Originally: Un Moment de Communion Citoyenne
Au moment où j’écris ces lignes, je suis à peine revenu du Parquet du Tribunal Civil de Port-au-Prince où m’avaient appelé ce matin mon devoir de citoyen et mon indignation en tant que jeune haïtien qui a suivi avec intérêt la lutte pour le départ de Duvalier. En 1986 j’avais 10 ans; mais il était déjà clair dans mon esprit que le Peuple haïtien n’avait rien contre Baby Doc en tant qu’individu, mais exprimait, en le chassant du pouvoir, son refus de la dictature et de la négation des libertés fondamentales de la Personne humaine.
Voilà que 17 ans plus tard, un prêtre s’amène et se met à reproduire à nos yeux des actes inspirés par une conception du pouvoir dont nous croyions avoir divorcé au départ de Duvalier.
C’est donc pour protester contre cette situation que je me suis rendu ce matin, non pas en tant que dirigeant d’une organisation fondatrice du groupe des 184, mais en ma qualité de citoyen ayant le droit de s’indigner face à l’inacceptable.
Je suis donc descendu au Parquet en compagnie de Jean-Claude Bajeux, qui n’en rate pas une, avec le sentiment que Lavalas allait encore commettre l’une de ces erreurs dont il a le secret, à ses dépens certes, mais aux nôtres d’abord, comme c’était le cas à Cité Soleil le 12 juillet dernier.
Ma surprise a été grande en arrivant là-bas, en me voyant immergé dans une ambiance tout à fait inattendue. Ils étaient nombreux, les citoyens, toutes classes confondues, à attendre l’arrivée – qui allait être triomphale – de Andy Apaid qui devait se soumettre à l’une de ces sessions de perversion de la justice devenue au service même pas d’une idée (fût-elle fasciste), mais de la pérennisation d’un homme au pouvoir, en dépit de ce que recommande la logique la plus élémentaire.
C’était un moment de communion citoyenne. En dépit du danger qui nous guettait, l’expression renouvelée ce matin du courage de Andy Apaid dans la presse avait fait des miracles. On croirait que tous ceux qui étaient là s’étaient préalablement immergés dans la potion magique de Panoramix.
Alors que Andy était en train de répondre au Commissaire du gouvernement – il y en a qui ne se gênent pas – au Parquet, il régnait au dehors une ambiance de solidarité, mais une solidarité à couper au couteau: la menace du totalitarisme nous a fait oublier nos différences de sexes, de religions, d’origines raciales, de conditions socio-économiques, n’en déplaise à nos compatriotes les lavalassiens.
Ce matin en me réveillant, je me suis dit que quelle que soit l’issue que le régime Lavalas allait donner à cette convocation, elle marquerait un tournant dans la lutte pour la démocratie et le progrès social dans la solidarité nationale. Mais les fruits ont passé la promesse des fleurs. Les citoyens, choqués, avaient décidé d’affronter le diable dans son antre, avec sa justice, sa police, ses chimères, sur son béton, anba lavil-la.
Les militants ont profité des 2 heures environ qu’a duré l’interrogatoire, pour consolider leurs liens; c’était à qui donnerait le plus d’accolades fraternelles. Personnellement, j’ai eu le plaisir de rencontrer des gens que j’avais vus depuis le 17 novembre au Cri de Vertières. Pendant une heure, un grand homme de St-Marc me racontait comment ils étaient, dans l’Artibonite, en train d’avoir des séances de discussions bi-mensuelles autour du Nouveau Contrat Social. Nous en avons profité, de concert avec une compatriote des Cayes, pour mettre en place un mécanisme qui nous permettra de mieux harmoniser nos violons dans le cadre de la lutte pour la démocratie et le progrès véritable et irréversible.
Mais le plus important, c’est la leçon qu’il faut tirer de cette journée historique du 24 juillet. En effet, nous avons expérimenté aujourd’hui encore – après le 17 novembre 2002 et le 12 juillet 2003 – la force que représente une citoyenneté consciente et décidée à s’engager à n’importe quel prix pour que les choses puissent changer dans le bon sens. Rien ne peut contenir l’expression solidaire d’une volonté citoyenne s’accrochant à un idéal de liberté et de progrès social. En dépit de toutes les rumeurs qui circulaient autour d’une éventuelle attaque des chimères, nous étions là, engagés dans un bras de fer de tous les diables avec le pouvoir. La volonté citoyenne a fait échec à la vassalisation de la justice.
La citoyenneté, de manière pacifique, a signifié au pouvoir un message clair: Madigra m pa pè’w. Mais nous hésitons à admettre le Se moun ou ye.
Frandley Denis Julien
Coordonnateur
Initiativecitoyenne
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