Originally: Crime de haute trahison

?Je n?entends pas qu?il y ait, sous mon gouvernement, des hommes influents ou qui se croient influents.  Le seul homme influent du pays, c?est moi, parce que toute la République est avec moi?


 


?Je ne vois dans l?Antiquité personne à qui je voudrais ressembler.  Je veux que l?histoire parle de mes actes et de moi d?une façon particulière, et elle pèchera si elle me compare à ceux qui m?ont précédé? Dans le travail que j?entreprends sans relâche, pour consolider le pouvoir de ma race, si je venais à en être troublé par une insurrection quelconque, le pays deviendrait le théâtre de la plus horrible tragédie que l?esprit humain puisse imaginer?? Les deux citations sont de Lysius Félicité Salomon Jeune, Président d?Haïti, 1879‑1889.


 


?Considérant que les chambres législatives qui ont secondé le général Salomon dans toutes ses mesures administratives et politiques ne sont pas l?expression de la volonté nationale, n?ayant pas été librement élues par le peuple?? Deuxième considérant du décret des troupes du général Séïde Télémaque qui a renversé Salomon.


 


Si nos m?urs sont si barbares que nous ne pouvons pas nous conformer à la corvée des élections  périodiquement, ayons le courage, sans déviation ni hypocrisie, de revenir à la royauté, à l?empire, ou à la présidence à vie.  Que le président Jean Bertrand Aristide assume avec ses amis qu?ils ont, à l?instar d?autres, refusé la démocratie aux masses haïtiennes qui, pendant deux cents ans, n?ont ménagé aucun sacrifice pour y accéder.


 


Le président Jean‑Bertrand Aristide est en train de se positionner pour se rendre coupable du crime de Haute Trahison.  Le crime de Haute Trahison dont il est question dans ce texte ne réfère pas au chapitre V de la Constitution de 1987 et à la Haute Cour de Justice en ses articles 185 et 190.


 


La Haute Trahison, pour nous, dans le cas de Jean‑Bertrand Aristide, n?a rien à voir avec le Président de la République dont la fonction est l?aboutissement d?un processus impliquant le citoyen Aristide dès le début de la lutte pour le renversement de la dictature duvaliériste.


 


Le départ de Jean‑Claude Duvalier, le 7 février 1986, n?était pas le résultat d?un choix volontaire du Président à Vie.  C?est parti au moins depuis mai 1984 avec les émeutes de la faim aux Gonaïves, alors qu?au Palais National, l?on avait d?autres préoccupations, l?on s?amusait au travesti dans des fêtes où le couvert coûtait très cher.


 


Parmi les voix qui se faisaient entendre pour dénoncer le fait que dans les environs des Gonaïves certaines couches de la population mangeaient du chien et de la terre blanche, il y avait certainement un certain prêtre qui remplissait les chapelles d?où partaient ses messages accusateurs.  Les barricades qui ont entravé la circulation du cortège présidentiel le 31 janvier 1986, le jour du faux départ, sont le fait, avec d?autres comme Evans Paul, de l?activisme de Jean‑Bertrand Aristide.  Ces évènements ne sont rien d?autres que l?histoire, notre histoire toute récente que l?on ne peut même pas travestir parce qu?à la mémoire de nous tous.


 


PA GEN DOUBLE


Après l?apothéose de la folle journée du 7 févier 1986 avec son cortège de joies et de violences, l?on était aux revendications.  Le rétablissement du bicolore bleu et rouge, l?arrestation des tortionnaires, une nouvelle Constitution pour rompre avec les pratiques de la période de dictature.  Le 25 février 1986, le rendez‑vous était une fois de plus aux Gonaïves pour un pèlerinage patriotique.  L?univers de la Cité de l?indépendance était bleu et rouge.  Les couleurs du drapeau servaient de mouchoir, de tour de cou, de bracelet, etc.


 


Et tous les véhicules revenant de ce pèlerinage portaient l?inscription ?chak katran pa gen double?.  Traumatisé par la dictature et les manipulations électorales, la population vouée à la cause de la démocratie, influencée par le nouveau discours diabolisant les macoutes et la dictature, exigeait que la nouvelle Constitution réduise le mandat présidentiel à quatre ans et que le président en fonction ne puisse pas bénéficier d?un nouveau mandat consécutif.


 


Cette revendication devait garantir la crédibilité des élections, étant donné que selon notre tradition politique, le président qui organise les élections les truque inévitablement à son profit.


