Originally: Une « minorité » écrasante
Nancy Roc is recipient of
- The Jean Dominique Prize for Freedom of the Press by
UNESCO (2002)
- The Best Journalist of the Year Award from the
Rotary Club of Port-au-Prince (1999)
- Honor and Merit Award from the Haitian Press Center (2002)
- Radio Award of the Year for her defense of press freedom from Freelance international Press,
Italy (2003)
Une « minorité » écrasante
« Historique », « gigantesque », « colossale » : les journalistes étaient à cours de mots pour qualifier la marche du 22 décembre 2003 où, à l?appel de la Plate forme de la société civile et des partis politiques de l’opposition, des dizaines de milliers d?Haïtiens, de tous les âges et de toutes catégories sociales et professionnelles ont défilé pendant près de trois heures à travers différentes artères de la capitale pour demander le départ de Jean-Bertrand Aristide. C?était tout simplement du jamais vu depuis la chute du régime Duvalier et les Haïtiens ont démontré ce jour-là, aux yeux du monde entier, que la « minorité » désignée par les autorités lavalassiennes avait prouvé de façon écrasante le record d?impopularité atteint par le Chef de l?Etat. Le contraste fut saisissant comme l?a bien noté l?Agence Alterpresse : « d’une part, une foule compacte arborant des branches d’arbres et des mouchoirs blancs en signe de paix, le long de plus d’un kilomètre de route, sillonne, au pas de course, diverses artères de la capitale (Delmas, Nazon, Lalue), en scandant des slogans coutumiers du genre « si c’est ça la minorité, Jean Bertrand Aristide ne sait pas compter ». De l’autre, des chimères (casseurs recrutés par le pouvoir dans les quartiers défavorisés) se sont rassemblés en petits groupes dans l’aire du Champ de Mars. »(2) Très menaçants, ils ont provoqué, à plusieurs reprises, une certaine panique au c?ur de Port-au-Prince, mais n?ont pas réussi à altérer la détermination des manifestants.
Si cette marche historique s?est déroulée sous haute surveillance policière, nous ne saurions dire, comme certains de nos confrères, que l?attitude de la police a été « exemplaire ». Elle fut correcte, c?est tout. D?ailleurs si elle avait été « exemplaire », pourquoi plusieurs véhicules suspects-dont une « jeep » Rocky immatriculée 1-00-79- à bord desquels circulaient des policiers et civils en armes ont-ils été remarqués ? D?autre part, le 22 décembre aurait pu constituer une véritable « marche de la victoire » si deux morts, Stanley Jacques Loiseau et Francky ainsi connus, et six blessés n?étaient pas à déplorer. Selon plusieurs témoins, les personnes tuées auraient été touchées au moment où des agents de la compagnie d’intervention et de maintien d’ordre (CIMO) ont ouvert le feu sur une « jeep » ayant à son bord des individus armés qui tiraient contre les manifestants anti-gouvernementaux. Toujours selon ces témoins qui se sont exprimés notamment sur Vision 2000, parmi les membres de ce commando figuraient le chef de gang René Civil, le Directeur de l?ONA (Office Nationale d?Assurance) et d?autres hommes armés. René Civil a démenti sa présence à bord du véhicule incriminé, une « jeep » Montero grise immatriculée « location 2343 », en affirmant qu?il était resté chez lui. Si le gouvernement et la Police ont attribué ces incidents au fait que les organisateurs de la marche n’ont pas respecté l’itinéraire convenu (pour la manif) avec la PNH ; la police ne s?est toutefois pas lancée aux trousses de la jeep en question et René Civil n?a jamais été interpellé ou même questionné suite aux nombreux témoignages le désignant publiquement. Par ailleurs, il faut rappeler que pendant tout le parcours, trois voitures de police accompagnaient les manifestants alors que lorsque l?attaque a eu lieu, il n?y avait plus qu?une seule voiture de police qui, selon des témoins, est passée près de la jeep grise en question. De plus, à chaque intersection que devait prendre les manifestants, des barrières avaient été érigées pour faciliter l?indication du parcours convenu aux milliers de manifestants. Or, comme par hasard, à l?angle de Lalue et du Chemin des Dalles où l?incident a eu lieu, aucune barrière n?