Originally: Une « minorité » écrasante


Nancy Roc is recipient of



  • The Jean Dominique Prize for Freedom of the Press by
    UNESCO (2002)

  • The Best Journalist of the Year Award from the
    Rotary Club of Port-au-Prince (1999)

  • Honor and Merit Award from the Haitian Press Center (2002)
  • Radio Award of the Year for her defense of press freedom from Freelance international Press,
    Italy  (2003)

Une « minorité » écrasante


« Historique », « gigantesque », « colossale » : les journalistes étaient à cours de mots pour qualifier la marche du 22 décembre 2003 où, à l?appel de la Plate forme de la société civile et des partis politiques de l’opposition, des dizaines de milliers d?Haïtiens, de tous les âges et de toutes catégories sociales et professionnelles ont défilé pendant près de trois heures à travers différentes artères de la capitale pour demander le départ de Jean-Bertrand Aristide. C?était tout simplement du jamais vu depuis la chute du régime Duvalier et les Haïtiens ont démontré ce jour-là, aux yeux du monde entier, que la « minorité » désignée par les autorités lavalassiennes avait prouvé de façon écrasante le record d?impopularité atteint par le Chef de l?Etat. Le contraste fut saisissant comme l?a bien noté l?Agence Alterpresse : « d’une part, une foule compacte arborant des branches d’arbres et des mouchoirs blancs en signe de paix, le long de plus d’un kilomètre de route, sillonne, au pas de course, diverses artères de la capitale (Delmas, Nazon, Lalue), en scandant des slogans coutumiers du genre « si c’est ça la minorité, Jean Bertrand Aristide ne sait pas compter ». De l’autre, des chimères (casseurs recrutés par le pouvoir dans les quartiers défavorisés) se sont rassemblés en petits groupes dans l’aire du Champ de Mars. »(2) Très menaçants, ils ont provoqué, à plusieurs reprises, une certaine panique au c?ur de Port-au-Prince, mais n?ont pas réussi à altérer la détermination des manifestants.


Si cette marche historique s?est déroulée sous haute surveillance policière, nous ne saurions dire, comme certains de nos confrères, que l?attitude de la police a été « exemplaire ». Elle fut correcte, c?est tout. D?ailleurs si elle avait été « exemplaire », pourquoi plusieurs véhicules suspects-dont une « jeep » Rocky immatriculée 1-00-79- à bord desquels circulaient des policiers et civils en armes ont-ils été remarqués ? D?autre part, le 22 décembre aurait pu constituer une véritable « marche de la  victoire » si deux morts, Stanley Jacques Loiseau et Francky ainsi connus, et six blessés n?étaient pas à déplorer. Selon plusieurs témoins, les personnes tuées auraient été touchées au moment où des agents de la compagnie d’intervention et de maintien d’ordre (CIMO) ont ouvert le feu sur une « jeep » ayant à son bord des individus armés qui tiraient contre les manifestants anti-gouvernementaux. Toujours selon ces témoins qui se sont exprimés notamment sur Vision 2000, parmi les membres de ce commando figuraient le chef de gang René Civil, le Directeur de l?ONA (Office Nationale d?Assurance) et d?autres hommes armés. René Civil a démenti sa présence à bord du véhicule incriminé, une « jeep » Montero grise immatriculée « location 2343 », en affirmant qu?il était resté chez lui. Si le gouvernement et la Police ont attribué ces incidents au fait que les organisateurs de la marche n’ont pas respecté l’itinéraire convenu (pour la manif) avec la PNH ; la police ne s?est toutefois pas lancée aux trousses de la jeep en question et René Civil n?a jamais été interpellé ou même questionné suite aux nombreux témoignages le désignant publiquement. Par ailleurs, il faut rappeler que pendant tout le parcours, trois voitures de police accompagnaient les manifestants alors que lorsque l?attaque a eu lieu, il n?y avait plus qu?une seule voiture de police qui, selon des témoins, est passée près de la jeep grise en question. De plus, à chaque intersection que devait prendre les manifestants, des barrières avaient  été érigées pour faciliter l?indication du parcours convenu aux milliers de manifestants. Or, comme par hasard, à l?angle de Lalue et du Chemin des Dalles où l?incident a eu lieu, aucune barrière n?était érigée. Autre information et pas des moindres qui nous est parvenue d?une organisation fiable de défense des droits humains, il semblerait que Stanley Jacques Loiseau aurait été tué parce q?il sortait d?une banque avec une somme importante d?argent, « dixit la propre famille Loiseau » nous a confié notre source. Rappelons que la famille de Stanley Loiseau avait accusé la police d?avoir tiré sur le jeune homme qui ne participait pas à la manifestation. Quel chaos kafkaïen !  Signalons que  la manifestation s’est achevée symboliquement dans l’enceinte même de la Faculté des Sciences Humaines, co-victime avec l’INAGHEI (une autre unité de l’Université d’Etat d’Haïti) du raid sanglant des partisans du président Jean Bertrand Aristide le 5 décembre dernier qui s’était soldé par une trentaine de blessés. Comme la semaine passée, les provinces ont répondu à l?écho de la capitale : plusieurs autres villes du pays dont les Gonaïves, Léogane et Saint Marc ont manifesté contre Jean-Bertrand Aristide ce 22 décembre. De même, à Miami, le même jour, des centaines d’opposants au régime lavalas, auxquels se sont joints des anciens fonctionnaires et supporteurs du gouvernement ainsi que des anciens parlementaires, ont manifesté à deux reprises en moins de trois jours à Miami pour demander le départ du président Jean Bertrand Aristide. Les 17 et 20 décembre sur la place « Torch of friendship », au centre commercial de la ville de Miami, un rassemblement a été convoqué par la Coalition pour l’Avancement et le Développement d’Haïti (CADH), en solidarité avec le mouvement de protestation déclenché en Haïti pour obtenir le départ du président Jean Bertrand Aristide. Les manifestants ont exprimé leur frustration face au comportement du pouvoir dans la gestion des contestations anti-gouvernementales et condamné les brutalités policières exercées à l’encontre des étudiants. Ils arboraient des pancartes avec des slogans hostiles au chef de l’Etat. « Aristide doit partir, à bas Aristide », ont crié les protestataires, sur Biscayne Blvd. Les manifestants ont également chanté les funérailles symboliques du président Aristide en circulant avec un petit cercueil pour signifier la fin du régime lavalas. Des exilés politiques importants tels que les anciens parlementaires Irvelt Chery et Guy Métayer, l’ancien juge d’instruction Claudy Gassant chargé du dossier du journaliste assassiné Jean Dominique, et l’ancien directeur de la Police Nationale, Jean Robert Faveur ont pris part à ce rassemblement. Même scénario au Canada cette semaine où des manifestants ont bravé le froid pour manifester contre Aristide ainsi qu?à Paris ou des manifestants ont voulu fermer l?Ambassade d?Haïti en France et demander aux diplomates de démissionner, avant d?être repoussés par la police française. Ce 24 décembre, on apprenait par l?Agence Alterpresse, que ces manifestants avaient réitéré leurs pressions sur le Consulat et l?Ambassade d?Haïti à Paris au levé du jour et « prévoient d’autres étapes, si leurs exigences ne sont pas suivies d’effet, avant le 1er janvier 2004. Pour ces manifestants, désormais «  c’est la pression permanente en Haïti comme dans la diaspora jusqu’au départ d’Aristide du pouvoir. »(1)


