Originally: Lettre Organisation Droits Humains

Port-au-Prince, le 20 novembre 2003


 


M.Santiago Canton


Sécrétaire Exécutif de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH)


Washington D.C.


 


Monsieur le Sécrétaire Exécutif,


 


Les organisations de Défense des Droits de la Personne, soussignées, ont l?honneur d?attirer votre attention et celle de l?Honorable Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) que vous présidez, sur la dangereuse situation de violations systématiques de Droits Humains qui se développe en Haïti depuis plusieurs mois.


 


Le rapport en date du 17 novembre 2003 du Secrétaire Général de l?Organisation des Etats Américains (OEA), César GAVIRIA, faisant état des incidents qui ont eu lieu lors du sit-in des organisations féminines devant le Palais de Justice de Port-au-Prince, oeuvre d?un groupe de casseurs, « les chimères », ostensiblement envoyés pour attaquer toute manifestation, est certainement véridique et du domaine public.  Il en est de même de la dispersion brutale du rassemblement du Groupe des 184, en date du vendredi 14 novembre 2003, du blocage des routes nationales, de l?occupation de l?espace réservé aux manifestations par un déploiement impressionnant d?agents de police aidés de quelques centaines de chimères et surtout des fréquentes arrestations des leaders des organisations de l?Opposition sans aucune raison valable. 


 


Ces deux incidents sont deux exemples de la technique utilisée par le pouvoir en place pour nier aux citoyennes et citoyens de ce pays leur droit de se rassembler et de s?exprimer. Ils illustrent bien ce qui a été constaté récemmment par l?expert indépendant des Nations Unies, le Magistrat Louis Joinet, dans son rapport préliminaire, où il constate que l?état d?impunité se substitue de plus en plus à l?état de droit, spécialement « pour entraver l?exercice du droit de manifester pacifiquement »


 


Mais ce qui est grave et que les organisations de défense des Droits Humains considèrent comme inadmissible, c?est bien  l?utilisation du système judiciaire dans des montages visant à l?emprisonnement pour un temps indéfini, de nombreux citoyennes et citoyens et dont le crime reproché est de ne pas cautionner la politique du gouvernement actuel, ce, sans aucun scrupule devant l?illégalité des procédures et l?inexistence de vrais causes et motifs.


 


Prenons à titre d?exemple :


 


?            L?ancien Général Président, Prosper AVRIL est détenu en prison malgré plusieurs ordonnances de mise en liberté émise à son avantage ;


 


?           L?ex-colonel Guy François est maintenu à la prison de Pétion-Ville depuis deux ans  sans qu?aucune procédure judiciaire ait été entamée contre lui.


 


?           Le leader de la Coordination Nationale des Sociétaires Victimes des Coopératives (Conasovic), Rosemond JEAN a passé sept (7) mois en prison pour avoir osé élever la voix contre l?escroquerie des coopératives, mouvement lancé et promotionné par le gouvernement actuel ;


 


?           Judie C. ROY, la responsable du Front Civico-Politique Haïtien (FRONTCIPH) est arrêtée le 14 juillet 2003 par des policiers de la Brigade de Recherches et d?Intervention (BRI).  Elle est depuis, maintenue sine die à la Prison Civile de Pétion-ville.


 


Il s?agit en l?occurence d?une perversion radicale du système judiciaire à laquelle se prêtent certains fonctionnaires du Département de la Justice, des juges et des membres du Parquet.  Les rares fonctionnaires qui ont opté pour l?honnêteté dans un travail bien fait sont révoqués sans aucne forme de procès.  Nous pouvons prendre comme exemple la révocation spectaculaire des Trois juges, Mes Emmania B. FATAL, Jean Ralph PRÉVOST et Harold CHÉRY du Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien alors que ces derniers disposent de mandats en cours, heurtant ainsi les dispositions impératives de l?article 177 de la Constitution en vigueur qui stipule :


 


« Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d?Appel et des Tribunaux de Première Instance sont inamovibles.  Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu?à la suite d?une inculpation.  Ils ne peuvent être l?objet d?affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu?en cas d?incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée »


 


Monsieur le Sécrétaire Exécutif,


 


Il va sans dire que ce système de répression mis en place par le Département de la Justice bénéficie de l?appui formel de la Police Nationale d?Haïti (PNH), la seule force armée du pays, paradoxalement créée pour servir et protéter les vies humaines et les biens. 


 


En effet, les plus hauts gradés de cette institution sont responsables d?actes de vandalisme et de malversations aussi fantaisistes qu?inimaginables tels que :


 


?            Kidnapping


 


L?un des plus spectaculaires cas de kidnapping qu?ait vécu la population est celui du mercredi 5 novembre 2003 où, plusieurs agents de police, avec la complicité d?une jeune femme, ont enlevé quatre agents de change ambulants.  Ayant donné à cet acte barbare l?allure d?une arrestation sous le fallacieux chef d?accusation de détention de stupéfiants, les victimes ont dû acheter leur liberté, et du coup, leurs vies, après avoir été  enmenés au Commissariat de Delmas 33.


