Originally: L?Etat sauvage en action

   


L?Etat sauvage en action


« De tous les sentiments, le plus difficile à feindre c?est la fierté. Il n?est pas au pouvoir des âmes vulgaires de l?imiter: dans l?infortune, elle soutient le courage et donne de la dignité ; dans la prospérité, elle rend affable et contraste avec l?insolence de la bassesse parvenue », dit le dicton. La célébration du Bicentenaire de notre Indépendance, sur fond de contestations, a constitué un fait sans précédent dans l?histoire du pays et a bien démontré que dans leur infortune, la fierté des tous les secteurs organisés du pays leur a donné le courage de gagner les rues pour défendre leur  dignité et réclamer le départ de Jean-Bertrand Aristide et de ses sbires qui ont plongé le pays dans les abysses de la déshumanisation. Les autorités gouvernementales ont, quant à elles, conservé ??l?insolence de leur bassesse parvenue?? en se félicitant du déroulement des festivités du Bicentenaire. Lors du « Mardi de la presse » du 6 janvier 2004, Lesly Voltaire, ministre des Haïtiens vivant à l?étranger, a déclaré que ??la célébration des 200 ans de l?Indépendance nationale a été un apprentissage pour tous les Haïtiens en dépit de l?hostilité affichée par des secteurs de la Société Civile et de l?Opposition vis-à-vis du Pouvoir Lavalas ??. Selon ce dernier, ?? le 1er janvier a vu des centaines de milliers de personnes descendre dans les rues pour prouver au monde entier que c?était la seule et unique révolution d?esclaves ayant abouti dans toute l?histoire de l?humanité??. Apparemment, la prospérité des gouvernants de cet Etat prédateur les aveugle, car des dizaines de milliers d?Haïtiens ont manifesté à travers le pays afin de prouver au monde entier qu?ils voulaient que cette révolution aboutisse enfin, en fondant une Nation sans dictateur, sans exclusion, sans division de classes et de couleur, et basée sur la Loi et le respect des droits humains. De son côté, le  porte-parole de la Présidence, Dismey César, a déclaré sur les ondes de la TNH le même jour, que ceux qui qualifiaient le Bicentenaire de ?? Bicentenaire de la honte?? étaient des Haïtiens qui sans aucun doute avaient honte de l?être. Alors que la plate-forme démocratique des organisations de la société civile et des partis de l’opposition entamait une nouvelle étape dans la mobilisation destinée à forcer le président à quitter le pouvoir en annonçant une manifestation pour le 7 janvier suivie de deux jours de grève ; Dismey César a qualifié l?Opposition d?être constituée de ??rétrogrades faisant de la politique avec une haine viscérale. Une Opposition avec une mentalité de ??nègres blancs??, de néo-colonisés  qui ont débuté une guerre larvée avec le pouvoir??.  Il a déclaré que le président avait toujours offert à l?opposition de le rejoindre ??mais que cette opposition a toujours refusé  de collaborer voulant écraser à tout prix le pouvoir qui a pourtant prêché la paix ,mis à part quelques fanatiques aux positions extrémistes?? . ?? Des fanatiques aux positions extrémistes??, les mots sont lâchés à point nommé pour qualifier les propos du Père lavalassien Yvon Massac qui, dans une déclaration incendiaire diffusée le 5 janvier sur les ondes de toutes les stations de radio, a laissé entendre que « c’est à cause du refus exprimé par le président d’un bain de sang dans le pays que nous n’avons pas agi » contre l’opposition. Quarante huit heures après, le Père Yvon Massac, rebaptisé depuis par le peuple de ??Père Massacre??, revenait sur ses propos en s?excusant devant la nation. Dans cette seconde déclaration, le Père Massac prétendait que ??c?était parce qu?il avait été traumatisé par son passage aux Gonaïves le 1er janvier et par les tirs essuyés dans la Cité de l?Indépendance?? que ses paroles avaient dépassé sa pensée. Pourtant, dans sa première déclaration il s?était glorifié d?avoir été dans la Cité de l?Indépendance avec des gardes du corps du Palais, que tout s?était bien passé et que le Chef de l?Etat avait été reçu ??en grand genre?? dans cette ville qui l?avait accueilli comme s?il était chez lui. Dans cette déclaration, le Père Yvon Massac ne paraissait pas du tout traumatisé comme il l?a prétendu, en témoigne sa déclaration du 5 janvier 2004 où il a déclaré : « nous avons répondu 10 fois plus forts aux quelques tirs que nous avons entendu et ?? gen yap vini sé kon sa nap resevoi  yo??( nous les accueillerons comme ils viendront).  Le ton était donc donné par le Pouvoir pour le 7 janvier 2004, jour de la ??Marche de la Liberté?? organisée à l?appel de la Plate-forme Démocratique et des Partis Politiques de l?Opposition. Les  intentions des partisans du pouvoir étaient claires : l?Etat sauvage allait passer à l?action.