A Port-au-Prince, après la marche historique du 22 décembre, la mobilisation anti-Aristide s?est poursuivie à l?appel des artistes et des médecins. Tout d?abord, le 23 décembre, le collectif NON, regroupant des artistes et des intellectuels pour la défense des libertés, a organisé un énorme concert à la Faculté des Sciences Humaines pour demander le départ d?Aristide. Des ténors de la musique haïtienne tels que « Boukman Eksperyans », Michel Martelly, et d?autres groupes comme « Wawa », « Masters » Jah Nesta, Joël et Mushi Widmaier ont participé à cette journée du collectif. Le lendemain, 24 décembre, des milliers de personnes ont répondu à l?appel des médecins et des avocats qui ont défilé respectivement en blouses blanches et en toges dans les rues de la capitale. De nombreuses personnalités politiques se sont jointes à cette marche parmi lesquels, Evans Paul de la Confédération Unité Démocratique (KID), Turneb Delpé du Parti National Démocratique Progressiste d’Haïti (PNDPH) et Hubert Deronceray du Mouvement pour le Développement National (MDN). Le sénateur Dany Toussaint, ex-Fanmi Lavalas, a également pris part à la manifestation de ce 24 décembre, de même que André Apaid Junior du Groupe des 184. La police a assuré la sécurité de la manifestation, observée par les membres de la Mission Spéciale de l’Organisation des États Américains (OEA) et la marche s?est déroulée sans incident. Parallèlement en province, notamment à Jérémie et à Jacmel, des centaines d’étudiants ont défilé sous la protection de la police. A Jacmel, les étudiants ont critiqué le gouvernement américain, qui, selon eux, « ferme les yeux sur Haïti, parce que ce pays n’a pas de pétrole ».


A propos du gouvernement américain, rappelons que dans un communiqué de presse daté du 22 décembre, l?Ambassadeur des Etats-Unis, James Foley, avait réitéré « le plein soutien du Gouvernement des Etats-Unis d?Amérique en faveur de l?exercice des droits démocratiques en Haïti, notamment la liberté d?expression et la liberté de rassemblement. » Tout en exhortant « solennellement les autorités de l?Etat à faire en sorte que les manifestations prévues soient protégées par la police et protégées contre des gangs armés », James Foley avait aussi rappelé que, «  comme le Département d?Etat l?a souligné récemment, nous croyons que les manifestations qui se déroulent actuellement en Haïti  sont l?expression légitime et pacifique d?opinions politiques. »(2) Pourquoi, alors, ces opinions laissent-elles les Américains aussi insensibles ? Pourquoi les Etats-Unis soutiennent-ils la sortie de crise dépassée de l?Episcopat haïtien que Jean-Bertrand Aristide a proposée à la nation le 17 décembre ? N?est-il pas significatif que le quotidien Miami Herald n?ait pas pipé mot sur la marche du 22 décembre ? Pourquoi ce silence ? Il n?est certainement pas innocent en tout cas?De même que de source bien informée, nous avons appris qu?avant la marche du 22 décembre, l?Ambassadeur James Foley, aurait eu à demander à un interlocuteur comment être sûr qu?Aristide avait perdu sa popularité. Cet interlocuteur avisé lui aurait répondu : « assurez-nous une journée de manifestation sans répression et vous verrez toute la population dans les rues ». C?est bien ce qui est arrivé le 22 décembre à Port-au-Prince. Mais les Américains ne semblent pas se préoccuper des marées humaines qui demandent le départ d?Aristide?.tant que celles-ci défilent en Haïti. Par contre, si les manifestations grossissent en diaspora, ce sera une autre paire de manche? C?est pour cela que pour certains observateurs politiques, il est essentiel que la mobilisation s?intensifie à l?extérieur d?Haïti sinon, même si la « minorité » écrasante à mis Aristide K.O cette semaine, elle ne l?a toutefois pas encore mis hors jeu. D?ailleurs, les propos tenus par le Premier ministre, Yvon Neptune, le prouvent bien : il a osé évalué la manifestation du 22 décembre à 3.000 (trois mille) personnes ! D?autre part, les habitants de la capitale se sont réveillés sur un autre coup de théâtre au matin du 26 décembre en apprenant qu?un plan machiavélique avait été fomenté au Palais National pour faire interpeller et arrêter André Apaid Junior, Coordonnateur du Groupe des 184, Hervé Saintilus, Président de la FEUH ( Fédération des Etudiants de l?Université d?Etat) et Maître Gervais Charles du Barreau de Port-au-Prince. Un des substituts du commissaire du gouvernement près le Tribunal Civil de Port-au-Prince, Me Daméus Clamé Ocnam, a décidé de se réfugier momentanément aux Etats-Unis pour échapper à des pressions de la présidence de la République pour qu’il ordonne l’arrestation de ces trois organisateurs de la manifestation anti-gouvernementale du 22 décembre dernier. Dans des déclarations faites sur plusieurs stations de radio de la capitale diffusées ce 26 décembre, Me Daméus a expliqué que le 23 décembre dernier, il a été conduit au Palais National par le titulaire a.i. du Parquet, Me Ricquet Brutus, pour prendre part à une réunion avec le nommé Marceau Edouard,(cadre engagé par le Pouvoir dans le cadre du projet de réforme judiciaire enclenchée au retour à l’ordre constitutionnel en 1994) et un autre substitut du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Jocelyne Casimir, présentée par Me Daméus comme la conjointe de l’ancien chef du Parquet et actuel conseiller du Chef de l’Etat, Me Jean Auguste Brutus. Selon Me Daméus, ses interlocuteurs lui ont présenté le texte d’un mandat d’amener qu’il devait tout simplement signer. Il affirme avoir vainement tenté de leur démontrer le caractère illégal de leur démarche dans la mesure où, d’une part, aucun flagrant délit dans les décès en question n’a été établi;  et que, d’autre part, le Parquet ne dispose d’aucune plainte contre les personnes incriminées. C?est en vertu d’une loi prise sous la dictature militaire du général Henry Namphy (1986-1988) et récemment invoquée par le Pouvoir Lavalas pour freiner la vague sans cesse croissante des manifestations anti-gouvernementales, que désormais, les organisateurs des manifestations et rassemblements publics doivent répondre de leurs responsabilités toutes les fois que des incidents se produisent au cours de ceux-ci. Si Hervé Saintilus et Maître Gervais Charles avaient signé la lettre de notification à la Police de la tenue de la manifestation du 22 décembre dernier, comme le requiert la Constitution, la signature d?André Apaid n?y figurait pas. Alors pourquoi cette nouvelle persécution ? On connaît la réponse?Qu?à cela ne tienne, il ne faut cesser de souligner que cette loi prise sous Namphy et « réactivée » par le pouvoir Lavalas constitue un instrument illégal mais surtout effrayant qui officialise la loi au service de la déraison. En effet, comment les organisateurs d?une marche pacifique et aussi colossale peuvent-ils être rendus responsables de tout ce qui se passe pendant ladite marche ? C?est tout simplement inadmissible ! Les organisateurs ont-ils été rendus responsables des blessures enregistrées parmi les manifestants durant la marche ? Les organisateurs seront-ils rendus responsables pour chaque bras cassé, coude éraflé ou entorse dans chaque manifestation anti-gouvernementale ? Même aux Etats-Unis où l?on fait un procès du moindre « bobo » cela ne s?est jamais vu ! Suite aux révélations de Me Daméus, Me Ricquet Brutus a démenti les allégations de son collègue en niant qu?une réunion avait eu lieu au Palais National.


