Originally: Un Bicentenaire au goût amer
Webmaster’s note:
Nancy Roc is recipient of
- The Jean Dominique Prize for Freedom of the Press by
UNESCO (2002)
- The Best Journalist of the Year Award from the
Rotary Club of Port-au-Prince (1999)
- Honor and Merit Award from the Haitian Press Center (2002)
- Radio Award of the Year for her defense of press freedom from Freelance international Press,
Italy (2003)
L?année 2003 s?est achevée dans l?odeur âcre des gaz lacrymogènes, du feu , du sang et avec un sentiment amer de révolte, mêlée de honte, pour tout citoyen Haïtien qui a vécu l?entrée chaotique de notre pauvre République dans l?année de son Bicentenaire. Alors que la mobilisation tous azimuts se poursuivait contre Aristide, les autorités ont conservé leur arrogance méprisante à l?égard d?une population hurlant sa colère et sa misère face à un régime de terreur qui a entraîné toute une nation dans le mensonge, la répression, le crime organisé et une économie atrophiée. Deux cents ans après son Indépendance, ??Haïti n?en finit pas de courir après la démocratie et est confronté à un chaos économique et sanitaire?? écrivait l?Agence France Presse le 1er janvier 2004. Un chaos qui a valu à notre pays d?être qualifié de ??royaume du chaos et de la misère?? par le journal new yorkais ??The Nation??, sous la plume de Tracy Kidder, journaliste et écrivain de renom, lauréat du Prix Pulitzer et de l?American Book Award, qui écrit que ?’s?ils visitaient Haïti , les Américains en repartiraient avec des nouveaux concepts de pauvreté??(1). Les Haïtiens sont aujourd?hui le quatrième peuple le plus sous-alimenté de la planète, après ceux d?Erythrée, d?Ethiopie et de Somalie?, indiquait la Banque mondiale en 2002, alors qu?en1990, Aristide avait promis de faire passer Haïti ??de la misère à la pauvreté digne??.??Les besoins sont immenses dans ce pays considéré comme le plus pauvre du continent américain. Selon l?Unicef, deux tiers de ses quelques 8 millions d?habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 10% des mineurs âgés de moins de quinze ans souffrent de malnutrition. Et par rapport aux autres pays de la zone des Amériques, c?est en Haïti que l?épidémie de sida fait le plus de ravages. Une détresse sociale qui laisse visiblement complètement indifférent le président Aristide, confortablement installé dans une luxueuse résidence située sur les hauteurs de la capitale?? rapporte Olivier Bras de Radio France Internationale (RFI) (2).
Le Bicentenaire d?Haïti qui aurait pu constituer une gigantesque fête pour commémorer et célébrer la seule révolte d?esclaves aboutie de l?Humanité s?est déroulé sur fond de division, polarisation, évasion, confusion, violence, tension, manifestation et répression, tournant une fois de plus la devise de notre drapeau ??l?Union fait la force??, en totale dérision. La tension qui régnait dans la Cité de l?Indépendance la veille du Bicentenaire, ou de nombreux tirs ont été enregistrés dans la nuit et l?estrade présidentielle souillée de matières fécales, n?a constitué qu?un piètre prélude à ce qui allait se dérouler à travers la République le lendemain.
