Originally: 2004 ou le prix du sang

« Le Président Aristide est en rébellion contre la population haVtienne », avait déclaré le coordonnateur du Groupe des 184 suite aux incidents de la marche du 14 novembre organisée par la société civile et réprimée par la police nationale et les « chimPres » du pouvoir. Le 5 décembre 2003, qui est déjB rentré dans l’histoire comme le « vendredi noir » pour le corps universitaire haVtien, toute la société a pu constater, horrifiée, B quel point M.André Apaid avait vu juste dans ses prédictions. Ce jour lB, la barbarie lavalassienne a atteint son paroxysme lorsque des OP ont violemment attaqué la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) et l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI). Cet assaut, comparé B un cyclone, a dévasté tous les locaux , les bureaux administratifs et le matériel de ces institutions, dont les dommages ont été estimés B prPs de 3 millions de gourdes ; prPs d’une trentaine de blessés ont été dénombrés parmi lesquels, le Recteur de l’Université d’Etat d’HaVti, M. Pierre Marie Paquiot, dont les deux tendons des genoux ont été fendus avec une barre de fer par un membre d’OP et le Vice-Recteur aux affaires académiques, Wilson Laleau, blessé B la tLte. Une fois de plus, la police nationale, a été complice de ces actes qualifiés de « sauvages » et « barbares » par l’ensemble des partis politiques et de la société civile. Au cours de ce massacre, les membres d’OP ont fait usage d’armes B feu, de bâtons, de barres de fer, de chaînes, d’armes blanches, de frondes sophistiquées avec l’intention claire de tuer ou de mutiler leurs victimes. Cette violence inouVe n’a pas épargné les journalistes : plusieurs confrPres dont Rodson Jocelyn de Haiti Press Network (HPN) et Jean VénPl Casséus de Radio Kiskeya, ont été blessés. Cette attaque sans précédent depuis 1986 a suscité l’indignation et la colPre de tous les secteurs de la société haVtienne qui a réagit de toutes parts par des notes de colPre, d’indignation, de protestation et de condamnation. Cette violence s’est prolongée dans la nuit du 5 au 6 décembre B l’hôpital Canapé Vert oj des jeunes universitaires ont été arrLtés et battus au Commissariat de Port-au-Prince par la police nationale. Dans un communiqué signé par son vice-recteur Fritz Deshommes, le Rectorat de l’Université d’Etat d’HaVti a dénoncé ce qu’il appelle la guerre que le pouvoir Lavalas a déclaré depuis deux ans contre l’université, l’intelligence, la jeunesse et l’avenir du pays. Selon de nombreux observateurs, parmi lesquels, la Plate-forme haVtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et le Professeur Christian Rousseau, la continuité des agressions contre l’Université d’Etat d’HaVti ne peut laisser aucun doute sur leur caractPre planifié et systématique. « Il s’agit donc d’une politique décidée et élaborée aux plus hautes sphPres des responsables de l’Etat » a dénoncé la PAPDA dans un communiqué le 7 décembre 2003, en soulignant que « le Pouvoir Lavalas a toujours affirmé son mépris de l’intelligence et de la réflexion critique. L’expression de la pensée libre et toute contestation sont bannies. C’est peut-Ltre cette peur de la réflexion qui est B la base d’une politique incohérente, insensée et suicidaire qui contribue activement B détruire notre pays(…) La PAPDA a insisté sur le fait que « cette violence et la cruauté de ces attaques en font des actes inédits dans toute l’histoire de la vie nationale. MLme au temps des baVonnettes et tout au cours du 20Pme siPcle, nos satrapes n’ont jamais été si loin dans leur mépris des lieux de transmission du savoir. Avec ou sans barbarie de ce type, les rébellions des jeunes scolarisés sonnent le glas des dictatures. »