 


L?Etat Sauvage en action


 Aux premières heures du rassemblement de la ?? Marche de la Liberté??, vers 9h du matin, une atmosphère de haute tension régnait aux abords de la Place St Pierre de Pétion Ville, lieu de rassemblement prévu par les manifestants anti-gouvernementaux. Une dizaine de miliciens armés tirait sur les manifestants alors que sur la route de Delmas, des barricades enflammées étaient érigées au niveau de la Télévision Nationale. Sur la route de l?aéroport, on signalait la présence de nombreux véhicules ayant à leur bord des hommes armés et une maison que les ??chimères?? du pouvoir avait entièrement remplie de pierres pour pouvoir attaquer les manifestants lors de leur passage dans la zone. Sur la route du Canapé Vert, alors que les étudiants constituaient un second groupe devant rejoindre le premier au centre ville en milieu de journée, de nombreux incidents étaient signalés. Malgré cette atmosphère délétère, la détermination des manifestants demeurait de fer et le coordonnateur du Groupe des 184 déclarait sur la Place Saint Pierre, que les opposants au régime iraient ?? jusqu?à la limite du possible?? . Après de multiples négociations  des organisateurs avec la police qui brillait par son absence,  la marche a débuté à Pétion-Ville avec plus d’une heure et demi de retard.
 
 Alors que de nombreux véhicules avec des hommes armés et cagoulés sillonnaient les rues, la police tardait toujours à se manifester. Et de fait, on apprenait le même jour que  des changements avaient été effectués au sein du Haut Commandement de la Police. Michael Lucius a été nommé directeur de cabinet à la direction générale. Le commissaire divisionnaire, Blake Henrys, commandant du département du Sud Est devenait directeur central de la police judiciaire et le commissaire divisionnaire, Roudy Berthomieux, ancien responsable de la Direction Départementale de l?Ouest (DDO) a été nommé directeur de la police administrative. Avec de l?appréhension mais une détermination presque héroïque, les manifestants anti-gouvernementaux  allaient devoir faire face à ces changements dénoncés par André Apaid Jr, Coordonnateur du Groupe des 184, alors que la police tardait toujours à encadrer, comme prévu, les manifestants . Il faudra attendre le vrai départ de la ??Marche de la Liberté?? et  le début d?une véritable ??guerre de pierres?? entre les manifestants et les partisans au pouvoir, au niveau du marché de Pétion Ville, pour voir les premières voitures de police apparaître. Parallèlement, sur la route du Canapé Vert, le groupe d?étudiants qui devait rejoindre les membres de la Plate-forme ont décidé de poursuivre leur parcours sans la protection de la police .


