HAÏTI Les communautés religieuses favorable au départ du président



L’Eglise ferme ses portes à Jean-Bertrand Aristide
Après les violences qui ont marqué la célébration du bicentenaire de l’indépendance, jeudi dernier, de nouveaux incidents ont eu lieu ce week-end aux Gonaïves, dans le nord-ouest d’Haïti, où une personne a été tuée.


Port-au-Prince : Guillemette Faure
[06 janvier 2004]





Les portes de la cathédrale sont restées fermées. Il n’y a pas eu de Te Deum aux Gonaïves, la ville où fut proclamée l’indépendance d’Haïti, pour les cérémonies de son bicentenaire célébrées jeudi dernier.


Selon le porte-parole du gouvernement Aristide, le prêtre a raté son hélicoptère. A en croire des membres de l’Église, l’évêque et les prêtres du diocèse ont tout fait pour éviter la cérémonie.


Pour les opposants du régime, voilà un signe de plus que l’Église, celle-là même dont Jean-Bertrand Aristide, petit prêtre des bidonvilles, a utilisé la chaire pour arriver à la présidence d’Haïti, lui demande à présent de quitter le pouvoir. Ou, pour les plus indulgents, de le partager.


Fin novembre dernier, la Conférence épiscopale, organe dirigeant de l’Église catholique, suggérait un compromis avec l’opposition pour sortir de la crise politique.



L’idée était de placer le chef de l’État sous la tutelle d’un conseil de représentants des partis, de la société civile, des Églises et de la Cour de cas
sation qui se serait ensuite chargée d’organiser des législatives en 2004. Le président Aristide qui, initialement, ne voulait pas en entendre parler, s’y dit ouvert à présent.


«Aristide prône le dialogue», assure son porte-parole. «Lorsqu’il a vu la force de la contestation, il s’est agrippé à la proposition des évêques», corrige le père Max Dominique, qui considère que l’offre des Églises est désormais caduque.


D’ailleurs, observe l’évêque de Port-au-Prince Pierre Dumas, à l’époque où le texte a été rendu public, une majorité des 15 évêques aurait volontiers réclamé le départ, sans négociation, du chef de l’État, et ne l’a pas fait pour éviter un bain de sang.



Selon lui, la proposition n’est plus d’actualité depuis le «vendredi noir», lorsque le 5 décembre dernier, des bandes armées au service du pouvoir passaient à tabac des étudiants de l’opposition. «Désormais, la solution la plus simple serait qu’il écourte son mandat ou qu’il démissionne.»


Alors qu’elle est devenue l’initiative de sortie de crise de référence des représentants américains en Haïti, la proposition de l’Église n’est plus guère soutenue par ses membres. De plus en plus de prêtres ont signé des pétitions exhortant le président à quitter le pouvoir. Quant à l’Église protestante, elle a déjà indiqué qu’elle refuserait d’être représentée dans le cadre de cette solution négociée.



Dieu est partout dans la rue haïtienne. De «L’Immaculée, Restaurant dansant» au magasin «Oh Dieu de l’Univers, gaz en gros», de la boutique «Le Sang de Jésus, provisions alimentaires» à la quincaillerie «La Main Forte de l’Éternel». Pourtant la voix de l’église s’est faite plus timide sur la scène politique. «Pendant le putsch des militaires, aller à la messe, c’était assister à une réunion politique, raconte Mario, 34 ans, maintenant, on ne parle plus de politique à la messe.»


Installée dans la cour de l’évêché, Radio Soleil, qui avait multiplié l’audience du petit prêtre des bidonvilles en diffusant ses sermons sur les ondes, ne couvre désormais plus que l’information religieuse.



L’Église a perdu de son aura. «La crédibilité de l’Église a été secouée depuis quelques années, admet l’évêque Dumas. Jean-Bertrand Aristide est sorti de notre sein, ça impose une certaine modestie.»


Éduqué chez les Salésiens dès l’école primaire, Aristide est ordonné prêtre en 1982 et exclu six ans plus tard de son ordre pour «incitation à la haine» et «exaltation de la lutte des classes». Il entre vite dans un bras de fer avec sa hiérarchie à laquelle il s’impose en s’appuyant sur les communautés de Ti Legliz (La Petite Église). Mario n’allait pas jusqu’à sa paroisse de Saint-Jean-Bosco «mais on se procurait ses cassettes. On les écoutait dès le dimanche soir, le lundi, le mardi…».



Lorsque l’archevêque François Ligondé tente de faire transférer Aristide, Mario va défiler avec des milliers de personnes en criant : «A bas Ligondé, vive Aristide.» «C’était l’Église d’en bas contre l’Église d’en haut», se souvient Turneb Delpé, un ancien sénateur proche d’Aristide désormais secrétaire général d’un parti d’opposition.


En coulisse, même chez les prêtres qui le soutiennent, il y a bien des choses qui dérangent chez Aristide. En août dernier, le père Joachim Samedi, un ancien compagnon de route d’Aristide a sur les ondes haïtiennes demandé pardon pour avoir proposé «d’élever le père Lebrun au rang d’évêque». Le père Lebrun, du nom d’un vendeur de pneus de Port-au-Prince, est le nom qu’on donne en Haïti au supplice du collier (un pneu enflammé passé autour du cou).



«Regardez les écrits d’Aristide. Ce sont de constants appels à la violence. Il choisit tous les psaumes d’imprécation de l’Ancien Testament», s’exclame le père Max Dominique. «Quelqu’un qui peut trahir sa foi peut trahir son peuple», assure Fritz de Catalogne, un assureur membre du groupe de l’opposition des «184». En 1995, quand Aristide abandonne son sacerdoce, deux mois avant la fin de son premier mandat, personne ne s’en affecte. Selon des responsables religieux, Rome lui aurait fourni les dispenses avec une rapidité déconcertante.



La version officielle rapportée par son porte-parole est qu’Aristide «avait décidé de ne plus exercer son sacerdoce, parce qu’il avait choisi de se consacrer à la cause du peuple haïtien». En janvier 1996, Mildred Trouillot, une avocate américaine d’origine haïtienne «accepte de prendre pour époux Jean-Bertrand Aristide et le peuple haïtien».


Marié et père de famille, Aristide II, comme on l’appelle à son retour au pouvoir en 2000, prend un peu plus ses distances avec le clergé. En avril dernier, un arrêté présidentiel reconnaît le vaudou comme religion à part entière.