Le 10 décembre, B l’occasion du 55Pme anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la répression gouvernementale continuait de bafouer les droits humains et d’enchaîner la liberté d’expression B travers le pays : Petit Goâve, GonaVves et Port-au-Prince ont été le théâtre de nombreuses attaques des milices lavalassiennes. A Petit Goâve, le jour de la commémoration de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, des membres d’OP sont entrés chez les familles Toussaint et Louissaint et ont violé, B visage découvert, une mPre et ses deux filles devant un jeune garçon, membre de cette famille. Ils ont également frappé un enfant de trois ans qui pleurait devant cette scPne atroce. A Port-au-Prince, des membres d’OP ont attaqué une fois de plus la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, faisant plusieurs blessés. « Aristid, kriminPl, fbk Aristid ale, twbp san koule (Aristide est un criminel, il doit partir, trop de sang a coulé dans le pays », scandaient les étudiants au cours d’une manifestation improvisée qui a rassemblé des étudiants de différentes universités privées de Port-au-Prince. Le mLme slogan « twbp san koule, fbk Aristid ale » a constitué le leitmotiv d’un autre mouvement d’étudiants qui s’est tenu le mLme jour B Petit-Goâve. Selon plusieurs correspondances de presse, un élPve a été blessé par balles lorsque les partisans du gouvernement ont tiré des rafales d’armes sur les manifestants,. Aux GonaVves, plusieurs personnes ont été blessées, parmi lesquelles un élPve de rhéto, Charles Daniel, blessé par balles lorsque la Police locale a tenté de disperser une manifestation anti-Aristide. Rappelons que la veille, des milliers de personnes étaient descendues dans les rues suite B une rumeur de départ imminent du Président Aristide. Cette manifestation était la premiPre de cette envergure enregistrée dans la cité de l’indépendance depuis l’assassinat d’Amiot métayer. Malgré ce déferlement de protestations B travers le pays, Jean Bertrand Aristide a réaffirmé, dans une conférence de presse au Palais National le 10 décembre, sa volonté de se maintenir au pouvoir. Selon le Chef de l’Etat, seules les élections pourraient mettre fin B la crise qui frappe le pays depuis plusieurs années. Pour le chef du parti lavalas, il ne s’agirait que d’une « minorité infime » de voix qui s’élPvent contre lui dans la cité de l’Indépendance, depuis la fin du mois de septembre 2003 ! Le mLme jour, on apprenait que le ministre de l’Education Nationale, Marie Carmel Paul Austin, avait remis sa démission au gouvernement en signe de protestation contre les violences enregistrées le 5 décembre 2003. D’autres voix se sont élevées pour demander le départ de divers ministres du gouvernement lavalas. Soulignons que le sénateur contesté Prince Sonson Pierre, qui s’était désolidarisé de son parti le mois dernier, est sorti de ses gonds suite aux attaques des OP le 5 décembre et a qualifié ces actes de “sauvagerie”, “barbarie” en ajoutant que ces derniers prouvaient la “démence” actuelle du pouvoir lavalas. Des étudiants de différentes universités privées dans la capitale ont indiqué mercredi 10 décembre qu’ils se solidariseraient de maniPre active le 11 décembre 2003 avec les étudiants de l’Université d’Etat qui annonçaient une nouvelle manifestation anti-Aristide pour le 11 décembre. Et de fait, le lendemain, alors que le Président et les membres du pouvoir avait déclaré que ce n’était qu’une “infime minorité” qui réclamait le départ de Jean Bertrand Aristide, des dizaines de milliers d’étudiants ont déferlé, telle une marée humaine B travers les rues de la capitale pour réclamer le départ de Jean Bertrand Aristide. Alors que le gouvernement B travers la voix de Mario Dupuy, a estimé cette marée humaine a 10.000 personnes, le Miami Herald dans son édition du 12 décembre avançait le chiffre de 50.000 personnes et certains observateurs B Port-au-Prince, B prPs de 100.000. Une fois de plus, alors que les étudiants marchaient pacifiquement, de nombreux incidents ont été enregistrés face B la complicité de la police nationale avec les “chimPres” du pouvoir. Soulignons qu’une fois de plus, la presse indépendante a été victime de sérieuses menaces et dans la soirée du 11 décembre plusieurs médias ont du arrLter leurs bulletins de nouvelles. Radio Kiskeya a, quant B elle, diffusé une émission spéciale ou notre consÉur Lilianne Pierre Paul a tenu le micro pendant plus de 5 h de temps alors qu’une camionnette ayant a son bord une douzaine d’hommes armes menaçait la station.