 Entre temps, sur la route de Delmas, les incidents se multiplient : un homme, dont l’identité n’a pas été révélée, a été tué au haut de Delmas (bloc nord-est). La victime  ferait partie d’un groupe d’hommes armés qui auraient eu un échange de tirs avec la police, peu avant le passage de la manifestation. D?autres nouvelles faisant état de la présence de nombreux ??chimères?? armés au carrefour de l?aéroport, ont obligé les manifestants anti-gouvernementaux à faire un compromis avec la police pour le parcours initialement convenu. La décision a donc été prise de concert avec la police, qui désormais accompagne les manifestants : la marche passerait par Delmas 40 B, même si la route de Delmas constituait un point stratégique de rassemblement de la population pour les organisateurs. Enfin, vers une heure de l?après-midi, les membres de la Plate-forme Démocratique et le groupe des étudiants se sont rencontré sur la route de Bourdon et les étudiants se sont déchaîné en multipliant les slogans anti-Aristide.


La joie des étudiants allait toutefois être de courte durée et les appréhensions d?André Apaid Junior concernant la police, vont se concrétiser sur la route de Lalue, au centre ville, ou des partisans du pouvoir, embusqués dans des corridors, ont surgi pour attaquer les manifestants. Une des victimes a été  le jeune étudiant Maxime Desulmond qui a été touché mortellement par balles. Un autre jeune homme a été ensuite trouvé mort touché par 3 balles à l’avenue Christophe (centre-ville), a constaté un reporter de Radio Kiskeya. Les circonstances du meurtre n’ont pas été précisées. La première attaque directe des miliciens du pouvoir a été ensuite enregistrée et les slogans des étudiants ont  changé de ??Alléluia pour Haïti?? à ??grenadiers à l?assaut, sa ki mouri zafè?a yo ( grenadiers à l?assaut, ceux qui meurent c?est leur problème. La situation s?est aggravée lorsque des tirs d?armes automatiques ont été  entendus sur Lalue. Alors que les manifestants se sont arrêtés pensant que c?était des chimères qui les attaquaient, la police, dont le SWAT Team qui pour la première fois accompagnait  des manifestants anti-gouvernementaux, s?est retirée. Plusieurs sources policières confirment alors que ce ne sont pas des chimères mais bien l?unité de la police du Palais National, USGPN, qui tire sur les manifestants. La ??Marche de la Liberté?? a donc été brutalement dispersée et le bilan de cette journée symbolique, amenant le premier anniversaire de la mort de l?étudiant en médecine Ericq Pierre tué l?année dernière, est lourd : 3 morts et plus de 23 blessés. La panique allait s?emparer ensuite du bas de la ville où les actions de partisans du pouvoir montés à bord de véhicules publics et portant cagoules se sont intensifiées, alors que des patrouilles de la police n’étaient pas observées. Ils ont attaqué des véhicules et ont terrorisé les passants. Plusieurs cas de véhicules volés ont été signalés. Selon des témoignages obtenus, une trentaine d’hommes armés a fait irruption au local de la compagnie de télécommunications Teleco, située au Bois Verna (centre-ville) et est repartie avec les armes des agents de sécurité et des véhicules. Des hommes armés ont également attaqué un garde de sécurité du Bureau du Programme des nations Unies pour le Développement (PNUD) à Bourdon et sont partis avec son arme selon la presse et les responsables de cette institution internationale ont conservé, jusqu?à ce jour, un silence penaud. Plusieurs journalistes de Radio Vision 2000, Radio Signal FM et Radio Ibo ont été attaqués durant la manifestation. Radio Vision 2000 a subi des tirs et un véhicule de Radio Signal FM a été endommagé. D?autre part, plusieurs journalistes de Radio Ibo et de Signal FM ont du prendre refuge au local de la NCHR ( Plate-forme haïtienne des Droits de l?Homme) en fin d?après-midi alors que des partisans du pouvoir les attendaient menaçants dehors. Ces nouvelles attaques contre la presse indépendante ont été dénoncées par Mme Anne-Marie Issa, Vice-Présidente de l?Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) qui a du faire un appel aux autorités sur les ondes de Radio Kiskeya. Signalons ici un fait important : depuis les attaques du 5 décembre, ni l?Association des Journalistes Haïtiens de Guyler C.Delva ni la Fédération Haïtienne de la presse d?Ady Jean Gardy, n?ont réagi en faisant entendre leur voix par rapport aux multiples menaces proférées par le pouvoir contre la presse indépendante. Un silence lourd et qui en dit long sur certains soupçons qui entachaient déjà la crédibilité de ces associations?



