Originally: Monsieur l?ambassadeur
Himmler Rébu
LE NOUVELLISTE
No.36726
Jeudi 17 juillet 2003
Monsieur Brian Dean Curran
Ambassadeur des Etats-Unis d?Amérique
En Haïti
Monsieur l?ambassadeur,
J?ai écouté et lu avec une profonde indignation votre désormais historique discours du mercredi 9 juillet 2003 deux jours après la stupide mise en garde du gouvernement de facto haïtien contre les immixtions des diplomates étrangers affectés en Haïti dans les affaires haïtiennes.
J?ai été indigné de vous voir, sans pudeur, vous livrer à une presque parfaite leçon de morale administrée à toute la société haïtienne à travers son gouvernement inconstitutionnel (ne vous en déplaise) et vos hôtes qui ont même eu l?indécence de vous applaudir à tout rompre. Tout au début de votre discours, vous avez pris la précaution de souligner, maladroitement d?ailleurs, qu?il ne s?agissait que de ?quelques réflexions personnelles?. Depuis quand, Monsieur l?ambassadeur, un diplomate étranger même en fin de mission pouvait-il prendre la parole en public sur son territoire d?affectation et au cours d?une cérémonie officielle en son nom personnel? Votre prise de parole reflète donc la position du gouvernement américain. Et elle est erronée dans certaines de ses conclusions.
Vous avez, Monsieur l?ambassadeur, axé votre discours sur l?incohérence et l?immoralité des hommes au pouvoir et d?autres secteurs que vous avez fréquentés pendant votre séjour en Haïti. Comment saurait-il en être autrement puisque vous savez très bien avoir affaire à des traîtres donc à des hommes sans honneur. N?est-il pas rare en effet de trouver un président qui accepte d?apposer sa signature au bas d?un acte d?occupation de son pays après avoir requis auprès de votre gouvernement un embargo criminel contre son propre peuble? A quoi pouviez-vous vous attendre d?un homme de telle nature recruté en droite ligne de cette théorie américaine que nous apprend Robert Baer dans son fameux livre La chute de la CIA: ?Les officiers traitants dirigent la D.O. Ce sont les employés de la CIA qui contrôlent les agents. Ces agents sont presque toujours des étrangers. Etant étrangers, ils vont là où les Américains ne peuvent aller: à l ?intérieur de leurs gouvernements ou des institutions scientifiques secrètes de leurs pays. C?est sur ordre de l?officier traitant que les agents volent les secrets, les plans, les documents, des bandes informatiques, etc. En d?autres termes, permettez-moi d?être franc avec vous, les agents sont des traîtres?.
Vous avez tout au cours de votre séjour en Haïti pratiqué ce genre d?homme avec un penchant particulier alors que certains patriotes, drapés dans leur dignité et leur honneur, ont presque eu le traitement dû aux ennemis.
Les incohérence et immoralités (réelles) que vous avez dénoncées avec maestria du haut de votre chaire ne semblent pas être l?apanage des Haïtiens. Comment comprendre, en effet, que vous puissiez déclarer: ?Les Etats Unis acceptent le président Aristide comme président constitutionnel pour la durée de son mandat qui prendra fin en 2006. Nous estimons que les élections législatives et territoriales de mai 2000 étaient entachées d?erreurs?. Non, Monsieur l?ambassadeur, les élections du 26 novembre sont filles de celles de mai 2000 qui représentent un coup de force contre la constitutionnalité et la morale universelle. Sur cette question, vous auriez bien eu le droit de vous taire mais vous ne l?avez pas fait et vous ne pouviez que vous montrer incohérent en vous prononçant sur la prétendue constitutionnalité de la présence de Monsieur Jean-Bertrand Aristide au Palais national.
Ne serait-il pas plus honnête de reconnaître que Monsieur Aristide, durant son séjour forcé aux Etats-Unis, a si bien appris les mauvaises mais utiles vertus de la corruption et qu?en les utilisant si bien avec certains dignitaires américains a réussi le tout de force d?empêtrer votre gouvernement qui ne peut guère sanctionner ses nombreux écarts. Vous reconnaissez que le président Aristide, par action ou par omission, s?est fait complice des voleurs qui ont dépouillé le peuple haïtien dans cette fameuse affaire des coopératives. Vous reconnaissez que les déclarations de Monsieur Faveur sont justes, que la Police Nationale est politisée et utilisée à trafiquer des résultats électoraux. Vous déduisez que le président est incapable de désigner un agent correct pour diriger la Police Nationale. Vous l?avez vu s?asseoir au Palais National en compagnie de Sir Amyot Métayer que vous qualifiez de criminel notoire. Vous le savez entouré de gens associés au trafic de la drogue que vous avez eu le courage de dénoncer publiquement, il y a quelques mois. Vous reconnaissez dans la Résolution 822 qu?il y a de nombreux crimes politiquement motivés sous son gouvernement. Avec tous ces faits, et j?abrège la liste par pudeur, vous pensez qu?il a le droit de terminer son mandat? Pourquoi alors l?Amérique a-t-elle contraint le président Nixon a la démission alors que son péché n?était que d?avoir tenté d?écouter ce que se disait dans le camp adverse pour connaître leur stratégie?