 


?           Vol


 


Il est évident que la Police Nationale d?Haïti s?est mutée en une institution dont la spécialité serait le vol.  En effet, les vols de voitures, d?argent sont fréquents.  Lors des interventions, les agents de police arrêtent et emportent avec eux tout objet de valeur.  On l?a vu avec l?arrestation de Judie C. Roy où une rondelette somme de 95.000 dollars américains a été emportée.  D?autre part, à Hinche, le Commissaire Negupe Simon, à Mirebalais, le commissaire Josaphat Civil sont passés maitres dans l?art de voler.


 


?           Viol et tentative de viol


 


Les agents de la Police Nationale d?Haïti utilisent leurs pouvoirs et leurs armes pour intimider et violenter les femmes.  Nous pouvons prendre à titre d?exemple le cas récent de l?agent de police, James MONTAS, affecté à la Garde Côtière de la Marine Haïtienne qui, après avoir violé une jeune fille, l?a mise à la disposition de six (6) de ses compagnons ;  D?autre part, les tentatives de viol sont nombreuses. Chaque jour, au moins un cas nouveau est enregistré.


 


Outre le fait que des membres de la Police Nationale d?Haïti (PNH) se livrent à ces honteuses exactions, c?est l?Institution, en tant que telle qui tend à se politiser et se mettre au service du gouvernement. 


 


Elle procède à des arrestations illégales, suivies de détentions arbitraires de plusieurs militantes et militants non  alliés à la cause du gouvernement actuel.  La passivité de cette force de l?ordre est légendaire face aux actes de barbarie des chimères lors de leurs interventions musclées en vue de disperser les manifestants anti-gouvernementaux.  Elle matraque la population, tire à hauteur d?hommes selon qu?elle en ait reçu l? ordre, en se faisant aider de nombreux attachés qu?ils surnomment indicateurs de police.


 


En ce qui a trait à la manifestation du Groupe des 184 du vendredi 14 novembre 2003, il s?agit en fait d?une persécution systématique organisée contre André APAID Junior et dont la mise en place date du 13 juillet dernier.  Le montage sur la visite à Cité Soleil et sur la nationalité de ce leader, qui lui aussi est menacé d?être arrêté illégalement  et jeté sans recours en prison, en est la preuve.  L?accusation de meurtre qu?on fait porter sur le coordonnateur du Groupe des 184, malgré son caractère futile et absurde, est poursuivie par un juge d?instruction.


 


Cette persécution prend l?allure d?une prise d?otages, en maintenant d?honnêtes citoyens en prison pour les fins d?une enquête qui ne se terminera jamais.  Tel est le sens de l?emprisonnement de David Apaid, le neveu de André APAID Junior et de Charles-Henri  BAKER,  le responsable adjoint de l?Association des Industries Haïtiennes (ADIH) alors que le juge de paix requis de statuer sur cette arrestation affirme qu?il n?existe aucune matière valable.


 


Monsieur le Sécrétaire Exécutif,


 


Cette utilisation perverse et partisane du système judiciaire présente à l?heure actuelle un danger pour tous les citoyennes et citoyens indistinctement, vu l?emprise que l?Exécutif exerce sur la Police et sur des agents du pouvoir judiciaire.


 


Monsieur le Sécrétaire Exécutif,


 


Les organisations de défense de Droits Humains requièrent la Commission de prêter une attention particulière à cette situation préoccupante, exigeant un redressement immédiat.  Elles sollicitent une intervention rapide de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) pour la protection de ces citoyennes et citoyens susmentionnés et des citoyens en général pour que cesse cette vague de répression et de persécution contre d?honnêtes personnes et pour que leur soit garanti le droit de se rassembler et de s?exprimer, tel que consacré par la Constitution en son article 31 qui stipule :


 


« la Liberté d?Association et de Réunion sans armes à des fins politiques, économiques, sociales, culturelles ou toutes autres fins pacifiques est garantie ».


 


Dans cette attente, les organisations de Défense des Droits Humains vous prient de bien vouloir agréer, Monsieur le Sécrétaire Exécutif, l?expression de leur plus vive considération.


 


Premières signatures :


 


Jean-Claude Bajeux


CENTRE ?CUMÉNIQUE DES DROITS HUMAINS (CEDH) 


 


Pierre  Espérance


NATIONAL COALITION FOR HAITIAN RIGHTS (NCHR) :


 


Maxime Roney


PLATEFORME HAITIENNE DES DROITS HUMAINS (POHDH)


 


Jessie Benoit


MOUVEMENT DES FEMMES POUR L?EDUCATION ET LE DEVELOPPEMENT (MOUFED)


 


Myriam Merlet

ENFOFANM