C’est le cas d’abord de la Convergence Démocratique (opposition traditionnelle) qui a dû stratégiquement céder le pas pour permettre le lancement de la nouvelle coalition des “184”, ce qui automatiquement l’a renvoyée sur la touche, du fait aussi que l’une comme l’autre aient pour principal supporter le même international, émanent du même centre de décision …
Mais de son côté, le “groupe des 184” se révèle au souffle infiniment court, épuisé avant d’avoir franchi la ligne de départ, trop d’improvisation, manque de coordination entre divers éléments que rien ne rapproche dans la vie réelle, absence de tout engagement véritable et poids trop lourd de l’argument financier (millions de l’aide internationale passant entièrement par des ONGs, dont la plupart sont rattachées à l’opposition).
Actionné par télécommande …
M. Apaid s’excuse que sa “caravane de l’espoir” n’ait pas attiré plus de monde récemment aux Gonaïves par le fait que la police lui a donné trop de sécurité et que cela a pu effaroucher les gens (sic) …
Rosemond Jean est à peine en liberté sous caution pour une accusation de possession d’armes illégales, qu’il reprend son combat en faveur des victimes des “coopératives” en faillite, mais il peine car c’est du réchauffé …
Carline Simon a mis une sourdine, on ne sait trop pourquoi, depuis sa détention, bien que son arrestation ait été jugée illégale …
Les mouvements dits féministes, embrigadés aussi dans les “184”, n’ont développé aucun discours qui sorte de l’ordinaire, aucun agenda de lutte propre …
Pas plus les syndicats enseignants … Toutes les manifestations commencent et finissent en entonnant la seule et même antienne : A bas Aristide ! D’où le sentiment d’un monologue vague et creux, sans aucune originalité, comme actionné par télécommande, donc ne pouvant refléter aucune alternative. Avant de sombrer dans la discorde aux cent voix …
Comme les élections de vendredi à l’Université d’Etat d’Haïti qui ont été annulées dans un désordre indescriptible. Les étudiants, ces grands donneurs de leçon démocratique qui ont fait trembler le pouvoir ces derniers mois …
La seule “haine d’Aristide” pour tout programme …
Très vite, les “184” en sont donc arrivés au même point que leurs prédécesseurs, la Convergence Démocratique, c’est-à-dire unis par la seule “haine d’Aristide” …
Sécheresse du discours politique, mais sécheresse générale, totale-capitale, en tout, partout et pour tout … Le vrai problème dont souffre Haïti est une carence de débat aussi bien public que privé, une société sans modèle, sans direction et sans directive, incapable de maîtriser un avènement sans préparation dans la démocratie de la parole, et qui se traduit chez les élites par une fausse distance critique sous forme de dolce vita intellectuelle, bref le triomphe de la pensée unique, mais jusqu’à l’annulation même de toute pensée …
Politiciens, société civile, étudiants, intellectuels, médias, idem. Une société de parlotte …
Cette semaine, le nouveau dada de l’opposition est que soit enlevé à l’OEA pour incompétence le dossier de la crise haïtienne, pour transférer celui-ci au conseil de sécurité de l’ONU …
La semaine précédente, c’était la Charte démocratique.
Tout cela, sans explication.
Blablabla …
Je sème à tout vent.
La paille et la poutre …
Comme si le marasme diplomatique irakien ne suffisait pas pour combler tous les voeux (et cauchemars) du conseil de sécurité …
Alors qu’en outre l’opposition n’a aucun dossier, aucun agenda, aucun plan, n’avance absolument rien et qu’une telle réclamation n’est destinée qu’à faire passer le temps, nous faire perdre tout notre temps (et d’abord au pays) …
La même opposition qui accuse Aristide de diversion avec sa demande de restitution de la dette de l’indépendance haïtienne (90 millions de francs or de l’époque) versée à la France pour “acheter” notre indépendance juridique à l’ancienne puissance coloniale au début du 19e siècle …
La paille et la poutre …
Bref aucun programme, que le ôte-toi que je m’y mette !
La politique en Haïti n’est pas dialectique, elle est cannibale …
L’international est en train de l’apprendre à ses dépens. Après en avoir bien profité, il est vrai … Mais devant les grandes manoeuvres qui s’annoncent après le lever de rideau irakien, Haïti est une quantité négligeable qu’on aimerait bien classer, ranger maintenant au placard.
Des sanctions comme des missiles …
Cependant l’administration Bush semble avoir commis en Haïti la même erreur qui marque son intervention en Irak : l’absence de toute donnée de base sur le terrain, confondant les acteurs locaux avec autant de soldats de plomb sur une carte d’état-major, sans identité propre. La superpuissance souffre du péché de volontarisme …
Les sanctions pleuvent, comme des missiles, mais sans un calendrier de conditions et d’échéances et surtout une autorité capable, neutre et crédible pour en garantir l’application et la viabilité ; or tel n’est pas le cas en l’occurrence puisque le ” sanctionneur ” est à la fois juge et partie … Le résultat est de faire mal, de faire du mal inutilement à un pauvre peuple …
Mais un peuple habitué à la misère et à tant de siècles de privations pour savoir y tenir tête et pratiquement sans baisser la tête …
L’embargo américain a encore plus de chance à Cuba où existent des institutions. En Haïti, il tue mais gratuitement parce que ne rencontrant que le vide politique. Il ne faut pas confondre avec la situation sous le régime militaire putschiste (1991-1994) quand le peuple avait le sentiment de vivre une autre guerre d’indépendance …
Quant au troisième protagoniste, le pouvoir Lavalas, ou plutôt Jean-Bertrand Aristide puisqu’il faut l’appeler par son nom, sa situation est encore plus paradoxale. En effet, devant une opposition qui s’est neutralisée elle-même et l’international temporairement plus occupé ailleurs, qui a d’autres chats à fouetter, n’est-ce pas la voie libre pour opérer une sortie des tranchées, après trois longues années de frustrations ?
Tant va la cruche à l’eau …
Mais c’est ne pas compter avec la dépendance totale de l’assistance étrangère. Ce n’est ni l’opposition, ni l’inter-national le véritable problème du pouvoir Lavalas, que c’est d’être prisonnier pieds et poings liés de la manne internationale …
Qui pis est, alors que c’est le seul pouvoir à avoir été chéri par la communauté en diaspora depuis que celle-ci existe, Lavalas n’a rien fait pour traduire cette préférence en investissements réels dans le pays qui feraient contrepoids à la dépendance de l’aide.
Mais des paroles, paroles …
Franchement, oui en toute objectivité, si on devait décrire la situation actuelle en Haïti, il faudrait dire : mûre pour un coup d’état. Car tant va la cruche à l’eau qui s’est arrêtée jusqu’au bord de l’égout … Et comme il n’y a pas de challenge que l’anthropophagie, coup d’état sale !
Cependant comme tous les acteurs sans exception paraissent au bout du rouleau, ce coup d’état devrait venir de la planète Mars.
Haïti en Marche, 26 Avril 2003