Originally: Un Pacte « Société civile – Partis politiques »

Pour René Théodore qui avait, entre autres, le sens aigu de l’analyse.


AprPs les trois ans de résistance vis-B-vis de l’immense fraude électorale de l’année 20001 et contre le rejet systématique, par le pouvoir en place, des normes de la démocratie, de l’Etat de droit, de la République et de la participation citoyenne, la nation haVtienne se trouve en face d’un nouveau coup d’Etat électoral en préparation.


En effet, le gouvernement lavalas annonce la tenue d’élections pour la fin de l’année en cours en faisant fi des engagements qu’il a contracté B travers la résolution 822 de l’Organisation des Etats Américains (OEA). Cette derniPre, rappelons-le, est une feuille de route votée par l’ensemble des pays du continent, acceptée par la société civile haVtienne et les partis politiques de l’opposition, feuille de route permettant de réaliser des élections libres et honnLtes B partir d’un environnement sécuritaire et d’un Conseil Electoral Provisoire de consensus.


AprPs avoir marroné, en pratiquant la politique du ” comme si il était d’accord ” pour implémenter les points de la résolution 822 qui étaient de son ressort (créer justement cet environnement sécuritaire), le gouvernement lavalas ne cache plus ses vraies intentions : maintenir le statu quo de sa ” démocratie autoritaire “2. Claironner la nécessité d’éviter le vide institutionnel parlementaire (ce qui en soi est un réel défi pour les démocrates) est, en réalité, un prétexte avancé par les tenants du pouvoir afin de pérenniser un systPme politique autocratique, taillé sur mesure par et pour Monsieur Jean-Bertrand Aristide, systPme qui fonctionne donc en marge du régime politique démocratique tel que défini par la Constitution de notre pays.


Il n’est pas inutile d’ailleurs de rappeler que les présidents ” B vie ” Papa et Baby doc (1957-1986) ainsi que les responsables civils et militaires, suite au coup d’Etat de ces derniers (1991), avaient utilisé le mLme argument (le vide institutionnel) pour justifier la réalisation ” d’élections ” … tout en violant systématiquement, et B grande échelle, les droits élémentaires des citoyens et des citoyennes, en particulier le droit B la vie et le droit B la protection de ses biens. Un seul objectif pour toutes ces dictatures : maintenir de gré ou de force la trilogie ” L’Etat – Le parti au pouvoir – le Clientélisme “.


La trilogie lavalassiPne :


” l’Etat – l’Organisation Fanmi Lavalas – le Clientélisme “


Une fois la dictature militaire débarrassée (1994), Lavalas, aprPs avoir écarté les autres partis du secteur démocratique ayant contribué B son avPnement au pouvoir et B son retour aprPs le coup d’Etat des forces armées, Lavalas arrive donc au Palais national et met en place les pratiques des régimes de dictature qu’il avait lui-mLme dénoncées et combattues. Du timon des affaires, le président s’arroge des attributions qui ne sont pas de sa compétence constitutionnelle, en tant que locataire d’un espace de pouvoir que les urnes (en 1990) lui avaient momentanément donné.


Le systPme politique lavalassien se caractérise, en fait, par un systPme oj l’Etat et le parti au pouvoir, l’Organisation Fanmi Lavalas, se confondent. Il n’y pas de distinction entre les attributions du lavalassien, membre du Parti Organisation Fanmi Lavalas, et de ce méme lavalassien, comme fonctionnaire de l’Etat. Le Parti = l’Etat et réciproquement. D’oj la chasse, dans les bureaux de l’Etat, aux militants, sympathisants de l’opposition et de tous ceux qui ne veulent pas faire, au moins tacitement, allégeance B lavalas, bureaux considérés comme une ” branche ” du Parti.


D’autre part, le pouvoir de ” L’Etat – Organisation Fanmi Lavalas ” s’appuie sur le clientélisme, c’est-B-dire sur un ensemble restreint de personnes, d’entreprises et de groupes qui sont entretenus B l’aide de procédés démagogiques et surtout d’attributions de toutes sortes d’avantages socio-économiques. Les conséquences de la logique du clientélisme lavalassien (et d’ailleurs de tout clientélisme), c’est l’exclusion, au profit d’une infime minorité, de la trPs grande majorité des citoyennes et des citoyens, des entreprises et des groupes de leur droit de pouvoir bénéficier autant que les ” moun pa ” des atouts qu’offre le pays.


Lavalas pousse le clientélisme jusqu’B une forme de césarisme B l’haVtienne, dont les traits caractéristiques sont l’exercice par un seul homme de l’autorité absolue, autorité qui soit-disant s’appuie sur le ” peuple ” et qu’en conséquence, tous les éléments constitutifs de ce ” peuple ” ont une redevance vis-B-vis du Chef suprLme qui leur a permis d’Ltre choisi parmi la masse et au détriment de cette derniPre.