était érigée. Autre information et pas des moindres qui nous est parvenue d?une organisation fiable de défense des droits humains, il semblerait que Stanley Jacques Loiseau aurait été tué parce q?il sortait d?une banque avec une somme importante d?argent, « dixit la propre famille Loiseau » nous a confié notre source. Rappelons que la famille de Stanley Loiseau avait accusé la police d?avoir tiré sur le jeune homme qui ne participait pas à la manifestation. Quel chaos kafkaïen ! Signalons que la manifestation s’est achevée symboliquement dans l’enceinte même de la Faculté des Sciences Humaines, co-victime avec l’INAGHEI (une autre unité de l’Université d’Etat d’Haïti) du raid sanglant des partisans du président Jean Bertrand Aristide le 5 décembre dernier qui s’était soldé par une trentaine de blessés. Comme la semaine passée, les provinces ont répondu à l?écho de la capitale : plusieurs autres villes du pays dont les Gonaïves, Léogane et Saint Marc ont manifesté contre Jean-Bertrand Aristide ce 22 décembre. De même, à Miami, le même jour, des centaines d’opposants au régime lavalas, auxquels se sont joints des anciens fonctionnaires et supporteurs du gouvernement ainsi que des anciens parlementaires, ont manifesté à deux reprises en moins de trois jours à Miami pour demander le départ du président Jean Bertrand Aristide. Les 17 et 20 décembre sur la place « Torch of friendship », au centre commercial de la ville de Miami, un rassemblement a été convoqué par la Coalition pour l’Avancement et le Développement d’Haïti (CADH), en solidarité avec le mouvement de protestation déclenché en Haïti pour obtenir le départ du président Jean Bertrand Aristide. Les manifestants ont exprimé leur frustration face au comportement du pouvoir dans la gestion des contestations anti-gouvernementales et condamné les brutalités policières exercées à l’encontre des étudiants. Ils arboraient des pancartes avec des slogans hostiles au chef de l’Etat. « Aristide doit partir, à bas Aristide », ont crié les protestataires, sur Biscayne Blvd. Les manifestants ont également chanté les funérailles symboliques du président Aristide en circulant avec un petit cercueil pour signifier la fin du régime lavalas. Des exilés politiques importants tels que les anciens parlementaires Irvelt Chery et Guy Métayer, l’ancien juge d’instruction Claudy Gassant chargé du dossier du journaliste assassiné Jean Dominique, et l’ancien directeur de la Police Nationale, Jean Robert Faveur ont pris part à ce rassemblement. Même scénario au Canada cette semaine où des manifestants ont bravé le froid pour manifester contre Aristide ainsi qu?à Paris ou des manifestants ont voulu fermer l?Ambassade d?Haïti en France et demander aux diplomates de démissionner, avant d?être repoussés par la police française. Ce 24 décembre, on apprenait par l?Agence Alterpresse, que ces manifestants avaient réitéré leurs pressions sur le Consulat et l?Ambassade d?Haïti à Paris au levé du jour et « prévoient d’autres étapes, si leurs exigences ne sont pas suivies d’effet, avant le 1er janvier 2004. Pour ces manifestants, désormais « c’est la pression permanente en Haïti comme dans la diaspora jusqu’au départ d’Aristide du pouvoir. »(1)
A Port-au-Prince, après la marche historique du 22 décembre, la mobilisation anti-Aristide s?est poursuivie à l?appel des artistes et des médecins. Tout d?abord, le 23 décembre, le collectif NON, regroupant des artistes et des intellectuels pour la défense des libertés, a organisé un énorme concert à la Faculté des Sciences Humaines pour demander le départ d?Aristide. Des ténors de la musique haïtienne tels que « Boukman Eksperyans », Michel Martelly, et d?autres groupes comme « Wawa », « Masters » Jah Nesta, Joël et Mushi Widmaier ont participé à cette journée du collectif. Le lendemain, 24 décembre, des milliers de personnes ont répondu à l?appel des médecins et des avocats qui ont défilé respectivement en blouses blanches et en toges dans les rues de la capitale. De nombreuses personnalités politiques se sont jointes à cette marche parmi lesquels, Evans Paul de la Confédération Unité Démocratique (KID), Turneb Delpé du Parti National Démocratique Progressiste d’Haïti (PNDPH) et Hubert Deronceray du Mouvement pour le Développement National (MDN). Le sénateur Dany Toussaint, ex-Fanmi Lavalas, a également pris part à la manifestation de ce 24 décembre, de même que André Apaid Junior du Groupe des 184. La police a assuré la sécurité de la manifestation, observée par les membres de la Mission Spéciale de l’Organisation des États Américains (OEA) et la marche s?est déroulée sans incident. Parallèlement en province, notamment à Jérémie et à Jacmel, des centaines d’étudiants ont défilé sous la protection de la police. A Jacmel, les étudiants ont critiqué le gouvernement américain, qui, selon eux, « ferme les yeux sur Haïti, parce que ce pays n’a pas de pétrole ».
