Originally: Rapport sur les Evénéments Survenus à Fonds – Parisien & Ganthier du 26 Novembre 2002 au 15 Janvier 2003
I. Introduction
Il ne fait aucun doute qu?Haïti traverse actuellement des moments les plus difficiles de son Histoire. N’importe quelle discussion fondamentalement de peu d’importance peut se transformer en un drame. Haïti revit aujourd?hui l’époque que l?Historien Roger Gaillard pourrait qualifier de temps des Baïonnettes c’est-à-dire une époque où les conflits sont résolus à coup de baïonnettes et de fusils, une époque où prévaut la loi de la jungle.
Du 26 novembre 2002 au 15 janvier 2003, la commune de Ganthier a été le théâtre de nombreuses scènes de violence opposant les habitants du Centre de Ganthier et ceux d’une de ses sections communales, Fonds – Parisien qui se sont trouvés à couteaux tirés.
Informée de cette situation, une équipe de la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) s’est rendue sur les lieux des événements en vue de s?enquérir des informations sur place.
La NCHR soumet à l’attention de l?opinion publique nationale les résultats de l’enquête réalisée dans la commune de Ganthier les 16 et 18 janvier 2003.
II.- Méthodologie
Dans le cadre de cette enquête, la NCHR a rencontré:
I. Les membres de :
a) l?Association des Planteurs de la Cité de Fonds – Parisien pour le Développement Agricole (APCFDA);
b) l?Association des Jeunes en Action pour l’Avancement de Fonds – Parisien (AJAAFP);
c) l?Association des Jeunes Progressistes pour le Développement de Fonds ? Parisien (AJPDF)
II. Le président du Conseil d’Administration de la Troisième Section Communale de Fonds – Parisien;
III. Les victimes et les témoins des incidents de Fonds-Parisien;
IV. Le maire de la commune de Ganthier;
V. le juge suppléant du tribunal de paix de Ganthier;
VI. Les témoins des victimes des incidents de Ganthier.
III.- Présentation de la Commune de Ganthier
Située dans le département de l’Ouest, Ganthier est une des communes de l’arrondissement de la Croix des Bouquets. Cette commune comprend quatre (4) sections communales: Galette Chambon, Balan, Pays Pouri, Mare Roseau et le quartier de Fonds – Parisien.
En 1998, la population de la commune de Ganthier était estimée à 63.163 habitants pour une superficie de 387, 28 km2 soit près de 187 habitants par km2. En 2004, elle devra atteindre un peu plus de 72.000 habitants.
Ganthier n’est pas électrifiée et est aussi dépourvue d’infrastructures économiques et financières. Elle compte un commissariat de police en ville, un sous – commissariat à Malpasse, un tribunal de Paix et un bureau d?État Civil. (Ref)[1]
IV.- Exposé des Faits
A l?occasion des élections de l?année 2000, au moment de l?établissement des BIV (Bureau d?inscription et de vote) a débuté un conflit sur le statut du quartier de Fonds – Parisien par des candidats qui avaient un certain contrôle sur l?appareil électoral local. Après les élections, les élus locaux ont choisi arbitrairement de lever au rang de section communale l’habitation Thoman et de reléguer parallèlement la section communale de Fonds – Parisien au rang d’habitation.
Cette situation a suscité la colère des parisiennois. Ceux-ci ont multiplié les pressions pour obliger les autorités à redonner à Fonds – Parisien son statut de section communale ou mieux de l’élever au rang de commune. Leur demande se fonde sur le fait que Fonds – Parisien dispose d’infrastructures et d’activités économiques que ne possède même pas le
centre ville de Ganthier.
Dans la foulée, le 18 novembre 2002, les membres de l’Association des Jeunes Progressistes pour le Développement de Fonds – Parisien (AJPDF) ont érigé une enseigne sur deux poteaux en béton armé au niveau de Pont Quenette, à environ six cents (600) mètres de la Ville de Ganthier. Dans l’enseigne il est inscrit au recto et au verso respectivement Bienvenue à Fonds – Parisien et Au Revoir Fonds – Parisien. Le 26 novembre 2002, aux environs de 3 heures de l’après-midi, le maire de la commune a été voir l’enseigne et a essayé en vain de scier les poteaux de support. Alertés, environ sept (7) membres de l’Association des Jeunes Progressistes pour le Développement de Fonds – Parisien (AJPDF) se sont rendus à Pont Quenette, le maire
tard dans la soirée, les sympathisants
du maire, mécontents, se sont mis à
casser les pare-brise des véhicules de
Fonds – Parisien en provenance de Port
-au-Prince.