Monsieur l?Ambassadeur, en parlant d?honnêteté et de cohérence, je serais curieux de voir vos rapports à Washington sur la popularité du président Aristide avant le 17 novembre 2002. N?ai-je pas été traité d?intrus par certains de vos amis ou prétendus tels après la marche sur Vertières et après le coup monté du 3 décembre? L?ambassadeur David Lee n?a-t-il pas mis les ?démocrates haïtiens en garde en leur demandant de bien vérifier si les gens qui marchent avec eux sont bien des démocrates? Cette flèche qui s?adressait à ma personne était-elle le produit d?une réflexion saine, d?une enquête ou d?une crainte de voir surgir sur la scène politique un inconnu des couloirs à complot permanent contre le peuple haïtien vrai victime de l?OEA en Haïti?
Votre gouvernement en gardant le président Aristide au pouvoir et en maintenant les mesures restrictives du point de vue économique sur Haïti se rend coupable de génocide contre la population haïtienne, et il faut que quelqu?un vous le dise.
D?ailleurs, quand vous avez constaté qu?il y avait des gens probes et compétents capables de soulever la population contre le pouvoir autoritaire du président Aristide, n?avez-vous pas fait déclarer que l?OEA n?accepterait pas une chute du président Aristide provoquée par un mouvement de protestation du peuple (il fallait ajouter, Monsieur l?Ambassadeur ?que nous ne contrôlons pas?)?
Ne trouvez-vous pas curieux que vous accusiez nos hommes d?affaires d?entretenir des rapports avec des dealers de drogue quand les dépôts de ces derniers qu?ils reçoivent sont en retour placés dans des banques occidentales? Où se trouvent les fonds détournés par les dirigeants actuels ainsi que les valeurs subtilisées dans les coopératives? Il n?est pas suffisant de dénoncer. Pour ne pas paraître complice, il faut saisir ces fonds illégaux et les retourner au peuple haïtien.
A propos de 2004, les arnaqueurs auxquels vous voulez absolument octroyer un mandat ?constitutionnel? jusqu?en 2006 ne sont-ils pas soutenus justement pour démontrer aux noirs du monde entier l?inutilité de la geste de 1804 puisque votre pays a mis plus de soixante ans pour reconnaître l?indépendance haïtienne. Je ne reviendrai pas dans ce texte pour une question d?éthique et de stratégie sur Toussaint Louverture.
Monsieur l?Ambassadeur,
Au-delà de mes divergences avec l?opposition haïtienne, au-delà de mon rejet définitif de la constitutionnalité de la présence de Jean-Bertrand Aristide au Palais National, j?admets avec vous qu??il incombe aux Haïtiens la responsabilité de trouver une voie de sortie. Une solution haïtienne est la seule qui soit durable. C?est pourquoi je continue de croire qu?un grand compromis historique entre le gouvernement de facto (c?est moi qui précise), l?opposition politique et la société civile est nécessaire, même ?inévitable?. Je l?ai dit avant vous sur radio Caraïbes, sur radio Métropole et sur Vision 2000 au grand dam de ceux-là qui croient en mon discours. Jean-Bertrand Aristide est un fait, la faiblesse de l?opposition et de la société civile aussi ne parlons pas des intérêts douteux de certaines personnes de l?international qui ne sont pas de simples petits chimès de Washington; alors le réalisme politique condamne toutes les entités impliquées à ce compromis. Le président lui-même n?a pas de sortie honorable en dehors de cette perspective.
Monsieur l?Ambassadeur,
Quant à l?avenir d?Haïti, partez sans crainte, il se prépare, il s?organise subtilement avec les cadres que vous avez cités dans votre discours dans une symbiose avec ceux de l?intérieur et d?autres seront bientôt publiquement appelés à produire leur réflexion et à travailler dans la perspective d?une Haïti consciente de son appartenance à l?hémisphère et du rôle historique qu?elle est appelée à jouer. Il est illusoire de construire un grand bloc avec des maillons faibles à l?intérieur. Il y a des femmes et des hommes en Haïti et dans la diaspora qui sont conscients du rôle que Haïti peut jouer à côté des Dominicains et des Américains dans l?hémisphère pour une consolidation des moeurs, du système démocratique au bénéfice d?un monde meilleur pour tous.
Quant à votre successeur, il lui faudra ne pas se contenter de ceux-là qui ne manqueront pas d?accourir à son bureau ou dans ses salons, il lui faudra pour ne pas connaître vos insatisfactions partir à la recherche des perles car celles-ci ne courent pas les rues.
En passant à votre crédit la spontanéité et l?atmosphère ensorcellement du 9 juillet, je vous salue sans rancune, Monsieur l?Ambassadeur, et vous souhaite un réel succès pour la suite de votre carrière.
Himmler Rébu