A propos du gouvernement américain, rappelons que dans un communiqué de presse daté du 22 décembre, l?Ambassadeur des Etats-Unis, James Foley, avait réitéré « le plein soutien du Gouvernement des Etats-Unis d?Amérique en faveur de l?exercice des droits démocratiques en Haïti, notamment la liberté d?expression et la liberté de rassemblement. » Tout en exhortant « solennellement les autorités de l?Etat à faire en sorte que les manifestations prévues soient protégées par la police et protégées contre des gangs armés », James Foley avait aussi rappelé que, « comme le Département d?Etat l?a souligné récemment, nous croyons que les manifestations qui se déroulent actuellement en Haïti sont l?expression légitime et pacifique d?opinions politiques. »(2) Pourquoi, alors, ces opinions laissent-elles les Américains aussi insensibles ? Pourquoi les Etats-Unis soutiennent-ils la sortie de crise dépassée de l?Episcopat haïtien que Jean-Bertrand Aristide a proposée à la nation le 17 décembre ? N?est-il pas significatif que le quotidien Miami Herald n?ait pas pipé mot sur la marche du 22 décembre ? Pourquoi ce silence ? Il n?est certainement pas innocent en tout cas?De même que de source bien informée, nous avons appris qu?avant la marche du 22 décembre, l?Ambassadeur James Foley, aurait eu à demander à un interlocuteur comment être sûr qu?Aristide avait perdu sa popularité. Cet interlocuteur avisé lui aurait répondu : « assurez-nous une journée de manifestation sans répression et vous verrez toute la population dans les rues ». C?est bien ce qui est arrivé le 22 décembre à Port-au-Prince. Mais les Américains ne semblent pas se préoccuper des marées humaines qui demandent le départ d?Aristide?.tant que celles-ci défilent en Haïti. Par contre, si les manifestations grossissent en diaspora, ce sera une autre paire de manche? C?est pour cela que pour certains observateurs politiques, il est essentiel que la mobilisation s?intensifie à l?extérieur d?Haïti sinon, même si la « minorité » écrasante à mis Aristide K.O cette semaine, elle ne l?a toutefois pas encore mis hors jeu. D?ailleurs, les propos tenus par le Premier ministre, Yvon Neptune, le prouvent bien : il a osé évalué la manifestation du 22 décembre à 3.000 (trois mille) personnes ! D?autre part, les habitants de la capitale se sont réveillés sur un autre coup de théâtre au matin du 26 décembre en apprenant qu?un plan machiavélique avait été fomenté au Palais National pour faire interpeller et arrêter André Apaid Junior, Coordonnateur du Groupe des 184, Hervé Saintilus, Président de la FEUH ( Fédération des Etudiants de l?Université d?Etat) et Maître Gervais Charles du Barreau de Port-au-Prince. Un des substituts du commissaire du gouvernement près le Tribunal Civil de Port-au-Prince, Me Daméus Clamé Ocnam, a décidé de se réfugier momentanément aux Etats-Unis pour échapper à des pressions de la présidence de la République pour qu’il ordonne l’arrestation de ces trois organisateurs de la manifestation anti-gouvernementale du 22 décembre dernier. Dans des déclarations faites sur plusieurs stations de radio de la capitale diffusées ce 26 décembre, Me Daméus a expliqué que le 23 décembre dernier, il a été conduit au Palais National par le titulaire a.i. du Parquet, Me Ricquet Brutus, pour prendre part à une réunion avec le nommé Marceau Edouard,(cadre engagé par le Pouvoir dans le cadre du projet de réforme judiciaire enclenchée au retour à l’ordre constitutionnel en 1994) et un autre substitut du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Jocelyne Casimir, présentée par Me Daméus comme la conjointe de l’ancien chef du Parquet et actuel conseiller du Chef de l’Etat, Me Jean Auguste Brutus. Selon Me Daméus, ses interlocuteurs lui ont présenté le texte d’un mandat d’amener qu’il devait tout simplement signer. Il affirme avoir vainement tenté de leur démontrer le caractère illégal de leur démarche dans la mesure