De son côté, Aristide demeure apparemment  imperturbable et continue sa marche personnelle et solitaire vers la célébration du Bicentenaire. A l?occasion de l?inauguration d?une place publique à Martissant (Port-au-Prince), le jeudi 25 décembre 2003, M. Aristide a une nouvelle fois minimisé la portée des manifestations anti-gouvernementales à travers le pays.« C?est une minorité , une minorité « tizwit » qui manifeste contre mon gouvernement », a-t-il affirmé M. Aristide devant plus d?un millier de sympathisants animés par des bandes de « rara » demandant qu’il reste au pouvoir pendant 10 ans contrairement aux 5 ans prévus par la Constitution. Le dirigeant Lavalas s’est adressé notamment aux étudiants, fer de lance de l’opposition rassemblant l’ensemble des secteurs, en leur demandant de faire montre de lucidité. Ce message a été repris par son épouse, Mildred Trouillot et un étudiant pro-gouvernemental. Le Chef de l?Etat qui a également inauguré une place à la quatrième Avenue Bolosse, quartier populaire de la capitale, a donné rendez-vous à ses partisans tôt dans la matinée du 1er janvier 2004 à Port-au-Prince afin de se rendre aux Gonaïves pour célébrer le Bicentenaire de l?Indépendance ; une « célébration » où la population est totalement maintenue à l?écart. En effet, aucun programme officiel des « festivités » n?a encore été annoncé à la nation et, le Ministre de la Culture, Mme Lilas Desquiron, a tenté de justifier ce silence et cette scandaleuse indifférence en déclarant sur les ondes de la TNH ( Télévision Nationale d?Haïti) la semaine dernière que « le Gouvernement réservait des surprises au peuple haïtien. » Ces « surprises » en question risquent fort d?être de très mauvais ton et de mauvais goût si l?on s?en tient aux dernières nouvelles émanant des Gonaïves. En effet, à quelques jours du Bicentenaire, le sang continue de couler dans la Cité de l?Indépendance ou huit (8) personnes au moins ont été tuées par balle et une dizaine d?autres blessées suite à une nouvelle opération policière à Raboteau , quartier populaire des Gonaïves , dans la soirée du lundi 22 décembre 2003. Selon des informations rapportées par des correspondants de presse, plusieurs cadavres jonchaient les rues de la Cité de l?Indépendance et étaient dépecés par des chiens. Des sources informées indiquent que les policiers étaient à la recherche des dirigeants du Front Anti-Aristide qui réclame le départ du Président de la République depuis l?assassinat du puissant chef d?OP Lavalas , Amiot Métayer, le 21 septembre dernier. L?un des responsables du Front, Winter Etienne, a condamné ce nouveau massacre perpétré par la police et dénoncé le régime Lavalas. M. Etienne a demandé à la Communauté Internationale notamment les Etats-unis, la France et la Grande-Bretagne de « débarrasser le pays de Jean Bertrand Aristide ». Rappelons que le 22 décembre, des inconnus armés avaient mis à sac la Place d?Armes où le Président Aristide s?apprête à prononcer son discours de célébration du 200ème anniversaire de l?Indépendance, le 1er janvier prochain. L?intervention musclée de la police à Raboteau dans la soirée du 22 décembre est la quatrième du genre depuis celle du 2 octobre. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées et plus d?une soixantaine de blessés par balles suite aux violences qui ont éclaté dans la Cité de l?Indépendance depuis l?assassinat du puissant chef d?Organisations Populaires (OP) Lavalas , Amiot Métayer dit « Cubain », le 21 septembre dernier. Suite à ces violences, les prêtres du diocèse des Gonaïves ont appuyé la position exprimée par leurs confrères du Sud-Est et du Sud appelant le Chef de l?Etat à démissionner. Dans une déclaration publiée le mercredi 24 décembre 2003, le père Marc Eddy Dessalines affirme qu?il ne sera pas possible de célébrer le Te-deum, le 1er janvier 2004, dans une ville meurtrie. Le responsable de la Commission Justice et Paix a fait remarquer que la Police ne cesse de faire des victimes au sein de la population depuis environ trois (3) mois. D?autre part, en Haïti comme à l?étranger, de nombreuses voix se sont élevées contre la participation du Président Sud-Africain Thabo Mbeki au programme officiel du 1er janvier 2004 mais, surtout, contre la présence d?un navire de guerre sud-africain autorisé dans les eaux haïtiennes pour la visite de Mbeki. Suite à de nombreuses informations faisant état que les gaz lacrymogènes utilisés récemment contre les étudiants seraient en provenance de l?Afrique du Sud, plusieurs observateurs craignent aussi que ce navire de guerre contiennent des armes qui pourraient être utilisées aux Gonaïves par la PNH avant le 1er janvier, pour assurer à Jean-Bertrand Aristide son emprise sur la ville, non de gré mais bien par la force. Cette semaine, on apprenait de source dominicaine que 1000 soldats étrangers se trouveraient déjà sur le territoire national dans le cadre du programme officiel du 1er janvier alors que les autorités conservent un silence pour le moins suspect autour de ces informations. Enfin, ce 26 décembre, selon de nombreux témoins et selon les déclarations faites par Pierre Robert auguste, Président de l?Association des Entrepreneurs de l?Artibonite (AEA), deux (2) hélicoptères militaires sud-africains, ayant à leur bord des hommes lourdement armés, auraient survolé Cité de l?Indépendance les 24 et 25 décembre 2003. Les responsables du Front Anti-Aristide ont dénoncé ces « actes d?intimidation » de la part du Pouvoir Lavalas qui, selon eux, prépare une tuerie aux Gonaïves à l?occasion du Bicentenaire de l?Indépendance. Le porte-parole du Front, Winter Etienne, précise que la population des Gonaïves ne restera pas les bras croisés. «Le peuple de Dessalines est prêt à mourir pour défendre sa liberté », a-t-il laissé entendre . Enfin, à Port-au-Prince, le vendredi 27 décembre, une manifestation estimée à plus de 150.000 personnes, s?est déroulée pacifiquement à Port-au-Prince, battant tous les records des marches anti-Aristide enregistrées jusqu?ici dans la capitale.