Des cérémonies officielles à l?image d?un tyran
??C?est dans le drame, familier à son histoire, que la République d? Haïti (a fêté) ce 1er janvier son bicentenaire. En 200 ans, 45 chefs d?Etat, la plupart des dictateurs sanglants, se sont succédé au pouvoir, les trois quarts n?ayant pas pu achever leur mandat. Deux siècles de déchirance : l?espérance de ce peuple de huit millions d?habitants, après une épopée magnifique, a été trahie par ses élites. Le régime du dernier président, Jean-Bertrand Aristide, s?inscrit parfaitement dans ce schéma tragique(?)Ce curé défroqué, psychopathe saisi par la folie du pouvoir et de l?argent, n?était-il pas à l?origine un homme de Dieu, une espérance absolue pour la masse des Haïtiens ? Le régime de « Titid » (Aristide), au fil des ans, est devenu complètement maffieux.?? , écrit le Figaro ce 1er janvier 2004 à propos du Chef de l?Etat qui pourtant rêvait d?une consécration internationale à l?occasion du Bicentenaire.?? Jean-Bertrand Aristide est en fait l’héritier de quelques traditions locales tragiques, qui ont modelé sa personnalité où le messianisme le dispute à l’intolérance. D’abord, celle de la Révolution française, que la nation haïtienne à de longue date faite sienne, mais avec une prédilection marquée pour la «Terreur»; et l’apologie -bicentenaire oblige- à laquelle se livre le président Aristide du général noir Jean-Jacques Dessalines, vainqueur des Français et grand coupeur de têtes, semble l’inspirer tout particulièrement. S’y ajoute une filiation religieuse très spécifique, mâtinée de vaudou, et où la figure de Dieu est plus vengeresse que clémente. Enfin, l’actuel chef de l’Etat haïtien se révèle le digne émule de cette longue lignée de dictateurs qui, sans guère de parenthèses dans l’histoire du pays, a fait son malheur. Une fatalité qui ne devrait pas en être une pour ce peuple d’anciens esclaves qui s’est héroïquement, il y a 200 ans, libéré de ses chaînes??, renchérit Michèle Gayral dans son éditorial sur RFI. (4) Et de fait, presque tous les secteurs vitaux du pays se sont démarqué des cérémonies officielles, estimant que le régime ne cherche qu’à légitimer un pouvoir usurpé qualifié aujourd’hui de ??gouvernement hors la loi??.
La journée historique du 1er janvier, les cérémonies et les discours officiels ont été à l?image de la mégalomanie présidentielle : méprisants envers la population. Le décor des rues annonçaient déjà la couleur : d?un côté, des banderoles vantant la gloire du président en proclamant ??Jésus, Haïti, Aristide, le credo du peuple haïtien?? et de l?autre, ??Ayiti sé maman libeté?? ( Haïti, mère de toutes les libertés) surplombaient les ordures et les rues sales de la capitale. En début de matinée, l?anarchie qui a toujours caractérisé le pouvoir Lavalas s?est une fois de plus manifesté lorsque des partisans du pouvoir, se pressant contre une grille du palais, l?ont fait tomber et plusieurs personnes ont été blessées. Au Palais National, devant plusieurs milliers de sympathisants, le Chef de l?Etat a d?entrée de jeu renouvelé sa détermination de rester au pouvoir en souhaitant la ??Bonne Année?? cinq fois de suite, symbolisant ainsi son mandat de cinq ans. Alors que son pouvoir est contesté journellement par une partie grandissante de la population à travers le territoire national, le Président a exprimé le désir de son parti de rester au timon des affaires de l?Etat jusqu?en ?2015 ! Il a rendu hommage aux fondateurs de la nation et promis du ??miel ??à la population. Dans un discours principalement axé sur les efforts de son parti et du Gouvernement pour améliorer les conditions économiques et sociales, il a fait une déclaration en 21 points, pour évoquer à travers ce qu?il a appelé ??la Déclaration du Bicentenaire??, des avancées spectaculaires en matière de santé, d?éducation, de reboisement, de réformes économiques et sociales d?ici 2015, ??grâce à Lavalas?? a-t-il scandé en prônant à chaque phrase que ??c?est possible car l?union fait la force??, la devise d?Haïti. Il a précisé que ces réalisations se feront à partir des 21 milliards de dollars réclamés à la France en guise de réparation et de restitution à la dette de l?Indépendance. Jean-Bertrand Aristide a exalté ??un bicentenaire de liberté pour un millénaire de paix?? et annoncé que des élections se tiendraient en 2004 ??avec l?opposition et la société civile?? qui réclament sa démission .