Suite B cette manifestation monstre, la premiPre de cette envergure enregistrée contre le pouvoir Lavalas B Port-au-Prince depuis 1990, le député contesté Rudy Hériveaux a eu le culot de déclaré sur les ondes de la TNH le 11 décembre, que cette manifestation était constituée de « faux étudiants » manipulés par « une classe de rétrogrades, de démagogues » qu’il a clairement identifiés comme faisant partie du Groupe des 184 qui, selon lui, « refusent de comprendre qu’il y a des principes pour prendre le pouvoir. » « Ils sont en train de se fourvoyer, ce sont des pourris qui ne sont qu’un grain de sable sur une plage » a-t-il précisé. De son côté, Jonas Petit, chef a.i du parti au pouvoir et Mario Dupuy, Secrétaire d’Etat B la Communication ont minimisé le mouvement des étudiants et critiqué le comportement des représentants de certaines ambassades de Port-au-Prince qui, selon eux, offriraient B des officiels du pouvoir l’asile politique pour quitter le pays. Ils se sont bien entendu abstenus de révéler l’identité de ces étrangers et ont réaffirmé que toutes les dispositions seront prises pour que le président Aristide termine son mandat. Suite aux violences du 11 décembre, c’était au tour du sénateur contesté, Dany Toussaint, de claquer la porte et de déclarer sur les ondes de Radio Kiskeya, qu’B partir du Jeudi 11 décembre il n’était plus lavalas. Il a accusé le régime “despotique” d’Aristide de s’Ltre transformé en “régime fasciste créole”. Le sénateur a assuré qu’il avait le pouvoir, “aprPs le départ d’Aristide, de rétablir la paix en HaVti en quarante-huit heures”. Autrefois trPs proche du président haVtien, il avait récemment estimé que, s’il ne changeait pas de politique, le président “aurait le choix entre l’exil, le cimetiPre ou la prison.


Le vendredi 12 décembre, les étudiants ont démontré une fois de plus leur courage et leur détermination exemplaire B obtenir le départ d’Aristide. Alors qu’en début de matinée des partisans du régime, parmi lesquels des enfants, sillonnaient les rues, lourdement armés, en rançonnant les rares automobilistes et en volant des voitures, les étudiants ont une fois de plus gagné les rues et ne se sont pas laissés intimider par l’atmosphPre délétPre qui régnait dans la capitale en début de matinée ni par la répression de la police nationale et des CIMO. Quelques centaines de « chimPres », dont certains armés, se sont rassemblés au Champ-de-Mars, B côté du Palais National, pour réclamer le respect du mandat du chef de l’Etat : alors que plusieurs milliers d’étudiants ont manifesté de leur côté pacifiquement pour demander, au contraire, le départ anticipé du président, avant d’Ltre dispersés par la police B coups de gaz lacrymogPne. André Apaid, coordonnateur du Groupe des 184, rassemblant des membres de la société civile et du patronat, participait B cette manifestation. Une personne a été tuée dans le centre-ville commercial au passage d’un véhicule B bord duquel se trouvaient des hommes armés. D’autres personnes ont été blessées par balles ou jets de pierres, selon des témoins, qui en ont attribué la responsabilité B des partisans du pouvoir. Lorsque les étudiants sont arrivés B Pétion Ville, la police littéralement bombardé les manifestants avec du gaz lacrymogPne, mais avec une d 130termination héroVque, les étudiants ont résisté pendant plus de cinq heures de temps en continuant de scander des propos hostiles au Président. Le moment le plus critique est arrivé lorsque André Apaid Jr a fait face, seul, B cinq agents pour les convaincre de laisser passer les manifestants. Un autre moment inoubliable a été celui oj les manifestants, sur la route de Delmas, se sont mis B genoux devant la police pour chanter “Dieu Tout Puissant”…la réponse de la police fut de gazer sauvagement les participants B cette marche pacifique !