Au désespoir de millions d?Haïtiens et comme nous l?avions prédit encore la semaine dernière, Jean-Bertrand Aristide à presque toutes les chances d?être toujours au pouvoir le 1er janvier 2004. La TNH a d?ailleurs annoncé cette semaine des dispositions techniques spéciales via satellite pour que « le seul discours officiel, celui du Chef de l?Etat, soit entendu par le monde entier » a déclaré le Directeur Général de la TNH, Reynald Louis. Signalons aussi, que même à la veille de Noël, la télévision d?Etat reprenait ses émissions spéciales de propagande contre le Groupe des 184 et faisait appel à la division des classes sociales en Haïti. Un documentaire spécial, traduit en créole, a également été diffusé faisant une comparaison entre la situation au Venezuela, le Coup d?Etat manqué contre Hugo Chavez et la mobilisation anti-Aristide actuelle. D?autre part, le Délégué du département de l?Ouest, Mme Marie-Antoinette Gauthier, lors d?une visite impromptue dans les studios de Radio Kiskeya le 24 décembre, a condamné le « recours systématique de l?opposition aux manifestations de rues qui pourrait entraîner un bain de sang ». Etait-ce là une prédiction ou un avertissement du Gouvernement ? Qu?à cela ne tienne, il faut se préparer à tout avec Jean-Bertrand Aristide?et surtout au pire ! Pour en arriver au bout, la mobilisation doit traverser les frontières et l?opposition aurait déjà du proposer une alternative acceptable aux yeux de tous, localement et internationalement. Elle a raté le coche la semaine dernière, permettant ainsi à Aristide de jouer sa carte internationale. Car, il est certain, que les Américains ne bougeront pas sans une alternative sûre à leurs yeux. Les Haïtiens ont beau leur demander de « reprendre » Aristide, ils oublient malheureusement que ce sont eux qui voulaient son retour, comme souligné par la journaliste Amy Wilentz dans le Los Angeles Times du 23 décembre. L?auteur du livre « Rainy season » qui a fait partie des journalistes internationaux «  pro-Aristide » en 1990 et 1994, condamne aujourd?hui Jean-Bertrand Aristide qui, selon elle est «  un échec personnel et politique » Mais la journaliste demeure lucide en prévenant que « même si un large secteur de l?establishment américain applaudit la chute d?Aristide et espère  qu?il sera évincé, ils ne savent toujours pas si ce qui suivra sera meilleur(?) Finalement, la leçon (a tiré) n?est pas heureuse, écrit Amy Wilentz. « Chaque pays a son propre héritage, parfois illisible, sa particularité culturelle, son passé récent et ? comme c?est le cas en Haïti et en Irak- une longue et étrange tradition politique.  On ne peut y intervenir avec une ceinture de solutions et arranger les choses : ce n?est pas un simple problème de plomberie. Une nation c?est une collection de c?urs, d?esprits et de comportement humain imprévisible, et pour pouvoir occuper un pays, vous devez pouvoir vous occuper (ou traiter) avec les obscures et dangereuses mines politiques plantées sous vos pieds. Regardez Israël et la Bande de Gaza, regardez la Syrie et le Liban. L?occupation et la démocratie ne peuvent coexister et l?une n?engendre jamais l?autre »(3), conclut-elle. A bon entendeur, salut et Bonne Année 2004 !


Nancy Roc
Le 27décembre 2003
rocprodz@yahoo.fr


1- Alterpresse, « Ils mettent la pression sur l?Ambassade et le Consulat d?Haïti en France », 25 décembre 2003, Weibert Arthus.
2- Communiqué de Presse de l?Ambassadeur des Etats-Unis d?Amérique, U.S. Embassy, le 22 décembre 2003
3- Best-Laid Plans of occupiers : Occupation and Democracy simply can?t coexist, Amy Wilentz, Los Angeles Times, le 23 décembre 2003


 

Originally: Communiqué

La Mission Spéciale de l’OÉA fait part de sa préoccupation suite à des
déclarations publiques faites hier matin sur des stations de radio de la
capitale par l’un des Substituts du Commissaire du Gouvernement près le Tribunal
Civil de Première Instance de Port-au-Prince, Me Daméus Clamé Ocnam, qui aurait
quitté le pays.



Ce substitut fait état de pressions exercées sur sa personne par des
représentants et conseillers de l’exécutif Port-au-Princepour qu’il appose sa
signature au bas de mandats de justice visant à arrêter Messieurs André Apaid
Junior, Coordonnateur du Groupe des 184, Hervé Saintilus, Président de la
Fédération des Étudiants Universitaires Haïtiens, et Me Gervais Charles,
Bâtonnier a.i. de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, suite aux événements
survenus à l’occasion de la manifestation du 22 décembre 2003.



La Mission Spéciale a observé le déroulement de la manifestation publique du 22
décembre 2003 au cours de laquelle deux personnes auraient trouvé la mort. Elle
demande qu’une enquête sérieuse et approfondie soit menée sur ces évènements
afin que tous les faits soient clairement élucidés. Sans préjuger les résultats
d’une semblable démarche, la Mission est d’avis que toutes arrestation de ces
personnes en l’absence d’une telle enquête et sans autres éléments de preuve de
leur implication personnelle dans ces faits constitueraient un cas flagrant
d’abus de pouvoir.



La Mission Spéciale invite les Autorités gouvernementales et judiciaires à
appliquer la loi avec mesure, impartialité et justesse afin d’éviter toute
injustice ou apparence d’injustice, de façon à contribuer à l’édification d’un
véritable Etat de droit en Haïti.