Les automobilistes victimes se sont réfugiés au commissariat de Police de Ganthier. A l’opposé, le 27 novembre 2002, entre 10 et 11 heures du matin, un groupe de gens en provenance de Fonds – Parisien ont prêté mains fortes aux chauffeurs victimes et ont marché sur Ganthier. Ils ont rasé le mur de clôture du cimetière de Ganthier, incendié le Tribunal de Paix, brisé les persiennes de certaines maisons sur la route et cassé des pare-brise de certains véhicules trouvés sur leur passage. Tout ceci s’est passé sous l’oeil impuissant de la police de Ganthier.
Profitant de cette situation, les autorités judiciaires de la commune, hostiles aux membres de certaines organisations de Fonds – Parisien en fonction de leur tendance séparatiste, ont décerné des mandats à l’encontre de nombre de leurs membres en particulier, ceux de l’association des Jeunes Progressistes pour le Développement de Fonds – Parisien (AJPDF) qui avaient porté plainte contre le maire.
En exécution des mandats émis contre les présumés auteurs des événements du 27 novembre 2002, les policiers du commissariat de Ganthier, aidés des agents de CIMO ont procédé le mercredi 8 janvier 2003 à l’arrestation de trois individus: Pierre Clerveau, Carlyl Néré, Jean Max Louissaint. Ces individus furent conduits au commissariat de Ganthier puis, transférés pour cause de sécurité au commissariat de la Croix – des – Bouquets sous l’ordre de l’inspecteur de police de Ganthier, Renel Azulpha. Joseph Clerveau, ayant appris l’arrestation de Pierre Clerveau s’est précipitamment rendu au commissariat de la Croix – des – Bouquets pour s’informer du chef d’accusation retenu contre son frère. Il a été, lui aussi mis sous les verrous.
Le vendredi 10 janvier 2003, l’inspecteur de police Renel Azulpha a requis deux des quatre incarcérés Pierre Clerveau et Joseph Clerveau au commissariat de la Croix-des-Bouquets sous prétexte de les faire comparaitre par devant leur juge naturel. A la stupéfaction générale, et même du juge qui a émis les mandats, Joseph Clerveau et Pierre Clerveau sont libérés par l’inspecteur Renel Azulpha après que ce dernier leur aurait extorqué cinquante mille (50.000,00) gourdes, s’il faut se fier aux déclarations des libérés et des autorités judiciaires de la commune de Ganthier.
Le samedi 11 janvier 2003, les habitants de Fonds – Parisien ont bloqué la route avec des pneus enflammés, des carcasses de voitures et des piles de sable, empêchant ainsi l’accès à la République Dominicaine par voie terrestre. Ce mouvement de protestation avait pour but d’exiger:
a) La libération des deux autres individus encore incarcérés au commissariat de la Croix -des – Bouquets.
b) La présence des autorités centrales, particulièrement du Président de la République en vue de trouver une solution à leur problème.
Des policiers en provenance de Port-au-Prince, vêtus de gris, avec l’appui des membres de la population du centre Ville de Ganthier déguisés en policiers sont intervenus avec violence à Fonds – Parisien pour débloquer la circulation. Ils ont tiré en l?air, molesté et forcé des gens à ramasser les débris placés sur la route.
les boutiques, de casser les pare-brise
des véhicules garés sur la cour de leurs
propriétaires, d’incendier des maisons, de
lancer des gaz lacrymogènes et de tirer
dans toutes les directions. Trois personnes
sont blessées par balles et deux autres sont
arrêtées pour être relâchées quelques heures après. Ce jour-là, Monsieur Duramay Lésidor, un employé de la TELECO de Ganthier a été identifié par la population de Fonds – Parisien comme étant l’un des civils portant l’uniforme du Corps d’Intervention pour le Maintien de l’ordre ( CIMO) et servant d’indicateur de police. Duramey Lésidor accuse les habitants de Fonds – Parisien d’être des partisans de la Convergence Démocratique. Le même jour, le Ministre de l?Intérieur et des Collectivités Territoriales a fait procéder à la destruction d’un village de Migrants situé à Malpaso, aux environs de la frontière haïtiano – dominicaine, au point frontalier officiel de l’Ouest, Malpasse / Jimani. Conséquence de cette opération, de nombreuses personnes victimes, en particulier des rapatriés expulsés de la République Dominicaine, sont restées sans abri et sans nourriture. (voir rapport du Groupe d’Appui aux Rapatriés et réfugiés GARR, 30 janvier 2003)
Le lundi 13 janvier 2003, le Ministre Jocelerme Privert est retourné à Fonds – Parisien cette fois-ci, dans le but de trouver une solution négociée au problème. Ce faisant, le Ministre a donc renoncé à la solution de force. Le revirement du Ministre Privert est intervenu dit-on, suite à une demande exprimée par le Gouvernement Dominicain au Gouvernement Haïtien en vue de parvenir à une normalisation de la situation qui menace la sécurité intérieure de la République Dominicaine risquant ainsi de provoquer la fermeture de la frontière.