où, d’une part, aucun flagrant délit dans les décès en question n’a été établi; et que, d’autre part, le Parquet ne dispose d’aucune plainte contre les personnes incriminées. C?est en vertu d’une loi prise sous la dictature militaire du général Henry Namphy (1986-1988) et récemment invoquée par le Pouvoir Lavalas pour freiner la vague sans cesse croissante des manifestations anti-gouvernementales, que désormais, les organisateurs des manifestations et rassemblements publics doivent répondre de leurs responsabilités toutes les fois que des incidents se produisent au cours de ceux-ci. Si Hervé Saintilus et Maître Gervais Charles avaient signé la lettre de notification à la Police de la tenue de la manifestation du 22 décembre dernier, comme le requiert la Constitution, la signature d?André Apaid n?y figurait pas. Alors pourquoi cette nouvelle persécution ? On connaît la réponse?Qu?à cela ne tienne, il ne faut cesser de souligner que cette loi prise sous Namphy et « réactivée » par le pouvoir Lavalas constitue un instrument illégal mais surtout effrayant qui officialise la loi au service de la déraison. En effet, comment les organisateurs d?une marche pacifique et aussi colossale peuvent-ils être rendus responsables de tout ce qui se passe pendant ladite marche ? C?est tout simplement inadmissible ! Les organisateurs ont-ils été rendus responsables des blessures enregistrées parmi les manifestants durant la marche ? Les organisateurs seront-ils rendus responsables pour chaque bras cassé, coude éraflé ou entorse dans chaque manifestation anti-gouvernementale ? Même aux Etats-Unis où l?on fait un procès du moindre « bobo » cela ne s?est jamais vu ! Suite aux révélations de Me Daméus, Me Ricquet Brutus a démenti les allégations de son collègue en niant qu?une réunion avait eu lieu au Palais National.
De son côté, Aristide demeure apparemment imperturbable et continue sa marche personnelle et solitaire vers la célébration du Bicentenaire. A l?occasion de l?inauguration d?une place publique à Martissant (Port-au-Prince), le jeudi 25 décembre 2003, M. Aristide a une nouvelle fois minimisé la portée des manifestations anti-gouvernementales à travers le pays.« C?est une minorité , une minorité « tizwit » qui manifeste contre mon gouvernement », a-t-il affirmé M. Aristide devant plus d?un millier de sympathisants animés par des bandes de « rara » demandant qu’il reste au pouvoir pendant 10 ans contrairement aux 5 ans prévus par la Constitution. Le dirigeant Lavalas s’est adressé notamment aux étudiants, fer de lance de l’opposition rassemblant l’ensemble des secteurs, en leur demandant de faire montre de lucidité. Ce message a été repris par son épouse, Mildred Trouillot et un étudiant pro-gouvernemental. Le Chef de l?Etat qui a également inauguré une place à la quatrième Avenue Bolosse, quartier populaire de la capitale, a donné rendez-vous à ses partisans tôt dans la matinée du 1er janvier 2004 à Port-au-Prince afin de se rendre aux Gonaïves pour célébrer le Bicentenaire de l?Indépendance ; une « célébration » où la population est totalement maintenue à l?écart. En effet, aucun programme officiel des « festivités » n?a encore été annoncé à la nation et, le Ministre de la Culture, Mme Lilas Desquiron, a tenté de justifier ce silence et cette scandaleuse indifférence en déclarant sur les ondes de la TNH ( Télévision Nationale d?Haïti) la semaine dernière que « le Gouvernement réservait des surprises au peuple haïtien. » Ces « surprises » en question risquent fort d?