Réactions et perspectives


 Ces événements se sont déroulés non seulement sous les yeux de la presse étrangère fortement présente ces jours-ci dans le pays, mais également  dans le cadre d?une visite de la délégation de la Communauté Caraïbéenne de la CARICOM, conduite par son secrétaire exécutif adjoint, Colin Granderson, ancien responsable de la Mission Civile d?Observation des droits de l?Homme OEA/ONU ( MICIVIH) durant la période du Coup d?Etat militaire (1991-1994). Cette mission de la CARICOM était favorable à la tenue d?une rencontre à l?étranger entre le président Aristide et les leaders de l?Opposition et de la Société Civile pour tenter de dénouer la crise. Toutefois, après une rencontre entre les membres de la Plate-forme Démocratique , ces derniers ont encouragé les membres de la mission à observer le comportement du gouvernement et de ses partisans pendant la ??Marche de la Liberté?? afin d?être bien imbus de la situation d?intolérance de toute forme de liberté d?expression en Haïti. Suite aux attaques sauvages des partisans du pouvoir, Evans Paul a déclaré que le pouvoir lavalas était en « rébellion contre la nation et la Communauté internationale ». Même son de cloche du côté du Groupe des 184 qui, dans une déclaration faite sur Radio Métropole par Charles Henry Baker, a rendu le pouvoir et la communauté internationale responsables des actes de barbarie perpétrés contre les manifestants pacifiques. Par la suite le député contesté Rudy Eriveaux, chargé de la communication du parti Fanmi Lavalas , a nié toute responsabilité de son parti dans les violences enregistrées le 7 janvier 2004. « Nous ne sommes responsables de rien » a-t-il déclaré sur Radio Métropole, accusant « ceux qui ont besoin de cadavres comme ascenseurs pour parvenir au pouvoir » . Rudy Eriveaux a également qualifié Monseigneur Guire Poulard d?avoir une mentalité de ??putschiste?? après avoir entendu ce dernier condamner les actes du gouvernement et de ses partisans et réclamer une fois de plus le départ de Jean-Bertrand Aristide. Les déclarations de Mario Dupuy, Secrétaire d?Etat à la Communication  et de Rudy Eriveaux  prouvent « qu?on assiste non seulement à la dégradation des institutions de ce pays mais également à celle des représentants du pouvoir » a déclaré Lionel Trouillot, Président de l?Union des Ecrivains Haïtiens et membre du Collectif NON, le 8 janvier à l?espace ??Invité du Jour?? de Vision 2000. Pour l?écrivain Haïtien, «  la déshumanisation des représentants de ce pouvoir est effrayante ». « Ce régime n?a aucune idéologie et a épuisé son discours en le remplaçant par des armes blanches et des armes à feu », dixit, Lionel Touillot qui a souligné que « la communauté internationale n?a qu?une chose à faire aujourd?hui : c?est suivre la volonté du peuple haïtien telle qu?exprimée par les secteurs organisés du pays. »