Aristide rêvait d?une fête à la hauteur de sa mégalomanie mais le Bicentenaire aura été marqué autant par l?absence d?invités internationaux que par des manifestations contre son pouvoir qui ont fait une dizaine de blessés à travers le pays. Tout d?abord, parmi les 24 délégations étrangères, le seul chef d?Etat, dont la visite a été très critiquée, était M. Thabo Mbeki, président de l?Afrique du Sud. Ce dernier a salué ??une des plus grandes révolutions de l?Histoire?? et prôné ??une chaîne de solidarité pour combattre la pauvreté, le sous-développement et l?instabilité??. ??Nous devons travailler pour le respect de la démocratie et de la tolérance?? a-t-il toutefois précisé. De son côté, le Premier ministre des Bahamas, M. Perry Christie, a rendu hommage aux héros de l?indépendance haïtienne.??Votre fierté est justifiée et partagée par toute la Caricom?? tout en ajoutant que ??votre pays fait face à des défis et il nous revient à nous, dirigeants, de faire face à ces défis?? . Quant à Madame Maxine Waters, membre du Congrès américain et du Black Caucus- organisation des parlementaires noirs américains connue pour avoir bénéficié des largesses de lobbying du pouvoir Lavalas- elle a d?emblée salué ??son ami Jean-Bertrand Aristide?? et lu une résolution du Congrès américain, présentée par le Black Caucus, félicitant Haïti d?avoir été ??le fer de lance de la lutte pour les droits humains???au moment même où Aristide est décrié sur la scène locale et internationale pour son mépris des droits de la Personne ! Signalons que cette cérémonie a été marquée par l?absence notable de René Préval ( ex-Président de la République), de M. Paterson, Premier Ministre de la Jamaïque, des présidents et représentants officiels de Cuba, la Bolivie et du Venezuela qui pourtant ont des liens historiques avec Haïti, ainsi que par celle du président dominicain, Hipolito Mejia. Une distance diplomatique qui en dit long sur la mise à l?écart d?Aristide sur la scène internationale. Par contre, on aura noté la présence de l?Ambassadeur américain, James B.Foley et celle de Luigi Enaudi de l?OEA alors que le mois dernier ce dernier avait annoncé qu?il n?assisterait pas aux cérémonies avec notamment, César Gavéria, Secrétaire général de l?OEA. Ces présences confirment donc notre crainte d?un soutien encore palpable des Etats-Unis au pouvoir Lavalas. D?ailleurs, le Chef de l?Etat a bien fait comprendre l?entente qui semble encore prévaloir entre son gouvernement et celui des Etats-Unis en déclarant à deux reprises que ?? les Etats-Unis et Haïti, c?est deux ??bon? qui font un bonbon???Nous reviendrons plus loin dans ce grand dossier sur les relations entre les Etats-Unis et le pouvoir Lavalas.
En attendant, Aristide et son gouvernement qui ont essayé de confisquer le Bicentenaire, n?ont jamais dévoilé le coût financier de toutes ces parades en l?honneur d?un homme qui a ramené 200 ans d?histoire à sa propre personne et à son parti. Toutefois, alors que la route menant à la cité de l?Indépendance n ?a pas été achevée pour le Bicentenaire, on a appris que la tour inachevée et érigée en face du Palais-du plus mauvais goût soit dit en passant-, symbolisant les 200 ans d?indépendance à travers 200 marches, aurait coûté ?tenez-vous bien, 58 millions de gourdes et l?ensemble des activités du Bicentenaire, 15 millions de dollars américains dont 200 couverts de porcelaine chinoise révèle le Los Angeles Times ce 2 janvier 1004 !(5) Des chiffres astronomiques et au goût bien amer pour un Bicentenaire boudé par l?ensemble du peuple le plus pauvre du continent américain?