La Mission Spéciale saisit cette occasion pour rappeler les paroles du
Secrétaire Général Adjoint de l’OEA, Luigi Einaudi, au cours d’une réunion du
conseil permanent de l’organisation le 17 décembre. A propos des manifestations,
il avait signalé à cette occasion que ces évènements exigeaient une action
urgente de toutes les parties concernées de façon à s’en tenir à la seule règle
du droit. Il a de plus rappelé que laisser la rue aux gangs est indigne d’une
société démocratique. C’est dans cet esprit que, une fois de plus, la Mission
Spéciale exhorte toutes les personnes concernées à éviter toute action qui
puisse augmenter les tensions à ce moment critique.



Port-au-Prince, le 27 décembre 2003

L?exécution de « Cubain », un caïd et bras armé du président Jean-Bertrand Aristide, a provoqué des émeutes meurtrières et révélé les écueils d?une démocratie kidnappée, deux cents ans après l?indépendance de l?île.


 


Haïti, naufrage et tueur à gages



Gonaïves et Port-au-Prince envoyé spécial  Jean-Hebert ARMENGAUD


 


Ce fut une journée sans soleil. Et sans lune. » C?est sa façon à lui, Butteur Métayer, de raconter le jour où on lui a annoncé la mort de son frère, Amiot, dit « Cubain », assassiné le 21 septembre. Butteur a appris la nouvelle par téléphone : il était à Miami, chez la mère, exilée. Le cadavre d?Amiot venait d?être retrouvé dans un champ, non loin de Gonaïves, la troisième ville d?Haïti. Le crâne ouvert, le coeur arraché, les yeux explosés par des balles.


 


Butteur a fait « tourner les tables », à la façon du pays, et trouvé les noms des assassins de son frère.Les tables, dit-il, ont désigné le Palais national où siège Jean-Bertrand Aristide, le président tout-puissant d?Haïti, l?ex-« prêtre des bidonvilles » qui suscita tant d?espoirs à la fin des années 80. Espoirs vite déçus. Aristide a saboté à son profit la transition démocratique. Son régime est aujourd?hui sur les listes les plus noires des droits de l?homme en Amérique latine.


 


« Amiot, assassiné ! Aristide, criminel ! », crie un gamin des rues de Raboteau, le grand quartier populaire des Gonaïves. Presque un bidonville, de dizaines de milliers d?habitants. La plupart des maisons basses, d?une pièce ou deux, où s?entassent des meubles de fortune, sont construites en dur, mais certaines cases sont encore de bois et de tôles, dans des dédales de boue. Les caniveaux servent d?égout, mais les rues principales sont pavées. Sauf que bien des pavés ont récemment été arrachés pour en faire des barrages aux principaux carrefours et empêcher les 4×4 de la police de pénétrer dans le quartier. Depuis l?assassinat d?Amiot Métayer, les émeutes ont fait une trentaine de morts à Raboteau.


 


De l?organisation populaire au gang armé


 


« Cubain » était le caïd du coin, le chef de l?Armée cannibale, l?organisation populaire (OP) de Raboteau. Les OP ont été créées à la fin de la dictature, pour tenter de réveiller la démocratie au niveau des quartiers. Nombre d?entre elles ont tourné aux gangs armés, se chargeant du sale boulot pour le compte du pouvoir : saccages de locaux de l?opposition, contre-manifestations, tabassages d?opposants, voire meurtres… L?Armée cannibale d?Amiot Métayer était de celles-ci. « Depuis sa première élection, en 1990, nous avions toujours travaillé pour Aristide, affirme Winter Etienne, un des lieutenants de Cubain. Nous avions choisi le nom d?”Armée cannibale” pour mieux faire peur aux opposants. Quand il le fallait, nous allions les “fouetter”. »


 


Ce large gaillard qui fait rouler ses muscles sous son tee-shirt affirme pouvoir disposer, avec les OP « alliées », de plusieurs centaines d?hommes, armés. Mais il jure que son chef assassiné « n?a jamais participé » au moindre assassinat politique.


 


Raboteau et sa cité, Gonaïves, avaient allumé la mèche des émeutes qui ont fait tomber Jean-Claude Duvalier, en 1986. Plus tard, le quartier a acquis une réputation de résistant à la clique militaire qui avait renversé le premier gouvernement d?Aristide, en 1991. Une nuit, à l?époque, l?Armée cannibale avait même pris un avant-poste de l?armée à Gonaïves, pour y voler des armes. Pour échapper aux militaires, Amiot Métayer et sa famille avaient finalement dû suivre Aristide en son exil américain provisoire.


 


« Aba Aristid » et « Aristid kriminèl » sur les murs des cases de Raboteau


 


Raboteau a donc longtemps été un des fiefs électoraux du Président. En échange du pactole des voix de son quartier, Amiot Métayer avait carte blanche sur les trafics petits et grands de la zone. « C?est nous par exemple qui proposions les noms pour nommer le directeur des douanes », affirme Winter Etienne. Les douanes et le port de Gonaïves sont les principales activités économiques de la région. Ce jour-là, quatre petits cargos à bout de souffle mouillent dans la baie. C?est beaucoup à l?échelle d?un des pays les plus pauvres du monde. « Amiot Métayer servait d?intermédiaire dans les formalités de dédouanement, explique une ancienne connaissance de « Cubain ». En gros, il touchait sur tout ce qui se déchargeait des bateaux. » Cet argent, il en faisait profiter les hommes de son Armée cannibale, mais aussi le reste du bidonville, distribuant les billets ici et là, versant à la cantine des écoles, pour les enfants les plus démunis, et aidant tel petit commerçant ou petit pêcheur dans une mauvaise passe. C?est en tout cas la version que tentent aujourd?hui de faire passer ses proches, la version light, celle d?un « protecteur » bienfaisant du quartier. Qui ferait oublier celle du porte-flingue au service du Palais.


 


Sur les murs des cases de Raboteau les « Aba Aristid » et autres « Aristid kriminèl » ont remplacé, en créole, les « Viv Aristid » enthousiastes des années passées. Butteur Métayer a repris les rênes de l?Armée cannibale, rebaptisée du jour au lendemain Front de résistance de l?Artibonite ­ du nom du département des Gonaïves ­ dont l?objectif est de lutter contre Aristide. « Nous voulons que justice soit faite pour la mort de mon frère, que le président Aristide s?en aille. Nous n?avons rien à perdre, de toute façon nous sommes des hommes morts… En tout cas nous sommes prêts à mourir pour ça. » Butteur fait visiter la maison familiale à moitié calcinée lors des incursions récentes de la police. Sur la façade, un large bandeau noir clame les noms des assassins : « Aristid, Odonel, Awol Adekla… » Jean-Bertrand Aristide, le Président, donc. Odonel Paul, un lieutenant de Cubain qui l?a trahi en l?attirant dans le piège le 21 septembre. Il a disparu depuis, avec, en poche, 25 000 dollars haïtiens, moins de 2 500 euros, payés, dit-on, par le Palais national. Et Harold Adeclat, le commissaire de la ville : un témoin clé l?aurait vu « arrêter » Amiot Métayer ce jour-là, juste avant l?assassinat. Depuis, le commissaire a été « exfiltré » de la ville et nommé à la Direction générale de la police à Port-au-Prince. Il a sauté quatre échelons dans la hiérarchie.