 


La Constituante allait tenir compte de cette revendication.  Après un compromis sur le mandat présidentiel dont le terme traditionnellement a été de six à sept ans en Haïti, l?article 134‑1 de la nouvelle Constitution a fixé le mandat présidentiel à cinq ans.  Quant au cri de ?pa gen doublé?, il a été consacré par l?article 134‑3.  Cette décision de la Constitution haïtienne allait influencer nos voisins.  Jusqu?à son récent amendement, la constitution de la République dominicaine, en son article 49, interdisait la réélection.


 


Et pour couper court à la tradition de dictature et de présidence à vie, suivant en cela les desiderata du souverain, les constituants de 1987, dans le même article 134‑3, ont limité les possibilités du citoyen‑président à nous gouverner qu?à deux reprises.  134‑3, ?Le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat.  Il ne peut assumer un nouveau mandat qu?après un intervalle de cinq (5) ans.  En aucun cas, il ne peut briguer un troisième mandat.?


 


Cette dernière disposition de la Constitution de 1987 est l?un des articles clés quant au caractère républicain de l?Etat haïtien.  Il règle à la fois, trois aspects des fondements même de la société démocratique: l?égalité des chances, la nécessité de renouvellement, l?alternance politique.


 


La Constitution encourage l?effort des citoyens en leur ouvrant la voie à toutes les aspirations.  Le 29 mars 1987, les Haïtiens n?avaient pas voté pour une monarchie ou une royauté.  En limitant les mandats présidentiels à deux, non cumulable pour un citoyen, la Constitution ouvre la voie à l?alternance politique et au renouvellement au sein même des parties où peuvent émerger de nouveaux leaders, périodiquement.


 


Toute remise en question de cet article de la Constitution remet automatiquement en question le choix de la démocratie comme système politique de référence et nous renvoie à nos ?traditions? qui nous ont tellement fait progresser pendant deux cents ans, qu?il ne faut pas y renoncer?  En touchant au 134‑3 de la Constitution du 29 mars 1987, l?on rouvrira la voie au retour à la tentation de présidence à vie ou à l?empire.


 


TOUT ÇA POUR ÇA?


 


Faisant siennes les valeurs démocratiques diffusées à plein tube par les médias qui font écho aux multiples organisations et leaders de tous poils de la transition post‑duvaliériste, le peuple haïtien a été au rendez‑vous de toutes les mobilisations, pendant dix‑sept longues années.  Mobilisation pour le vote de la Constitution menée tambour battant par Onè Respè Pou Konstitisyon An avec un certain Père Antoine Adrien qui vient juste de partir, laissant orphelin le mouvement populaire authentique.  Mobilisation pour le Rache Manyòk quand le CNG voulait fausser le jeu, notamment lors de la préparation de la première Loi électorale. Mobilisation pour les élections du 29 novembre 1987 terminées malheureusement par le martyre des votants de la ruelle Vaillant et d?ailleurs.  Mobilisation pour bouder les ?élections du 17 janvier 1988?.


 


Remobilisation contre le Général Henri Namphy et les brassards rouges.  Rache Manyòk, nouvelle version contre le Général Prosper Avril.  Superbe mobilisation pour arriver avec le groupe des 57, encore une fois, sous la houlette du Père Antoine Adrien, à la formule Ertha Pascal Trouillot et le Conseil d?Etat.  Reconstitution du mouvement populaire déprimé depuis le 29 novembre 1987 en faveur des élections de 1990.  Apothéose populaire le 7 février 1991.  Défaite du 30 septembre 1991 avec  ?le coup de Cédras?.  Mobilisation sans défaillance jusqu?au retour à l?ordre constitutionnel le 15 octobre 1994 via l?intervention du 19 septembre 1994.  Ne faut‑il pas aussi rappeler les belles mobilisations de la FENEH, les manifestations et la grève de la faim des jeunes à la Cathédrale, pour empêcher le transfert du père Aristide à Rome?


 


La transition démocratique est dans l?impasse aujourd?hui.  Si la plupart des leaders de la transition n?étaient pas ou ne sont pas à la hauteur, le peuple, lui (entendez ici le peuple sans discrimination en dehors de la notion creuse fourre‑tout du discours lavalassien démagogique, assimilant le peuple aux hommes de main du pouvoir), le peuple qu?on a mobilisé sur de fausses pistes d?intérêts personnels inavoués depuis la trahison de Rivière Hérard et sa fameuse ?Révolution? de 1843, a toujours été au rendez‑vous.