être de très mauvais ton et de mauvais goût si l?on s?en tient aux dernières nouvelles émanant des Gonaïves. En effet, à quelques jours du Bicentenaire, le sang continue de couler dans la Cité de l?Indépendance ou huit (8) personnes au moins ont été tuées par balle et une dizaine d?autres blessées suite à une nouvelle opération policière à Raboteau , quartier populaire des Gonaïves , dans la soirée du lundi 22 décembre 2003. Selon des informations rapportées par des correspondants de presse, plusieurs cadavres jonchaient les rues de la Cité de l?Indépendance et étaient dépecés par des chiens. Des sources informées indiquent que les policiers étaient à la recherche des dirigeants du Front Anti-Aristide qui réclame le départ du Président de la République depuis l?assassinat du puissant chef d?OP Lavalas , Amiot Métayer, le 21 septembre dernier. L?un des responsables du Front, Winter Etienne, a condamné ce nouveau massacre perpétré par la police et dénoncé le régime Lavalas. M. Etienne a demandé à la Communauté Internationale notamment les Etats-unis, la France et la Grande-Bretagne de « débarrasser le pays de Jean Bertrand Aristide ». Rappelons que le 22 décembre, des inconnus armés avaient mis à sac la Place d?Armes où le Président Aristide s?apprête à prononcer son discours de célébration du 200ème anniversaire de l?Indépendance, le 1er janvier prochain. L?intervention musclée de la police à Raboteau dans la soirée du 22 décembre est la quatrième du genre depuis celle du 2 octobre. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées et plus d?une soixantaine de blessés par balles suite aux violences qui ont éclaté dans la Cité de l?Indépendance depuis l?assassinat du puissant chef d?Organisations Populaires (OP) Lavalas , Amiot Métayer dit « Cubain », le 21 septembre dernier. Suite à ces violences, les prêtres du diocèse des Gonaïves ont appuyé la position exprimée par leurs confrères du Sud-Est et du Sud appelant le Chef de l?Etat à démissionner. Dans une déclaration publiée le mercredi 24 décembre 2003, le père Marc Eddy Dessalines affirme qu?il ne sera pas possible de célébrer le Te-deum, le 1er janvier 2004, dans une ville meurtrie. Le responsable de la Commission Justice et Paix a fait remarquer que la Police ne cesse de faire des victimes au sein de la population depuis environ trois (3) mois. D?autre part, en Haïti comme à l?étranger, de nombreuses voix se sont élevées contre la participation du Président Sud-Africain Thabo Mbeki au programme officiel du 1er janvier 2004 mais, surtout, contre la présence d?un navire de guerre sud-africain autorisé dans les eaux haïtiennes pour la visite de Mbeki. Suite à de nombreuses informations faisant état que les gaz lacrymogènes utilisés récemment contre les étudiants seraient en provenance de l?Afrique du Sud, plusieurs observateurs craignent aussi que ce navire de guerre contiennent des armes qui pourraient être utilisées aux Gonaïves par la PNH avant le 1er janvier, pour assurer à Jean-Bertrand Aristide son emprise sur la ville, non de gré mais bien par la force. Cette semaine, on apprenait de source dominicaine que 1000 soldats étrangers se trouveraient déjà sur le territoire national dans le cadre du programme officiel du 1er janvier alors que les autorités conservent un silence pour le moins suspect autour de ces informations. Enfin, ce 26 décembre, selon de nombreux témoins et selon les déclarations faites par Pierre Robert auguste, Président de l?Association des Entrepreneurs de l?Artibonite (AEA), deux (2) hélicoptères militaires sud-africains, ayant à leur bord des hommes lourdement armés, auraient survolé Cité de l?Indépendance les 24 et 25 décembre 2003. Les responsables du Front Anti-Aristide ont dénoncé ces « actes d?intimidation » de la part du Pouvoir Lavalas qui, selon eux, prépare une tuerie aux Gonaïves à l?occasion du Bicentenaire de l?Indépendance. Le porte-parole du Front, Winter Etienne, précise que la population des Gonaïves ne restera pas les bras croisés. «Le peuple de Dessalines est prêt à mourir pour défendre sa liberté », a-t-il laissé entendre . Enfin, à Port-au-Prince, le vendredi 27 décembre, une manifestation estimée à plus de 150.000 personnes, s?est déroulée pacifiquement à Port-au-Prince, battant tous les records des marches anti-Aristide enregistrées jusqu?ici dans la capitale.