 


Mais pourquoi Aristide aurait-il voulu se défaire d?un de ses hommes de main les plus fidèles, à la tête, qui plus est, de dizaines de milliers de votes captifs ? « Mon frère a été victime des pressions internationales sur Aristide », affirme Butteur. Depuis l?année 2000 et des élections législatives aux urnes bourrées, le régime aristidien est au ban de la communauté internationale. 500 millions de dollars de prêts sont gelés, plus d?une année de budget haïtien.


 


Dans ses résolutions, l?OEA, l?Organisation des Etats américains, sorte d?ONU continentale, réclame la fin de l?insécurité politique et notamment la mise au pas des gangs armés, « cannibales » et autres OP au service d?Aristide pour bastonner l?opposition. L?ambassadeur américain aurait d?ailleurs réclamé directement à Aristide l?arrestation d?Amiot Métayer. De fait, « Cubain » a passé un mois au cachot, en juillet 2002. Avant que ses hommes ne le libèrent en faisant péter le mur de la prison des Gonaïves à coups de bulldozer ­ ses méthodes à lui. « Après sa libération, Amiot avait fait savoir qu?il en savait beaucoup et qu?il parlerait si jamais on l?arrêtait à nouveau », explique Winter Etienne. « Le pouvoir a sans doute eu peur de ce que savait Amiot Métayer », confirme la responsable d?une ONG des droits de l?homme qui travaille sur la ville de Gonaïves. « Cubain » en savait beaucoup, entre autres, sur l?assassinat de Jean Dominique.


 


Quatre balles dans la peau


 


Jean Dominique était plus qu?une star du journalisme local. Directeur de la station Radio Haïti Inter, une des plus écoutées du pays, il était devenu une véritable figure du monde politique, aux commentaires très critiques pour le pouvoir en place. Certains voyaient même en lui un possible candidat à l?élection présidentielle de novembre 2000. En tout cas il n?en aura pas eu le temps. Il a été abattu de quatre balles dans la peau le 3 avril 2000, dans la cour de sa radio. Deux ans plus tard, sa veuve, qui avait repris les rênes de la station, échappait à son tour à une tentative d?attentat ­ mais pas son garde du corps. Elle a pris le chemin de l?exil après avoir définitivement fermé Radio Haïti Inter. Depuis, un juge chargé de l?affaire a démissionné sous les menaces, son successeur est en exil. Deux témoins clés ont été victimes d?accidents fâcheux. Le corps de l?un d?eux a même disparu de la morgue… Les procès sont rares à Haïti. Les hommes politiques et les journalistes ne sont pas les seules cibles des hommes de main du pouvoir. Pierre Espérance dirige la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens. Un jour de mars 1999, sa voiture a été suivie puis criblée de balles. Une lui a traversé le biceps, une autre la rotule. « Depuis ? Rien, pas de nouvelles, l?enquête suit son cours comme on dit ici. Notre pays est devenu, ou est resté, celui de l?impunité, du mensonge et de la vassalisation de l?Etat. La situation n?est pas telle qu?elle était sous la dictature : il reste un espace de liberté d?expression, disons que celle-ci est partiellement respectée. Mais pour le reste… La police est politisée, la justice au service de l?exécutif, lequel s?appuie sur les gangs. »


 


Outre les ravages des OP comme celle de l?ex-Armée cannibale, l?association de Pierre Espérance dénonce, rapport détaillé à l?appui, les sévices des sinistres « attachés » qui sévissent dans les commissariats au titre d?« informateurs de police » et seraient responsables de meurtres, assassinats, viols, vols… Le gouvernement Aristide nie évidemment toute implication dans ces « faits divers », assassinats et bastonnades, qui jalonnent presque quotidiennement la vie politique haïtienne. Il accuse au contraire la communauté internationale qui, en suspendant les prêts, l?empêche financièrement d?assurer la sécurité dans les rues du pays.


 


A Gonaïves, le quartier de l?OP de feu Amiot Métayer est de toute façon sur le pied de guerre. Dans la « cité de l?Indépendance », où fut proclamée le 1er janvier 1804 la Constitution, Jean-Bertrand Aristide doit célébrer en grande pompe le bicentenaire de la naissance d?Haïti. Mais depuis la mort de « Cubain », les travaux, sur la place de la mairie, sont paralysés par les menaces. Winter Etienne sourit : « On l?attend, Aristide. Qu?il vienne. C?est ici, à Gonaïves, qu?on l?arrêtera. »


 

Le 1er janvier 2004, Haïti devrait fêter le bicentenaire de son indépendance. L?opposition et la société civile réclament le départ du président Aristide. Les récentes manifestations étudiantes ont été durement réprimées par le régime en place


A la veille de l?anniversaire du bicentenaire de l?indépendance d?Haïti, Pierre-Michel Joassaint, jeune énarque ayant fait ses études en France, attend. Il est à l?image de son pays : désoeuvré, malheureux, inquiet. Et pourtant, il sait, tout au fond de lui, qu?existe un génie propre à sa terre, capable, peut-être, de renverser les montagnes : « Même le 31 décembre 2003 à minuit moins dix, je resterai optimiste. Sinon, il y a longtemps que j?aurais mis la clef sous la porte. »


Mais, pour l?heure, il dresse un tableau plutôt sombre de la situation : « Ici, nous perpétuons le système colonial. Peut-être une vieille résurgence de l?esclavage. Il faut toujours et encore dominer sur autrui, conquérir ou conserver le pouvoir. Quand donc parviendra-t-on à casser cette mentalité ? »


Car le pouvoir, estime le jeune homme qui cherche ses mots, aspirant maintenant une longue gorgée de jus de mangue, est aujourd?hui le meilleur moyen de s?enrichir. « Nous n?avons jamais été à ce niveau-là de corruption. C?est révoltant ! Autrefois, on volait, mais on s?en cachait. Désormais, il n?y a même plus de honte. C?est devenu le sport national. Il suffisait d?entendre, il y a peu, un sénateur du mouvement Lavalas, au service du président Aristide, se rebeller ouvertement contre cette dérive. »