 


Du 7 février 1986 à date, la générosité du peuple s?est trouvée en face des M16 des gendarmes des Casernes Dessalines lors des multiples manifestations de rue des premières années de l?après Duvalier.  Cette générosité a arrosé le sol des environs de Fort Dimanche du sang des Fred Coriolan et autres militants inconnus le 26 avril 1986.  Ils s?appellent Magalie et autres jeunes tombés le 6 novembre 1986 pour réclamer Charlot Jacquelin aux militaires.  Louis Eugène Athis, Yves Volel, Luc B. Innocent qui seront rejoints plus tard par d?autres victimes comme Sylvio Claude etc.? sont ceux des leaders politiques qui croyaient possible en Haïti la politique autrement que le faisait Duvalier.  Les trois premiers sont tombés sur le terrain.  Qui, lors de meeting politique, qui dans l?exercice légal à la défense d?un prisonnier, la Constitution à la main, qui, lors qu?un débarquement,  les armes à la main, selon la version officielle du régime répressif qu?il voulait faire tomber.  Quant à Sylvio C. Claude son assassinat, qui revient dans l?actualité ces jours‑ci, n?est toujours pas élucidé.  Ils sont des milliers qui croyaient au rêve d?une Haïti démocratique que les lavalassiens prétendent aujourd?hui renvoyer aux calendes grecques.


 


Le 7 janvier 1990, se croyant les dépositaires du rêve démocratique et volant au secours du suffrage universel qui semble être persona non grata aujourd?hui (les élections créent trop de problèmes au pays selon Jean‑Claude Délicé), ils étaient nombreux dans les rues pour mettre en déroute les tenants du coup d?Etat de Roger Lafontant.  Vivre enfin en démocratie, l?objet de tous nos rêves pendant la trop longue transition de l?après Duvalier.  Aveuglés par ce rêve, nous n?avons, pour la plupart, même pas vu la remise en question de nos valeurs, en acceptant, passifs, les conditions du retour à l?ordre constitutionnel.  Le pays a reçu les troupes étrangères en rupture avec sa tradition anti‑interventionniste héritée de la doctrine dessalinienne de la période d?indépendance et de l?anti‑américanisme inculquée par la résistance à l?occupation avec la restitution par nos historiens, notamment Roger Gaillard, de héros de cette période comme Charlemagne Péralte et Benoît Batraville.  Tout ça, au nom de la démocratie.  Le retour du président Jean‑Bertrand Aristide au pouvoir était vendu dans l?opinion comme ?le retour de la démocratie?, par opposition à la dictature des militaires.


 


Les cinq mille victimes du ?massacre dissuasif? au nom du coup d?Etat du 30 septembre 91, les militants massacrés parce qu?ils collaient des photos du Président en exil, les bastonnades de leaders politiques à l?aéroport début octobre 1991, la férocité des militaires qui, du Borgne à Chantal, ont tiré des lance‑roquettes contre la population, incendié leurs maisonnettes, détruit leurs plantations.  Le massacre de Raboteau d?avril 1994, les crimes contre l?humanité du FRAPH comme dans le genre de l?incendie des maisons de pauvres de Cité Soleil, le 7 décembre 1993, toutes les privations imposées au peuple haïtien au nom de ?l?embargo total kapital? demandé à l?ONU et l?OEA, la perte de notre souveraineté, l?acceptation des multiples missions d?accompagnement des Nations Unies de la MINUHA à l?actuelle présence de policiers dans le cadre de la Résolution 822, sont, entre autres innombrables, un assez lourd tribut payé au nom du ?retour de la démocratie?, personnalisée par Jean‑Bertrand Aristide!


 


CRIME DE HAUTE TRAHISON


Parlons‑nous de la même personne?  Est‑ce ce même personnage qui se trouvait au piédestal de la planète terre qui, une fois le retour physique concrétisé, au lieu de mobiliser une fois pour toutes les énergies pour livrer la marchandise, agit comme un amnésique et se complait dans le veston de tous les autres semblables qui nous ont gouverné depuis Dessalines?  Le ?retour à l?ordre constitutionnel? est parsemé de faits troublants et de cadavres encombrants.  Ils sont d?anciens militaires, des militants et leaders ayant soutenu le coup d?Etat, anti‑aristidiens notoires.  On dirait une revanche planifiée.


