Originally: La société civile s’organise face au président Aristide
La société civile s’organise face au président Aristide
LE MONDE | 11.10.03
A Haïti, l’homme d’affaires “Andy” Apaid mène un regroupement socioprofessionnel.
Port-au-Prince de notre envoyé spécial
André Apaid Jr, connu en Haïti sous son surnom d'”Andy”, affirme ne pas avoir d’ambition présidentielle. C’est une rareté dans cette île caraïbe en proie aux convulsions politiques, où les aspirants à la magistrature suprême sont légion. “Je ne veux pas et je ne dois pas”, dit-il, dans sa confortable maison, oasis dans le chaos qu’est devenu Port-au-Prince. Principale figure de la résistance au pouvoir du président Aristide, cet homme d’affaires déterminé a su gagner la confiance des syndicalistes et des leaders paysans.
Ce leadership était loin d’être acquis d’avance. D’origine libanaise, “Andy” Apaid appartient à l’élite à la peau claire, minoritaire et jalousée dans la première république noire. Autre handicap : son père, André Apaid Sr, a été l’un des principaux financiers de Marc Bazin, le candidat de la bourgeoisie battu par Jean-Bertrand Aristide lors de l’élection présidentielle de 1990. A ce titre, il n’avait pas vu d’un mauvais ?il le coup d’Etat militaire contre le curé des bidonvilles, qui incarnait alors l’espoir de changement après trente ans de dictature. André Apaid Sr avait converti le petit commerce familial en un puissant conglomérat employant des milliers d’ouvriers dans les zones franches industrielles et fondé la première chaîne de télévision privée, Télé Haïti.
Né à New York en 1952, “Andy” a fait ses études secondaires chez les Frères de Saint Louis de Gonzague, à Port-au-Prince, avant d’obtenir un diplôme de gestion industrielle aux Etats-Unis. Catholique pratiquant, fondateur de l’Association des industries d’Haïti, il a participé aux réunions ayant préparé la chute de Jean-Claude Duvalier à la fin des années 1980.
En 1999, le pouvoir en place crée des problèmes à l’entreprise des Apaid qui s’est lancée sur le marché de l’Internet. Le père d'”Andy” fait intervenir ses amis aux Etats-Unis, notamment le sénateur de Floride, Bob Graham, membre influent du Parti démocrate. “Ce fut un tournant pour moi. Soit j’abandonnais le pays, soit je me rendais à Aristide, soit je me battais pour défendre nos droits.” Avec un groupe d’hommes d’affaires, les Apaid lancent la Fondation Nouvelle Haïti, qui impulse le rassemblement de la société civile. “Nous avons joué un rôle de médiation entre le pouvoir et l’opposition durant la crise qui a suivi les élections contestées de 2000”, raconte “Andy”.
Lors d’une rencontre au Palais national, en janvier 2002, il surprend par sa fermeté face à Jean-Bertrand Aristide. Pour le neutraliser, des émissaires, dont des diplomates et des religieux, lui proposent, en vain, de rejoindre le gouvernement. Les négociations s’enlisent et l’opposition politique est frappée par une violente répression. Forte du regroupement de 184 organisations socioprofessionnelles, la société civile devient “le rempart empêchant Aristide de passer à la phase finale de la dictature”, reconnaît le social-démocrate Serge Gilles, l’un des leaders de l’opposition. “Quand une dictature s’installe, les premières victimes sont les partis politiques, les médias, les défenseurs des droits de l’homme. La société civile doit se réveiller avant qu’il ne soit trop tard”, estime “Andy” Apaid. Le 24 janvier 2003, les “184” lancent une “grève d’avertissement”, largement suivie à Port-au-Prince.
“Face à la faiblesse de nos institutions, face aux divisions et à l’anémie de notre société, nous proposons un nouveau contrat fondé sur l’entente des classes sociales. Mon ambition n’est pas le pouvoir, mais l’élaboration d’une plate-forme minimum.” Idéaliste ? “Pour inspirer confiance, il faut une neutralité incompatible avec la quête du pouvoir.”
A la tête des “caravanes de l’espoir”, “Andy” Apaid s’est mis à sillonner Haïti pour présenter ce projet de nouveau contrat social. Le 12 juillet, une caravane des “184” s’est rendue à Cité-Soleil, le plus grand bidonville de la capitale, un fief du régime en place. Une volée de pierres les a accueillis, malgré la présence de plusieurs diplomates dans leur cortège. Mais les “chimères”, des casseurs armés, ont seulement accru la notoriété du mouvement, salué par les opposants de plus en plus nombreux au président Aristide.
Jean-Michel Caroit
Le comité présidé par Régis Debray
La composition du comité de réflexion et de proposition sur Haïti a été annoncée par le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, le mardi 7 octobre. Placé sous la présidence de Régis Debray, le comité vise à “réorienter la relation franco-haïtienne de manière à ce qu’elle contribue, avec tous les Haïtiens de bonne volonté et avec ses partenaires de la région et l’OEA -Organisation des Etats américains-, à briser le cercle infernal dans lequel ce pays est plongé”. La France est le troisième bailleur de fonds de Haïti, après les Etats-Unis et le Canada.
Le comité comprend l’historienne Myriam Cottias, le philosophe guadeloupéen Jacky Dahomay, le Père dominicain Gilles Danroc, le PDG de la Banque des Antilles françaises, Serge Robert, l’ancien ambassadeur Philippe Selz, un représentant de l’association Les Anneaux de la mémoire (Nantes), Jean-Marc Masseaut, l’historien Marcel Dorigny, le sociologue Gérard Barthélémy et l’auteur d’un ouvrage sur les relations financières franco-haïtiennes, François Blancpain. Leur rapport est attendu en janvier 2004.