Ce fonctionnement ” Etat – Organisation Fanmi Lavalas – Clientélisme ” se substitue donc, en lieu et place, au fonctionnement normal, régulier, classique, des institutions démocratiques tel que consacré par les textes de base (Constitution, lois, codes, décrets, rPglements…). Toutes les institutions de l’Etat, de la Présidence au Conseil d’Administration des Sections Communales (CASEC) en passant par les MinistPres, les Délégations départementales, les Mairies, le Parlement, la Police Nationale, l’appareil judiciaire, les institutions indépendantes comme la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, l’Office Protecteur du Citoyen (OPC), l’Administration publique dont l’Autorité Portuaire Nationale (APN), la Téléco, la Poste, l’Electricité d’HaVti (EDH), la Direction Générale des impôts (DGI), l’Office Nationale d’Assurance (ONA), l’Institut du Bien-Ltre Social et de Recherches (IBSR), les médias d’Etat … sont tous sous le minutieux contrôle politique du ” Parti Organisation Fanmi Lavalas – Etat – Clientélisme “, sans oublier toutes les chaînes privées de télévision par ondes qui appartiennent directement B Monsieur Jean-Bertrand Aristide ou B des prLtes-noms.


Les structures de l’Etat sont ainsi détournées de leur fonction d’un service public pour toute la collectivité et également de leur fonction de cohésion sociale et nationale qui font de ces institutions publiques leurs principale raison d’Ltre. Les programmes et actions des différentes structures de l’Etat lavalassien n’ont pour objectif que de pérenniser, le plus longtemps possible, la présence des membres du parti lavalas dans les différents pouvoirs … pour se servir et ce contre la communauté. C’est ainsi que, pour ne citer que ceux-lB, le programme d’alphabétisation, le programme d’alpha économie (B travers le bluff des coopératives), la réforme agraire, la campagne ” restitution – réparation contre la France ” et aujourd’hui la soi-disant réforme de la Constitution, associée B des élections pour combler ” le vide parlementaire ” n’ont pour objet unique que de satisfaire un besoin vital, celui de rester B tout prix au pouvoir, et ce quelqu’en soit les moyens.


L’insécurité made in Lavalas


Pour pouvoir imposer son contrôle absolu Lavalas utilise la misPre des gens pour les transformés en chimPres organisés en escadrons de la mort, la forme actualisée des fameux tontons macoutes. Le pouvoir, et étonnamment certains de ses alliées latino-américains, justifient le fait que l’insécurité est partout sur le continent et ” qu’il faut faire avec “. Pour eux, l’évocation de l’insécurité, par les partis politiques de l’opposition, par la société civile, en particulier le secteur privé et les organisations des droits humains ainsi que les Eglises (catholique, protestante et épiscopale) sont des prétextes pour ne pas aller aux élections. ” Voyez la Colombie, malgré la guérilla, les élections ont quand mLme lieu ” !


C’est vrai, mais la seule différence entre lB-bas et ici, c’est que l’insécurité, chez nous, est programmée et exécutée B partir du Pouvoir. Selon les révélations faites récemment par d’anciens lavalassiens, les chefs des escadrons de la mort sont des barons du régime. Ces escadrons, selon les aveux de membres ” d’organisations dites populaires “, fonctionnent comme une mafia, avec différents ” parrains ” qui ont leur bureau dans les mairies, les boites de l’administration publique (Téléco, Douane …), les ministPres, en particulier, celui de l’Intérieur, la Police Nationale et mLme la Primature et le Palais présidentiel3.


Ces escadrons de la mort sont connectés aux commissariats de Police. Un agent de Police4 a révélé que des ” civils armés sont responsables de nombreux cas d’exécutions sommaires et de violations flagrantes des droits humains au commissariat de Delmas 33 (zone métropolitaine de la capitale) … et que des indicateurs de police torturent des gens dans une cellule spéciale du commissariat avant de les exécuter dans la région de Petite Place Cazeau (toujours dans le grand Port-au-Prince) ” !


Ces escadrons servent également B l’exécution des basses manÉuvres. Ils ont agressé les membres du groupe 184, représentants 13 secteurs sociaux organisés, B Cité Soleil qui devait pacifiquement présenté aux habitants de ce bidonville les grands points de leur contrat social. C’est un miracle qui a fait que la délégation des 184 ait quitté la zone saine et sauve. Ces escadrons, toujours selon les dires d’anciens chimPres, ont brflé le marché du Port de la capitale, en mettant sur la paille des centaines de marchandes et de marchands.


En dehors de tout entendement, ces organisations criminelles sont utilisées pour perpétrées des actes B caractPre répugnant. La respectable Fédération Protestante d’HaVti5 estime que le pays prend ” B toute vitesse la direction de l’impunité, du gangstérisme, de la fripouillerie et de la criminalité ” et de s’écrier au sujet de l’enfant disparu B l’Hôpital Général B des fins de sacrifice humain : ” Transformer HaVti, notre pays, le pays du Christ en un Etat de bizango et de vampire oj, semble-t-il au vu et au su de nos dirigeants, des sacrifices humains seraient faits, c’est révoltant ” !