 


Les chantiers attendus n?ont pas pu s?ouvrir, loin de profiter de l?état de grâce auprès des bailleurs de fonds, l?on a privilégié la mobilisation contre ses propres promesses.  Le Premier Ministre Smarck Michel en sait quelque chose.  La démission de son gouvernement devait nous empêtrer dans la poursuite des choix obscurs de petits projets en voyant pas plus loin que la silhouette des proches du régime.


 


Après, l?on est allé tout droit dans le débat sans grandeur pour la récupération des trois ans.  La déviation, par rapport aux promesses à l?internationale qui a soutenu le ?retour?, a commencé avec ces man?uvres indignes des luttes et de la mobilisation populaire en faveur du président Aristide, pendant les trois ans du ?coup de Cédras?.


 


Les élections du juin et de septembre 1995, une bonne partie de l?opposition ayant boycotté le deuxième tour, font partie des indices d?un état d?esprit qui était loin d?être pleinement démocratique.  Le vent de division qui s?en suivra, la volonté de faire cavalier seul, se considérant égoïstement comme la locomotive qui traîne tout seul les wagons du secteur démocratique, mettant fin au ?woulib?, allait déboucher sur la paralysie du mandat Préval.


 


Dès lors, l?on sortira du cadre constitutionnel de 1987, pour diriger par décret, comme c?était déjà le cas une bonne partie de l?année 1995, à la fin du mandat de la 45ème Législature.  Si Jean‑Bertrand Aristide avait le droit de former son propre parti politique, pouvait‑il oublier la force et le poids de toute la mobilisation dans laquelle de nombreux leaders, de nombreuses figures ont investi, à différents moments de l?après‑Duvalier et notamment pendant la période du Coup d?Etat, pour faire échec au projet antidémocratique des militaires?  Si Aristide, fort de sa belle projection sur la scène politique mondiale, a choisi la carte individuelle en fondant Fanmi Lavalas, avait‑il le droit de faire exploser le secteur démocratique qui a mené uni, de façon assez victorieuse, de nombreuses batailles face aux ?forces anti‑changement? notamment celle de son retour au pouvoir donnée pour perdue d?avance?


 


Le 21 mai et le 26 novembre 2000, Aristide et son parti ont oublié leurs multiples compromis avec le changement démocratique.   Ils ont oublié les belles mobilisations pour des élections honnêtes, ils ont oublié le 29 novembre 1987 et les victimes de la ruelle Vaillant.  Obsédés par le pouvoir qu?il fallait assauter de n?importe quelle façon, ils ont oublié les moments forts amenant au 16 décembre 1990 et à l?explosion populaire du lendemain 17 décembre 1990.


 


Du 21 mai 2000 à date, pendant trois ans, ils ont refusé au pays toutes les opportunités de développement et de progrès en priorisant leur pouvoir mal acquis au détriment des routes, des hôpitaux, des centraux téléphoniques, des centrales électriques, des logements sociaux, de l?augmentation de la productivité agricole, au détriment du bien‑être du peuple objet de leur propagande toxique et de toute leur démagogie. 


 


Contre toute logique, depuis le 7 février 2001, le pays assiste à une déviation et à la débauche de toutes les aspirations populaires.  Et c?est le philosophe guadeloupéen Jacky Dahomay, ami d?Haïti, qui rend, de la meilleure façon, ce que le président Aristide et son parti sont en train de faire au pays.  En effet, Jacky Dahomay écrit dans le volume V, numéro 1, janvier 2001 de la revue Chemins Critiques: ?Que Jean‑Bertrand Aristide et ses partisans ne sont qu?un détournement de la revendication démocratique du peuple haïtien et que le pouvoir qu?ils tentent d?imposer est une tentation tyrannique très forte dont il faut comprendre la logique afin de mieux s?en prémunir?.


 


Dahomay comprend, aussi bien que nous l?avions écrit à maintes reprises, que les masses haïtiennes sont en avance sur leurs leaders, quant à la revendication de démocratie comme système de référence.  Il apporte un autre éclairage en comprenant: ?Ce qui est frappant dans l?histoire des luttes politiques des dernières décennies en Haïti, c?est le fait que la revendication démocratique est issue fondamentalement des couches populaires de la population?.  Ceci a toujours été une constante de notre histoire.  Et à propos de la dictature et des déviations du président Aristide et de Lavalas, Dahomay constate: ?Etre donc contre une dictature de droite n?implique pas forcément que l?on soit contre une dictature de gauche, supposée celle du peuple.?  Il explique ce paradoxe par le choix d?une ?problématique théorico‑politique qui était celle du marxisme et qui posait la démocratie comme idéologie bourgeoise, piège pour les revendications des classes populaires?.