Dans un hôtel de Port-au-Prince, la capitale, en un coin discret des salons de réception, Dany Toussaint, un autre sénateur Lavalas, qui vient de rompre avec le parti, confie son amertume. L?homme semble détendu, malgré le danger qu?il est en train de courir. Pourquoi cet ancien responsable du service de renseignement pour la sécurité rapprochée du président a-t-il publiquement averti Aristide que, si rien ne changeait, il ne restait pour ce dernier que « l?exil, la prison ou le cimetière » ? Dans une récente affaire de « prise d?otages » par la police au pénitencier national, le pouvoir a, selon lui, dévoyé le système judiciaire. « Alors, cela a révolté ma conscience », explique Dany Toussaint qui se fait fort de rétablir l?ordre dans le pays après la chute d?Aristide, au cas où…


L?affaire en question ? C?était le 14 novembre dernier. De plus en plus influent en Haïti, le Groupe des « 184 », composé de chefs d?entreprise, d?avocats, de médecins, d?artistes, d?agriculteurs, avait organisé une manifestation sur le Champ-de-Mars, à Port-au-Prince. Les autorités avaient promis qu?elles la laisseraient se dérouler sans entrave. Mais dans les heures qui suivaient, toutes les rues menant au rassemblement étaient bloquées. La police arrêtait alors deux personnalités du mouvement « pour détention illégale d?arme à feu » : Charles-Henry Baker, vice président de l?association des industries d?Haïti (ADIH), beau-frère d?André Apaid, et le second, son neveu.


Or, qui est André Apaid ? Depuis peu, son nom circule un peu partout. Une personnalité pressentie par beaucoup comme une alternative après la chute éventuelle du président Aristide. « Andy » pour les intimes, est, ces jours-ci, très protégé par ses amis. Derrière les hautes grilles peintes en bleu de l?usine de textile qu?il dirige, voici deux grands bâtiments en dur, bien gardés. Il faut montrer patte blanche.


« Depuis un an, plus de 40 journalistes ont quitté le pays sous les menaces »


Mais une fois franchies les barrières de protection, ce chaleureux chef d?entreprise reçoit ses visiteurs en chemise et jean : « Les précautions à prendre sont à l?échelle des menaces », précise l?homme, ajoutant, dans un large sourire, en détachant chaque mot : « Je suis fermement optimiste. C?est la dernière dictature que nous connaissons. Le contrat social, auquel je crois, prône un minimum consensuel. Aujourd?hui, la sagesse nationale se fait jour. Jusqu?alors, on nous tournait le dos car nous étions, nous les 184, des possédants. Aujourd?hui, toutes les classes sociales veulent se parler, comme jamais encore dans notre Histoire. Cela fait chaud au coeur. Et c?est le meilleur antidote contre le message de haine du pouvoir Lavalas. »


André Apaid prend-il ses désirs pour des réalités ? Ils sont nombreux, les Haïtiens, à douter encore de ce consensus capable, tel un immense cyclone, de balayer la dictature orchestrée par l?ancien prêtre salésien, adepte de la « théologie de la libération », qui se prenait pour un prophète venu sauver le pays de l?ère des « Tontons macoutes ». « Apaid va être pris en otage, à cause de la pression exercée sur lui. Il est parmi les meilleurs. Mais les paramètres sont mauvais car les esprits sont polarisés. J?ai peur que le film auquel on est en train d?assister ne finisse dans le sang et les larmes. Je pense qu?on n?a encore rien vu », confie sur une plage de « l?Ile-à-Vache » où il est venu se reposer du stress de la capitale, cet autre chef d?entreprise qui souhaite conserver l?anonymat, à cause des risques de kidnapping, de plus en plus fréquents.


Il ne se trompait pas. Quelques jours plus tard, le monde étudiant s?embrasait, après une manifestation à Port-au-Prince. Des affrontements très violents faisaient plus de vingt blessés autour de la faculté des Sciences humaines, et le recteur Paquiot avait les jambes brisées à coup de barre de fer. Selon un diplomate présent par hasard sur les lieux, la police empêchait volontairement une ambulance de la Croix-Rouge haïtienne d?intervenir.


Aussi, un mouvement s?est-il amorcé, désormais irrépressible, que le président Aristide ne contrôle plus : « Devant la menace qui pèse sur tout le monde, un rapprochement s?est opéré entre la société civile et le secteur politique », constate l?ancien sénateur socialiste Paul Denis, permanent politique de l?OPL (Organisation du peuple en Lutte), un des partis, avec le « Kid », « Haïti capable », « Génération 2004 », « Pampra » et quelques autres, composant « la Convergence » de l?opposition.


Dans sa vieille maison d?architecture coloniale de Port-au-Prince, cet intellectuel de 61 ans demeure serein : « Je me considère comme en sursis. Je ne me pose pas la question de savoir quand se présentera l?exécuteur. Si l?on ne parvient pas à faire cet exercice mental, ce sera notre défaite. Mais j?avoue que c?est la première fois que je vis ce genre de situation avec une telle intensité. »


Romantisme exagéré ? Les Haïtiens sont volontiers lyriques. Mais la répression anarchique ne laisse pas d?inquiéter : « Depuis un an, plus de quarante journalistes ont quitté le pays sous les menaces. Les affaires déclinent, le budget soumis à l?assemblée n?est plus que de 400 millions de dollars cette année alors qu?il était de 700 millions en 1996-1997, tandis que la gourde, monnaie locale, ne cesse de dégringoler », poursuit Paul Denis qui dénonce aussi le déficit abyssal de la balance commerciale.


Quelle solution miracle, quel homme providentiel pourrait-on voir surgir ? Sans réponse sûre, les plus réalistes se tournent vers la communauté internationale, et en particulier vers les États-Unis qui avaient remis Aristide en selle en 1994. Mais pour l?heure, les Américains se contentent de « déplorer la violente répression des manifestations politiques » face à des rassemblements « légitimes et pacifiques ».


Quant à la France, on ne peut douter de ses bonnes intentions. Elle ne veut pas entendre parler de « la dette » qu?elle devrait aux Haïtiens, depuis le temps de l?esclavage, il y a deux cents ans. Mais c?est bien en France – terre d?accueil – que devaient être évacuées ces jours-ci de toute urgence deux jeunes femmes victimes du harcèlement sexuel d?un très haut personnage de l?État haïtien. Et c?est bien la France qui tient à le faire savoir.


  Louis de COURCY, à Port-au-Prince


 

Haïti: le seul espoir de paix vacille


En Haïti, l’épiscopat du pays retire la proposition de paix qu’elle avait formulée le 21 novembre dernier pour tenter d’assainir le climat de tension qui règne dans le pays.

Le plan de paix formulait trois principales exigences:


-une réforme importante de la police haïtienne


-une réforme des institutions gouvernementales


– la création d’un conseil des sages en remplacement du parlement, qui a perdu tous ses pouvoirs législatifs depuis qu’Aristide est au pouvoir.