Au moment des élections, ces escadrons de la mort serviront, en relation avec les structures formelles de l’Etat, B ce que les résultats n’échappent pas, au mépris de la souveraineté populaire, au verdict décidé par M. Jean-Bertrand Aristide. ” Elémentaire mon cher Watson “, comme dirait Sherlock Holmes B son fidPle ami !


Un Pacte 184 – Partis Politiques


Il est clair donc que ” combler le vide parlementaire ” n’a pas pour objectif de satisfaire les intérLts de l’Etat de droit ni ceux de la population mais, on n’arrLtera de le répéter, de pérenniser la ” privatisation, voire la domestication ” des institutions de l’Etat par les autorités lavalassiPnes B leur profit exclusif. Pour les tenants du pouvoir, hypocritement, le rappel de la Constitution n’a d’autre objectif que de cacher des pratiques arbitraires, autocratiques, corruptrices, mafiosiques qui aujourd’hui, se retournent contre la société et la détruit dans ses fondations. Elle doit réagir … et vite.


Face B la gravité de cette situation et surtout face au chemin faussement ” électoral ” emprunté par le pouvoir pour enfoncer le pays encore plus dans la crise politique et ses conséquences économiques et sociales désastreuses, il est urgent et politiquement obligatoire que la société civile et les partis politiques de l’opposition fassent preuve de dépassement et proposent B la Nation un autre chemin. Un chemin ouvrant la voie vers un changement en profondeur.


Ce défi est immense car le statut non partisan de la société civile doit Ltre protégée, de mLme que les partis politiques doivent faire preuve d’abnégation et comprendre le délicat moment politique. Il est nécessaire, pour les secteurs civique et politique, de résoudre une équation B trois inconnues complexes, B trois réalités qui au départ peuvent Ltre considérés comme irréconciliables: arriver B harmoniser une stratégie intégrant, en premier lieu, une exigence de la majorité de la population qui estime qui rien de sérieux n’est possible avec M. Jean-Bertrand Aristide B la tLte du pouvoir ; en second lieu, une société civile jeune composée de secteurs ayant des intérLts contradictoires (dont ceux qui ont des relations de travail avec le pouvoir, pas seulement le secteur privé) mais en mLme temps qui veut apporter sa contribution patriotique pour une sortie de crise et, enfin, une communauté internationale qui veut accompagner HaVti et qui ne peut, pour des raisons de relations diplomatiques, demander la départ de celui que nous considérons, nous, comme un usurpateur du ” fauteuil bourré “.


Des pistes de sortie de crise existent : celle du 15 décembre 2002 de l’ensemble des forces politiques de l’opposition qui propose un gouvernement de transition ayant B sa tLte un membre de la Cour de Cassation qui réalisera principalement des élections. La Fédération Protestante et le KONAKOM suggPre des élections générales en 2004. L’Eglise catholique avait elle-mLme proposé, l’an dernier, un raccourcissement du mandat du Président Aristide, parmi ses trois scénarios. Que les partis politiques de l’opposition et la société civile (les ” 184 ” avaient promis de présenter leur propre sortie de crise) ramassent toutes les propositions et les fusionnent en une !


Avec cette alternative unique et acceptable qui intPgre les éléments de la résolution 822, les forces vives nationales pourront ainsi former un Front large. Cette proposition, parce qu’unique, consensuelle, sera mobilisatrice et créera une nouvelle dynamique politique et sociale qui stimulera les énergies de l’ensemble de la population pour barrer la route B l’inacceptable et offrir une alternative de transition qui soit elle-mLme raisonnable et acceptable pour tous.


ParallPlement, cette alternative de transition ne devra pas occulter la nécessaire adaptation des structures politiques et civiques qui auront B se préparer, chacun dans sa sphPre d’action, pour la gestion de la dite transition. D’autre part, B l’occasion des prochaines élections, les bonnes, les partis politiques auront B présenter leur programme qui montrera comment éradiquer B jamais la trilogie ” L’Etat – le Parti au pouvoir – le Clientélisme “.


Citoyennes et citoyens, engagés politiquement, civiquement ou non, nous devons nous montrer B la hauteur des exigences de l’heure. Au travail !


Micha Gaillard


Port-au-Prince, 18 aoft 2003


1 Voir article de M. Orlando Marville, responsable de la Mission d’observation électorale de l’OEA, B l’occasion des élections du 21 mai 2000, paru dans le journal The Nation, en juin 2001, dans lequel il eut B écrire ” aucun pays de la région n’aurait accepté chez lui des élections comme celles ayant eu lieu en HaVti, le 21 mai 2000 “


2 Voir déclaration de M. Jean-Robert Faveur, ex-directeur général de la Police qui a pris l’exile, en se référant B une conversation avec le Premier Ministre Neptune qui lui a déclaré qu’en HaVti, B l’instar de Cuba, c’est la ” démocratie autoritaire ” qui est appliquée.


3 Voir les déclarations de l’ancien fonctionnaire de Cité Soleil, Johnny Occilius.


4 Monsieur Jean Panel, déclaration du 5 aoft 2003 sur radio Kiskeya et le 8 aoft sur radio Métropole.


5 Message publié le week-end du 8 au 10 aoft 2003.