Le mercredi 15 janvier 2003, le Ministre de l?Intérieur et des Collectivités Territoriales, M. Jocelerme Privert et le Secrétaire d’Etat à la Sécurité Publique, M. Jean Gérard Dubreuil ont rencontré une délégation de gens de Fonds – Parisien. Au cours de cette rencontre, ils ont informé la délégation que le gouvernement accepte de réparer les torts faits à la population parisiennoise. A la demande de cette délégation, ils acceptent de doter Fonds – Parisien d’un commissariat de police, d’un bureau d’état Civil et d’un Tribunal de Paix.
V.- Bilan partiel à Ganthier
1. Tribunal de Paix incendié;
2. Bris de vitres dans cinq (5) maisons;
3. Clôtures du cimetière fortement endommagées ;
4. Deux voitures calcinées;
5. Environ cinq véhicules avec pare-brise cassés;
6. L?enseigne de la TELECO brisée.
VI.- Bilan partiel à Fonds – Parisien
a)
* Carelus Abner a reçu un projectile au cou;
* Osner Castelli a reçu un projectile à la main droite;
* Jean Frank Lozama est blessé au niveau de la tête;
* Marie Lourdes Alexis, âgée de 14 ans, élève de 4ème année fondamentale au collège Christ pour Tous est blessée par balle au niveau de son pied gauche;
b) Morts par asphyxie et arrêt cardiaque
* Mme Lovie Polinice, une vieille de 75 ans
* Mme Laurraine Cicéron de même âge.
c) Victimes de cambriolage:
Prénom & Noms | Pertes enregistrées |
Tantinet Cicéron | 1500,00 gourdes |
Nicole Néré, Mme | 35.000,00 gourdes |
Jeguens Laguerre, Mme | 50.000,00 gourdes |
Alfred Charles, Mme | 85.000,00 gourdes |
Fayette Baltazar | 4 cabrits |
c) Victimes dont les pare-brise des voitures ont été endommagés:
* Nelio Laguerre a eu les pare-brise de ses deux
véhicules brisés;
* Johnny Antoine a vu emporter le pare-brise de
son pick-up toyota simple cabine immatriculé au
no TF4177;
* Mesnel Dérissaint a eu le pare-brise de sa Nissan
Sunny, Immatriculée au no A2702, brisé;
* Il faut signaler au cours des incidents un Pick-up
de la PNH a été incendié
d) Victimes dont les maisons ont été incendiées:
* Paulette Galette, mère de trois enfants:
Barbara Vilsaint, Redditch Vilsaint, Doodno
Vilsaint âgés respectivement de 12 ans, 9 ans
et 3 ans. Les deux premiers sont respectivement
en 6ème et en 3ème AF;
* Dorcilia Galette;
* Brunel Galette;
* Providence Augustin, marié et père de neuf (9) enfants dont sept (7) habitaient la maison paternelle. Sa boutique a été également saccagée. Tous les documents importants de la famille y compris le passeport de M. Augustin pourvu d?un visa américain de 5 ans, ont disparu dans les flammes.
* Après l’avoir pillée, les agents de la PNH ont incendié la maison de Mme Alfred Charles. Elle dit avoir perdu 85.000,00 gourdes.
e) Victimes dont les maisons ont été endommagées:
* Mme Miracle Jean Louis, une vieille dame, a eu la porte de sa maison défoncée;
* Rémy Joseph a vu fouiller sa maison de
fond en comble. Les meubles, les vais-
selles et les persiennes ont été cassés;
* Mme Milord Laguerre a vu sa maison
saccagée et ses meubles réduits en pièces;
* Mme Jeguens Laguerre a perdu cinquante
mille (50.000,00) gourdes qui, affirme t – elle,
ont été emportées par les agents de la
PNH, après qu’ils eurent détérioré sérieuse-
ment les objets de la maison;
* Jean Wilson Dérissaint a eu la façade de
sa maison détruite;
* Jean Edmond Laguerre a eu sa maison détruite avec un tracteur. Sa voiture a été détruite pour ensuite être déposée sur les décombres de la maison.
