Originally: Aristide, hier et aujourd’hui

Aristide, hier et aujourd’hui


 


Michèle Gayral.

© Marc Verney/RFI


Jean-Bertrand Aristide, en qui, en 1990, le peuple haïtien voyait massivement ce «prophète des bidonvilles» qui allait enfin le sortir de la dictature et de la misère, a-t-il si profondément changé ? Ou bien fallait-il, dès cette époque, déceler chez lui le despote prêt à tout pour conserver un pouvoir sans partage qu’il s’est révélé être ? Beaucoup en tout cas s’étaient laissé prendre à son charisme de petit curé populaire, à son verbe créole de tribun d’une plèbe presque toujours interdite de démocratie depuis l’indépendance de 1804 – malgré les espérances soulevées par ces heures glorieuses où les anciens esclaves noirs avaient bouté hors de l’île les Français, qui après leur avoir appris la liberté, l’égalité et la fraternité, prétendaient sur l’ordre de Bonaparte les enchaîner de nouveau. Et l’engouement que «Titid» suscita il y a treize ans, la bourgeoisie progressiste le partageait avec les masses paysannes et urbaines, exténuées qu’elles étaient l’une et les autres par l’interminable tyrannie des Duvallier père et fils.

Pourtant, dès ses débuts sur la scène publique, quelques signes inquiétants auraient pu donner l’alerte. Si le jeune prêtre est exclu de son ordre en 1988, c’est très officiellement pour «incitation à la haine et à la violence». Une grave mise en cause, même si l’on connaît les réticences de la hiérarchie catholique envers la théologie de la libération dont le père Aristide est l’adepte. En 1991, alors qu’il vient de se faire élire triomphalement président, il émaille ses harangues de références brutales, allant même jusqu’à engager ses partisans à pratiquer ce qu’on appelle en Haïti le «père Lebrun», autrement dit le supplice du pneu enflammé autour du cou de la victime. L’homme d’alors est-il si différent de celui qui, aujourd’hui, galvanise ses partisans -ces misérables «chimères» qui sortent des bidonvilles pour aller casser de l’opposant ou du journaliste- avec des messages de moins en moins subliminaux dans le registre de l’appel au meurtre ?

Jean-Bertrand Aristide est en fait l’héritier de quelques traditions locales tragiques, qui ont modelé sa personnalité où le messianisme le dispute à l’intolérance. D’abord, celle de la Révolution française, que la nation haïtienne à de longue date faite sienne, mais avec une prédilection marquée pour la «Terreur»; et l’apologie -bicentenaire oblige- à laquelle se livre le président Aristide du général noir Jean-Jacques Dessalines, vainqueur des Français et grand coupeur de têtes, semble l’inspirer tout particulièrement. S’y ajoute une filiation religieuse très spécifique, mâtinée de vaudou, et où la figure de Dieu est plus vengeresse que clémente. Enfin, l’actuel chef de l’Etat haïtien se révèle le digne émule de cette longue lignée de dictateurs qui, sans guère de parenthèses dans l’histoire du pays, a fait son malheur. Une fatalité qui ne devrait pas en être une pour ce peuple d’anciens esclaves qui s’est héroïquement, il y a 200 ans, libéré de ses chaînes.