de :
· Négupe SIMON, Commissaire de police à Hinche qui, le 22 octobre 2003, avait abattu de sang froid la dame Fernande JEAN ;
· Josaphat CIVIL, Ménard MEDAT, Pierrot GIVENS et Augustin PIERRE impliqués dans l’assassinat des trois fils de Viola ROBERT. (voir lettre ouverte de la NCHR au CSPN du 28 octobre 2003).
Le comportement du Chef de l’Etat accrédite la thèse selon laquelle le pouvoir aurait choisi d’organiser une forme d’évasion au Pénitencier National où six cent cinquante quatre (654) prisonniers dont de dangereux criminels ont pu quitter sans difficulté le plus grand centre carcéral haïtien dans le but d’avoir plus de bandits disponibles dans la rue pour contrer les manifestations anti-gouvernementales.
Du nombre des évadés ont peut citer :
Harold BAZILE alias une balle à la tête (meurtre)
Yves FLORENARD, impliqué dans l’attaque contre la SOGEBEL
Alex ainsi connu alias Dominicain
Lereste SAMDY alias Gros Samdy
Jean Daniel JEUDI alias Guimy inculpé dans l’assassinat de Jean L. DOMINIQUE
Jean Romane Louis, impliqué dans l’assassinat du Dr Harry Bordes
Wenson JEAN BARD alias Toupak
Grégory ZEPHIRIN, inculpé pour trafic illicite de stupéfiant
Tout laisse supposer que le coup a été planifié. Les faits suivants sont concluants :
– Certains détenus sont partis avec les clefs de certaines cellules. Les responsables ont été contraints d’acheter d’autres clefs.
– Beaucoup de prisonniers sont sortis en toute quiétude par la barrière principale et d’autres par un mur débouchant sur le Collège Bird et Les Presses Nationales.
– Dès la semaine du 20 décembre 2003, une rumeur persistante annonçait une évasion spectaculaire à la prison, au point qu’une unité du Groupe d’Intervention de la Police Nationale d’Haïti (GIPNH) avait fait une intervention en renforçant les dispositifs de sécurité. La vigilance n’a quand même pas été de mise.
– Vingt cinq (25) agents assuraient la sécurité ce jour-là. Ceci est un effectif normal pour sécuriser la prison. Les agents de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) ont plutôt fait preuve d’une très grande négligence.
-La majorité des évadés se trouvaient au couloir du Hall. Ceci dénote une claire complicité des agents, vu qu’il est contre-indiqué d’avoir cette masse de gens au couloir du Hall surtout en période de fête.
– Le Corps d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO) arriva sur les lieux avec 40 minutes de retard
-L’évasion a eu lieu au moment où le groupe musical « Grolobo » et un groupe de rara passaient dans les parages de la prison : l’un à la rue des Casernes et l’autre à la rue du Centre.
En amnistiant par l’arrêté du 31 décembre 2003 des auteurs d’infractions de droit commun criminologiquement graves, le chef de l’Etat a détourné l’institution d’amnistie de son but. On a souvent souligné, historiquement, le rôle politique et social d’apaisement et de clémence joué par l’amnistie après des temps troublés, alors qu’il importe de rétablir le calme dans les esprits. Mais aujourd’hui l’ idée que l’indulgence du Chef de l’Etat a été achetée par des trafiquants de drogue ou que l’impunité officielle pour des délinquants peu intéressants ou des multirécidivistes proches du pouvoir hante les esprits. L’idée de grâce ou d’amnistie est donc pervertie.
La NCHR, consciente de l’inconstitutionnalité et du caractère scandaleux de l’arrêté du 31 décembre 2003, demande au chef de l’Etat de le rapporter.
Port-au-Prince, le 20 janvier 200