Une ambiance de chaos pour une journée historique
Dans son discours, Jean-Bertrand Aristide a répété qu?Haïti était ??le pivot géographique de la libertés des noirs?? et lancé : ??ici, de la nuit de l?esclavage, surgit un soleil de liberté??. Il ne croyait pas si bien dire car, fait inédit et historique pour un 1er janvier, au même moment surgissaient des milliers d?étudiants et de manifestants de l?opposition à l?appel de la Plate-forme démocratique, réclamant leur soleil de liberté et la démission du Chef de l?Etat. Partis de la Place Saint Pierre à Pétion-Ville, ils sont descendus sur la route de Delmas en réaffirmant leur détermination de combattre le régime Lavalas. A mesure que les manifestants progressaient, la foule grossissait et la police a décidé de passer à l?action malgré les directives du président le 18 décembre dernier de ne pas réprimer les étudiants. A l?angle de Delmas et de Nazon (carrefour de l?aéroport), des policiers du Palais National ont tiré en direction des manifestants et quelques instants après, des agents de la CIMO ( corps d?intervention et de maintien de l?ordre) sont intervenus pour barrer la route aux opposants. La route de Nazon s?est transformée ensuite en un véritable champ de bataille et les manifestants ont érigé des barricades de pierres pour faire face aux tirs de gaz lacrymogènes de la police. Cette situation allait se poursuivre sur Lalue, au Bois-Verna et à Turgeau où des partisans du pouvoir tiraient dans toutes les directions, dans une véritable chasse à l?homme, transformant le bas de Port-au-Prince en un ??état de siège??, pendant que, parallèlement, on annonçait une évasion spectaculaire de prisonniers du Pénitencier National alors que le char de ??Gros Lobo?? ( proche de Lavalas) venait de passer devant ce dernier ; ce qui a poussé de nombreux observateurs a dire que c?était un ??coup monté?? du pouvoir pour arrêter prématurément la manifestation anti-Aristide qui se déroulait dans les rues. Au même moment, aux Gonaïves, la tension montait et le cortège présidentiel a été pris en otage alors que l?hélicoptère transportant Thabo M.beki a essuyé des tirs et a du faire demi-tour vers la capitale.
C?est dans cette ambiance d?anarchie que le Président Aristide a effectué une visite éclair aux Gonaïves ,sous haute surveillance policière et étrangère, où il a prononcé un bref discours en présence de plus d?un millier de sympathisants venus des régions avoisinantes. Dans la Cité de l?Indépendance, aucun Te Deum ou autre cérémonie n?a été organisée. Signalons qu?entre temps, à gros morne, dans l?Artibonite, des détenus se sont également échappés, ont incendié un autobus transportant des supporters d?Aristide et ont saccagé un commissariat dont les policiers ont pris la fuite. Bilan de cet journée historique : un mort et une dizaine de blessés dont plusieurs par balle. Alors qu?on redoutait le pire, la situation s?est finalement calmée et le 2 janvier 2004, jour des aïeux, la Plate-forme Démocratique de la Société Civile et des Partis Politiques revenait à la charge en présentant à la nation une alternative au pouvoir Lavalas. Dans cette dernière, la Plate-forme ??s?engage à obtenir dans les meilleurs délais ?? le départ d?Aristide et de tous les membres du gouvernement Lavalas. Le Président de transition sera choisi parmi les Juges de la Cour de Cassation, qui nommera le Premier Ministre choisi par consensus par un Conseil de Neuf Sages et en concertation avec la Plate-forme Démocratique de la Société Civile et des Partis Politiques de l?Opposition. Ce Conseil complété prendra le nom de Conseil d?Etat et aura ensuite une fonction délibérative et de contrôle. La durée du nouveau Gouvernement de transition, qui doit également mettre en place le Conseil Electoral Provisoire, n?excédera pas vingt quatre mois. D?autre part, on apprenait le 3 janvier par l?Agence Alterpresse qu?avant de regagner son pays, le premier mandataire de l’Afrique du Sud a rencontré séparément des représentants de l’opposition et de la société civile haïtienne, a appris AlterPresse auprès des milieux concernés. Ces rencontres se sont déroulées