 


Mais, quant aux choix du président Aristide et de son parti de pervertir les revendications démocratiques en trahissant son dire et son faire et en faisant tout le contraire de son discours sur une même génération, il ne relève en rien d?un choix idéologique influencé par le marxisme.  Il est tout simplement le fait d?une constante historique de leaders qui n?ont pas été à la hauteur d?une mission historique trop lourde pour leurs épaules, le maintien de la tradition étant un choix plus facile.  L?histoire d?Haïti est parsemée de parjures d?un bout à l?autre.  C?est de cela qu?il s?agit, plus que toute autre chose.


 


Aujourd?hui. , le ballon lancé au parlement contesté pour introduire le principe de la nécessité d?amender la Constitution ou selon certains procès d?intention, de l?amender hors‑norme, fait partie de la même tentation tyrannique et de la posture de détournement de la volonté démocratique populaire telle que décrit par Jacky Dahomay.


 


La Constitution de 1987 était le fruit d?un large consensus.  Son amendement qui est une nécessité, sans que ce soit la priorité de l?heure, se fera également avec la participation de tous les secteurs.  Toute option contraire provoquera une nouvelle crise plus compliquée encore que celle dans laquelle nous sommes empêtrés depuis plus de trois ans.  La Constitution, en attendant de l?amender convenablement, faisons l?effort de l?appliquer dans toute sa rigueur.  Nous ne sommes pas étonnés d?entendre ceux qui, en dépit de leur mandat contesté, ont juré sur la constitution d?en ?être fidèle?, article 109, soient désormais ceux‑là mêmes qui veulent lui jeter un mauvais sort.  Notre histoire est dominée par des attitudes motivées par les seuls intérêts personnels.  Ceux qui ont fait échec au rêve démocratique du peuple haïtien, de Goman à Praslin en passant par Acaau, de 1843 à 1946, de 1986 à 1990 et de là à aujourd?hui sont de la même étoffe.  Qu?un sénateur de la République, tout contesté qu?il est, propose d?instaurer un mandat présidentiel de dix ans en ouvrant la porte au retour à la présidence à vie après que la nation haïtienne eut goûté à dix‑sept années de libertés publiques, n?est‑ce pas gifler les martyrs de la transition démocratique et faire preuve d?amnésie politique?  Qu?un élu contesté voue un culte à un seul homme et qu?il insulte les revendications populaires ayant abouti aux garanties constitutionnelles quant au nombre de mandats du Président de la République, c?est son choix personnel qui ne saurait engager que lui‑même.


 


Devant ces attitudes qui sont autant de provocations au mouvement démocratique haïtien et aux sacrifices qui l?ont alimenté jusqu?à confier son avenir aux lavalassiens, on ne peut manquer de se poser la question: A quoi ont servi les leçons récentes de notre histoire?  On semble oublier le sort fait à Jean‑Claude Duvalier, à Henri Namphy, à Prosper Avril, aux militaires du coup d?Etat du 30 septembre 91.  Croit‑on que le génie de Jean‑Bertrand Aristide le mettra au‑dessus de la colère du peuple et que l?explosion de celle‑ci ne l?expédiera pas, comme ses prédécesseurs, dans la poubelle de l?histoire?


 


Les lavalassiens font‑ils abstraction de la crise qui nous tient à la gorge depuis trois années et qui a empêché Jean Bertrand Aristide de diriger le pays en toute légitimité?  Le projet antidémocratique est sans issue.  Les acquis du 7 février 1986, l?environnement international, la jouissance des libertés publiques, l?incapacité des lavalassiens qui n?ont pas de résultat après environ dix années de gestion effective du pays sont autant de murs en face du président Aristide et de son parti.  Aucune propagande massive, aucune cooptation, aucun plan d?intimidation de la presse et des médias, aucun complot de coup d?Etat permanent, aucune anarchie dans le genre de celle du 2 août 2002 aux Gonaïves, aucune carte blanche à l?impunité n?aidera le Président et ceux qui semblent incapables de lui dire non, à réussir de remettre le pays à la situation de dictature d?avant le 7 février 1986.


