Originally: Aristide est devenu un Bokassa


André Apaid, homme d’affaires de 52 ans, plus connu sous le prénom d’Andy, est le coordinateur du Groupe des 184, né il y a un an et qui rassemble nombre de syndicats, organisations socioprofessionnelles, ONG, associations. Il représente la société civile haïtienne en lutte contre les dérives du pouvoir d’Aristide. Le Groupe des 184 (qui seraient aujourd’hui plus de 400) appelle régulièrement à des manifestations pacifiques pour la défense des libertés.


Les partis d’opposition sont parfois critiqués pour leur faiblesse et leurs divisions… Le Groupe des 184 fait-il office de véritable opposition ?


Les partis de l’opposition ont subi une répression féroce, systématique : comment ne seraient-ils pas affaiblis, émiettés ? Quand une dictature s’installe, elle tire ses premières salves contre les partis politiques, puis contre la presse et les organisations des droits de l’homme, et enfin contre la société civile. A Haïti, la société ne s’est pas réveillée assez tôt pour défendre les partis. Les faiblesses de l’opposition ne sont pas un tort à lui reprocher, mais un drame pour toute la société. Si c’est surtout notre Groupe des 184 qui se fait entendre aujourd’hui, c’est aussi la preuve que la société civile a encore les moyens d’empêcher le développement de la dictature. Notre atout, c’est que nous ne cherchons pas le pouvoir, mais le rassemblement pour sortir de cette crise.


Aujourd’hui, c’est notre tour d’être la cible de la répression. Je ne parle pas de moi et de la vingtaine de menaces de mort que j’ai déjà reçues. C’est clair, je suis supposé débarrasser le plancher. Le12 juillet, nous avions prévu une réunion du groupe à Cité Soleil (immense bidonville aux portes de la capitale, ndlr) pour présenter nos projets. La réunion devait avoir lieu dans une école du quartier, mais le Palais national a fait appel à des gangs pour tout saboter. Déjà, en arrivant, l’école avait été saccagée, pour tenter d’empêcher que se tienne cette réunion. Puis, quand nous sommes partis, nous nous sommes fait lapider, caillasser, sous le regard indifférent de la police. Il y a eu 44 blessés. Certains membres des gangs ont avoué plus tard, publiquement, qu’ils avaient été financés par le ministère de l’Intérieur.


Comment est né le Groupe des 184 et que propose-t-il ?


En janvier 2001 a été créée l’Initiative pour la société civile, qui réunissait 21 institutions, depuis des chambres de commerce jusqu’aux Eglises en passant par les syndicats et le barreau des avocats. L’Initiative avait seulement pour but de jouer un rôle de modérateur, de médiateur entre le pouvoir et les partis d’opposition dans la crise qui a suivi les élections législatives très contestées de l’an 2000. Mais ce rôle a vite été voué à l’échec par la faute d’Aristide. Le 17 décembre 2001, il a pris prétexte d’une prétendue tentative de coup d’Etat pour réprimer, brûler des maisons d’opposants et des sièges de partis politiques. Puis, en janvier 2002, le gouvernement s’est engagé à suivre la résolution 806 de l’OEA (Organisation des Etats américains). Il a promis de désarmer les gangs qui forment sa machine occulte et criminelle, de moderniser la police et la justice, et de faire toute la lumière sur les responsabilités dans la répression du 17 décembre 2001. Mais rien de tout cela n’a été fait. Les gangs n’ont pas été démantelés, et l’inféodation au pouvoir de la police et la justice n’a fait qu’empirer.


C’est pourquoi le Groupe des 184 a émergé, fin 2002, autour d’associations patronales ou syndicales, de groupes de femmes, de défense des droits de l’homme, d’étudiants, d’organisations paysannes, de professeurs, etc. Ce n’était plus un groupe de médiation entre pouvoir et opposition mais un groupe de pression pour reconquérir des espaces de liberté dans la société. Il s’agissait aussi de proposer un nouveau contrat social. Il faut réduire cette misère inacceptable, sans forcément culpabiliser ni accuser les classes possédantes, qui doivent, elles, oeuvrer au développement du pays. Le message de division de la société employé par le pouvoir, qui dresse riches contre pauvres, Blancs contre Noirs, est totalement dépassé. Mais Aristide continue de prêcher l’intolérance. Il voulait être Mandela, il est devenu Bokassa.