 Puisque nous évoquons l?attitude de la communauté internationale, notons que la délégation de la CARICOM n?a toujours pas réagit face aux violences enregistrées le 7 janvier, alors que l?OEA, avec son discours creux, a une fois de plus qualifié ces actes ??d?inacceptables??. David Lee s?est dit choqué d?avoir vu des bandes armées à travers les rues se jour-là?le fait n?est pourtant pas nouveau et ne l?a pas empêché de cautionner ce régime en se rendant au Palais, accompagné de Luigi Enaudi, le 1er janvier 2004 ! De son côté, le porte-parole du département d?Etat, Richard Boucher, a déclaré le 9 janvier « Nous condamnons les actions du gouvernement haïtien en réponse aux manifestations politiques du 7 janvier à Port-au-Prince. » « Certains policiers présents lors de ces manifestations ont collaboré avec des bandes fortement armées recrutées pour attaquer les manifestants anti-gouvernementaux », a-t-il ajouté.
Cette attitude, selon l?AFP,  contredit les déclarations de Colin Powell qui, 24h auparavant, s?était déclaré ??très préoccupé ?? par la situation en Haïti. Il avait appelé la présidence et l?opposition haïtienne à se saisir du compromis proposé par la Conférence épiscopale catholique en novembre dernier pour mettre fin à la crise politique qui paralyse le pays depuis mai 2000. Le vice-président de la Conférence Episcopale d?Haïti (CEH) , Mgr Guire Poulard, a soutenu que l?Eglise a pour obligation de prendre position de façon nette et claire sur la crise politique marquée par des manifestations de plus en plus importantes de l?Opposition réprimées par le Pouvoir. Dans deux interventions sur Radio Métropole, les mercredi 7 et vendredi 9  janvier 2004, le prélat a vivement condamné la dispersion , le même jour, à Port-au-Prince , de la manifestation de la Plate-Forme Démocratique par des partisans armés du Pouvoir appuyés par des policiers en civil. « L?Eglise se doit et a le devoir de prendre une position sans équivoque et ne doit pas ménager la chèvre et le chou. Car ,c?est la chèvre qui mange le chou actuellement », dixit Monseigneur Poulard qui a , une fois de plus, rappelé que la proposition de compromis du 21 novembre 2003 n?est plus de mise depuis l?assaut sanglant des OP lavalas sur les étudiants le 5 décembre. Ce plan qui a reçu l?appui du Président Aristide , des Etats-Unis et de la France prévoit notamment la constitution d?une commission de sages chargée d?épauler le Chef de l?Etat après le départ du Parlement , le 12 janvier et la tenue d?élections législatives . Cette initiative est  toujours rejetée par l’Opposition qui vient de publier une alternative à Lavalas comprenant entre autres un nouveau président issu de la Cour de Cassation et la formation d’un gouvernement de consensus. Mgr Guire Poulard a souligné que la Communauté Internationale ne doit pas prendre comme prétexte la proposition du 21 novembre pour ignorer la réalité . L?évêque de Jacmel  a indiqué que M. Aristide n?a jamais tenu aucune des promesses faites lors d?une rencontre avec la Conférence Episcopale. Pour lui , la solution à la crise passe par la démission du Chef de l?Etat et il  a qualifié la dernière position de Colin Powell, ??d?hypocrisie?? envers le peuple haïtien.


 Hypocrisie : voilà le mot qu?il faut saisir au vol. Car combien d?hypocrites complotent derrière les dos des acteurs et à la barbe du peuple haïtien ? Du côté américain tout d?abord, on sait que l?on nous a rabâché mille fois la même phrase : « c?est aux Haïtiens de résoudre la crise. » Alors pourquoi cet attachement des Etats-Unis à une proposition révolue de l?Episcopat  alors qu?une autre alternative signée par tous les secteurs organisés  du pays a été rendue publique ? D?autre part, ce que certains pourraient appeler des ??injonctions?? du Département d?Etat au régime d?Aristide, le sont-elles vraiment ? L?AFPa écrit que la déclaration de Richard Boucher ??contredisait?? celle de Colin Powell ; pourtant elle ne constitue pas un revirement du gouvernement américain mais simplement un ferme avertissement . Si Colin Powell  s?est montré apparemment plus flexible, c?est sans doute parce que les Américains savent à qui ils ont à faire. En effet, face au lion, il faut faire attention pour qu?il ne sorte pas toutes ses griffes et ne lâche pas ses hordes sauvages contre une population pacifique et désarmée. On emploie donc un artifice diplomatique, en l?occurrence en faisant croire qu?on appuie des négociations qui s?avèrent déjà impossibles, tout en tordant le bras du dictateur avec une condamnation plus ferme, d?où les derniers propos de Richard Boucher. Cela pourrait également  démontrer qu?il y a d?autres forces sur le terrain?mais çà, c?est une autre affaire. Ceci dit, nous apprenions d?une source bien informée que suite à la déclaration de Colin Powell, une session aurait été tenue au Parlement haïtien ,le vendredi 10 janvier, au cours de laquelle Aristide aurait décidé de mettre fin au mandat des parlementaires alors qu?il était question qu?ils restent jusqu?au mois d?août, comme annoncé par le député contesté Simpson Libérus la semaine dernière. Que signifierait cette décision d?Aristide ? Tout simplement qu?il se sent effectivement de plus en plus isolé, malgré l?arrogance de ses représentants, et qu?il considère encore sérieusement la proposition  révolue de l?Episcopat. En effet, en prolongeant le mandat des parlementaires, il rejetterait ??ipso facto?? ladite proposition de sortie de crise aux yeux de la communauté internationale.