L’opposition au président, qui semble prend une ampleur sans précédent est constatée B travers tout le pays. Alors qu’B la fin de la journée du 12 décembre les étudiants ont réitéré leur volonté de continuer B manifester dans les jours B venir et d’obtenir le départ d’Aristide, de nombreuses questions demeurent devant la volonté inébranlable du pouvoir de réprimer toute liberté d’expression dans la violence. Jusqu’oj ira Jean- Bertrand Aristide lorsque l’on se rappelle que le 14 janvier 2001 il avait menacé la nation entiPre en déclarant “jou flanm lespwa mouri ap fP nwa la jounin kou len nwit”? Que fera la communauté internationale en particulier les Américains devant la répression grandissante et sanglante de ce pouvoir ? Alors que certains observateurs politiques associent l’entLtement du pouvoir a un soutien possible des Etats-Unis B ce gouvernement, d’autres, plus inquiets encore, se demandent si un scénario B la Rwanda ne se fomente pas derriPre l’arrogance lavalassienne. Il est clair pour plus d’un que la communauté internationale est en train de nous tester et que les Etats-Unis ne se prononceront pas tant qu’il n’y aura pas une proposition de sortie de crise claire pour eux. Ils redoutent le chaos dit-on, mais HaVti est plongée dans le chaos depuis de nombreux mois B cause d’un pouvoir totalitaire. Tout le monde sait que Jean Bertrand Aristide est obnubilé par la commémoration de 2004 et qu’ il veut B tout prix, et apparemment, mLme au prix du sang, prôner une fausse légitimité, une popularité perdue et se comparer aux Héros de l’Indépendance aux yeux du monde entier dans une geste mégalomane sans précédent le 1er janvier 2004. Charles Louis de Secondat avait bien décrit le gouvernement despotique ; un systPme, disait-il, ou un seul homme, sans loi et sans rPgle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices. L’ensemble des secteurs de la société haVtienne s’en est bien rendu compte et a, dans un communiqué publié le 12 décembre, déclaré ce gouvernement « hors la loi ».Mais si le despote veut enchaîner la vérité que fera-t-il d’autre ? Couper des tLtes comme le prônent ses partisans B la maniPre de Dessalines ? Qu’B cela ne tienne, il ne peut enchaîner un pays tout entier et ne peut trancher la volonté ni la pensée d’un peuple héroVque et martyr qui aujourd’hui, réclame B corps et B cri, sa liberté, la vraie, son autonomie et un nouveau contrat social. Une liberté qui arrachée aux colons au prix du sang en 1804, doit une fois de plus, et espérons-le, une fois pour toute, Ltre exigée sinon arrachée au despote B 15 jours de Bicentenaire de notre indépendance.


Les droits humains qui n’ont jamais été autant violés depuis l’époque de Papa Doc constituent un moteur de toute société moderne car sans eux, la vie commune n’est pas possible, il n’y a pas de démocratie possible. Chacun doit reconnaître les droits de l’autre sinon c’est la guerre. Or Aristide ne s’est jamais prononcé clairement contre la violence et dPs qu’il y a violence, il y a violation. Il est impératif a ce moment critique et dangereux de notre histoire, que nous refusions l’exercice spontané de la violence pour nous remettre B l’exercice, B l’empire de la Loi. Or pour arriver B l’exercice de la Loi, il faut passer par la discussion et par le débat public. Personne ne peut dialoguer avec des barres de fer, des bâtons, des machettes, des pierres, des armes ou des gaz lacrymogPnes. Le débat ne peut prévaloir dans notre société qu’B travers la liberté d’expression que nous devons exiger comme droit fondamental et aussi comme discipline ; car, tout un chacun, doit pouvoir réprimer sa propre violence pour admettre le débat. Les droits de l’homme concerne chacun de nous et ils ont davantage besoin de militants que de discours. Aujourd’hui, chaque citoyen haVtien est appelé B devenir un militant s’il veut que ses droits soient respectés et sa premiPre arme devrait et doit Ltre la liberté d’expression.


Nancy Roc


rocprodz@yahoo.fr


Port-au-Prince, le 13 décembre 2003