dans un hôtel huppé de Port-au-Prince, au milieu d’un important dispositif de sécurité. D’emblée, Thabo Mbeki s’est employé à réfuter les allégations selon lesquelles il était venu jouer les médiateurs dans la crise politique haïtienne. Le chef d’Etat sud africain a également démenti avoir fait le déplacement en Haïti pour soutenir le président Jean Bertrand Aristide. La même source a fait savoir à AlterPresse que Thabo Mbeki a justifié sa présence par le fait que la révolution haïtienne de 1804 a une dimension universelle et une importance particulière pour l’Afrique et sa diaspora. Les représentants de l’opposition et de la société civile ont tout de même exprimé à Mbeki leurs appréhensions quant à une possible intensification de la répression en Haïti après la bouffée d’oxygène qu’il a apportée à Jean Bertrand Aristide. Les dirigeants de la société civile et l’opposition ont par ailleurs remis au président Sud-africain une copie de la résolution présentant une « alternative de transition » au régime lavalas, a encore révélé AlterPresse.(6)
Les enjeux du futur
Pour les observateurs politiques, il est clair que le Bicentenaire a renforcé la fracture qui existait dans le pays entre un despote aux dérives mafieuses et une large opposition politique et d?organisations de la société civile. La radicalisation de l?opposition à Jean-Bertrand Aristide inquiète la communauté internationale même si cette dernière a condamné la répression gouvernementale. Une répression qui risque bien de se durcir dans le blocage politique actuel. ?? Il y a un danger évident de confrontation violente, avec des institutions politiques très faibles et une telle pauvreté. L?anarchie qui menace ce pays est une préoccupation majeure?? a confié une source diplomatique à l?AFP le 2 janvier 2004 (7). ?? Vu la tendance à la contestation insurrectionnelle dans l?histoire d?Haïti, il serait souhaitable, dans l?intérêt à long terme que le président termine son mandat?? a ajouté la source diplomatique en relevant que ??le processus lancé par l?Eglise exige des concessions importantes de part et d?autre??. Dans l?intérêt de qui pourraient se questionner les Haïtiens ? Car l?anarchie qui préoccupe cette source est installée depuis longtemps dans le pays et fait des victimes tous les jours. Les positions actuelles resteront donc irréconciliables. Quant au gouvernement américain, Haïti demeure une préoccupation pour George W.Bush particulièrement en cette année électorale. « Eviter à tout prix que le chaos dans l?île ne devienne un sujet d?actualité », voilà selon Robert Rotberg, professeur à la Harvard School of Governement, la priorité quant à l?avenir d?Haïti que partagent les Démocrates et les Républicains à moins d?un an de la prochaine présidentielle américaine, révèle le Figaro le 1er janvier 2004 (8). « Les Républicains ne veulent pas d?une nouvelle distraction et les Démocrates savent que si les problèmes d?Aristide occupent les médias, les Républicains les mettront sur le compte du gouvernement Clinton » (?) En arrivant à la Maison Blanche, George Bush aurait voulu se retirer encore plus des questions haïtiennes. Mais sa politique se fait plus confuse alors que le chaos politique s?installe dans le pays. D?un côté, les Etats-Unis aimeraient qu?une force d?opposition puisse rivaliser avec Aristide(?) d?un autre côté, ils préfèrent travailler dans un environnement qu?ils connaissent.(?) S?il ne eut pas attirer l?attention sur Haïti, le gouvernement américain sait qu?il ne peut pas ignorer l?île. Car, explique Bob Maguire, directeur du programme d?études d?Haïti du Trinity College de Washington, ce que Bush redoute plus que tout, c?est le « spectre de boat people d?Haïti s?approchant de la Floride » En octobre 2002, le gouvernement américain justifiait la détention et le renvoi de 211 Haïtiens arrivés en bateau sur les côtes de Floride par le risque terroriste qu?ils auraient pu représenter. Ce discours serait difficile à maintenir si ces vagues d?arrivées se multipliaient. 228.000 Haïtiens vivent en Floride. Et depuis quatre ans, on sait que l?Etat du sud peut faire basculer une élection.??