 La balle est  donc désormais dans le camp de l?Eglise Catholique. Mais là encore, le jeu risque d?être hypocrite. En effet, une autre source digne de foi, nous a confié que le Nonce Apostolique, Monseigneur Luigi Bonazzi, aurait  ??formellement?? promis à l?Ambassadeur Américain de convaincre les Evêques de conserver la proposition de novembre incluant le Chef de l?Etat dans la refonte d?un nouveau gouvernement de consensus. Si cela s?avérait vrai, non seulement le Nonce se couvrirait de ridicule mais, de plus, l?Eglise Catholique se mettrait encore une fois du côté des oppresseurs au détriment des opprimés. Mais ne l?a-t-elle pas déjà fait sous Christophe Colomb, en faisant brûler douze Indiens par jour  au Môle Saint Nicolas, au nom des douze apôtres, au nom de Jésus Christ ? N?est-ce pas cette même Eglise qui a pactisé avec le diable nazi en soutenant le régime d?Hitler sous le Pape Pie XII ? N?est-ce pas cette Eglise qui s?est enfoncée dans des scandales à répétition l?année dernière avec l?implication d?Evêques dans de sordides affaires de pédophilies, notamment aux Etats-Unis ? N?est-ce pas cette même Eglise qui, en Haïti, a soutenu le régime assassin de François Duvalier et qui aujourd?hui, confrontée à sa propre ??chimérisation?? avec des prêtres tels que Fritz Sauvagère, Edner Devalssaint, Léobert Dieudonné, Edwidge Carré ou Yvon Massac n?ose toujours pas condamner les propos incendiaires de ces hommes qui se prétendent être des hommes de Dieu alors qu?ils sont une insulte à la foi chrétienne et catholique en particulier ? A l?heure où nous publions ce grand dossier, les dés seraient-ils déjà jetés ? En effet, nous savons que le Nonce doit partir ce dimanche 11 janvier, jour prévu pour une seconde marche de la Plate-forme Démocratique, à destination du Guatemala où il doit représenter le Pape à l?installation du nouveau président guatémaltèque. Il ne devrait revenir qu?en fin de semaine prochaine pour l?intronisation de Monseigneur Emmanuel Constant au Cap haïtien. Des sources proches des Evêques nous ont toutefois indiqué que la majorité de ces derniers, qui étaient en retraite jusqu?à aujourd?hui, seraient contre une telle man?uvre et qu?ils considèreraient trois options quant à présent : soit ils conservent la proposition de novembre, soit ils demandent le départ d?Aristide, soit ils optent pour un raccourcissement de son mandat. Prions pour que les Evêques Haïtiens optent pour l?Eglise de Dieu et non celle, pécheresse, des hommes !


