Originally: Haïti le prépare bicentenaire de sont indépendance et réclame donne réparations financières à Paris
Haïti prépare le bicentenaire de son indépendance et réclame des réparations financières à Paris
6 octobre 2003
Jean-Michel Caroit
Le Monde– Le 1er janvier 2004, Haïti fêtera le bicentenaire de son indépendance : une date importante dans l?histoire universelle, qui commémore la victoire des anciens esclaves sur les troupes de Napoléon et la naissance de la première république noire. Pourtant, les célébrations se préparent sur fond de controverse, tant avec la France, ancienne puissance coloniale à laquelle l?actuel pouvoir haïtien réclame des réparations de plus de 21 milliards de dollars, qu?avec l?intelligentsia et l?opposition, qui dénoncent la transformation de la fête du Bicentenaire en “campagne de propagande aux fins de légitimation d?un pouvoir usurpé et reconnu aujourd?hui comme despotique et totalitaire, négateur des principes et des valeurs à la base de la révolution haïtienne”.
Dans une “déclaration de principes”, plus d?une cinquantaine d?intellectuels, écrivains et artistes célèbres d?Haïti, annonçaient il y a quelques jours leur refus de s?associer “à des célébrations officielles à travers lesquelles le gouvernement ne vise qu?à rechercher une impossible légitimité”. Ils invitent “le peuple haïtien et les institutions et personnalités étrangères à ne pas se prêter aux manipulations et aux tentatives de séduction du pouvoir tyrannique établi actuellement en Haïti”.
Les signataires, au nombre desquels figurent les écrivains Frank Etienne, Jean-Claude Fignolé, Laënnec Hurbon, Dany Laferrière, Yanick Lahens et le cinéaste Raoul Pecq dénoncent la demande de réparations visant la France comme “une tentative désespérée du pouvoir pour faire diversion face à son échec”. “La dérive totalitaire, l?incompétence et la corruption qui caractérisent l?actuel gouvernement le disqualifient” pour cette démarche qui, selon les intellectuels haïtiens, devrait faire l?objet d?un “dialogue entre partenaires responsables”.
La campagne pour la “restitution” de la somme versée à la France par Haïti pour prix de son indépendance a été lancée par le président Jean-Bertrand Aristide en avril, à l?occasion du 200e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture, héros de la guerre de libération. Charles X avait reconnu la souveraineté d?Haïti en 1825 en échange du versement de 90 millions de francs or pour indemniser les colons français. Par un mystérieux calcul, le président Aristide a estimé que cette somme représentait aujourd?hui 21 685 155 571,48 dollars, qui sont quotidiennement exigés de la France dans les médias contrôlés par le pouvoir Lavalas.
“Il s?agit pour nous d?un dossier virtuel. Aucun document officiel n?a été remis à l?ambassade de France à Port-au-Prince ni au Quai d?Orsay”, observe un diplomate français. Interrogé, en juin, lors du sommet du G8, à Evian, le président Jacques Chirac avait conseillé aux autorités haïtiennes “d?être très vigilantes sur la nature de leurs actions et de leur régime avant d?évoquer des contentieux de cette nature” et mentionné “la coopération importante et l?aide non négligeable” de la France à Haïti. Le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, a décidé de confier à Régis Debray la présidence d?un comité de réflexion sur ce sujet.
“BATAILLE IMAGINAIRE”
Chargé du dossier, le ministre haïtien des affaires étrangères, Joseph Philippe Antonio, croit percevoir “un certain embarras” des autorités françaises tout en ne se faisant guère d?illusion sur un aboutissement rapide de la requête de son gouvernement.
“Paris finit par accepter de rembourser la dette de l?indépendance. Pour faire un compte rond, le négociateur français propose d?abandonner les 48 centimes. “Surtout pas ! s?écrie Aristide : que resterait-il pour le peuple ?””. Cette plaisanterie, racontée par un ancien ministre du président haïtien passé à l?opposition, comme la plupart de ses anciens partisans, reflète l?opinion de nombreux Haïtiens.
“Les gens ne sont pas dupes face à cette bataille imaginaire lancée par un gouvernement illégitime contre un pays présenté comme une sorte d?entité maléfique qui serait responsable du manque d?eau, d?électricité ou de voitures dans les bidonvilles”, assure Laënnec Hurbon. “On ne peut cicatriser par l?argent la douleur incommensurable de la déportation et de l?esclavage. Au lieu de l?amalgame et de la démagogie, on aurait pu établir un dialogue responsable avec la France, qui a récemment reconnu l?esclavage comme un crime contre l?humanité”, poursuit ce spécialiste des relations entre pouvoir et religion.
Les graffitis apparus récemment sur les murs de Port-au-Prince visent Yves Gaudeul, l?ambassadeur de France, qui vient de quitter Haïti au terme de sa mission. En guise de message d?adieu, le diplomate s?était déclaré inquiet pour la démocratie haïtienne et avait appelé à la vigilance face à de prochaines tempêtes. Qualifié de prophète de malheur par les responsables du parti présidentiel, l?ambassadeur est, depuis, accusé de tous les maux.
Un conseiller du président et un député Lavalas n?ont pas hésité à faire le lien entre son “avis de tempête” et l?assassinat d?Amiot Métayer, chef de l?”armée cannibale” dont la mort a mis le feu aux poudres aux Gonaïves, la troisième ville d?Haïti.