 


QUAND LAVALAS REHABILITE DUVALIER


Après avoir réussi à tuer l?espoir, ce qui nous a valu, depuis les années Préval, une recrudescence de boat people qui effraie nos voisins, aujourd?hui, plus que jamais, le choix incompréhensible de la crise au lieu du compromis pour le changement amène la population à rêver de Duvalier!  La responsabilité de cette anormale situation est imputable à Lavalas.  Les derniers sondages quant à cette question laisse un mauvais goût à la bouche.  Par ailleurs, les options du pouvoir, sa façon de faire, la répression qu?il exerce contre ses opposants, la carte blanche donnée à ses proches pour réprimer comme on l?a vu le 3 décembre 2002, le 10 janvier 2003, les montages grossiers pour arrêter des membres de l?opposition, le non‑respect des décisions de justice, les brutalités policières, la jouissance abusive de l?autorité en provoquant des situations inacceptables dans la circulation automobile, l?abus des sirènes des voitures officielles, les scandales de toutes sortes et sans conséquence impliquant des membres du régime, la manière d?ignorer la réprobation populaire, l?arrogance des tenants du pouvoir, la toute‑puissance présidentielle au mépris de la séparation des pouvoirs, la domestication de la justice, les violations flagrantes des droits de la personne sont, entre autres, les mêmes schémas du pouvoir duvaliérien.


 


LE REVEIL


Qu?est‑ce qui explique la tentation tyrannique du président Jean‑Bertrand Aristide?  Qu?ont‑ils fait de si grave, les lavalassiens, pour que leur seul salut soit leur maintient au pouvoir, le plus longtemps possible pour éviter de rendre compte?  Aristide, malgré les horreurs du coup d?Etat n?avait‑il pas amnistié les militaires?  Comment peut‑on prétendre à la dictature quand on s?appelle Jean‑Bertrand Aristide et que toutes ses références publiques renvoient à la lutte pour le changement démocratique?  Comment ce miracle peut‑il s?opérer dans une société qui, depuis Duvalier, a pris d?autres options, d?ailleurs accompagnée à maintes reprises par le même Aristide?  Son engagement au sein du mouvement démocratique, se peut‑il que ce soit tout bonnement pour remplacer la dictature des autres par la sienne propre?


 


Comment expliquer cela aux Haïtiens, aux amis étrangers du Black Caucus, aux autres amis du parti démocrate, à la famille Kennedy, à Jesse Jackson, à Randal Robinson, à John Conyers et, et surtout à Bill Clinton qui a favorisé le retour?  Leurs intérêts de ristournes pourront‑ils en faire des complices?  Comment l?expliquer à Danielle Mitterrand et à tous les amis d?Haïti qui ont mobilisé la terre entière pour le retour?  Il est grand temps que Jean‑Bertrand Aristide se réveille, qu?il sorte du cauchemar où il jouait à François Duvalier.  On est en 2003, tous ceux‑là qui encouragent Aristide dans la mauvaise voie, au lieu de le replacer au sein du grand mouvement démocratique, contribueront de préférence à sa perte et devront assumer, collectivement avec lui, les conséquences de ce choix.


 


L?histoire est là qui nous renseigne.  Rares sont les présidents haïtiens qui ont été à l?abri de la tentation d?amender la Constitution pour se maintenir au pouvoir.  Salomon l?a fait, Sam a dû partir suite à la controverse sur le terme de son mandat.  Plus près de nous, Estimé a été renversé, parce que Magloire l?accusait de vouloir violer la Constitution pour garder le pouvoir.  Magloire, le tombeur d?Estimé, est parti dans les mêmes conditions.  Il semble avoir oublié les motifs évoqués pour faire tomber son ancien patron.  Les tentations d?amendement à la Constitution a des fins personnelles n?ont pas porté chance à leurs initiateurs.  On pourra objecter que certains présidents comme Sténio Vincent et Duvalier ont réussi là où d’autres ont échoué.  Autres temps, autres m?urs!  Le blocage politique induit par le 21 mai 2000 ne renferme‑t‑il pas assez d?enseignements appelant plutôt à la sagesse qu?à l?entêtement caractérisant les dirigeants haïtiens depuis deux cents ans?  Haïti, en 2003, n?a qu?un choix, continuer l?apprentissage démocratique.  Tout rêve différent n?est que chimère.


  


Le Nouvelliste, no. 36695, mardi 3 juin 2003