 
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Le président Jean-Bertrand Aristide avait accepté cette proposition après la tenue d’importantes manifestations dans le pays. Mais, aujourd’hui, les évêques n’ont plus confiance en leur président, depuis qu’il a dénoncé les mouvements de protestation, lors du congrès de son parti, la semaine dernière. Ils lui demandent de quitter le pouvoir, seule remède à la crise selon eux.

Rappel des événements








 
 

 


Des manifestations quasi quotidiennes ont lieu en Haïti depuis plusieurs semaines. Les manifestants réclament le départ du président Jean-Bertrand Aristide, dont le mandat arrive à terme en 2006.

Les États-Unis ont acccusé le gouvernement haïtien d’agir en complicité avec des bandes armées, recrutées pour réprimer ces manifestations avec violence.






 
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Les autorités haïtiennes exigent désormais d’être prévenues deux jours avant toute manifestation, que l’itinéraire de celle-ci leur soit communiqué ainsi que le nom et l’adresse des organisateurs. Les opposants dénoncent cette décision gouvernementale qu’ils qualifient d’«état d’urgence déguisé». Une grève générale a d’ailleurs été déclenchée mardi dernier pour protester contre ces nouvelles réglementations.

Désistements des ministres

Il y a deux semaines, la ministre de l’Éducation, Marie Carmel Austin, a présenté sa démission pour protester contre les violences des partisans du parti Lavallas contre des étudiants. Le gouvernement a connu deux autres déféctions mardi dernier: Martine Deverson, ministre du Tourisme, a claqué la porte. L’ambassadeur en République dominicaine, Guy Alexandre, personnalité connue et respectée dans le pays, a également présenté sa démission au président Aristide.

 Frédéric Nicoloff  Radio Canada

Originally: Le peuple Haïtien lance un appel SOS à ses confrères de la diaspora dispersés à travers le monde !!!

Notre pays, Haïti, est aujourd?hui pris en otage par le pouvoir Lavalas ! Nous avons recours à vous Haïtiens vivant à l?étranger pour nous aider à casser cette chaîne qui nous retient par le cou en signe d?asservissement au tyran Lavalas, Mr Jean Bertrand Aristide. Ce dernier, déclaré hors la loi dans une note de presse signée par la majorité des représentants de la société civile ce 11 décembre dernier,  a semé la terreur à travers notre pays. Le nombre de personnes tuées, grièvement blessées ou portées disparues ne fait que s?allonger quotidiennement. Toute manifestation pacifique exercée contre ce régime de terreur pour dénoncer les actes de répression exercés quotidiennement par le pouvoir Lavalas, est brutalement réprimée à coup de « macaques », de « rigouase », de pierres, de gaz lacrymogène et même de b! alles. Nous avons épuisé la voie du dialogue avec le régime en place et la voie des appels au secours à la communauté internationale représentée par l?OEA devant lesquels nous nous sommes butés à une attitude obstinée et indifférente des personnes concernées. Nous sommes presque contraints à l?espoir, un espoir qui est bien là mais qu?il nous faut aller chercher car il ne peut avoir de victoire sans combat?


 


A  la veille de 2004, le peuple Haïtien est entrain de vivre un moment de solidarité extraordinaire où il ne fait qu?un seul face à la dérive totalitaire d?aujourd?hui. Lors des manifestations, la cour ou « lakou » de tout un chacun est transformée en véritable refuge, servant d?abri aux citoyens poursuivis et agressés brutalement par les bandes de chimères armés du pouvoir Lavalas et par certains policiers directement attachés aux ordres du palais national. Pendant ces moments de détresse, c?est un véritable échange de soins, de mots de réconfort ou d?encouragement, entre bourgeois, classe moyenne et pauvre, tous unis dans un même esprit de combat vers la liberté. Ce moment est un moment historique inoubliable où nous sommes entrain de vivre enfin la réconciliation entre toutes les couches sociales de n! otre pays et de faire tomber le masque de la politique de cloisonnement entre les différents groupes sociaux.


 


La ténacité et la détermination du peuple haïtien dans cette bataille ne fait que redoubler d?ardeur alors que la violence des coups portés contre la population militante se fait chaque jour un peu plus dure et précise. Or, nous sommes arrivés à un tournant décisif où le silence des agneaux qui attendent d?être égorgé n?est plus acceptable et où la mobilisation générale et la lutte vers la libération de notre Haïti est devenue indispensable.


 


Diaspora, jouez votre part dans ce moment de l?histoire en apportant votre support à travers des manifestations dans les villes et pays où vous vivez.


 


Faites tomber le masque du pouvoir Lavalas en laissant savoir au monde entier que le pays d?Haïti est pris en otage par le monstre qu?est devenu Mr Jean Bertrand Aristide. Donnez force à ce mouvement de solidarité pour qu?Haïti regagne sa dignité face au monde entier et fête une nouvelle fois sa libération ce 1er janvier 2004 !


 


N.B. Bien vouloir faire suivre ce message à tous les membres de la diaspora que vous connaissez.

Originally: Deux personnes tuées par balles aux Gonaïves

PORT-AU-PRINCE, 11 déc (AFP) – Une femme a été tuée jeudi aux Gonaïves (171 km

nord-ouest de Port-au-Prince) où a été lancée mercredi soir une importante

opération policière, et un jeune homme, blessé mercredi par des tirs dans cette

ville, a succombé à ses blessures, a annoncé un journaliste local à l’AFP.


La femme, une vendeuse de café, a été tuée par balle dans le quartier populaire

de Raboteau, fief d’un groupe armé autrefois proche du pouvoir et passé depuis à

l’opposition, alors que les forces de l’ordre échangeaient des coups de feu avec

des opposants armés.


Une dizaine de personnes ont également été blessées par balle lors de cette

opération policière.


Un jeune homme blessé par balle mercredi au moment d’échanges de tirs lors de la

dispersion d’une manifestation anti-gouvernementale a, par ailleurs, succombé

dans la nuit à ses blessures, également aux Gonaïves, selon la même source.


Ces nouvelles victimes portent à 17 morts et 69 blessés par balle – en majorité

des riverains victimes des affrontements et de la réaction policière – le bilan

des violences qui secouent la ville depuis le 23 septembre, au lendemain de la

découverte du corps du chef de l’armée Cannibale, Amiot Métayer.


Ce groupe armé qui soutenait le président Jean Bertrand Aristide est passé

depuis cet assassinat à l’opposition armée contre le président haïtien sous le

nom de Front de résistance révolutionnaire de l’Artibonite (nom du fleuve qui

traverse la région et qui a donné son nom au département dont les Gonaïves sont

le chef-lieu).


Les partisans de M. Métayer accusent le pouvoir d’être responsable de cet

assassinat.