Malgré les déchirements qui caractérisent notre pays aujourd?hui, le peuple haïtien dans son ensemble doit profiter de ce tournant historique pour s?engager de manière irréversible dans la dynamique de récupération de sa souveraineté pour manifester aux yeux du monde une alternative politique mais également ??civilisationnelle??. Cette année du Bicentenaire devra être une année de réflexion profonde sur notre devenir et de réforme de notre mentalité et manière de nous gouverner si l?on veut ne plus persister dans l?erreur qui nous a conduit à la ruine. Il est clair en effet, que la Révolution de 1804 a été plus profitable au reste du monde qu?à Haïti. Après la geste héroïque des pères fondateurs de la Révolution et de notre Indépendance, tous les autres chefs d?Etat et les gouvernements ont utilisé le pays à leur propre profit et dilapidé les fonds de l?Etat. Aujourd?hui, Aristide a instauré un régime de facto d?apartheid.
En 2004, il nous semble que le nouveau contrat social proposé par le Groupe des 184, peut nous offrir la chance de partager une vision commune du futur pour fonder véritablement la nation haïtienne. Si les Haïtiens réussissent ce coup de maître et non ce coup d?Etat comme le prônent les lavalassiens, ils accompliront une seconde révolution qui pourrait même servir d?exemple aux autres pays en voie de développement afin de sortir les masses de la misère.
En attendant, l?urgence politique nous presse encore à relever de grands défis. Que peut donc faire Aristide aujourd?hui ? Continuer à s?accrocher au pouvoir et à faire fonctionner sa machine morbide à n?importe quel prix, au prix du sang ? Combien de temps pourra-t-il tenir devant une opposition grandissante et déterminée à obtenir sa démission ? Certainement pas deux ans?ou alors, il aura raison de l?opposition par usure et par répression. Le début de cette année s?annonce donc dur et la mobilisation tous azimuts de l?opposition et de la société civile devra s?étendre en diaspora si elle veut réussir à attirer l?attention, mais surtout l?action, du ??grand frère?? américain. D?autre part, l?alternative proposée par la Plate-forme Démocratique tombe à pic pour rassembler le reste des sceptiques ici et en diaspora. Le 2 janvier 2004, lors de la présentation de l?alternative à Lavalas, le coordonnateur du Groupe des 184, André Apaid Jr., a lancé ??qu?il n?y aura pas de chaos en Haïti?? après le départ d?Aristide. Espérons qu?il dit vrai?
Nancy Roc, le 3 janvier 2004
1/ Tracy Kidder ??Au royaume du chaos et de la misère??, The Nation, New York, décembre 2003
2/ Olivier Bras, ??Aristide sur la sellette??, 31 décembre 2003, RFI actualités
3/ ??La République haïtienne trahie par ses élites??, le Figaro, 1er janvier 2004
4/ ??Aristide, hier et aujourd?hui??, Michèle Gayral, RFI, éditorial international du 1er janvier 2004
5/ ??Haiti celebrates with joy, anger??, Carol J. Williams, Los Angeles Times, le 2 janvier 2004
6/ ??Thabo Mbeki rencontre l?opposition haïtienne??, Alterpresse le 3 janvier 2004
7/ ??En Haïti, le blocage politique reste total ??, AFP, le 2 janvier 2004
8/ ??Haïti : une préoccupation pour George W. Bush??, Le Figaro, 1er janvier 2004