Au demeurant, environ 15 maisons sont détruites complètement; Une quarantaine de maisons ont été saccagées; Une dizaine de boutiques ont été pillées.
VII.- Commentaires
Les événements survenus à la commune de Ganthier sont la résultante de l’intolérance, de l’irresponsabilité et du laxisme qui caractérisent partisans et responsables Lavalas. Ils témoignent de la capacité de blocage des forces hostiles au changement tel que prôné par la constitution en vigueur en matières de décentralisation, de gestion de proximité.
La NCHR note que l?élément déclencheur du conflit est cette enseigne mise en place à la date du 18 novembre 2002 par l?Association des Jeunes Progressistes pour le Développement de Fonds – Parisiens (AJPDF) au niveau de Pont Quenette et dans laquelle il est donné de lire d?un côté : »Bienvenue à Fonds – Parisien » et de l?autre « Au revoir Fonds – Parisien ». Sans ignorer les symboles, la NCHR se demande en quoi une telle enseigne peut constituer un objet de provocation, une insulte aux autorités et fils de Ganthier au point de soulever leur indignation et leur colère et les porter à s?en prendre directement à cette enseigne et à ceux qui l?ont fait ériger. Ce conflit regrettable qui a occasionné tant de pertes, fouetté au rouge l?amour propre des uns et des autres envenimé les relations et déchiré le tissu social de deux communautés qui sont condamnées à vivre ensemble aurait pu être évité.
La NCHR condamne les abus d?autorité et les excès de pouvoir dont ont fait montre le Ministre de l?Intérieur, monsieur Jocelerne Privert, et le porte – parole de la Police Nationale d?Haïti, l?inspecteur Jean Dady Siméon (originaire de Ganthier), dans le traitement de ce dossier.
La NCHR juge déplorable l?attitude des policiers de la commission d?enquête dépêchée sur place par la Police Nationale d?Haïti et présidée par l?inspecteur général Jean Robert Esthère qui, dans le cadre de leur mission d?enquête, ont procédé au niveau de la population, à une grande distribution de calendriers à l?effigie du président de la République, Jean Bertrand Aristide. Il s?agit là d?une forme de campagne électorale indigne d?une police professionnelle. Ceci n?est qu?un témoignage supplémentaire du degré de politisation de la PNH et du souci de certains de polariser d?avantage la vie socio – politique du Pays.
Les événements de Ganthier / Fonds – Parisien sont une preuve de plus de la nécessité de repenser le découpage administratif du Pays. La possibilité d?assister à la reproduction de conflits du même genre dans divers points du territoire est grande, très grande. Aux autorités constituées de les prévenir.
VIII. Violations Constatées
Les événements survenus à Ganthier portent atteinte aux droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté individuelle, à la liberté de circulation, à la sécurité, à la vie privée, à la propriété privée et à l’opinion, consacrés par:
Ø La Constitution Haïtienne de 1987 en vigueur, respectivement en ses articles 19, 20, 24, 41, 36, 43.
Ø La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 en ses articles 3, 13, 17, 19.
Ø Le Pacte International relatif aux Droits Civils et politiques de 1966 en ses articles 9, 17, 6-1, 6-2, 6-3, 6-4, 6-5, 6-6.
Ø La Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme de 1969 en ses articles 4, 4-1, 4-2, 4-3, 4-4, 4-5, 5, 7, 11-2, 11-3, 21, 21-2, 21-3 et 13.
IX. Recommandations
En vue d’éviter la répétition de tels actes, la NCHR recommande aux pouvoirs publics :
a) La définition du statut de Fonds – Parisien;
b) L’arrestation et le jugement de tous les responsables, policiers et civils impliqués dans ces actes de violence et/ou de violation systématique de droits de la personne;
c) Le dédommagement des victimes.
[1] cf. Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (1998) et le Dictionnaire des Communes, Quartiers et Sections Communales de la République d’Haïti. (Mai 1995).