Au désespoir de millions d?Haïtiens et comme nous l?avions prédit encore la semaine dernière, Jean-Bertrand Aristide à presque toutes les chances d?être toujours au pouvoir le 1er janvier 2004. La TNH a d?ailleurs annoncé cette semaine des dispositions techniques spéciales via satellite pour que « le seul discours officiel, celui du Chef de l?Etat, soit entendu par le monde entier » a déclaré le Directeur Général de la TNH, Reynald Louis. Signalons aussi, que même à la veille de Noël, la télévision d?Etat reprenait ses émissions spéciales de propagande contre le Groupe des 184 et faisait appel à la division des classes sociales en Haïti. Un documentaire spécial, traduit en créole, a également été diffusé faisant une comparaison entre la situation au Venezuela, le Coup d?Etat manqué contre Hugo Chavez et la mobilisation anti-Aristide actuelle. D?autre part, le Délégué du département de l?Ouest, Mme Marie-Antoinette Gauthier, lors d?une visite impromptue dans les studios de Radio Kiskeya le 24 décembre, a condamné le « recours systématique de l?opposition aux manifestations de rues qui pourrait entraîner un bain de sang ». Etait-ce là une prédiction ou un avertissement du Gouvernement ? Qu?à cela ne tienne, il faut se préparer à tout avec Jean-Bertrand Aristide?et surtout au pire ! Pour en arriver au bout, la mobilisation doit traverser les frontières et l?opposition aurait déjà du proposer une alternative acceptable aux yeux de tous, localement et internationalement. Elle a raté le coche la semaine dernière, permettant ainsi à Aristide de jouer sa carte internationale. Car, il est certain, que les Américains ne bougeront pas sans une alternative sûre à leurs yeux. Les Haïtiens ont beau leur demander de « reprendre » Aristide, ils oublient malheureusement que ce sont eux qui voulaient son retour, comme souligné par la journaliste Amy Wilentz dans le Los Angeles Times du 23 décembre. L?auteur du livre « Rainy season » qui a fait partie des journalistes internationaux « pro-Aristide » en 1990 et 1994, condamne aujourd?hui Jean-Bertrand Aristide qui, selon elle est « un échec personnel et politique » Mais la journaliste demeure lucide en prévenant que « même si un large secteur de l?establishment américain applaudit la chute d?Aristide et espère qu?il sera évincé, ils ne savent toujours pas si ce qui suivra sera meilleur(?) Finalement, la leçon (a tiré) n?est pas heureuse, écrit Amy Wilentz. « Chaque pays a son propre héritage, parfois illisible, sa particularité culturelle, son passé récent et ? comme c?est le cas en Haïti et en Irak- une longue et étrange tradition politique. On ne peut y intervenir avec une ceinture de solutions et arranger les choses : ce n?est pas un simple problème de plomberie. Une nation c?est une collection de c?urs, d?esprits et de comportement humain imprévisible, et pour pouvoir occuper un pays, vous devez pouvoir vous occuper (ou traiter) avec les obscures et dangereuses mines politiques plantées sous vos pieds. Regardez Israël et la Bande de Gaza, regardez la Syrie et le Liban. L?occupation et la démocratie ne peuvent coexister et l?une n?engendre jamais l?autre »(3), conclut-elle. A bon entendeur, salut et Bonne Année 2004 !
Nancy Roc
Le 27décembre 2003
rocprodz@yahoo.fr
1- Alterpresse, « Ils mettent la pression sur l?Ambassade et le Consulat d?Haïti en France », 25 décembre 2003, Weibert Arthus.
2- Communiqué de Presse de l?Ambassadeur des Etats-Unis d?Amérique, U.S. Embassy, le 22 décembre 2003
3- Best-Laid Plans of occupiers : Occupation and Democracy simply can?t coexist, Amy Wilentz, Los Angeles Times, le 23 décembre 2003