 Enfin, nous ne saurions terminer cette analyse sans évoquer les surprises auxquelles sont confrontés aujourd?hui les manifestants pacifiques qui bravent tous les dangers pour revendiquer héroïquement dans les rues le droit à la liberté et le départ de Jean-Bertrand Aristide du pouvoir. Il est clair, en effet, qu?il s?est passé quelque chose d?anormal dans la manifestation du 7 janvier lorsque les unités de police ont confronté celle du Palais National, l?USGPN. Le fait que cette dernière unité se soit fait passée pour des ??chimères?? comme l?ont constaté plusieurs journalistes et témoins, ne constitue, dans le contexte d?un tel Etat sauvage, qu?un moindre danger. Nous savons désormais à quoi nous en tenir. Par contre, la surprise pourrait venir, à l?insu de tous ou de certains en tout cas? d?ailleurs. A ce sujet, une source très fiable nous a révélé que le gouvernement pense avoir des informations pertinentes sur la possible infiltration des agents du Corps d?Intervention et de Maintien de l?Ordre (CIMO) et du SWAT TEAM par des hommes de Dany Toussaint habillés en policiers. Selon cette source, ces derniers étaient déterminés à protéger les manifestants et ce sont également eux qui sont partis en éclaireurs au moment critique de la manifestation pour découvrir et reconnaître les hommes de l?USGPN. Toujours selon cette source, les vrais policiers ou du moins ceux qui respectent encore la devise ??protéger et servir??, étaient au courant de cette infiltration et avaient accepté ce fait. Que faisait donc les hommes de Dany Toussaint dans cette manifestation ? Agissaient-ils seuls ou de concert avec d?autres mains ? Si cette infiltration a bien eu lieu, n?expliquerait-elle pas les propos de Dany Toussaint le mois dernier lorsqu?il a déclaré péremptoirement sur les ondes ?? qu?il pouvait rétablir l?ordre en 48h si Aristide partait?? ? A qui s?adressait-il ? Serait-il vrai que les Américains auraient renoué le dialogue avec lui depuis trois mois ? Pourquoi ? Ces informations pertinentes que détiendrait le gouvernement expliqueraient-elles pourquoi la Télévision Nationale a tiré à boulets rouges sur Dany Toussaint ces jours derniers ? Une chose est sûre : les innocents et les braves ne méritent pas de se laisser berner par les jeux dangereux d?autres hypocrites et la marche de ce dimanche promet déjà d?être piégée. Les ??chimères?? souhaiteraient se venger, toujours selon cette source, alors qu?une autre source nous indiquait que des réunions ont eu lieu à Delmas entre le député contesté Nawoom Marcellus, Marjorie Michèle qui était attachée au Palais National et des tueurs de base de Solineau et de poste Marchand. Des armes  lourdes telles que des M14 et des ??Kadhafi?? auraient également été distribuées dans le quartier du Bel Air. Quant aux transferts effectués récemment dans la police, ils ne sont certainement pas innocents. Qu?à cela ne tienne, nous apprenions aussi ce vendredi 9 janvier que le Président aurait assuré à l?Ambassadeur Américain que tout se passerait bien le 11 janvier. On sait toutefois ce que valent les promesses du Chef de l?Etat : ses promesses de ??miel?? se transforment toujours en ??fiel?? ! Toutefois, il doit partir ce lundi pour le Sommet des Amériques à Monterrey et nous voyons difficilement comment il pourrait se permettre d?autoriser un massacre ou des bavures d?envergure à ses partisans dans une phase aussi critique tant pour le pouvoir que pour le reste de la société haïtienne. Mais sait-on jamais ? Il vaut mieux prévenir que guérir?


 L?intelligence et la bravoure des acteurs Haïtiens pourront -elles surmonter d?une part, le défi de la lutte pacifique face à un Etat sauvage et d?autre part, obtenir l?adhésion de l?Eglise catholique au choix majoritaire ? Pourront-elles ramener la communauté internationale à admettre que le peuple haïtien peut réussir à résoudre lui-même la crise à travers sa détermination et le soutien par ladite communauté de l?alternative de transition au pouvoir Lavalas ? Les jours prochains nous apporteront certainement les réponses à ces questions.


Nancy Roc,
Le 10 janvier 2004


 



1/ Duc de Lévis, Maximes, préceptes et réflexions.